samedi 25 juillet 2020

Québec 1970-2020: rien n’a été réglé…


L’été 1970… Déjà un demi-siècle… Au pays du Québec, bien des choses ont changé depuis la fin de la Révolution-pas-si-tranquille-que-ça… Mais quand on y pense, aucun des problèmes de fond qui tiraillaient il y a 50 ans les Canadiens-français-devenus-Québécois n’a été réglé… En retournant sur les écrits d'un magazine de l’époque, les déjà-vus se succèdent…

J’épluche ces jours-ci les éditions pré-crise d’octobre 1970 de la revue indépendantiste Point de mire. Des grands noms du Parti québécois la dirigeaient ou y collaboraient, y compris Pierre Bourgault, Jacques-Yvan Morin, Bernard Landry et André d’Allemagne. L’équipe du magazine comprenait aussi des sommités culturelles, dont les auteurs Gaston Miron et Claude Jasmin.

Au départ, ce qui frappe, c’est la perception que le mouvement indépendantiste est porté essentiellement par les jeunes, que la défense du fédéralisme rassemble les vieilles gardes et qu’à ce titre, l’accession du Québec au rang de pays n’est plus qu’une question de temps. «En 1974 (année prévue de l’élection suivante), écrit Jean Meunier dans Point de mire en juin 1970, les 14, 15, 16 et 17 ans iront aux urnes. Plus politisés que leurs aînés, mieux avertis des problèmes du Québec, ils iront dans un fort pourcentage grossir les effectifs du PQ.»

Et Pierre Bourgault d’ajouter en éditorial (juillet 1970), s’adressant aux ténors du fédéralisme, «vos troupes meurent de vieillesse pendant qu’il nous en arrive des fraîches à tous les jours». Personne ne s’exprimerait ainsi en 2020…

Cet optimisme de 1970 est cependant tempéré par un sentiment, déjà répandu, que le temps joue contre les souverainistes, faute de mesures de protection et de promotion de la langue française. Le Québec vit sous le règne de la Loi 63, adoptée par le gouvernement précédent de l’Union nationale, qui permet le libre choix de la langue d’enseignement. «À la suite de l’adoption de la Loi no 63, poursuit le rédacteur en chef Bourgault, les immigrants (italophones) de St-Léonard s’inscrivent massivement à l’école anglaise».

«Pour 97 immigrants qui vont grossir la nation canadienne anglaise, seulement trois vont au groupe francophone», affirme Joseph Costisella (auteur du livre Le scandale des écoles séparées en Ontario), dans un article de Point de mire de juin 1970 intitulé «Doit-on interdire l’immigration?»

Dans un éditorial qui ferait sûrement frémir d’indignation les multiculturalistes de 2020, Pierre Bourgault lance en septembre 1970 cet appel : «Nous n’avons pas le choix. Il faut désormais stopper l’entrée de tous les immigrants au Québec. Pour ma part, je suis à la veille de suggérer que nous rendions par milliers à Dorval, le jour de l’arrivée d’un avion d’immigrants, pour forcer cet avion à retourner d’où il vient, avec son chargement de futurs citoyens québécois anglophones.»

Dans un autre texte à l’été 1970, un journaliste de Point de mire évoque les fraudes électorales dénoncées par le PQ à la suite de l’élection du 29 avril 1970, portant notamment sur les votes exercés en faveur des libéraux par des immigrants récemment arrivés, n’ayant pas la citoyenneté canadienne. Dans la circonscription montréalaise de Mercier (celle de Robert Bourassa), allègue-t-on, «des citoyens non canadiens avaient voté pendant que des centaines de Québécois, surtout âgés de 18 à 25 ans, ont été privés du droit de voter».

«Un jour ce pays parlera français, coûte que coûte, prophétise-t-il hardiment. Nous y accueillerons alors les immigrants avec sympathie et respect.» Le débat n’a pas beaucoup changé de ton en ce début de 21e siècle... Peut-être est-il opportun aussi de rappeler que le ministre libéral de l’Immigration était alors Pierre Laporte, «assurément la créature la plus détestée des indépendantistes» (Point de mire, juin 1970) qui serait enlevé et assassiné quelques mois plus tard par des membres du Front de libération du Québec (FLQ).

Cette arrivée massive d’immigrants aussitôt en voie d’anglicisation, combinée à une dénatalité foudroyante au sein de la société québécoise francophone, tourmente plusieurs analystes y compris Joseph Costisella, lui-même immigrant, qui s’intéresse beaucoup à la situation des Franco-Ontariens et de la francophonie hors-Québec. «Dans 50 ans (donc en 2020), les Canadiens français ne représenteront plus que 16,8% de la population totale (du Canada), prédit-il en ajoutant que si le rythme d’anglicisation n’est pas freiné, la population de langue française pourrait n’être qu’«une minorité de 10%»…

Personne ne pouvait alors prévoir les effets de la future Loi 101, qui obligerait les immigrants à fréquenter l’école française, ainsi que des autres mesures de francisation, qui n’ont pas stoppé le recul du français mais l’ont bel et bien ralenti au Québec.

