mardi 19 octobre 2021

Le passé fait partie du présent...

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas amateur de théâtre. Mon épouse est abonnée à toutes les présentations théâtrales de la saison à la Maison de la culture de Gatineau. Moi pas. Cependant, ce 15 octobre 2021, j'ai fait exception après avoir appris que la pièce à l'affiche proposait comme personnages principaux Pauline Julien et Gérald Godin... J'en suis revenu un peu, beaucoup, bouleversé...

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Catherine Allard, Pauline Julien

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Je n'avais pas vraiment d'attente. Je connaissais l'engagement politique et les écrits de Gérald Godin, et j'avais acheté à l'époque plusieurs 33 tours de Pauline Julien. L'une et l'autre évoluaient au coeur de la trame québécoise des années 60 et 70, que j'avais vécue comme étudiant puis comme journaliste. J'ai aussi lu quelques textes médiatiques sur cette pièce intitulée Je cherche une maison qui vous ressemble, et sur sa conceptrice, Catherine Allard. Au carrefour du théâtre et de la politique, entre narrations, dialogues et musique, j'avais bon espoir d'être tout au moins diverti. 

Dire que je le fus serait une litote. Comme sans doute bien d'autres têtes blanches (des vieux, pas des Blancs...) dans cette salle aussi bondée que le permettent les règles pandémiques, j'ai été happé par un tourbillon de souvenirs et une palette d'émotions allant de la nostalgie à l'amour, de la joie à la colère, avant d'être relancé aux grands débats québécois de ce début de 21e siècle.

L'entrée en matière est conviviale. La comédienne Catherine Allard rappelle à l'auditoire que son père Gérald Allard était Franco-Manitobain et qu'après avoir entendu Pauline Julien à Winnipeg en 1967, il avait plié bagages et élu domicile au Québec pour goûter à l'exubérance qu'il avait ressentie au cours du spectacle.

À la même époque, j'étais Franco-Ontarien et je me souviens qu'à l'automne 1968, alors que les étudiants avaient occupé pendant plus d'une semaine la faculté des sciences sociales à l'Université d'Ottawa, nous passions une partie des nuits d'occupation à refaire le monde en écoutant, plus souvent que d'autres, la «Suite québécoise» de Pauline Julien sur un vieux tourne-disques. En 1975, j'ai traversé la rivière des Outaouais pour de bon et encore aujourd'hui, je garde précieusement ce vinyle de Pauline Julien dans ma collection.

Le fait qu'une de mes filles s'appelle Catherine Allard, elle aussi artiste, femme d'affaires, montréalaise, ne fait qu'enrichir le parallèle. L'une aurait pu grandir franco-manitobaine, l'autre franco-ontarienne, n'eut été l'irrésistible attrait pour leur papa de cette ébullition libératrice au Québec des années 60 / 70, une révolution pas toujours tranquille d'où jaillissait toute une littérature de combat doublée d'un vaste éventail de chansons militantes portées, entre autres, par la plume de Gérald Godin et la voix de Pauline Julien.

Aux premières notes de La Manikoutai (2e chanson de la pièce, (bit.ly/3aXhV5b), je suis envoûté, ému. La musique, plus encore que les textes, a cette capacité de nous faire voyager dans le temps. Les disques des chansonniers (Gilles Vigneault, Raymond Lévesque, Claude Léveillée, Claude Gauthier et bien d'autres) sont autant de capsules temporelles qui font ressurgir cet élan de liberté qui secouait le Québec tout entier. La flamme de l'époque s'est largement éteinte, mais clairement, il suffit parfois d'une seule chanson pour rougir des braises encore chaudes... et les yeux... 

