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Capture d'écran du Journal de Montréal, 10 janvier 2023 |
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Cette citation sortie de l'oubli a obligé le CF Montréal à renoncer à l'embauche de l'entraîneur Sandro Grande. On comprend pourquoi. Mais ce qui chicote toujours, dans des situations similaires, c'est de savoir s'il s'agit d'un cas isolé ou la manifestation plus ou moins isolée d'une attitude répandue dans la société.
Dans le Journal de Montréal, le chroniqueur Mathieu Bock-Côté a porté un jugement clair là-dessus. «Nous sommes en droit de croire que les propos de Sandro Grande représentent un état d’esprit plus courant qu’on ne le dit», écrit-il. (voir le texte complet en cliquant sur le lien suivant: https://www.journaldemontreal.com/2023/01/10/le-cf-montreal-et-son-mepris-des-quebecois).
Cette question m'apparaît fondamentale et mérite d'être approfondie. Au Canada anglais, on a l'habitude de transformer sans preuve chaque incident de violence, de racisme ou de discrimination au Québec (et même ailleurs) en tare collective des francophones. Et pendant ce temps, les Anglo-Canadiens - drapés dans leur discours bien-pensant de la «diversité» multiculturelle - seraient blancs comme neige?
Les commentaires anti-francophones violents et haineux qui pullulent dans les pages des quotidiens de langue anglaise seraient, nous dira-t-on sûrement, le venin de franges fort minoritaires. Et pourtant on les voit par milliers, année après année, et les quotidiens continuent de les publier même quand leur extrémisme frise l'illégalité. La majorité, sans les appuyer, ne les dénonce pas et son silence est complice.
Depuis plusieurs années, pourtant, le Canada anglais - via son gouvernement à Ottawa - est en mode excuses. Comme si l'aveu de crimes passés allait lessiver la conscience collective. Reconnaître que le Parlement est construit sur un territoire algonquin «non cédé» mènera-t-il à une rétrocession du terrain aux Autochtones? Bien sûr que non. Plus souvent qu'autrement de vaines paroles, mais il y a là, tout de même, une reconnaissance d'injustices passées.
Cependant, ces gouvernements de la majorité anglo-canadienne ne distribuent pas les excuses également. Le regret d'avoir interné les Canadiens d'origine japonaise durant la Seconde Guerre mondiale ne s'étendra pas de si tôt aux centaines de Québécois indépendantistes internés sous l'effet des mêmes mesures de guerre durant la crise d'octobre 1970. L'étude de cette question est pertinente au débat actuel sur les propos de Sandro Grande et l'interrogation de M. Bock-Côté.
Les écrits de Pierre Elliott Trudeau, véritable père de la «multi-nation» anglophone et anglicisée du Canada de 2023, sont devenus la bible du gouvernement canadien à partir de 1968 et ont trouvé un terreau fertile dans un pays où la persécution des francophones (et du Québec) avait été la règle depuis plus d'un siècle. Trudeau père écrivait en 1964 dans Cité libre: «Les séparatistes désespèrent de pouvoir jamais convaincre le peuple de la justesse de leurs idées. (...) Alors ils veulent abolir la liberté et imposer la dictature de la minorité. (...) Et quand ça ne va pas assez vite, ils ont recours à l'illégalité et à la violence.»
Les chercheurs d'aujourd'hui auraient avantage à lire le livre Rumours of War du journaliste Ron Haggart et de l'avocat Aubrey E. Golden, publié dans le sillage encore brûlant de la crise d'octobre, en février 1971. Au-delà de leur compte rendu des événements, ils proposent une analyse de l'appui du Canada anglais et du silence des défenseurs traditionnels des libertés civiles au moment de l'emprisonnement sans mandat de centaines de Québécois principalement «coupables» d'avoir défendu le projet d'indépendance du Québec.
Le livre entier mérite d'être lu et relu. D'abord parce qu'il s'agit d'une oeuvre solide, mais aussi parce qu'il émane du Canada anglais. Je propose ici un paragraphe qui va au coeur de l'argument:
«Since fully 23 per cent of the voting population of Québec consisted in 1970 of "separatist sympathizers", the roundup and internment of known separatist sympathizers should have caused an upheaval of opposition among the libertarian leadership of English Canada. It did not, because English Canada had been conditioned (first of all by Trudeau's early writings) to believe that separatism meant violence and terror, and the conditioning was completed in October 1970. English Canadians did not have to face the issue that the War Measures Act was invoked only in small part to fight violence, and in larger part to suppress a legitimate political movement, because they had come to believe that that political movement was inherently, necessarily violent. The lasting, irreparable damage done to mutual understanding between the founding races (of Canada) would inevitably affect Canadians in the future. How could French and English ever again disagree rationally?»*
Indépendance = violence et terrorisme. Ce message de Pierre Elliott Trudeau fait maintenant partie de l'ADN du Canada anglais. Les esprits contemporains se diront plus rationnels mais le vieux triovirus séparatisme-violence-terrorisme rôde toujours dans les méandres du substrat anglo-canadien. Et il infecte avec plus de virulence, à l'occasion, les Richard Henry Bain et semblables... et leurs admirateurs, qui pourront ainsi voir dans la tentative d'assassinat d'une première ministre indépendantiste (ou l'emprisonnement de 500 indépendantistes innocents) un acte de légitime défense...
Saint Jude, patron des causes désespérées, priez pour nous...
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* traduction libre: «Étant donné que 23% de l'électorat québécois est constitué en 1970 de "sympathisants séparatistes", la rafle et l'internement de sympathisants séparatistes connus auraient dû bouleverser et soulever les dirigeants des mouvements de défense des libertés civiles au Canada anglais. Ce ne fut pas le cas, parce qu'on (notamment les écrits de Trudeau) avait appris au Canada anglais à croire que le séparatisme signifiait violence et terreur, et ce dressage avait été complété en octobre 1970. Les Anglo-Canadiens n'avaient pas à être confrontés au fait que la Loi sur les mesures de guerre avait été invoquée en grande partie pour supprimer un mouvement politique légitime, parce qu'ils avaient appris à croire que que mouvement était nécessairement violent. Les dommages irréparables et durables à la compréhension entre les deux races fondatrices (du Canada) seraient inévitablement ressentis par les Canadiens de l'avenir. Comment les francophones et les anglophones pourraient-ils revenir un jour à des désaccords rationnels?»
Ron Haggart & Aubrey E. Golden, Rumours of War, New Press, Toronto, 1971
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