La chicane fini toujours par «pogner» dans ce pays impossible. Cette fois, il s'agit de la représentation du Québec à la Chambre des communes fédérale, appelée à diminuer en vertu des dernières propositions d'Élections Canada. Le nombre total de députés passerait de 338 à 342, mais le Québec verrait son contingent diminuer, de 78 à 77.
Bien sûr, la question nous intéresse comme peuple dans la mesure où nous restons sous l'emprise de la constitution et des institutions du Canada, et que la majorité anglo-canadienne continue de prendre des décisions en notre nom, sans notre consentement au besoin. Mais au-delà de prendre acte de notre régression démographique dans l'ensemble canadien, et de ses conséquences pour le nombre d'élus aux Communes, faut-il pousser de hauts cris et lever les boucliers?
Le premier ministre québécois François Legault a immédiatement réagi en sortant les gros canons, mettant au défi Justin Trudeau d'accepter que reconnaître le Québec comme nation a des «conséquences» et que l'un de ces conséquences serait de conserver «une proportion garantie des sièges aux Communes "sans égard à l'évolution du nombre d'habitants dans chaque province"» (voir bit.ly/3B2Rypi).
Pour lancer une espèce d'ultimatum au gouvernement fédéral anglo-dominant, il faut s'appuyer sur un rapport de force. Mais ce rapport de force n'existe pas. Que fera le Québec si Ottawa l'envoie promener et guillotine un siège de député fleurdelisé? Rien d'efficace! François Legault a déjà fait une profession de foi fédéraliste, écartant la seule menace musclée dont il pourrait disposer. Et même en supposant qu'Ottawa accorde cette petite faveur (qu'on ne cessera de nous rappeler et qui renforce notre apparence d'enfant gâté chez les anglos), notre proportion de sièges aux Communes diminuera tout de même puis que le total passera de 338 à 342...
Le Québec ferait mieux d'accepter stoïquement cette perte d'un député, tout en en tirant les enseignements qui s'imposent et en laissant savoir au reste du Canada que la démocratie dont Élections Canada se réclame n'a pas toujours fonctionné par le passé, surtout quand cela aurait avantagé le Québec.
Une petite leçon d'histoire ne ferait pas de tort. Retournons, pour les besoins de la cause, en 1943. Oui oui, 1943. Le bureau fédéral de la statistique venait de publier les résultats du recensement de 1941. Depuis le recensement précédent, celui de 1931, la proportion de Québécois dans l'ensemble canadien avait augmenté, passant de 27,7% à 29,07% (c'était l'époque où nous faisions beaucoup, beaucoup de bébés) et en vertu de l'article 51 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le nombre de sièges du Québec aux Communes devait augmenter en conséquence.
Mais le gouvernement canadien succombera aux pressions du Canada anglais, inquiet que les francophones du Québec grignotent des points de représentation à leurs dépens. Le grand maître de la Grande loge orangiste de l'Ontario Ouest, J.W. Carson, réclame aussitôt un flot d'immigration britannique pour arrêter ou retarder «le mouvement de domination française». L'immigration comme arme contre le Québec français? Il me semble avoir entendu des débats récents là-dessus...
Retour rapide à 1941... Dans la redistribution de 1943 d'Élections Canada, Québec conserve le même nombre de sièges mais le Manitoba en perd trois, et la Saskatchewan quatre. Arriva ce qui devait arriver: le premier ministre du Manitoba proteste auprès de son homologue fédéral Mackenzie King, et l'Assemblée législative de la Saskatchewan adopte une résolution pour protéger ses sièges de député. Qui décide en fin de compte? Une majorité de députés anglo-canadiens aux Communes. Et qui favoriseront-ils? Les leurs bien sûr.
Le gouvernement libéral de l'époque a fait adopter une résolution demandant à Londres de modifier la Constitution canadienne pour reporter à la fin de la Seconde Guerre mondiale tout redécoupage électoral. Et bien sûr Londres a dit oui les yeux fermés, en dépit d'un fort mouvement de mécontentement au Québec. Les Québécois ont eu beau crier à la trahison du «pacte» confédératif, modifié sans leur consentement (cela arrivera de nouveau en 1982), on vient de leur rappeler que même à 29,07% de la population, ils restent une minorité et qu'au fond, ils ne décident rien du tout à Ottawa1.
Avec une proportion similaire de la population canadienne, le Québec compterait aujourd'hui 98 députés, et non 78. C'est dire à quel point notre poids a diminué en 80 ans. Et de toute évidence, il poursuit sa régression. Si, à 29%, on nous tassait sans cligner de l'oeil, imaginez ce qu'Ottawa fera alors qu'on tombera sous le seuil des 23% et que la francophonie canadienne oscillera autour de 20%. Il ne nous reste qu'une porte de salut: nous gouverner nous-mêmes dans un pays souverain, sans avoir constamment à dire s'il-vous-plaît à une majorité qui ne nous aime pas, en espérant qu'elle tienne compte de nos priorités, de notre langue, de nos valeurs...
Alors si j'étais François Legault, j'encaisserais la perte au nom de la nation, en n'oubliant pas de rappeler au Canada anglais son passé d'injustices à notre endroit, même en matière de représentation aux Communes. Et je commencerais à gouverner comme chef de la nation, sans tenir compte de cette constitution que nous n'avons jamais signée. Ce qu'on fait a toujours plus de poids que ce qu'on dit...
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1 À l'élection fédérale de 1944, le Québec n'avait pas le poids qu'il méritait. Cette proportion a été rétablie en 1947, au moment où une immigration massive avait repris et à deux ans de l'arrivée d'une nouvelle province massivement anglophone, Terre-Neuve.
J'ai "découvert" ce site qui concerne la façon dont les comtés sont organisés au fédéral. Déroutant !
RépondreEffacerhttps://www.noscommunes.ca/About/ProcedureAndPractice3rdEdition/ch_04_1-f.html
La perte d'un siège souligne l'importance de réformer le Canada et de redistribuer les cartes au plan politique, que ce soit par l'indépendance complète ou par la création d'une république autonome dans le cadre d'une nouvelle république canadienne. Il faut renipper ce pays et enlever les toiles d'araignée...
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