Le rapprochement récent entre le Québec et les minorités de langue française ailleurs au Canada risque de couler comme le Titanic alors que la Cour suprême s'apprête à jauger l'impact d'une cause controversée soumise par les francophones des Territoires du Nord-Ouest.
Pour comprendre la portée de l'affaire, il faut connaître l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, imposée en 1982 sans l'assentiment du Québec mais à laquelle tous les gouvernements québécois ont accepté d'être soumis au cours des 40 dernières années.
L'article 23 accorde aux minorités de langue officielle - y compris aux Anglo-Québécois - le droit de fréquenter des écoles primaires et secondaires dans leur langue, et d'en assumer la gestion. Mais cette disposition constitutionnelle détermine aussi qui a le «droit» d'être admis à ces écoles.
Pour les francophones, les droits scolaires conférés par la Charte fédérale s'appliquent seulement aux citoyens canadiens (adultes ou enfants ayant reçu une partie ou la totalité de leur instruction primaire en français au Canada, et qui résident dans la province où se situe l'école que fréquentera l'enfant). On appelle ces gens des «ayants droit».
Les immigrants sont exclus de l'application de l'article 23, ainsi que l'ensemble du préscolaire, du collégial et de l'universitaire. En pratique, cependant, dans certaines provinces dont l'Ontario, certains «non-ayants droit» (parfois même des anglophones) sont admis dans les écoles françaises, brouillant ainsi la ligne de démarcation entre écoles de langue française et écoles d'immersion.
Ce n'est pas le cas aux Territoires du Nord-Ouest, où le gouvernement a opposé une fin de non-recevoir à la commission scolaire franco-ténoise, qui voulait admettre des «non-ayants droit» dans ses écoles. On pourrait croire qu'il s'agit d'enfants d'immigrants francophones, ou d'élèves d'immersion française. En vertu de l'article 23, une province ou un territoire peut obliger les immigrants francophones à fréquenter l'école anglaise. Au Québec, les immigrants anglophones doivent s'inscrire à l'école française en vertu de la Loi 101.
Les Franco-Ténois ont contesté la décision de Yellowknife et l'affaire est maintenant rendue à la Cour suprême, qui a accepté d'entendre l'appel. «On refuse que le gouvernement décide pour nous qui devrait être admis dans nos écoles», déclare sans ambages Yvonne Careen, directrice générale de la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO). «On connaît très bien notre communauté mais notre ministère interfère depuis 30 ans dans notre gestion.» (voir bit.ly/3M8RYQG)
Si les Canadiens français des T.-N.-O. espèrent un appui quelconque du Québec dans le sillage du rapprochement récent entre le gouvernement québécois et la francophonie hors Québec, ils devront vite déchanter. Si l'État québécois intervient dans cette cause en Cour suprême, ce sera pour s'opposer aux demandes des francophones. Exactement comme Philippe Couillard l'avait fait en 2015 dans une cause d'interprétation élargie de l'article 23, alors que son gouvernement très fédéraliste avait pris position contre les demandes des Franco-Yukonnais. Le motif? Pourtant très clair: éviter que les Anglo-Québécois utilisent une brèche dans l'article 23 pour élargir les brèches déjà géantes dans la Loi 101, dans le but d'admettre aux aussi des «non-ayants droit» dans les écoles anglaises.
Si Québec avait su se tenir debout depuis le coup d'État qui lui imposa la Loi constitutionnelle de 1982 (Charte des droits et libertés) contre son gré, la situation serait tout à fait différente. Le gouvernement québécois n'a jamais signé la nouvelle Constitution canadienne, mais il l'a reconnue en pratique, en acceptant qu'on s'en serve pour juger des lois québécoises et notamment des lois linguistiques et identitaires. Québec aurait dû dès 1982 invoquer le droit de véto qu'il possédait depuis 1867, dont on l'a dépouillé illégalement, refuser de se soumettre à l'ensemble de la Loi constitutionnelle de 1982, et surtout refuser de reconnaître les pouvoirs accrus d'une cour constitutionnelle (la Cour suprême du Canada) dont les membres sont nommés par le seul premier ministre du Canada, celui-là même qui avait piétiné les droits historiques du Québec.
S'il avait agi ainsi, le Québec aurait rendu l'article 23 sur les droits scolaires inopérant sur son territoire, protégeant la Loi 101 dans son entièreté - tant dans les écoles que dans l'affichage. Le gouvernement québécois aurait alors pu intervenir ailleurs au pays pour appuyer les minorités canadiennes-françaises et acadiennes dans leurs luttes de protection et de promotion de la langue et de la culture françaises, sans craindre que la symétrie de la Loi constitutionnelle de 1982 ou de la Loi sur les langues officielles - qui créent une égalité fictive entre francophones hors Québec et Anglo-Québécois - lui rebondisse en pleine face.
Pour le Québec, il n'est pas trop tard. La Constitution de 1982 n'a jamais reçu l'approbation du Québec. Il est encore temps pour le gouvernement québécois, même après 40 ans, d'affirmer que la nation québécoise n'a pas à obéir à une loi constitutionnelle adoptée sans elle et même contre elle. Que désormais, le Québec ne se sent pas lié par cette constitution qu'il juge illégitime, voire illégale. Même un gouvernement fédéraliste pourrait agir ainsi puisqu'un tel geste ne remet pas, en soi, l'existence du lien fédéral, antérieur à la la Charte de 1982.
Libéré des menottes constitutionnelles qu'il traîne depuis quatre décennies, le gouvernement québécois pourrait définir une politique cohérente de promotion et de protection du français, fondée sur un territoire à l'image de sa majorité francophone dont le dynamisme rayonnerait à travers le pays et l'Amérique. Un tel Québec aurait les coudées franches pour se rendre devant la Cour suprême et dénoncer les injustices dont les francophones minoritaires sont victimes depuis plus de 150 ans. Les Franco-Ténois auraient un allié québécois, et non un adversaire...