mardi 15 juin 2021

Le droit de travailler en français, le devoir de travailler en anglais...

Image de Radio-Canada

Si le jargon fédéral juridique et bureaucratique des «langues officielles» n'a pas pour but de dissimuler les véritables enjeux, alors qu'on explique pourquoi on persiste à utiliser ce langage incompréhensible. Pour que la réalité très canadienne qui se cache derrière ne soit jamais mise à jour?

Quoiqu'il en soit, c'est la semaine parfaite pour en parler. La Cour d'appel fédérale entend ce mercredi 16 juin 2021 la cause du fonctionnaire fédéral montréalais André Dionne, qui a décidé de porter devant les tribunaux son droit de travailler en français, qu'il estime à juste titre bafoué.

En 2019, le juge Peter Annis de la Cour fédérale avait débouté M. Dionne, qui se voyait obligé de communiquer en anglais avec des collègues anglophones de Toronto, une région qui n'est pas désignée «bilingue». Pourtant, en vertu de la Loi sur les langues officielles (LLO), André Dionne a le droit, en zone bilingue, de travailler dans la «langue officielle» de son choix. En français s'il le veut...

Ce jugement de première instance définit avec une précision chirurgicale le noeud du problème linguistique dans la fonction publique fédérale. Ce que le juge Annis dit, dans le jargon habituel, est à la fois simple et insidieux: «les employés bilingues dans les régions bilingues sont tenus de communiquer dans la langue de leurs collègues unilingues situés dans les régions unilingues».

Cette conclusion vise essentiellement les francophones bilingues (donc la majorité des francophones) travaillant dans des régions bilingues (voir liste à bit.ly/3gky34k). Ceux-ci sont tenus de communiquer en anglais avec les fonctionnaires unilingues anglais des régions unilingues anglaises. Or ces régions unilingues anglaises couvrent l'ensemble du Canada hors-Québec, à l'exception du Nouveau-Brunswick et de secteurs de l'Est et du Nord ontarien.

L'inverse, vous vous en doutez, est inimaginable. Un fonctionnaire anglophone bilingue de Vancouver ou Halifax obligé de communiquer en français avec des collègues ou des supérieurs unilingues français dans la ville de Québec, à Rimouski ou Saguenay? Comme disaient les vieux autrefois, ça doit être aussi rare que de «la marde de pape»... 

Ainsi le juge Annis a confirmé que rien n'a pas changé depuis les années 1960, l'époque où le bilinguisme fédéral est devenu prioritaire:

Les francophones, pour la plupart déjà bilingues, devront continuer de lutter pour le droit de travailler dans leur langue.

La majorité des anglophones, pour la plupart unilingues, pourront continuer de faire carrière au fédéral en restant unilingues. Ils pourront continuer d'évoluer au sein de l'appareil fédéral sans avoir à apprendre le français...

La règle demeurera la même... Les francophones auront le droit de travailler en français, mais le devoir de travailler, régulièrement ou à l'occasion, en anglais! Parce que la réalité, dans cette fonction publique fédérale, c'est que les unilingues sont en quasi-totalité anglophones. Ça n'a pas changé et ça ne changera pas.

La LLO affirme le droit de travailler en français. La réalité quotidienne, ainsi que l'a constaté André Dionne, annule ce droit. Et la Cour fédérale a endossé la réalité d'une fonction publique fédérale massivement unilingue anglaise. Au tour de la Cour fédérale d'appel...


2 commentaires:

  1. La loi est une chose. Les rapports de force en sont une autre. Les lois visent à encadrer et améliorer une nature humaine qui, contrairement aux apparences, n'est pas bonne et douce mais mauvaise et cruelle en soi. La loi semble immuable mais dépend en réalité des réalités sociales, les rapports de force sont en mouvement constant... Qu'est-ce qui prime, entre les considérations juridiques ou des réalités humaines? Il faut miser sur la vie, d'abord et avant tout, advienne que pourra.

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  2. Entre les (...) et les réalités (...)

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