Le texte du recteur est en italiques noires. Mes répliques sont en caractère droit.
Des événements récents à l’Université d’Ottawa ont ouvert le débat, à la fois sur le campus et ailleurs, sur deux principes qui nous tiennent à cœur. Laissez-moi vous dire d’entrée de jeu que le racisme n’a pas sa place à l’Université d’Ottawa. La liberté universitaire et le droit de toute personne à la dignité et au respect ne sont pas incompatibles, au contraire. Ces deux principes ne devraient jamais être en opposition.
- Le recteur donne le ton en affirmant dès le départ «que le racisme n'a pas sa place à l'Université d'Ottawa». Bien sûr! Qui peut être en désaccord? Le problème, c'est qu'il n'y a pas eu de manifestation de racisme (sauf après, contre les francophones). L'emploi pédagogique du mot «nigger» dans un cours est devenu du racisme seulement dans l'imagination des inquisiteurs de la rectitude politique, principalement anglophones.
- Il ajoute que la «liberté universitaire et le droit à toute personne à la dignité et au respect ne sont pas incompatibles» et «ne devraient jamais être en opposition»... Le problème, ici, et il est de taille, c'est que la professeure n'avait pas porté atteinte «à la dignité et au respect» de quelque personne que ce soit. Elle enseignait, tout simplement. Il n'y a donc pas eu d'opposition entre «les deux principes».
Bien que nous soyons 50 000 personnes, nous sommes une seule et même communauté. Une communauté accueillante, qui est totalement opposée à toutes formes de racisme, de harcèlement, d’insultes raciales et de discrimination, et qui les dénonce vivement. Il est essentiel que toutes les personnes qui fréquentent notre campus se sentent en sécurité et fassent preuve de respect les unes envers les autres.
- Le recteur Frémont déclare qu'à l'Université d'Ottawa, «nous sommes une seule et même communauté». Voilà une énormité qu'il faut relever. Toutes personnes ayant fréquenté ce campus, étudiants comme professeurs comme employés, savent que cette affirmation est fausse. D'abord, l'emploi du mot «communauté» constitue ici un anglicisme. Secundo, il existe clairement à l'université une fracture linguistique, tout au moins. Francos et anglos ne font pas partie de la même «community». Non seulement n'utilisent-ils pas la même langue, mais ils sont porteurs d'une culture et de traditions différentes. Et ça paraît!
- Et Jacques Fromont en rajoute. Cette communauté unique qu'il imagine serait «accueillante», et «totalement» (pas principalement, surtout ou partiellement) opposée au racisme et aux «insultes raciales». De quoi parle-t-il? De l'emploi du «n-word» (c'était en anglais) en classe par un prof qui l'explique? Il ne s'agissait pas alors d'une «insulte raciale». En tout cas, le recteur n'évoque sûrement pas les injures haineuses comme «fucking frogs» lancées aux Québécois et francophones par des membres anglos de «sa» communauté... Ce sont les seules «insultes raciales» que j'ai vues ces derniers temps dans les médias sociaux...
- Il est essentiel, poursuit-il, que les gens «se sentent en sécurité» sur le campus et fassent preuve de respect. Mais de quoi parle-t-il? De l'emploi du «mot-arme», vu comme une agression (ou micro-agression) et une forme d'intimidation, ou des menaces et du harcèlement dont Mme Lieutenant-Duval et les profs qui l'on défendue ont été victimes? Étant donné les positions prises par le recteur, je vous laisse le soin de juger...
Les mots sont importants. Le mot au cœur du présent débat est accompagné d’une charge sémantique, historique et connotative qui en fait tout simplement l’un des vocables les plus grossiers et les moins acceptables des langues anglaise et française.
- Selon le recteur Frémont, «le mot au coeur du présent débat» est «l'un des vocables les plus grossiers et les moins acceptables des langues anglaise et française». Cette affirmation n'a aucun sens puisque «le mot» était anglais, pas français. Le terme «nègre» en français n'a pas la même charge que l'insulte raciale «nigger». Il se traduit en anglais par «negro», pas par le «n-word». Cette confusion entretenue entre les deux vocables a eu son effet dans la presse de langue française, où l'on semble trop souvent croire que la prof Lieutenant-Duval a utilisé le mot «nègre» en français...
Personnellement, j’abhorre les insultes et le ton méprisant avec lequel certaines personnes ont choisi de s’exprimer. Toutefois, ce n’est certainement pas le rôle d’une université que de tenter de dicter aux gens ce qu’ils doivent ou non ressentir ou de chercher à modérer le débat. Mais c’est notre rôle d’affirmer qu’en tant que membres d’une communauté vaste et diversifiée, nous avons l’obligation mutuelle d’offrir un environnement sain et sécuritaire pour toutes et tous, même lorsque les enjeux sont délicats ou difficiles à aborder.
- Après avoir dit qu'il «abhorre les insultes et le ton méprisant avec lequel certaines personnes ont choisi de s'exprimer», M. Frémont précise que ce n'est pas le rôle de l'université de «dicter aux gens ce qu'ils doivent ou non ressentir ou de chercher à modérer le débat». Comment alors expliquer la suspension immédiate de la professeure, jugée et condamnée sans procès, suivie d'une inaction totale envers ceux et celles qui l'ont menacée, harcelée et qui ont proféré des injures haineuses à l'endroit des francophones? On sévit ici, on laisse faire ailleurs? Deux poids, deux mesures?