La même édition de Point de mire rapporte à cet égard les propos de Ken Pearson, de la Chambre de commerce des jeunes de l’Ontario (comparaissant devant la Commission B-B). Il n’y a que 30% de francophones au Canada (à l’époque), et bientôt, dit-il, ce ne sera que 15%. Selon lui il est alors inutile de s’occuper des revendications canadiennes-françaises, car les Canadiens français «ne représenteraient bientôt qu’une force négligeable»…

Au Québec de 1970, la situation linguistique suscite la colère de l’Association des professeurs de français. «Ce qui nous préoccupe, disent-ils, c’est que le Québec n’est pas français. Il est anglais et français, il est bilingue. Dès lors, il ne faut pas s’étonner si le français québécois est dans une trop large mesure du franglais.» (Comme en 2020…)

«Le problème de la collectivité québécoise et de sa langue, estiment les profs de français en 1970, ne tient pas à ses voisin, américains ou canadiens. Il est dû à la présence en son sein d’une minorité anglophone, qui n’est en réalité que le front solidement établi, au Québec, de la majorité anglophone canadienne.»

Cette perception est partagée par nombre d’exilés américains (déserteurs, objecteurs de conscience à la guerre du Vietnam). «Nous avons fait l’erreur, déclare l’un d’eux, de nous coller à la minorité anglaise de Montréal. Puis nous avons découvert que le peuple québécois était français. Et nous sommes du côté du peuple.»

Le racisme des Anglo-Canadiens à l’endroit des francophones hors-Québec, et des «Rhodésiens» de Westmount à l’endroit des Franco-Québécois, avait suscité de multiples réactions, y compris de nombreuses manifestations et même de la violence (celle du FLQ notamment). Les policiers de l’époque utilisaient leurs matraques bien plus sur les jeunes Québécois blancs et indépendantistes (les «nègres blancs», aurait dit Pierre Vallières) que les citoyens d’autres cultures et d'autres races.

La situation était telle qu’une fraction appréciable de l’opinion publique de langue française manifestait de la sympathie pour les terroristes felquistes, approuvant leurs objectifs sans souscrire à leurs méthodes. À ce sujet, le syndicaliste Michel Chartrand déclarait en août 1970 : «Jamais on ne me fera cracher sur les gars qui posent des bombes. Ils ont le droit de ne pas être contents ces gens-là. Le système capitaliste est fondé sur la violence et il engendre nécessairement la violence.»

Quelques mois plus tard, Michel Chartrand se retrouvait derrière les barreaux sous l’emprise des mesures de guerre, innocent de tout crime et emprisonné, comme près de 500 autres innocents, pour le simple fait d’avoir milité en faveur de l’indépendance du Québec et d’un socialisme démocratique et laïc.

Cinquante années plus tard, l’avenir de la nation québécoise de langue française est toujours en péril, pour essentiellement les mêmes motifs qu’en 1970. La survie des minorités francophones hors-Québec est gravement menacée. La proportion des parlant français au pays diminue à chaque recensement, et le projet d’indépendance du Québec semble maintenant l’étendard des vieux plutôt que celui d’une jeunesse trop peu politisée, plus individualiste et, pour plusieurs, docilement soumise à la propagande anglo-canadienne déguisée en soi-disant bienveillance multiculturaliste.

Ça s'annonçait mal en 1970… Avec l’échec de la génération montante de l’époque, c’est pire en 2020… Il est ironique que la pérennité de la seule nation française d’Amérique du Nord semble maintenant reposer sur les épaules vacillantes des vieux qui étaient les jeunes de 1970…



1 commentaire:

  1. La vie est bien faite!

    Bernard Landry: indépendantiste jusqu’à son dernier souffle!

    « Maintenant, c’est à votre tour! » -Bernard Landry, nov. 2018
    https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10156929450823140&set=a.10150776269788140&type=3&theater
    « Des fois je suis enragé, mais jamais découragé » -Bernard Landry, p-m

    J’ai perdu plusieurs mentors, ces derniers temps :
    -Bernard Landry;
    -Pierre Falardeau;
    -René Lévesque;
    -Lise Payette;
    -Gilles Rhéaume;
    -Jacques Parizeau.

    Mais ceux-ci ont pris bien soins de nous léguer de bons disciples :
    -Simon-Pierre Savard-Tremblay;
    -Maxime Laporte;
    -Frédéric Bastien;
    -Catherine Fournier;
    -Mathieu Bock-Côté ;
    -Martine Ouellet;
    -Alexandre Bélliard;
    -Guillaume Rousseau;
    -Xavier Barsalou-Duval;
    -Martine Desjardins;
    -Léo Bureau-Blouin;
    -André-Carl Vachon;
    -Mégane Perry-Mélançon;
    -François Côté;
    -Éric Poirier;
    -Gabrielle Lemieux;
    -Tania Longpré;
    -etc…

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