Garderies, assurance-médicaments, soins de longue durée, formation professionnelle, sans oublier le logement social, l'administration de la justice et les priorités municipales... Le discours du trône et l'homélie de Trudeau en soirée se lisent comme une liste d'épicerie de compétences provinciales qu'on va allègrement saccager sous le couvert de la pandémie.
Et le fils de Pierre Elliott Trudeau a emprunté les accents autoritaires de son père dans son adresse à la télé. Parlant de la situation inacceptable vécue dans les centres de soins de longue durée au printemps, on aurait cru entendre le «Just watch me» d'octobre 1970... Le ton était le même... «Il faut que ça change et ça va changer», a déclaré lapidairement Justin Trudeau, comme si les CHSLD étaient des créatures d'Ottawa.
Le premier ministre québécois François Legault a immédiatement dénoncé l'invasion fédérale, notamment dans le secteur de la santé, et annoncé son intention d'en discuter sans délai avec ses collègues des autres provinces. S'il croit vraiment à l'efficacité d'une telle démarche, il vit au pays des merveilles. Quand le moment décisif arrivera, et il arrivera, les provinces anglaises s'aligneront sur «leur» gouvernement «national», Ottawa, comme durant la nuit des longs couteaux en 1981...
D'ailleurs, quand Justin Trudeau parle de discours à «la nation», non seulement gifle-t-il délibérément le Québec, mais il se contredit, ayant déclaré (en 2015) que le Canada était le premier État «postnational» de la planète... Dans un État postnational, comment peut-on s'adresser à «la nation»? Quoiqu'il en soit, si pour lui, le pays tout entier constitue une nation, alors il communique avec une nation à majorité anglaise. C'est elle qu'il veut convaincre. Avec son soutien, il peut isoler le Québec, seul véritable obstacle aux visées d'empiétement fédéral dans les champs de compétence provinciale.
Pour nous, au Québec, cela dépasse la simple révision des compétences constitutionnelles. L'enjeu est véritablement national, identitaire, culturel, linguistique. Ce qui se fait à Ottawa se fait essentiellement en anglais, en fonction des valeurs du Canada anglais. Le français y est surtout une langue de traduction et les francophones qui y exercent un pouvoir le font toujours sous surveillance. Veut-on vraiment que nos garderies, nos soins de santé, nos municipalités, notre éducation soient soumises - directement ou par la bande - aux volontés d'Ottawa et des provinces anglaises? Car c'est bien de cela qu'il s'agit quand Trudeau lance: «Ça va changer!»
En octobre 1970, il a 50 ans, Trudeau l'aîné avait profité de la crise du FLQ pour imposer les mesures de guerre à l'ensemble du pays et tenter d'écraser l'élan indépendantiste au Québec. Aujourd'hui, devant la pandémie, Trudeau fils invoque l'urgence pour charcuter l'esprit et la lettre de la constitution, et encore une fois mettre le Québec à sa place. Cela ne devrait surprendre personne. Depuis 150 ans, le Québec et les Canadiens français ont toujours été «mis à leur place» par la majorité anglo-canadienne. Pourquoi serait-ce différent en 2020?
Quand se rendra-t-on enfin compte, comme les Anglo-Canadiens l'ont toujours fait, qu'on n'est maître chez soi seulement quand on est majoritaire. On consent des postes de direction, même celui de premier ministre, à des francophones à condition qu'ils «collaborent» avec la majorité et en respectent les priorités. Tout pouvoir que le Québec consent à Ottawa, il le consent à une «nation» pan-canadienne qui gouverne en fonction de ses valeurs, de sa culture et de sa langue... Le pouvoir de décision de la majorité francophone du Québec est perdu pour de bon...
Le gouvernement Legault s'apercevra vite qu'il n'y en a pas de faciles dans ce pays... et que sa marge de manœuvre est très, très limitée. Son seul levier demeure la menace, encore à l'état de braises, d'une sécession de la fédération. Un jour, pas trop tard je l'espère, on tirera les conclusions logiques de 150 ans d'efforts futiles. Il en va de notre existence comme peuple.
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