lundi 25 avril 2022

Guy! Guy! Guy!

------------------------------------------

Guy, quand tu marquais un but, c'est chacun de nous qui marquait un but. Quand tu gagnais le championnat des compteurs ou la Coupe Stanley, c'est comme si chacun de nous avait accompli les mêmes exploits... Quand le Canadien t'a mis à la porte (façon de parler...) en 1984, c'est chacun de nous qu'on a mis à la porte (façon de parler)... Et nous avons, chacun de nous, vécu avec toi les émotions que tu as ressenties en revenant au jeu en 1988 avec les Rangers, puis deux autres années avec les Nordiques de Québec... Et quand la foule t'a ovationné pendant six minutes à ton dernier match au Forum de Montréal, le samedi 30 mars 1991, l'acclamation était portée par des millions de «Guy! Guy! Guy!» criés avec une boule dans la gorge, partout au Québec et ailleurs en Amérique du Nord... À ta façon, Guy Lafleur, tu étais chacun de nous...

-----------------------------------------------

J'avais huit ans quand mes parents ont acheté un premier téléviseur en 1954. Un appareil de marque Admiral, qui diffusait des images en noir et blanc que l'on peinait parfois à distinguer sur l'écran enneigé... Mon frère et moi devions nous coucher tôt, sauf le samedi... C'était La soirée du hockey, un événement aussi impératif que la messe du lendemain matin. Mon père nous laissait parfois regarder la télé jusqu'à la fin de la deuxième période... pour voir Maurice Richard en action.

Nous applaudissions bien sûr les victoires du Canadien de Montréal, mais seul Maurice Richard comptait vraiment sur la patinoire. Quand il sautait sur la glace, la tension montait d'un cran. Je m'avançais au bout de ma chaise, figé, espérant à chacune de ses présences qu'il fonce vers le filet adverse et déjoue le gardien sous un tonnerre de cris dans les gradins remplis du vieux Forum. À l'âge de 9 ans, je n'avais qu'un héros et il portait le chandail numéro 9... Quand le Rocket a pris sa retraite en 1960, j'étais un peu orphelin...

Jusqu'à neuf ans plus tard, à l'automne 1969... Ayant fraîchement entamé une carrière en journalisme, je me revois dans le vacarme de la salle des téléscripteurs du quotidien Le Droit, en train d'éplucher les sommaires des matches de hockey, période par période, pour suivre religieusement les exploits de la nouvelle vedette des Remparts de Québec... Guy Lafleur. Ne me demandez pas pourquoi. Je ne le connaissais pas même s'il avait grandi en Outaouais. Je ne l'avais jamais vu jouer, ni en personne, ni à la télé. Et, pourtant, je me souviens de l'anticipation de voir les sommaires de chaque période des matches des Remparts, dans le seul espoir d'y voir apparaître le nom de Lafleur. Je n'ai pas été déçu!

Le hockey est bel et bien une religion, et j'avais retrouvé la foi. Pas une foi à la St-Thomas. Je n'avais pas besoin de voir, d'entendre, de toucher. Je savais dans mes tripes que Maurice Richard avait un successeur. Du moins pour moi. J'anticipais de suivre les exploits de Guy Lafleur peu importe l'équipe de la LNH qui le repêcherait. Son atterrissage dans le vestiaire du Canadien en 1971 fut la cerise sur le gâteau... et le début d'un long purgatoire de trois ans où je ne compte plus mes chicanes avec le chef de l'équipe des sports du Droit qui trouvait surfaite la réputation du jeune Thursolais. Ciel que j'ai pesté contre ceux qui le dénigraient, contre Scotty Bowman surtout que je vouais aux feux de l'enfer parce que Guy était trop souvent cloué au banc des joueurs.

Mais même durant ces trois années, de 1971 à 1974, en dépit des difficultés, il arrivait que Guy Lafleur compte des buts spectaculaires. Je repasse encore dans ma tête une de ses montées à l'emporte-pièce, partant de la zone du Canadien, accélérant et déjouant chaque joueur de l'équipe adverse avec des feintes magiques pour ensuite loger la rondelle au fond du filet. Je n'ai pas dû être le seul, même si j'avais la conviction d'être le plus grand inconditionnel de Lafleur, à m'avancer sur ma chaise quand il captait une passe et filait à l'attaque, à lui lancer des cris d'encouragement comme s'il pouvait les entendre, dans l'espoir que cela fasse une différence. Chacun de ses élans était porté par les attentes et l'espoir de milliers, voire de centaines de milliers de partisans.

La seconde moitié des années 1970 en fut une de pur bonheur... de vengeance aussi  contre tous ceux qui avaient douté de son immense talent. Au sommet de son art, Guy Lafleur était désormais le démon blond, accumulant hommages et trophées. Le meilleur joueur de hockey au monde! Le 30 mars 1975, le quotidien Montréal-Matin avait publié un cahier de 12 pages intitulé «L'album d'un nouveau héros» (que j'ai conservé) pour souligner le 50e but de Guy Lafleur, compté la veille au Forum. Ce devait être sa première de six saisons consécutives de 50 buts ou plus. Le journaliste Bernard Brisset des Nos y résumait fort bien le sentiment populaire de l'époque:

«Nous reconnaissons comme tous les Québécois que Guy Lafleur est devenu la grande vedette que l'on attendait. Il est devenu cette saison le catalyseur des sentiments populaires qu'il fallait depuis le départ de Jean Béliveau. Guy Lafleur est sur le point d'entrer dans la légende du Club Canadien avec son 51e but. Il entrera du même coup dans la légende du Québec.» Le cahier du Montréal-Matin se terminait par une entrevue avec Maurice Richard, tout aussi enthousiaste, qui disait s'attendre que le jeune Lafleur «brise mon record d'ici peu».

