lundi 12 octobre 2020

La mycologie, antidote au confinement

Coprins chevelus aux Jardins de Métis (2020)

Il y a 40 ans, en 1980 très exactement, alors que j'étais chef des nouvelles au quotidien Le Droit, j'ai commencé à éprouver des malaises inquiétants... nausées, palpitations cardiaques, vertiges, maux de tête... Craignant le pire (c'est mon genre...), je suis allé voir mon médecin qui m'a aussitôt dit que j'étais en parfaite santé... «C'est toutte dans ta tête»... Un mélange de stress et d'épuisement... «Change-toi les idées, trouve-toi des activités, sinon je te mets au repos forcé»...

Facile à dire, mais ma jeune famille et mon boulot de journaliste accaparaient déjà l'essentiel de mon temps... Les livres me servant de refuge depuis l'enfance, je me suis tourné instinctivement vers la lecture et le sort a voulu que je tombe, entre autres, sur un petit livre intitulé Champignons du Québec. Page après page, je découvrais pour la première fois l'univers fascinant de la mycologie... Des champignons sauvages de toutes formes, d'une palette de couleurs (rouges, orangés, verts, jaunes, violets), d'une variété de saveurs et d'odeurs, certains comestibles, d'autres toxiques et même mortels...

Il y avait là de quoi me changer les idées, d'autant plus que pour pénétrer ce monde mystérieux, il fallait chausser ses souliers de marche et parcourir les sentiers forestiers et les parcs... Une excellente solution de rechange aux pilules et au repos à la maison... Le printemps suivant, le 5 mai 1981, quand j'ai cueilli pour la première fois une morille conique au lac Leamy (secteur Hull), j'étais accro... et je m'ai pas tardé à me joindre aux Mycologues amateurs de l'Outaouais, une association fondée trois ans plus tôt pour regrouper les amateurs de champignons sauvages et populariser la mycologie dans la région.

Manuel en poche, je partais à la découverte, parfois en excursion avec d'autres membres des Mycologues amateurs, le plus souvent seul ou avec mes deux filles de quatre ans et trois ans (Véronique et Catherine). Au cours de l'été et de l'automne 1981, tout ce qui aurait pu languir des symptômes éprouvés l'année précédente s'était évaporé au contact des fleurs sauvages et de dizaines d'espèces de champignons, vus, cueillis ou photographiés pour identification. En forêt, pour moi du moins, le stress se dissipe et les batteries se rechargent...

Au fil des expéditions, entre la terminologie mycologique et les noms (latins, français, anglais) des champignons du Québec et du nord-est de l'Amérique, mon vocabulaire s'est enrichi. Je parvenais de plus en plus à reconnaître les agarics, les coprins, les pholiotes, les polypores, les pleurotes, les vesses-de-loup, les bolets, les amanites, les paxilles, les marasmes, les chanterelles, les russules, les cortinaires, les hydnes, les tricholomes, des lépiotes et j'en passe... Des dizaines de kilomètres en forêt, de longues heures à scruter les descriptions dans les manuels, dont l'immense Flore des champignons du Québec de René Pomerleau, la satisfaction de réussir à identifier une nouvelle espèce, des plaisirs toujours renouvelés...

En Europe, la cueillette des champignons est répandue mais ici, les gens ont tendance à se méfier (souvent avec raison) des champignons sauvages, par crainte de s'empoisonner. Mais comme pour toute chose, le danger diminue quand on s'informe. En peu de temps, tout individu peut assez facilement apprendre à identifier au moins une dizaine d'espèces de champignons sauvages parfaitement comestibles. Et dans des associations comme les Mycologues amateurs de l'Outaouais, on trouve invariablement quelques experts pour nous renseigner. Ici en Outaouais, par exemple, on peut compter depuis 40 ans sur la présence de Yolande Dalpé, chef de la section Mycologie au ministère fédéral de l'Agriculture.

J'ai participé aux activités de l'association outaouaise pendant quatre ou cinq ans, y compris au lancement du bulletin «La corne d'abondance» en 1984. Par la suite, les obligations familiales et professionnelles ont repris le dessus mais je n'ai jamais cessé de m'intéresser aux champignons sauvages, les cueillant et les photographiant à l'occasion. Depuis le début de la deuxième vague de COVID, cependant, qui semble susciter chez bien des gens le genre de stress que j'ai ressenti il y a 40 ans, la mycologie exerce sur moi une fascination renouvelée. Ça change vraiment les idées et ça permet d'échapper un tout petit peu aux statistiques déprimantes d'infections dont regorgent quotidiennement les actualités.

De plus, il s'agit d'une activité qui peut se pratiquer presque en toute saison. Évidemment, l'été et l'automne offrent au mycologue amateur la plus grande variété de champignons sauvages, mais le printemps recèle quelques belles trouvailles, les morilles en particulier. Certaines espèces survivent jusqu'aux grands gels de fin d'automne et au moins l'une d'entre elles réapparaît même en hiver lors d'un dégel prolongé. J'ai déjà cueilli en février, en raquettes, un grand nombre de collybies à pied velouté (Flammulina Velutipes) sur des arbres dans le parc de la Gatineau... Les mois d'hiver constituent évidemment le meilleur temps pour parfaire ses connaissances théoriques en mycologie.

Alors, à tous ceux et toutes celles qui n'en peuvent plus d'entendre parler de confinement covidien, pourquoi ne pas s'initier aux champignons sauvages? C'est une activité passionnante qui ne comporte aucun risque relatif à la distanciation, qui nous déconfine en toute sécurité, nous fait marcher, prendre de l'air, retrouver la nature, faire de belles découvertes et, sait-on jamais, qui peut garnir notre table pendant la saison enneigée (oui, les champignons comestibles se conservent souvent séchés).

Et en attendant, post-pandémie, de pouvoir fréquenter de nouveau les sorties en groupe des associations de mycologues, plusieurs pages québécoises Facebook de mycologie permettent d'échanger des photos et de dialoguer avec des milliers d'amateurs de champignons sauvages dans toutes les régions...

 

Chanterelle au lac Sinclair (La Pêche)


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