mercredi 15 juin 2022

Quémander, c'est l'humiliation permanente!


À peu près personne ne lit le rapport annuel 2021-2022 du Commissaire fédéral aux langues officielles (CLO), Raymond Théberge (voir bit.ly/3HpUwsC). Et pourtant ce document terne en langue bureaucratique nous met en pleine face, chiffres à l'appui, l'hypocrisie du Canada anglais à l'endroit de ses collectivités de langue française, y compris la nation québécoise.

Au-delà de la petite (parfois minuscule) manchette annuelle que le rapport suscite, les médias de langue française peinent à gratter sous la surface. Quant à la presse anglo-canadienne, c'est l'indifférence totale. Et si parfois la population anglo-canadienne en entend parler, elle réagit le plus souvent avec un mélange d'ignorance et d'incompréhension, avec une pointe d'hostilité.

Les grands quotidiens du Canada anglais, à Toronto, Winnipeg, Calgary ou Vancouver, ont toujours plus d'appétit pour dénigrer et calomnier les lois linguistiques du Québec, en particulier la Loi 96, que pour éplucher avec soin les données du Commissariat aux langues officielles et d'avoir ainsi à informer leurs auditoires que les véritables racistes au Canada, ce sont peut-être les anglophones...

Évidemment, vous ne trouverez pas dans le rapport de M. Théberge la rhétorique engagée d'Impératif français. Si vous tentez de le lire tard le soir, bien étendu sur un canapé dans votre salon, vous tomberez endormi  avant d'avoir franchi l'introduction. Un exemple? Plus de 4000 plaintes ont été reçues pour protester contre le discours unilingue anglais de Michael Rousseau (Air Canada) et la nomination d'une gouverneure générale qui ne connaît pas le français. Le titre du chapitre? Bilinguisme officiel et postes clés de l'appareil fédéral... Un titre choc...

Comme pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le rapport annuel du CLO tente, sous un vocabulaire empreint de neutralité, de nous faire croire à une certaine symétrie entre la situation du français et de l'anglais au fédéral, ainsi qu'entre les minorités franco-canadiennes et les Anglo-Québécois.  Des exemples? En voici deux.

Au chapitre 2, le Commissaire écrit: «En 2021-2022, deux événements ont montré à quel point la nomination de personnes unilingues à des postes de haute responsabilité peut causer du tort à l’avancement des langues officielles au Canada.» Pourquoi ne pas avoir écrit «unilingues anglais»? Peut-on vraiment imaginer, dans ce pays, la nomination d'une ou d'un unilingue français comme Gouverneur général? Comme président d'Air Canada? Poser la question, c'est y répondre.

Encore au chapitre 2, on lit: «Ces incidents (la nomination de Mary Simon et le discours de Michael Rousseau) ont suscité des réactions très vives dans l’ensemble de la population canadienne.» Là on passe de la dissimulation au mensonge. Que ces affaires aient suscité «de vives réactions» ne fait pas de doute. Mais ces «vives réactions» émanent en quasi-totalité de francophones outrés. Des quelque 4000 plaintes reçues au sujet de l'unilinguisme anglais, combien, pensez-vous, provenaient d'anglophones de l'Ontario, du Manitoba ou de la Nouvelle-Écosse? Le rapport de M. Théberge ne le dit pas. On devine pourquoi... Alors, pour ce qui est de «l'ensemble de la population canadienne», on repassera...

De fait, des 5409 plaintes reçues en 2021-2022 au Commissariat fédéral des langues officielles, quelle proportion provenait de francophones? 80%? 90%? 95%? 99,4%? Ça non plus, ce rapport qui traite en principe de deux langues officielles n'indique pas de façon précise la répartition des doléances entre francophones et anglophones. Y a-t-il eu un seul Anglo qui s'est plaint de ne pas avoir été servi en anglais au fédéral? Si tel cas existe, ça mériterait une manchette au bulletin de nouvelles!

Le Commissaire Théberge, qui donne l'impression de nier les menaces qui pèsent sur le français au Québec, s'acharne dans son rapport à défendre la minorité anglo-québécoise comme si elle en avait besoin. Elle ferait face, selon le rapport annuel «à des défis qui menacent son épanouissement». Voilà une déclaration qui fait fi de la réalité! Le Commissaire, qui semble juger cette minorité exemplaire, note qu'elle est désormais bilingue à 66% alors que les Franco-Québécois ne le sont qu'à 42%. Mais c'est grossier comme commentaire!

Traversez la rivière des Outaouais et faites la comparaison avec l'Ontario. M. Théberge ne mentionne pas qu'à peine 10% des Anglo-Ontariens sont bilingues (français-anglais), alors que 90% des Franco-Ontariens le sont (et deviennent unilingues anglais de génération en génération dans une proportion de plus du tiers). S'il est normal que les anglophones ontariens ne connaissent pas le français, il devrait être aussi normal que la majorité des Franco-Québécois ne connaissent pas l'anglais sur un territoire où la langue officielle et la langue commune sont le français! 

Je note en passant que même selon les compilations du CLO, plus du tiers des Anglos du Québec sont unilingues anglais ou ne connaissent pas le français. C'est moins qu'avant mais c'est quand même beaucoup. Comparez encore avec l'Ontario, où moins de 10% des francophones ne connaissent pas l'anglais. M. le Commissaire Théberge, voilà la réalité et elle contredit la fiction que vous propagez au sujet d'une quelconque symétrie entre l'anglais au Québec et le français ailleurs au Canada.

Si on se donne la peine de lire toutes les pages, toutes les lignes (et entre les lignes) du rapport annuel du Commissariat aux langues officielles, on comprend très bien que seul le français se fait massacrer dans ce pays et que les francophones, tant ceux du Québec que des autres provinces, ne peuvent rien y changer. La majorité est anglophone et c'est elle qui prend les décisions. Elle contrôle le gouvernement fédéral et par extension, le Commissariat aux langues officielles.

Les minorités de langue française, victimes de leurs majorités anglophones provinciales depuis la Confédération, s'adressent à la majorité anglophone canadienne (!!!) pour réparer les torts et rétablir l'égalité du français dans la fédération. Les chances de victoire sont à peu près nulles, sauf quand la menace de sécession du Québec donne un peu plus de muscle politique à la francophonie canadienne. Et présentement, cette menace est quasi inexistante. 

Il y a des leçons à tirer de tout cela. Ne sommes-nous pas «tannés» de quémander à une majorité indifférente ou hostile des droits qui auraient dû être consacrés depuis fort longtemps? Le temps n'est-il pas venu de prendre ce qui nous revient là où nous sommes majoritaires? Tapez-vous quelques rapports du Commissaire aux langues officielles... Si vous voulez continuer à vivre dans un tel régime, tant pis... Si vous voulez le changer, vous verrez que cela se fera seulement là ou nous avons le droit de décider. Se satisfaire du droit de quémander, c'est se condamner à l'humiliation permanente!



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