Procrastiner: tendance à ajourner, à remettre systématiquement au lendemain. (Synonymes: ajourner, différer, temporiser et, par extension, tergiverser). Et on pourrait ajouter une seconde définition : maladie chronique des indépendantistes québécois.
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Le vaisseau-amiral de l'indépendance du Québec, comme la cause qu'il défend, survivra-t-il? Le Parti québécois tangue, prend l'eau, balloté par des vents contraires. Les départs se multiplient. Les désertions aussi. La plus récente, celle de Bernard Drainville, fait mal quoiqu'en dise le chef du PQ. Mais elle offre à tous, toutes, une nouvelle occasion de réflexion sur le parcours qui nous a menés à cet apparent cul-de-sac.
L'horizon qui recule sans cesse, au point d'être devenu à peine visible, résulte d'une tare endémique: la procrastination. Il faut remonter aux Patriotes de 1837 pour trouver un élan collectif vers la prise en charge entière et immédiate du pays par la majorité qui l'habite. Depuis, nous procrastinons. Depuis plus de 180 ans, nous remettons le projet de pays à un lendemain de plus en plus lointain...
Avec l'Acte d'union de 1840, alors que les francophones étaient toujours majoritaires au Canada, on nous a greffés contre notre gré à l'Ontario. En 1867, devenus vraiment minoritaires, la Confédération nous a laissé le Québec, un quasi-demi-pays sous surveillance fédérale constante, pendant que le reste du Canada passait le français au hachoir. Trop occupés que nous étions à ne pas disparaître, l'idée d'un pays bien à nous a été reléguée aux écrits et aux beaux discours pendant près d'un siècle. La revanche des berceaux offrait davantage de lendemains. Un jour, peut-être...
La révolution dite tranquille des années 1960 a provoqué un éveil. Un vrai cette fois. Le projet d'indépendance du Québec, rafraîchi par un contenu social progressiste, paraissait tout à coup réalisable. Mais on peut toujours compter sur nos «élites» pour rappeler au peuple qu'il faut diluer, temporiser, museler les «trop pressés», trouver des compromis susceptibles de rallier à moyen ou long terme cette majorité beaucoup trop silencieuse, voire hésitante. Quand on a procrastiné depuis tant de générations, on ne peut plus s'en empêcher.
La souveraineté est devenue la souveraineté-association. Qu'arrivera-t-il si le Canada anglais refuse l'association? Sais pas. On verra demain. Un jour. Et comme si ce n'était pas suffisant, on ajoute dans les années 1970 une étape : le passage référendaire. L'élection du PQ ne suffit plus pour aller de l'avant: le projet doit rallier une majorité dans un processus semé d'embûches face à un gouvernement fédéral tricheur et violent, et pire, avec une question que personne ne comprend et qui, selon toute vraisemblance, ne fait qu'amorcer de nouvelles négociations.
Après la déconfiture souverainiste de 1980, les fédéraux en position de force déclenchent la nuit des longs couteaux et imposent au Québec une nouvelle constitution contre son gré. Pas de procrastination ici. Pas de question complexe. Pas de référendum. Le bulldozer. Aujourd'hui. Maintenant. Que fait le Québec? Le beau risque en 1984, le lac Meech en 87, Charlottetown en 92. On tente de grignoter quelques concessions (ce qui n'est pas mauvais en soi), mais pas comme tremplin pour agir. Pour assurer d'autres lendemains.
Au référendum de 1995, en dépit des coups bas fédéraux et de la puissance du bloc francophobe d'anglos-assimilés, le Québec est passé à un cheveu près de joindre le concert mondial des nations indépendantes, pour aussitôt retomber dans la tergiversation. Plutôt que de proposer une gouvernance souverainiste immédiate, le PQ s'accroche à l'étape d'un référendum dont plus personne ne veut, repoussant de plus en plus un projet d'indépendance qui rallie de moins en moins les générations d'après révolution tranquille.
Les vieux réflexes s'enclenchent, à gauche et à droite, avec l'apparition de la CAQ autonomiste et Québec solidaire soi-disant indépendantiste. Il n'y a plus que l'ennemi qui tire sur le vaisseau amiral, désormais. Les autonomistes proposent d'augmenter les pouvoirs du Québec à l'intérieur du Canada. Mission impossible. On se heurtera à des «non» à chaque demande importante. Les solidaires assujettissent l'indépendance à leur idéologie faussement gauchiste et au multiculturalisme. Dans un cas comme dans l'autre, on procrastine. On pousse le Québec vers des impasses avec l'espoir d'autres lendemains.