En suivant la chronologie de la liaison Godin-Julien, les comédiens Simon Landry-Désy et Catherine Allard nous font revivre quelques grands moments de l'histoire du Québec, y compris la nuit du 16 octobre 1970 (les mesures de guerre) et la victoire du Parti québécois du 15 novembre 1976. Dans la grande rafle fédérale de la crise d'octobre, Gérald Godin et Pauline Julien avaient été arrêtés et emprisonnés pour aucun autre motif que leurs convictions indépendantistes. Et six ans plus tard, le premier ministre Bourassa, l'un des artisans de l'intervention militaire fédérale de 1970, était défait dans sa propre circonscription de Mercier par le poète-journaliste Godin!

Ceux et celles qui voient aujourd'hui dans le projet d'un Québec français et indépendant des relents de racisme ou de xénophobie auraient tout avantage à s'assoir une heure et demie dans un théâtre pour voir et mijoter Je cherche une maison qui vous ressemble. Il y a 50 ou 60 ans, la lutte pour l'indépendance, la langue française et la laïcité était étroitement associée aux luttes mondiales de décolonisation et de démocratisation. Notre combat était celui des Noirs américains contre le racisme, des Latino-Américains contre l'impérialisme états-unien, du peuple grec contre la dictature des colonels, des Tchèques contre la répression soviétique.

Les mêmes personnes à Ottawa qui ont imposé le multiculturalisme à l'anglo-canadienne, qui ont lancé l'armée et la police contre 500 innocents en octobre 1970, qui ont infiltré et saboté l'élan souverainiste sont celles, qui depuis quatre décennies, martèlent dans les grands médias une désinformation massive contre le Québec et le français. Ils ont réussi, dans de larges franges de l'opinion publique, à inverser les perceptions, au point où un authentique mouvement de libération est maintenant vu par plusieurs comme une forme d'oppression à combattre. La pièce de théâtre évoque cette transformation de l'opinion, et la gêne ressentie par de nombreux Québécois face à l'affirmation collective. Quand on a vécu l'époque et qu'on connaît la vérité, c'est dur à prendre...

Le couple Godin-Julien a connu une fin difficile. Gérald Godin est mort en 1994, à la mi-cinquantaine, d'un cancer au cerveau sans avoir vu l'aboutissement de ses efforts. Pauline Julien, atteinte d'une maladie dégénérative, s'est enlevé la vie en 1998. Les échecs successifs ont aussi miné la santé du mouvement indépendantiste, qui peine à rallier les nouvelles générations. «La flamme peut-elle être ravivée?», demandait un spectateur à la Maison de la culture, vendredi soir, lors de l'échange avec les comédiens et musiciens après la pièce. C'était plus l'expression d'un espoir qu'une question à laquelle personne ne peut répondre de toute façon...

Mais tout n'est pas perdu. Les textes de Gérald Godin et la voix de Pauline Julien habitent toujours notre monde. Cette pièce de théâtre en témoigne. Et à Gatineau, territoire hostile s'il en fut pour les méchants «séparatistes», nous étions, ce 15 octobre 2021, plusieurs centaines d'indépendantistes dans la même salle à applaudir les chansons, les images... et ces textes rédigés par Marie-Christine Lé-Huu, une artiste née de père vietnamien et de mère québécoise, porteuse d'un Québec contemporain où de nouveaux métissages s'ajoutent, comme cela se fait depuis 400 ans, à la vieille souche française et l'enrichissent.

Quand Catherine Allard a chanté L'âme à la tendresse (paroles de Pauline Julien, musique de François Dompierre) vers la fin de la présentation, des larmes ont coulé dans la salle. Nostalgie, regret d'un temps et d'une cause perdus? La preuve, en tout cas, que le passé fait toujours partie du présent, et que chaque nouvelle expérience en colore nos perceptions. Et que la vie continue. Et que l'espoir demeure. Et qu'une étincelle peut une fois de plus enflammer les braises...


2 commentaires:

  1. L’ex Franco-Manitobain Gérald Allard: un ami depuis les assises préliminaires des États généraux. Dans mes archives: plusieurs lettres que nous avons échangées…

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