jeudi 16 juillet 2020

Juillet 1970... Sur le pouce...

Ma mini-tente et mon sac à dos, près de Rivière-du-Loup...

Il y a 50 ans aujourd'hui, le 16 juillet 1970, je me plantais au bord de la route 17, à l'est d'Ottawa, avec un sac à dos pesant 25 kilos (52 livres à l'époque), et partais à l'aventure pour deux semaines «sur le pouce». J'étais âgé de 23 ans, franco-ontarien, journaliste au quotidien Le Droit depuis un an et je ne connaissais du Québec que la région montréalaise et le coeur de la Vieille Capitale...

Comme je n'avais pas de voiture et peu d'argent (mes premières vacances payées), il ne restait que l'auto-stop pour sillonner le Québec... Jusque là j'avais mené une vie tranquille, partagée entre la lecture, l'étude, la musique et les causes franco-ontariennes. Célibataire, pas sportif pour un sou, rebelle jusqu'aux tripes, ayant refusé de fréquenter une académie militaire au secondaire, hostile aux rangs, commandements et uniformes (même ceux des scouts...), personne n'aurait été surpris de me voir passer deux semaines de vacances le nez enfoui dans des livres et magazines...

Mais quelque chose me disait que si je devais un jour faire une folie, c'était maintenant... ou jamais, surtout que la société québécoise était en ébullition après l'élection du 29 avril. Alors je me suis acheté un sac à dos, une mini-tente, le nécessaire de camping et une carte routière du Québec (que j'ai toujours) pour y tracer l'itinéraire que j'espérais suivre jusqu'à la fin de juillet. Seul oubli voulu, mon rasoir... j'avais l'intention de laisser pousser une barbe...

En fin de matinée, ce jeudi 16 juillet, quand mon père m'a laissé près d'Orléans, j'étais convaincu que je serais de retour chez moi en soirée et que personne n'arrêterait pour m'offrir un lift. Mais non, après une demi-heure à sortir le pouce, une auto a ralenti et le conducteur m'a demandé où j'allais. Faire le tour du Québec, lui ai-je répondu. Bon bien, embarque jusqu'à Hawkesbury... De là, je pourrais traverser le pont Perley jusque' à la route 8 (l'actuelle 148). Et c'était parti!

Six tours d'auto plus tard j'arrivais à ma première destination -- St-Roch-de-l'Achigan, entre Lachute et Joliette -- à la ferme des parents d'un autre scribe du Droit, Normand Dugas, où l'on m'a hébergé pour la nuit en me demandant pourquoi je voudrais marcher pendant des semaines avec plus de 50 livres sur le dos... Une excellente question, à laquelle j'avais de la difficulté à répondre...

Le lendemain, retour sur la route avec un autre bon samaritain, un homme dans la soixantaine, ancien combattant anti-Franco durant la guerre civile espagnole à la fin des années 1930, qui m'a raconté avec force détails les horreurs vécues au front contre les fascistes. Nous roulions enfin sur le chemin du Roy, en direction de Trois-Rivières et Québec. À la fin du deuxième jour, mon pouce et moi étions arrivés à Sainte-Anne de Beaupré, sous un ciel menaçant...

Une première nuit sous la tente (les clochers de Ste-Anne de Beaupré à l'arrière)

Je n'avais jamais de toute ma vie couché sous la tente (et encore moins monté une tente)... En dépit de mon incompétence en camping, mon mini-abri a lentement pris forme sur un terrain vague à l'ombre des clochers de la basilique. Installé inconfortablement dans un espace exigu collé contre mon sac à dos, les éclairs, le tonnerre et la pluie ajoutant du piquant à l'expérience, j'ai réussi quand même à dormir et à rester bien au sec... Ste-Anne veillait sur moi...