La lutte contre le racisme demeure une priorité absolue pour l’Université. Nous travaillons à mettre en place des mesures de lutte contre le racisme depuis plus d’un an, et nous avons fait des progrès en ce sens. Toutefois, cela est loin d’être suffisant. Ensemble, nous pouvons changer les choses. Nous pouvons faire mieux et nous ferons les changements nécessaires pour transformer nos efforts en actions.
- Que la lutte contre le racisme soit une «priorité absolue» pour une une université (voire la société tout entière) va de soi. Cela implique cependant qu'on comprenne bien le terme et qu'on sache bien l'identifier. La professeure Lieutenant-Duval n'ayant pas fait preuve de racisme, on peine à comprendre pourquoi un incident qui aurait dû être sans conséquence devient la rampe de lancement pour une nième reconnaissance de l'existence du racisme et un nouveau rappel qu'il s'agit d'une «priorité absolue».
La liberté universitaire constitue la valeur la plus fondamentale de toute université. Elle est cette valeur absolue et essentielle qui nous unit et qui nous permet d’accomplir pleinement notre mission première : celle d’éduquer et de faire de la recherche. Elle doit être protégée et sans cesse renforcée.
Cette liberté universitaire doit être exercée de façon respectueuse et en favorisant un environnement d’apprentissage sain. Il y a un vaste consensus au sein des membres de notre communauté, tout comme parmi l’ensemble des universités canadiennes, selon lequel le milieu d’enseignement et d’apprentissage doit être sécuritaire et favoriser le respect, la liberté intellectuelle, la liberté de recherche et la pensée critique. Ces valeurs sont au cœur de notre mission universitaire et nous devons constamment les défendre avec ardeur.
- Voilà deux paragraphes qui auraient été rassurants s'ils n'avaient pas été d'un énorme «mais»...
Bien que l’Université reconnaisse le droit, voire le devoir des universitaires d’aborder et d’explorer des sujets sensibles, nous avons la responsabilité de le faire sans causer de préjudice. Tout comportement inapproprié ne sera pas toléré à l’Université d’Ottawa.
Les discussions de la dernière semaine présentent d’énormes défis. Elles soulèvent de vives émotions. Nous sommes très conscients que certaines des paroles qui ont été prononcées ont blessé bien des membres de notre communauté.
- Après avoir affirmé avec force la «liberté universitaire», on passe à ce qui semble être un procès, à mots couverts, de la professeure Lieutenant-Duval, étant donné que c'est elle qui a «abordé» et «exploré» un «sujet sensible» dans le cadre de son enseignement. À quoi fait-il référence en évoquant un «préjudice», un «comportement inapproprié»? Et quelles sont ces paroles prononcées qui «ont blessé bien des membres de notre communauté»? Comme il a suspendu la professeure, on peut supposer que son blâme ne vise pas celui ou ceux qui ont traité gratuitement les «fucking frogs» de racistes...
Nous sommes inquiets du fait que certaines personnes ont peut-être, en cours de route, perdu de vue le besoin fondamental et essentiel pour toutes et tous de se sentir en sécurité dans leur milieu d’apprentissage.
Il est de notre devoir, en tant que société, de veiller à la sécurité les uns des autres, même si nous sommes en désaccord. Les sentiments de colère et de peine exprimés par diverses personnes et divers groupes sont sincères et profonds. Il faut comprendre ces sentiments et les respecter.
- Un autre commentaire insidieux laissant entendre que l'emploi pédagogique du «n-word» a menacé le sentiment de sécurité de certains étudiants dans leur milieu d'apprentissage, un argument qui permet de justifier les réaction colériques et haineuses de «diverses personnes et divers groupes», estimées «sincères et profondes». La saison de chasse aux francophones est donc rouverte à l'Université d'Ottawa et on nous invite à «comprendre ces sentiments» et à «les respecter»... Vraiment!
Nous sommes sûrs qu’au cours des jours et semaines qui viennent, nous parviendrons à convenir de la marche à suivre pour que notre communauté sorte plus forte de cette crise et nous assurer que la dignité individuelle et la liberté universitaire demeurent nos valeurs fondamentales.
- Dans ce débat, la dignité individuelle des personnes de race noire n'a jamais été attaquée. Seule la liberté universitaire (principalement celle des francophones) a subi une agression constante des inquisiteurs de la rectitude politique. Et clairement, pour ce recteur, la valeur la plus «fondamentale» de l'Université n'est pas cette «liberté universitaire». Si l'Université d'Ottawa avait été une institution de langue française, il n'y aurait pas eu de crise et un recteur qui se serait conduit aussi lâchement aurait été démis de ses fonctions.
La rhétorique tordue du recteur illustre sa volonté de soumettre l’ensemble des professeurs et des étudiants à une thérapie de conversion idéologique. Frémont, démission !
RépondreEffacerMarc Labelle
Un ancien de l’Université d’Ottawa