mardi 5 avril 2022

L'immigration et la francophonie hors-Québec: stériles illusions...


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Ou bien la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) ne voit plus la réalité de la francophonie hors Québec ou, ne la voyant que trop bien, la dissimule sciemment. D'un côté comme de l'autre, elle brouille les cartes politiques, entretient de stériles illusions et ne rend service à personne!

La plus récente envolée, voulant que la sauvegarde des collectivités francophones en situation minoritaire passe par l'immigration, atteint des sommets rocambolesques. Cette semaine, la FCFA a demandé «qu'à l'horizon de 2036, une personne immigrante sur cinq qui s'établissent ailleurs qu'au Québec soit d'expression française». C'est présentement 2%...

On laisse ainsi entendre qu'avec un apport massif d'immigrants de langue française, la situation des francophones pourrait s'améliorer de façon appréciable dans les provinces à majorité anglaise. Quelque part on le croit, sans doute. D'autres se disent peut-être que plus la fable est grandiose, mieux elle passe. Mais cette revendication relève strictement du pays des merveilles...

Sur le strict plan politique d'abord, elle n'a aucune chance de se réaliser. On demande ici à la majorité anglo-canadienne (car c'est elle qui décide) de décupler le nombre d'arrivants francophones hors Québec d'ici une quinzaine d'années. Or,  le gouvernement fédéral a été historiquement hostile à l'immigration de langue française, et encore récemment, retardait des demandes provenant de pays francophones.

Les représentants des collectivités canadiennes-françaises et acadiennes s'adressent plus souvent qu'autrement à des ministres ou députés fédéraux de langue française lors de leurs pèlerinages à Ottawa, mais ces derniers sont eux-mêmes minoritaires au sein du gouvernement, peu importe sa couleur politique. Allez demander aux députés anglos de l'Ontario, du Manitoba ou de l'Alberta s'ils voudront dix fois plus d'immigrants francophones chez eux...

Secundo, sur le plan sociétal, la démarche suppose que l'arrivée de francophones de l'étranger changera quelque chose à la donne. C'est mal connaître l'état actuel des populations de langue française à l'extérieur du Québec, qui se détériorent à vue d'oeil depuis le milieu du 20e siècle. Les taux d'assimilation sont mirobolants dans toutes les régions, villes et quartiers où les parlant français ne forment pas une majorité. Les immigrants francophones qu'on expédiera à Toronto, Ottawa, Winnipeg, Calgary ou Vancouver (peu importe leur nombre) s'assimileront à l'anglais aussi rapidement que les francophones qui y résident déjà.

Les villes et régions hors Québec où Canadiens français et Acadiens sont toujours majoritaires pourraient, à la limite, se voir renforcées par l'ajout de centaines ou de milliers d'immigrants de langue française, mais les nouveaux arrivants n'iront pas là. J'ai vérifié quatre de ces localités - Hawkesbury et Kapuskasing en Ontario, Edmundston et Tracadie au Nouveau-Brunswick - et la proportion de gens d'origine étrangère y est tout à fait négligeable. Pire, la population y est stagnante ou en baisse selon le recensement de 2021.

À Ottawa, ville canadienne hors Québec où l'on trouve le plus grand nombre de francophones, il y a avait jusqu'aux années 1970 trois ou quatre quartiers à majorité française. Il n'en existe plus. Le taux d'assimilation y est passé de 17% en 1971 à 33% en 2016. Même situation dans d'autres régions urbaines où survivaient de fortes concentrations francophones - Sudbury, Cornwall, St-Boniface, Windsor. Les taux d'anglicisation dépassent les 50% à peu près partout.

Voilà d'ailleurs le noeud du problème, insoluble. L'éparpillement urbain de la francophonie canadienne hors Québec. La langue de la rue, partout, devient l'anglais, même pour les francophones. Les jeunes apprennent le français à l'école mais le parlent avec un accent anglais, et s'en servent peu. Les unions sont majoritairement exogames, et les enfants issus de ces couples anglais-français parlent en grande majorité l'anglais. Le plupart regarderont la télé en anglais, écouteront la musique en anglais, se serviront de l'Internet en anglais et ainsi de suite. Une ou deux générations plus tard, ils seront des Michael Rousseau...

Cette réalité - la vraie - est celle qui attend ces vagues d'immigrants francophones qu'on veut expédier d'un bout à l'autre du pays pour empêcher que la proportion des parlant français ne poursuive pas sa chute catastrophique. Ces êtres humains venus d'ailleurs feront exactement ce que font les êtres humains d'ici... ils s'intégreront, lentement puis rapidement, à la majorité anglo-canadienne partout où les forces d'anglicisation deviennent irrésistibles. À moins d'aller s'installer dans la Madawaska, la péninsule acadienne, ou dans certains coins plus francophones de l'Est et du Nord ontariens. Ce qui, à regarder les recensements, est plus qu'improbable...

La FCFA, si elle veut faire oeuvre utile, devrait s'atteler d'abord à un examen réaliste de la situation actuelle et de l'évolution des collectivités francophones toujours existantes, et mettre en place des stratégies qui vont au moins sauver les meubles. En commençant par bien compter le nombre de parlant français hors Québec. Cesser d'avancer le chiffre fantaisiste de 2 700 000 alors que selon Statistique Canada, c'est autour d'un million. En utilisant comme repère l'indice plus fiable encore de la langue d'usage, c'est à peine un peu plus de 600 000... Protéger ces 600 000 véritables usagers du français constitue un objectif bien plus atteignable, et louable, que de tout perdre ou doublant, triplant ou décuplant la mise avec l'immigration.

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Les organisations franco-canadiennes hors-Québec ont l'oreille du fédéral depuis plus d'un demi-siècle parce que l'existence d'une francophonie canadienne constitue un argument clé pour garder le Québec au sein de la fédération. Mais le jour (pas trop éloigné) où même le Québec, faute d'avoir choisi la souveraineté, glissera vers le bilinguisme puis l'anglicisation, et que la proportion de francophones au Canada chutera sous la barre des 20%, la répression contre le français commencera ouvertement et s'accentuera au fil des ans. La hargne accumulée se déchaînera dans les franges francophobes du pays contre ce qui restera de résistance, en attendant une folklorisation définitive de notre langue et de notre culture. 

Vous me croyez pessimiste? Je parle de ce que je connais. J'ai vécu l'assimilation à Ottawa. Je vis aujourd'hui à sa périphérie à Gatineau. Je la vois avancer, traverser la rivière, pendant que des porte-parole clés de la francophonie hors-Québec, financés par les dollars fédéraux, vendent des illusions sur la place publique sous l'oeil indifférent de médias d'information décimés. 

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capture d'écran du quotidien Le Droit, 15 juin 1969
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«Quand le soir est venu, vous dites: Il fera beau temps, car le ciel est rouge; et le matin: Il y aura aujourd'hui de l'orage, car le ciel est rouge et sombre. Vous savez discerner l'apparence du ciel; et ne pouvez-vous pas discerner les signes des temps?» Jésus aux pharisiens, Mathieu, 16



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