jeudi 10 septembre 2020

Après avoir vu «Les Rose»...


Jamais on n'aurait pu soupçonner mon papa d'entretenir des sympathies «séparatistes». Surtout pas moi. Nos plus terribles chicanes auront été d'ordre politique. Lui et moi Franco-Ontariens, originaires d'Ottawa. Lui, fier Canadien français fédéraliste, hostile à tout ce qui menaçait l'unité canadienne. Moi, partisan inconditionnel de l'indépendance du Québec. Aucun terrain d'entente. De Gaulle, René Lévesque, le PQ, la crise d'octobre, tout était sujet de discorde. Et il n'a jamais changé d'idée, jusqu'à sa mort.

Et pourtant, un jour, à l'Institut canadien-français d'Ottawa dont il était membre, quand un collègue - qui me connaissait comme journaliste - m'a traité plutôt méchamment de «séparatiste», mon père lui a presque sauté à la gorge. Lui pouvait m'engueuler dans l'intimité de la famille, mais jamais il n'aurait supporté qu'on m'attaque sur la place publique. Il était ainsi. Si l'un des siens était malmené, on le trouvait debout à ses côtés, prêt à tout pour le défendre, même quand celui-ci se faisait l'avocat de thèses auxquelles il était viscéralement opposé.

Je me suis souvenu de mon père et de nos désaccords, hier soir, après m'être rendu au cinéma pour visionner le film «Les Rose». En tant que pacifiste intraitable, j'ai toujours été opposé à l'emploi de la violence en politique, tant par l'État que par ceux qui contestent l'État. J'ai condamné sans réserve les mesures de guerre, injustifiables, et l'emprisonnement arbitraire de près de 500 Québécois innocents. J'ai aussi condamné sans réserve les attentats, les enlèvements et l'assassinat de Pierre Laporte. Et pourtant il existait une différence entre les uns et les autres...

J'accueillais avec enthousiasme les critiques contre les excès des mesures de guerre fédérales, mais restais mal à l'aise devant ceux et celles qui se jetaient à bras raccourcis sur les actions du Front de libération du Québec. Avoir été confronté en privé à Paul Rose ou quelque autre membre des cellules Chénier ou Libération, j'aurais eu la querelle des querelles (verbale, bien sûr) avec mon interlocuteur sur l'immoralité de la violence comme arme politique. Alors pourquoi hésitais-je à me ranger avec les matraqueurs du FLQ sur la place publique?

J'ai trouvé la réponse en regardant le film de Félix Rose sur son papa. À l'image de la classe ouvrière québécoise dont ils étaient issus, les parents de Paul et Jacques Rose n'étaient pas des violents. Ils trimaient dur, comme bien d'autres familles, pour vêtir, nourrir et instruire la marmaille. Exploités par une classe capitaliste que leur labeur avait enrichie, le plus souvent dans une langue autre que la leur, l'anglais bien sûr, ils avaient enduré le système comme les générations précédentes. Le choc a dû être brutal quand deux de leurs fils ont kidnappé et participé au meurtre d'un ministre du gouvernement Bourassa.

Comment réagir, alors, quand l'État fédéral mobilise l'armée et la vétuste loi des mesures de guerre contre leurs enfants et, par ricochet, contre l'ensemble du mouvement indépendantiste québécois? Comment réagir quand la police recherche leurs fils et que les médias sous le poids de l'auto-censure les présentent comme des tueurs à une opinion publique manipulée qui crie vengeance? Ils ont fait comme les parents font quand leurs enfants sont en danger. Ils se sont rangés à leurs côtés. Boucliers levés.

Tous les indépendantistes, ainsi que les démocrates fédéralistes, ont ressenti - à un moindre degré sans doute - ce que les proches de Paul et Jacques Rose ont vécu. Les Rose et comparses étaient des nôtres. Des Québécois qui défendaient la cause indépendantiste et combattaient les injustices sociales et économiques dont la majorité de leurs compatriotes avaient souffert. Ce n'est pas un hasard si le manifeste du FLQ, lu à la télé, a suscité tant de sympathie. Puis vinrent les mesures de guerre, et surtout la mort de Pierre Laporte. Un geste irréparable.

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«Le gros voisin d'en face
Est accouru armé
Grossier, étranger
Pour abattre mon fils
Une bonne fois pour toutes»...

Félix Leclerc (L'alouette en colère)
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Notre cher barde Félix, pas très politique jusque là, a pondu en paroles et en musique ce que plusieurs ressentaient dans leurs tripes. Celui qui voulait abattre nos petits Robin-des-Bois-devenus-assassins, c'était le gros voisin d'en face, l'Anglais qui avait confié à nos trois colombes-collabos la tâche de mettre à leur place le Québec et ceux qui luttaient pour le libérer du carcan fédéral. Oui, Paul et Jacques Rose avaient commis un crime, mais nous n'avions pas le pouvoir de les juger librement, entre nous. Ceux qui les pourchassaient étaient les héritiers de ceux qui pourchassaient le Québec français (et la francophonie canadienne) depuis deux siècles.

Quand je suis sorti du cinéma, j'étais toujours incapable de reconnaître la légitimité du recours à la violence du FLQ, et pire, à un assassinat, mais je crois maintenant que j'aurais hésité à livrer les nôtres, fussent-ils coupables, au «gros voisin d'en face» pour qu'il administre une justice dont l'un des objectifs était d'écraser toute une nation.

Un jour, quand nous aurons notre pays, nous réglerons nos comptes entre nous. D'ici là, je ne ne dis pas que j'agirais toujours ainsi (il y a des exceptions à tout) mais dans un contexte comme celui de la crise d'octobre... Quoiqu'il en soit, j'ai au moins une certitude. Si quelqu'un avait voulu s'en prendre à mon père parce qu'il était anti-séparatiste, il aurait eu affaire à moi...






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