Tout est désormais découverte... Les paysages de Charlevoix, la traversée du Saint-Laurent à Saint-Siméon. Après une autre nuit sous la tente dans un champ près de Rivière-du-Loup, mon pouce m'amène vers le bas du fleuve et la Gaspésie... Je me revois assis sur la rue principale de Trois-Pistoles avec ma carte routière ouverte et mon sac à dos sur le trottoir. Le temps de le dire, quatre ou cinq résidents m'avaient rejoint pour me demander si j'avais besoin d'aide ou de conseils, curieux de savoir d'où je sortais et où j'allais... Des gens accueillants, chaleureux...

Le Centre d'art de Percé en juillet 1970

Le fleuve n'est plus le fleuve, c'est la mer et je remonte la péninsule gaspésienne en deux ou trois jours, à mon rythme, pour passer une nuit à Gaspé où un cordonnier a dû réparer mon sac à dos (coût: 75 cents) puis une journée entière à Percé où je me suis permis un congé de mini-tente en couchant à l'auberge de jeunesse. En plus des touristes venus voir le Rocher Percé (j'en étais un), j'ai rencontré de jeunes militants indépendantistes qui distribuaient des journaux et des tracts qui semblaient sympathiques au FLQ, et ce, à moins de trois mois de la crise d'octobre 1970...

Ma première vue du Rocher Percé

Grâce à la bienveillance de plus d'une vingtaine d'inconnus qui m'ont embarqué, j'étais rendu aux portes de la Matapédia, ayant fait le tour de la péninsule gaspésienne, quand j'ai vu le pont menant à Campbellton, au Nouveau-Brunswick. J'avais eu des amis acadiens à l'université et je n'ai pu résister à la tentation d'une incursion sur la rive sud de la Baie des Chaleurs... J'ai réussi à atteindre Caraquet, servant en chemin d'interprète entre un vendeur de tracteurs unilingue anglais et un acheteur acadien unilingue français...

Si je voulais revenir au travail à temps, il fallait rebrousser chemin et tourner le pouce en direction d'Ottawa, qui me semblait bien loin... Un retour sans histoire par la vallée de la Matapédia, sauf pour les trois ou quatre km que j'ai dû courir avec mon poids de 25 kilos pour arriver à temps au traversier de Rivière-du-Loup, et la rencontre d'un couple d'auto-stoppeurs à La Malbaie qui avaient été brutalement agressés par ceux qui leur avaient offert un lift, la fille étant violée sous les yeux de son copain qui avait un couteau sur la gorge... C'est là que je me suis dit que ces vacances sur le pouce étaient mes premières et mes dernières...

Distances en pieds, pas en mètres

Arrivé à Québec, je devais prendre le train jusqu'à Ottawa. Il fallait que je sois de retour le lendemain. Le billet m'ayant pris mes derniers sous, j'étais résigné à dormir sur un banc dans la gare, mais on nous a mis à la porte en fin de soirée. C'est la seule fois de ma vie que j'ai couché toute une nuit sur un banc de la terrasse Dufferin, éveillé à quelques reprises par des gars qui voulaient mettre en péril mon hétérosexualité...

À mon retour, fin juillet, j'ai rangé mon sac à dos, accroché encore aujourd'hui dans notre garage, et repris mes activités de courriériste parlementaire au Parlement fédéral. La seule différence? J'avais maintenant une barbe rousse et les cheveux un peu plus longs... Je ne savais pas que l'automne serait plus turbulent que mes vacances sur le pouce...

Quelques années plus tard, j'étais marié et sur le point d'avoir des enfants... Il n'y aurait plus jamais d'auto-stop... Si je n'avais pas sorti mon pouce ce 16 juillet, je ne l'aurais jamais fait, et je l'aurais regretté toute ma vie...


Quelqu'un peut identifier cette bâtisse à Percé? N'oubliez pas, c'est en juillet 1970...




2 commentaires:

  1. Eh! bien ..je ne savais pas que mon beau-frère avait eu l'audace de voyager sur-le -pouce pendant deux semaines...Bravo!Belle expérience de VIE...

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  2. L'immeuble à Percé... un entrepôt de poisson de la dynastie des Robin? Fascinant compte-rendu de tes premières armes en camping, d'autant plus que je connais ces coins!

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