En ce jour de l'Halloween, journée des fantômes par excellence, parler d'un cimetière semble tout à fait approprié. Il s'agit d'un petit cimetière caché en pleine campagne avec seulement quelques tombes identifiables et des traces à peine visibles de ce qui fut jadis un affront aux autorités catholiques du Québec... Un endroit somme toute un peu lugubre, surtout par journée sombre ou à la tombée de la nuit...
Enfin continuons... Depuis près de 50 ans, j'emprunte régulièrement la route qui s'appelle aujourd'hui «chemin Cléo-Fournier», entre le village de Ste-Cécile de Masham et le hameau d'East Aldfield. À quelques km au sud du carrefour de Duclos se situe un obscur cimetière qu'on passe en un clin d'oeil à 80 km/h et où l'on peut voir, l'espace d'une nanoseconde, quelques vieilles tombes au fond d'une clairière.
J'avais à l'occasion entendu dire qu'on y avait enterré là à la fin du 19e siècle des Canadiens français protestants - une rareté au Québec - et que l'endroit était depuis longtemps laissé à l'abandon. Mais je ne m'étais jamais arrêté assez longtemps pour voir, appareil photo en main, ces reliques d'une époque révolue. Jusqu'à ce lundi de septembre 2021.
Revenant vers 10 h 30 de notre petit chalet au lac Sinclair (au nord-ouest d'East Aldfield) et voulant ralentir notre trajet jusqu'à «La patate à Carlo», à Ste-Cécile, où les hot dogs moutarde sucrée et frites font toujours notre bonheur, mon épouse et moi avons garé la voiture à l'entrée plus ou moins clôturée du champ qui abrite les restes d'anciens habitants d'une communauté depuis longtemps disparue.
Au fond du cimetière, adossées à un boisé et délimitées par des clôtures de bois et de broche, trois pierres tombales se démarquent. Une première à la mémoire du couple Louis Giroux (mort à 71 ans en 1899) et Émeline Larche (décédée à 80 ans en 1914); une seconde où repose le corps d'Amédée Giroux (mort en 1907 à l'âge de 26 ans); et la dernière au nom de Margaret Muckle (décédée à 52 ans en 1889).
Dans notre demi-pays dont la devise demeure envers et contre tous «Je me souviens», ces tombes évoquent plutôt le royaume de l'oubli. Ni la municipalité ni quelque société historique n'ont jugé bon d'ériger un monument ou une plaque digne d'attirer l'oeil des passants. Une recherche Internet offre peu de renseignements et c'est dans le livre L'autre Outaouais de Manon Leroux que j'en ai appris le plus sur une communauté rurale qui a dû, à son époque, susciter la controverse!
Citons Mme Leroux: «Dans le Québec catholique du 19e siècle, il était inconcevable pour la plupart des gens qu'un bon catholique canadien-français puisse, de son plein gré et sans raisons cachées, abandonner sa foi pour devenir protestant». Or c'est justement ce qui s'est produit aux environs de Masham, village situé au nord-ouest de Gatineau, sous l'impulsion d'un jeune pasteur presbytérien venu de France (ou de Suisse?), Jean Gatignol, marié à une certaine Sarah Duclos (le hameau de Duclos, tout près, porte son nom de famille).
Comment un pasteur protestant a-t-il réussi à attirer hors de l'Église catholique des gens qui vivaient au moment où le clergé avait une ferme emprise sur le Québec français? On a évoqué des chicanes entre l'ouest et l'est de Masham, possiblement sur l'emplacement de l'église Ste-Cécile, mais qui sait. Toujours est-il qu'une paroisse protestante prend forme à partir de 1885. Des anglophones s'y sont joints. Une petite église et un presbytère sont construits en 1890, adjacents au cimetière de l'actuel chemin Cléo-Fournier.
La communauté protestante s'est maintenue jusque dans les années 1920, selon Manon Leroux. Les bâtiments, vendus et détruits dans les années 1930, ont sombré dans l'oubli. Jusqu'en 1998, alors que la municipalité, s'intéressant de nouveau comme tout le monde à son patrimoine, a redécouvert la valeur de ce témoin d'un passé mal connu. «En 2003, raconte Mme Leroux, une grande fête de réconciliation a lieu, réunissant les catholiques de Masham et les descendants des protestants, éparpillés à travers le pays.»
En 2021, on voit encore les fondations de l'église, ainsi qu'une maquette réalisée lors des fêtes de 2003. Dans le cimetière, on a dénombré un total de 47 sépultures. C'est un endroit fascinant à visiter mais le chemin Cléo-Fournier est étroit et il n'existe aucune aire de stationnement à proximité. Je me propose d'y retourner un de ces jours pour l'examiner de bord en bord. Mais pas un soir de l'Halloween... J'ai beau avoir une carapace de 75 ans, il y a encore des endroits qui, à certaines heures, à certaines dates, me donnent le frisson...