jeudi 14 octobre 2021

Élections Calgary et le rejet du français...

Dans son guide à l'intention des électeurs municipaux, Élections Calgary avait inclus - au-delà de l'anglais - des renseignements en dix langues: le chinois simplifié, le chinois traditionnel, l'arabe, le persan, le coréen, le vietnamien, le pendjabi, l'espagnol, l'ourdou (Pakistan) et la tagalog philippin. Pas un mot de français...

À quelques francophones qui s'en étaient plaints au début d'octobre, la ville a répondu: «Nous aurions voulu inclure plusieurs autres langues dans le guide, mais l'objectif principal était de communiquer avec la majorité des communautés calgariennes qui n'ont pas l'anglais comme langue première. Pour la plupart, les personnes qui parlent le français parlent aussi l'anglais et seront donc capables d'obtenir l'information contenue dans le guide.»

Je n'en reviens pas. Quelle clarté. Quelle concision. Toute la dynamique anglo-canadienne résumée en un paragraphe! Je n'aurais pu faire mieux. Tout, vraiment tout y est! Ce petit message d'Élections Calgary illustre à merveille le rejet fondamental du fait français au Canada anglais, et clarifie le besoin de freiner la «bilinguisation» collective du Québec qui mine l'esprit de la Loi 101. Passons en revue les deux éléments de l'argument avancé par Élections Calgary:

1. «Nous aurions voulu inclure plusieurs autres langues dans le guide, mais l'objectif principal était de communiquer avec la majorité des communautés calgariennes qui n'ont pas l'anglais comme langue première.»

On aurait voulu inclure «plusieurs autres langues»... Ainsi le français fait partie, au-delà de l'anglais langue commune et des dix autres précitées,  de ces «plusieurs autres langues» qui traînent ça et là dans le décor linguistique calgarien. Rien de plus. Une langue étrangère, lointaine, que l'on compte de la même manière que celles de toutes les minorités n'ayant pas l'anglais pour langue maternelle ou d'usage.

Par ailleurs, le critère déterminant pour le choix des langues tierces dans le guide électoral était «le souci de communiquer avec la majorité des communautés calgariennes qui n'ont pas l'anglais comme langue première». Ainsi on doit comprendre que l'on choisit les langues (autres que l'anglais) ayant le plus grand nombre de locuteurs, jusqu'à ce qu'on atteigne ou dépasse la majorité des électeurs. Comme on a identifié dix langues dont le français ne fait pas partie, on doit supposer que le français ne fait pas partie du palmarès des 10 langues «premières» à Calgary...

S'ils sont de bonne foi, ils ont commis ici une erreur. S'ils ne sont pas de bonne foi, alors ils ont fait exprès. Parce que le français, peu importe le critère, langue maternelle ou langue d'usage à la maison, fait partie des 10 langues les plus parlées après l'anglais à Calgary selon le recensement fédéral de 2016 (le plus récent disponible). Au chapitre de la langue maternelle, le français, avec plus de 20 000 locuteurs, occupe la 7e position, devant le persan et le coréen qui sont incluses dans le guide électoral. Pour ce qui est de la langue d'usage, le français fait moins bonne figure mais s'accroche toujours à la 9e place, devançant encore le persan et le coréen.

Une chose est sûre. Les Franco-Albertains, pourtant membres d'une collectivité de langue officielle du Canada, se retrouvent sur le même pied que les locuteurs de l'ourdou ou du tagalog. Cela se produit également dans d'autres grandes villes anglo-canadiennes y compris Toronto, Vancouver, Windsor et bien d'autres. On se souvient du maire de Windsor, Ontario, en 2016, laissant entendre que la connaissance de l'arabe pouvait avoir plus d'importance que le français dans sa ville...

2. «Pour la plupart, les personnes qui parlent le français parlent aussi l'anglais et seront donc capables d'obtenir l'information contenue dans le guide.»

Cet argument est le plus insidieux, et si on l'accepte, sa portée est catastrophique, même pour le Québec. D'abord il est vrai qu'à Calgary, l'immense majorité des francophones parlent aussi l'anglais. Mais attendons. Cela est aussi vrai pour l'ensemble des collectivités linguistiques autres que française et anglaise. Il y a à Calgary environ 380 000 personnes ayant une langue maternelle non officielle, et seulement 30 000 d'entre elles ne connaissent pas l'anglais. C'est moins de 10%. Sans aucune traduction, Élections Calgary aurait facilement rejoint plus de 90% des électeurs allophones. Mais c'est un argument qu'on a réservé aux seuls francophones... Hmmm...

Le message central est odieux, et dangereux. On nous dit que le fait pour un francophone d'être bilingue français-anglais constitue une justification pour lui offrir des services en anglais seulement. Il comprend l'anglais. Alors de quoi se plaint-il? C'est un argument difficile à contrer, surtout quand le bilinguisme collectif devient une simple étape vers l'assimilation totale à l'anglais. Il y a de plus en plus d'acceptation, de moins en moins de résistance dans la collectivité.

S'il se répandait, cet argument justifierait l'abolition des services en français dans des villes comme Ottawa, Sudbury, Moncton, Cornwall où des minorités francophones plus nombreuses sont bilingues à plus de 90%. Selon Statistique Canada, Ottawa compte à peine 12 000 unilingues français sur une population de 925 000 (chiffres de 2016). Et les Franco-Ontariens s'assimilent à la vitesse grand V. De l'autre côté de la rivière des Outaouais, à Gatineau, 4e ville du Québec, la majorité des francophones sont bilingues aussi. Peut-être bien à Montréal, également, et la proportion de bilingues y augmente sans cesse. Quand les Franco-Québécois seront bilingues à 90% - et cela viendra - l'argument de Calgary refera surface... chez nous! Et nous n'y pourrons rien!

Voilà pourquoi ce qui se passe à Calgary doit intéresser le Québec. Un jour, peut-être pas si lointain, nos Rhodésiens s'en serviront contre nous si nous n'établissons pas fermement au Québec un territoire où il est possible, pour la majorité des citoyens, de vivre en français seulement. Si on laisse progresser cette idée (fausse) que l'anglais est essentiel pour tous les Québécois, on se retrouvera un jour en train de lutter pour figurer parmi les 10 langues à traduire dans un dépliant électoral de langue anglaise...

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NB Élections Calgary a mis en ligne une traduction française de son guide électoral il y a quelques jours. La situation était embarrassante.


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