Jusqu'à la fin des années 1970, la saga de Guy Lafleur ressemblait à un conte de fées, où le héros auréolé vainc tous ses adversaires et file un parfait bonheur jusqu'à la fin de ses jours. Puis, en 1980, après que Lafleur eut raté six matches, Wayne Gretzky et Marcel Dionne l'ont relégué au troisième rang des compteurs. Chez le Canadien, du même coup, les entraîneurs jouaient à la chaise musicale et un déclin de Lafleur s'amorçait. L'arrivée de Jacques Lemaire et de son «système» défensif en 1984 sonna le coup de grâce et Guy fut évincé de l'équipe. On ne fait pas ça au plus grand partisan de Guy Lafleur (...à moi). J'ai renié sur-le-champ l'équipe que je suivais depuis mon enfance et près de 40 ans plus tard, je n'ai toujours rien pardonné aux deux Judas du Canadien, Jacques Lemaire et Serge Savard. Et je ne suis pas le seul à penser ainsi...

Le retour au jeu inattendu, presqu'inespéré, du démon blond en 1988 fut le coup du siècle. Je suis instantanément devenu partisan des Rangers de New York, une équipe qui ne suscitait auparavant que de l'indifférence. Les deux années suivantes, j'ai revêtu les couleurs des Nordiques. De toute évidence, pour des tas de gens y compris moi, l'admiration pour la vedette qu'était toujours Lafleur transcendait l'allégeance envers une équipe. Pendant trois saisons, partout en Amérique du Nord, les amateurs de Lafleur - et ils sont légion - ont de nouveau enfilé les couleurs du numéro 10, et les cris de «Guy! Guy! Guy!» ont retenti dans tous les stades de la LNH, y compris au vieux Forum de Montréal. Sans doute à la grande joie des fantômes...

J'ai enregistré les deux derniers matches de Guy Lafleur contre le Canadien, à Montréal et à Québec, les 30 et 31 mars 1991, et conservé les cahiers spéciaux des quotidiens (à l'époque il y avait de vrais journaux). J'ai toujours en mémoire l'ovation de six minutes quand on l'a présenté à la foule ravie du Forum de Montréal. Le journaliste de La Presse Michel Marois avait fort bien résumé ce moment émouvant: «Six minutes bien comptées, au cours desquels les spectateurs ont mélangé les applaudissements et les cris pour honorer Lafleur. Pendant cette éternité, Guy est resté seul au centre de la patinoire, seul avec son public.

«L'instant était magique et qui sait s'il ne durerait pas encore si l'annonceur du Forum n'avait pas jugé bon de rompre la magie. Pressé d'en finir avec cette fête un peu embarrassante pour le Canadien, Claude Mouton a demandé aux dignitaires de s'avancer. Une fois, deux fois, trois fois, les cris du public ont enterré sa voix. De guerre lasse, Mouton s'est contenté de lire son invitation, quitte à ce que personne ne l'entende...».

La Presse avait demandé à ses lecteurs de lui poster (de vraies lettres en papier avec des timbres sur l'enveloppe) des messages pour Guy Lafleur, devant être remis à la fin de la saison. On en a reçu pas moins de 3500! Le chroniqueur Michel Blanchard écrivait à cet égard: «Nous avons été surpris et pris de court par l'ampleur du courrier-souvenir, ramassis de messages d'amour tout à fait bouleversants». Et Maurice Richard d'ajouter dans sa chronique: «Je n'ai jamais reçu des lettres d'amour comme ça. J'ai reçu des lettres bien sûr, mais c'était un petit mot bien simple ou une demande d'autographe ou de photo-souvenir.»

J'aimerais pouvoir raconter une rencontre avec mon idole, mais pendant mon association de plus de 45 ans avec le monde médiatique, je n'ai jamais rencontré Guy Lafleur! Quand sa biographie (Guy Lafleur, l'ombre et la lumière) a été publiée en 1990, une amie journaliste l'a informé que j'étais son plus grand admirateur et j'ai eu droit à un exemplaire avec des messages signés par Guy, son épouse et l'auteur. Si, un jour, il ne me reste qu'un seul livre dans mes bibliothèques, il y a de fortes chances que ce soit celui-là. 

Depuis son décès, j'ai lu et entendu des dizaines, voire des centaines de témoignages d'admiration et d'amour pour Guy Lafleur. J'ai vu l'hommage au Centre Bell avant le match contre les Bruins et fort apprécié l'ovation de plus de dix minutes qu'on a encore une fois, comme en 1991, tenté d'interrompre... Comment Guy Lafleur voulait-il qu'on se souvienne de lui? Le chroniqueur Réjean Tremblay le lui avait demandé récemment et Lafleur avait répondu: «Que j'ai tout donné. Tout ce que je pouvais donner.» Tout donner! Voilà pourquoi ici et ailleurs, le public l'aime sans réserve.

Et moi itou!!!

------------------------------------------

Stéphane Richer avait l'habitude de dire qu'il avait «le CH tatoué sur le coeur»... En fin de semaine, j'ai entendu un commentateur affirmer que le Québec avait Guy Lafleur tatoué sur le coeur. J'en suis sûr!


 

Aucun commentaire:

Publier un commentaire