Aujourd'hui, François Legault a très mauvaise presse au Canada anglais avec la Loi 21 sur la laïcité de l'État et la Loi 96 sur la langue française. Les accusations de racisme et de xénophobie, une véritable obsession chez les francophobes Canadian, pleuvent. Les contestations judiciaires s'amorcent et Ottawa entend s'opposer aux lois québécoises devant SA Cour suprême à l'aide de la Constitution qu'il a imposée au Québec. D'appel en appel, on reporte au lendemain le jugement ultime de cette tour de Pise judiciaire fédérale. Mais elle viendra. Que fera alors la CAQ devant un NON suprême? Que feront les indépendantistes de Québec solidaire quand l'aile fédéraliste les tassera un jour dans un coin comme de vieux débris identitaires et indésirables?
Je ne doute pas de la bonne foi de toutes ces gens qui cherchent, chacun à sa façon, de faire avancer la cause du Québec sans trop brusquer la majorité francophone, sans trop effaroucher les multiples franges de la francophobie canadienne. Mais le résultat, sur le fond, sera nul. Peu importe l'effort et la valeur de l'argument, tant que nous resterons dans ce pays nous serons minoritaires. Quand il y aura conflit, et que nos petites lois se trouveront au banc des accusés devant des juges nommés par la majorité anglaise du Canada, ou que le Parlement fédéral à forte majorité anglo-canadienne décidera de mettre son poids dans la balance, la décision ne nous appartiendra plus. Nous aurons procrastiné aussi longtemps que possible, pour heurter un mur de béton.
Quand le Parti québécois, quand les indépendantistes se décideront-ils enfin de poser la question comme il se doit à la majorité francophone du Québec? Sommes-nous ou non un peuple? Sommes-nous ou non une nation? Sommes-nous prêt, comme peuple, comme nation, à confier à une majorité anglo-canadienne le plus souvent hostile le droit de prendre pour nous des décisions essentielles pour le présent, pour notre avenir surtout? Quand l'ambassadeur du Canada aux Nations unies dénonce des lois québécoises sur la laïcité, qui va se lever pour défendre la nation québécoise à la tribune de l'ONU? Si la Cour suprême décide de charcuter la Loi 21 et la Loi 96, comme elle l'a fait pour la Loi 101, que fera le gouvernement québécois? Il n'y aura plus de lendemain possible.
Il faudra accepter que nous ne sommes pas maîtres chez nous, accepter notre sort de minoritaires, accepter aussi de sombrer lentement dans l'oubli de l'histoire. Ou, enfin, cesser de procrastiner, reconnaître que notre survie et notre avenir comme nation dépendent de l'indépendance. Assumer notre droit de décider seuls de notre avenir collectif sans avoir à demander des permissions à Ottawa ou aux autres provinces. Pas demain. Pas après-demain. Tout de suite. Voilà le message que le Parti québécois doit livrer aux indécis et aux récalcitrants. Il n'y aura plus de référendums, de négociations à 1 contre 11, de demandes à Ottawa ou de comparutions devant les cours fédérales. Au pouvoir, le PQ sera le gouvernement d'une nation souveraine. Vous me demandez où cela mènera? Je n'en sais rien. On verra au jour le jour.
Ce que je sais, c'est où procrastiner nous mènera. Nulle part!
Je comprends votre frustration, M. Allard, et je la partage. Péquiste depuis mon adolescence, j'ai tenté d'allumer la ferveur indépendantiste au sein de QS, pour me rendre compte que ce n'est pas vraiment quelque chose de prioritaire pour ce parti dominé surtout par des écolos et des féministes. QS a ajouté l'indépendance à son programme pour récupérer les péquistes découragés, comme moi, pas par conviction profonde. Avec un PQ dont la base vieillit inéxorablement et une CAQ qui, en comparaison avec le PLQ, est au moins nationaliste et autonomiste, la tiédeur de QS n'a rien d'encourageant. Ce qui les fait vibrer, c'est 1) l'urgence climatique (que je partage), dans le cas des écolos, et, dans le cas des féministes, particulièrement les plus radico-urbaines d'entre elles, 2) les droits des minorités sexuelles menacées par un patriarcat féroce qui opprime les femmes depuis des millénaires et que seules les non binaires et non genrées peuvent guider (je ne comprends même pas leur vocabulaire...). D'après ce que je peux comprendre, les non binaires sont les personnes qui ne savent pas trop si elles sont des femmes ou des hommes et qui se refusent à se laisser enfermer dans une binarité qui a fait son temps , qui est obsolète et qui étouffe un matriarcat féminin victimisé depuis la nuit des temps, etc., etc.... Bref, ce ne sont pas eux/elles/ça qui feront l'indépendance. J'en suis réduit à penser qu'une réelle autonomie est le plus que nous pouvons espérer pour l'instant et c'est l'option que je tente de faire connaître dans les milieux universitaires et politiques du Canada anglais. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?
RépondreEffacerVotre commentaire est très juste, mas j'aimerais savoir comment les québécois(es) qui devront cesser de procrastiner, de tataouiner, et prendre enfin leurs responsabilit0és une bonne fois pour toutes pour en finir avec ce divorce qui n'en fini plus, et qui nous affaibli de jours en jours..... jusqu'à assimilation complète, ce qui ne saurait tarder !!! Hélas !!!
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