Il faudra un jour que je mette de l'ordre dans mes souvenirs d'octobre 1970, que je relise les textes que j'ai rédigés comme journaliste du Droit à La Tribune de la presse parlementaire d'Ottawa, que je reparle à des collègues de la salle de rédaction pour mieux remémorer l'époque et ses humeurs. Une chose est certaine: j'ai toujours eu la conviction que nous avons passé au travers de «deux» crises d'octobre à l'automne 1970. Celle d'avant les mesures de guerre, puis, celle d'après...
La première «crise» - provoquée par les enlèvements de James Cross et Pierre Laporte - s'inscrivait dans la continuité de l'ébullition des années 1960. Les actions du FLQ alimentaient les débats depuis sept ans au sein de la société québécoise (et ailleurs au Canada) et les coups d'éclat d'octobre 1970 avaient suscité un climat de fébrilité médiatique rarement vu auparavant. Toute la population s'y abreuvait au rythme des communiqués et des réactions politiques que la radio retransmettait aussitôt...
Peu de gens approuvaient la violence mais une frange importante du peuple québécois manifestait une certaine sympathie pour la cause qu'épousait le Front de libération su Québec. La lecture du manifeste du FLQ sur les ondes de Radio-Canada, loin d'engendrer un sentiment de réprobation générale, en a fait sourire plusieurs. Personne ne croyait vraiment que les ravisseurs tueraient leurs otages, et l'affaire était suivie comme un téléroman ou un radioroman palpitant dont on attend un dénouement heureux. En tout cas, nos jeunes «terroristes» ne terrorisaient pas grand monde hors des officines du pouvoir...
Les gouvernements, à Ottawa et à Québec, voulaient l'appui du public pour écrabouiller le FLQ mais ni Trudeau ni Bourassa, ni Jean Drapeau, ne contrôlaient le message médiatique. Ottawa avait cédé les ondes au FLQ, le soir du 7 octobre, et une petite armée de journalistes de la presse écrite et électronique - ceux de la radio surtout - se livraient une concurrence féroce, tous les jours, pour livrer sans délai les derniers développements à un auditoire avide. Les Québécois de langue française, bien informés, faisaient la part des choses, au plus grand déplaisir d'Ottawa, qui craignait un glissement à gauche de l'opinion publique.
Même quand les autorités fédérales ont commencé à déployer l'armée, il régnait toujours au Québec une animation fort tranquille. J'étais à Montréal les 15 et 16 octobre. Devant le palais de justice et l'hôtel de ville, des soldats (anglophones?) montaient la garde, sans doute un peu nerveux parce qu'on leur avait fait craindre une insurrection appréhendée. Et voilà que des familles arrivaient, souriantes, pour prendre en photo des militaires avec leurs enfants. Armés jusqu'aux dents pour combattre des terroristes, ils étaient désormais une espèce d'attraction touristique! Mais où était l'insurrection?
Pendant ce temps, sur la Colline parlementaire, à Ottawa, une riposte se tramait... contre le FLQ, contre le mouvement indépendantiste, et peut-être surtout, contre le gouvernement québécois de Robert Bourassa, en proie à la division et l'indécision... On craignait que ce dernier puisse s'associer à seize personnalités influentes (indépendantistes et fédéralistes) qui lui avaient offert leur appui pour négocier avec le FLQ, ce qui aurait pu permettre un dénouement de la crise sans présence fédérale... Alors on a inventé de toutes pièces la thèse d'un «gouvernement parallèle» en gestation au Québec...
Tout a commencé à basculer à 4 heures du matin, le vendredi 16 octobre, quand Pierre Elliott Trudeau a sorti des placards la Loi sur les mesures de guerre, signalant (et signant) le début de la «deuxième» crise d'octobre 1970, différente à tous points de vue de la première. Finie la négociation, finis les libres débats sur la place publique, finie la liberté de la presse des jours précédents, le temps était à la répression et à la vengeance. Des centaines d'individus arrêtés sans mandat, sans accusation, sans motif, et sans avoir droit aux services d'un avocat. Leur «crime» n'était pas d'être associés au FLQ, mais d'être pour la plupart identifiés comme indépendantistes ou socialistes...
Aux enlèvements illégaux du FLQ Ottawa avait substitué des centaines d'enlèvements «légaux»... Aux faiblesses de Bourassa et de son entourage, Trudeau avait répondu par un coup d'État à peine déguisé. Le chef du Parti québécois, René Lévesque, a bien résumé l'affaire dans une chronique au Journal de Montréal, publiée sous le titre 16 octobre 1970. «Le Québec n'a plus de gouvernement, écrit-il. Le cabinet Bourassa a passé la main et n'est plus que le pantin des dirigeants fédéraux.» Quelques jours plus tôt, Trudeau avait dit: «Just Watch me!»... Là, en effet, on le «watchait»...
Des gens qui, la veille, discutaient en toute liberté des moyens de régler la crise, se retrouvaient au cachot, sous la menace, sans recours. Pour la première fois, ils étaient terrorisés, et pas par le FLQ. Dans la rue, dans les foyers, des milliers d'autres, craignant peut-être de subir eux aussi le sort réservé à leurs amis ou collègues quand des policiers enfonçaient les portes à 5 heures du matin, ont commencé à baisser le ton et à se faire plus discrets... et les médias ont été avertis que les mesures de guerre pouvaient entraîner une censure d'État si les rédacteurs ne se pliaient pas aux consignes, réelles ou perçues...
L'assassinat de Pierre Laporte, le lendemain de l'imposition des mesures de guerre, a presque réduit au silence les principales voix d'opposition. Le gouvernement fédéral avait désormais la mainmise sur Québec, sur les médias et, ultimement, sur l'opinion publique qui a vite basculé contre tout ce qui pouvait sembler plus faible que la ligne dure de Trudeau. Les médias, le moins qu'on puisse dire, sont devenus plus prudents dans leurs commentaires et leur couverture. Ceux et celles qui osaient toujours élever leurs voix contre la répression le faisaient à leurs risques et périls, sous la menace des mesures de guerre. Certains, certaines l'ont appris à leurs dépens...
Durant la première crise d'octobre, un Québec en ébullition tentait de désamorcer à l'interne la situation créée par la violence du FLQ. Durant la deuxième, un régime fédéral de guerre, le «Finies les folies» du gouvernement Trudeau, réduisait les voix discordantes au silence. «Céder au FLQ équivaudrait à encourager le terrorisme», clamait Trudeau. Deux mois après la mort de Pierre Laporte, il négociait avec les felquistes la libération de l'otage James Cross. Il n'avait plus à craindre Bourassa, l'opposition ou l'opinion publique... Deux poids, deux mesures? C'est ce que semble croire le fils de Pierre Laporte...
Deux poids, deux mesures, deux crises d'octobre...
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