Dans les années 1970, quand je couvrais pour Le Droit le conseil municipal de l'ancienne ville de Gatineau (avant les fusions de 2002), je m'étonnais toujours de voir qu'on pouvait passer des heures et des heures à discuter des tuyaux d'égout, alors qu'un dossier culturel ne suscitait à peu près aucun intérêt...
Nous sommes maintenant en 2021 et je me demande à quel point les choses ont vraiment changé au cours des cinq dernières décennies. En prévision des élections municipales du 7 novembre, la société Radio-Canada a commandé un sondage sur les priorités des résidants de Gatineau (voir bit.ly/3pBA8Ot) et la culture rallait seulement 1% des répondants, loin loin derrière l'état du réseau routier, l'accès au logement, l'itinérance, les taxes et même le 6e pont vers Ottawa...
Bien sûr, toutes ces questions méritent une place dans l'ordre des priorités. Ce qui déçoit, c'est que les enjeux linguistiques et culturels en soient absents! Des coins stratégiques de Gatineau, en particulier les quartiers riverains des secteurs Hull et Aylmer, s'anglicisent à vue d'oeil dans l'indifférence générale et la progression de l'anglais entraîne un glissement identitaire qui ne peut manquer d'avoir des répercussions sur la vie culturelle de la quatrième ville du Québec.
Mais c'est quasiment un sujet tabou. Il ne faut surtout pas en parler. La ville de Gatineau se comporte déjà, à plusieurs égards, comme une ville bilingue même si, avec plus de 75% de francophones, elle demeure une municipalité française en vertu de la Loi 101. La ville a eu recours aux tribunaux pour imposer la connaissance de l'anglais à un commis aux finances, faisant tomber au passage un pan de la Charte de la langue française en matière de langue du travail. Récemment, une conseillère du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), Nathalie Blais, se plaignait qu'à Gatineau, on exigeait que «tous les fonctionnaires cols blancs aient une bonne maîtrise de l'anglais» (bit.ly/3lRN0fJ).
Le conseil municipal s'intéresse-t-il suffisamment à la protection et à la promotion de la langue et de la culture française? Y pense-t-on parfois, pendant que la proportion d'anglophones dépasse 40% dans certains quartiers en bordure de la rivière des Outaouais et que des acheteurs ontariens (plus souvent qu'autrement anglophones) entrent à pleines portes dans de nouveaux projets domiciliaires qui leur sont clairement destinés? La ville a-t-elle au moins brossé un portrait global de l'état actuel de la francophonie gatinoise, avec ses forces et faiblesses, pour se faire une idée précise des actions requises et, peut-être, sait-on jamais, amorcer une discussion publique?
Il ne faut pas trop compter sur les médias pour soulever cette question pendant la campagne électorale, car ils semblent généralement peu informés de la situation; de plus, leur propre sondage indique que seulement 1% de la population considère la culture comme prioritaire. Pourtant, l'état actuel des médias va au coeur du débat (présentement inexistant) sur l'avenir du français à Gatineau. Les anciens hebdos ont disparu, il n'y a plus de presse écrite quotidienne de langue française, et les salles des nouvelles restantes ont des effectifs nettement insuffisants. L'information, support de la démocratie municipale, est de plus en plus fragmentée dans la jungle numérique. Il y a de quoi s'inquiéter.
Déjà, en matière d'affichage, de nombreux commerces font fi de la Loi 101. Parfois on peine à se faire servir en français. À Gatineau, les anglos sont accueillis (et s'attendent à être accueillis) à peu près partout dans leur langue, pendant que sur l'autre rive, les Franco-Ontariens en arrachent à tous les coins de rue. Quand, un jour, nous serons minoritaires (ou assimilés) au centre-ville de Gatineau et dans les secteurs riverains (les plus convoités), le mal sera fait et il sera trop tard. Le temps d'en parler, c'est maintenant. Mais n'y comptez pas. Le sort de la langue et de la culture françaises ne font pas le poids face aux nids de poule...
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RépondreEffacerM. Allard, le sujet me semble important et de plus en plus embêtant. Je me suis permis de reproduire votre texte tel quel, en indiquant bien sûr la source, dans mon blog L'Archipel humain / The Human Archipelago. Je l'ai fait précédé d'un petit texte d'introduction que voici:
RépondreEffacer(L'anglicisation croissante de l'agglomération montréalaise, incluant l'île de Montréal et l'île Jésus -i.e. la Ville de Laval-, n'est pas le seul dossier inquiétant au plan linguistique. Il y a aussi le cas de Gatineau, la quatrième ville du Québec, juste en face de la capitale fédérale, Ottawa, dont le taux de francisation est en baisse constante. Les courants démographiques sont fluctuants, certes, mais il faut souligner qu'à la population anglophone résidente depuis longtemps, s'ajoutent de plus en plus des nouveaux-venus arrivant du côté sud -ontarien- de la rivière des Outaouais, des Franco-Ontariens, mais aussi des anglophones à la recherche de logements plus abordables. L'enjeu n'est pas encore très connu ni diffusé au conseil municipal de Gatineau, mais il mériterait de l'être. Ci-dessous, on trouvera un texte de blog écrit par un ancien directeur des nouvelles et éditorialiste du Droit, Pierre Yves Allard, sur cette question importante, qu'il faudra bien un jour aborder publiquement à Gatineau. Merci. CM)
Je me propose également de le reproduire dans les communications internes de Québec solidaire en Outaouais, dont je suis membre. Il me semble important de sensibiliser la population gatinoise à la question. J'espère que cela ne vous déplaise pas.