Un entrefilet en page 2... rien de plus dans Le Devoir... |
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Personne ne conteste l'importance du nouveau Plan d'action fédéral pour les langues officielles (2023-2028) annoncé, ce matin du 26 avril 2023, à Ottawa. Dans un pays où l'une des deux langues officielles (le français, au cas où vous ne l'auriez pas deviné) agonise dans plusieurs provinces et décline partout, même dans le château-fort québécois, les orientations linguistiques quinquennales du gouvernement central et les milliards de dollars que celles-ci charrient sont toujours de très grosses pièces sur l'échiquier. Et pourtant...
Au sein du public, tant francophone qu'anglophone, la majorité des gens connaissent peu ou mal les enjeux, et même ceux qui semblent bien informés restent largement indifférents. L'intérêt médiatique est à l'image des auditoires. En matinée sur le Web, quelques manchettes annoncent (surtout en français) le Plan d'action pour les langues officielles, survivent quelques heures sur les pages d'accueil, puis disparaîtront en soirée. Même pas le temps d'une rose. Des reporters ont interviewé ministres, députés, fonctionnaires et dirigeants d'association concernées. Ces derniers ont commenté, décortiqué, louangé et / ou dénoncé les mesures ou l'absence de mesures. Ni applaudissements ni huées. Même au sein des médias sociaux, le débat ne lève pas... On dirait un combat de coqs devant des estrades vides.
Il me semble voir là un constat inquiétant. Que faut-il penser quand on ausculte le coeur de nos identités nationales, linguistiques et culturelles et qu'un public usé par des rengaines trop souvent répétées peine à garder les yeux ouverts? Cela permet à nos dirigeants, bien au faîte des humeurs nationales, de maquiller, dissimuler, désinformer, de mentir s'il le faut, sans crainte d'éveiller la colère des masses. Ainsi le premier ministre Trudeau et sa ministre des Langues officielles peuvent du même souffle affirmer le besoin de protéger le français au Québec et annoncer des mesures qui auront pour effet de contribuer à son déclin... Dire une chose et faire son contraire, s'en tirer avec quelques quelques questions embêtantes de journalistes de langue française auxquelles on répond dans la langue officielle du pouvoir... la langue de bois...
Mais se pourrait-il cependant que cette fois, sans le vouloir, Ottawa ait provoqué une étincelle qui puisse un jour enflammer d'anciennes braises encore rougeoyantes? Parfois les cicatrices de la réalité ne peuvent plus être maquillées. Pendant plus de 50 ans, en matière de «langues officielles», le gouvernement fédéral a voulu nous faire croire à une quelconque symétrie entre le français hors Québec et l'anglais au Québec. Dans les textes de loi comme dans les budgets, on s'efforce de donner aux Anglo-Québécois ce qu'on donne aux Canadiens français et Acadiens des autres provinces. Pauvres francophones hors Québec, persécutés, malmenés depuis 1867, en voie d'assimilation, il faut les aider. Pauvres anglophones du Québec, persécutés, malmenés depuis 1867, en voie d'assimilation? Vraiment? Ben voyons... C'est le contraire et à un certain moment, ça crève les yeux!
Alors voilà qu'en 2020, le gouvernement fédéral reconnaît enfin que l'anglais au Québec et le français dans les autres provinces, ce n'est pas le pile et le face de la même pièce de monnaie. Le français, avoue-t-on enfin, est la seule langue menacée, et ce, partout au pays. Même au Québec. C'est un aveu lourd de conséquences qui met sens dessus dessous les politiques fédérales de bilinguisme prônées comme textes d'évangile depuis la fin des années 1960. Mais entre la théorie et sa mise en oeuvre, il y a un gouffre. Des pratiques bien ancrées devront être bousculées dans les bureaucraties linguistiques, publiques et privées, fédérales et provinciales, d'un océan à l'autre. Les porte-parole anglo-québécois, en particulier, sont aux aguets. Ils auront beaucoup plus de difficulté à se déguiser en victimes dans une situation où la précarité évidente du français, à Montréal notamment, permet maintenant de chanter les vertus de la Loi 101 jusque dans les couloirs du Parlement fédéral.
La question se posait, donc. Comment traduire ce chemin de Damas des dirigeants fédéraux en textes de loi et en «mesures positives»? Le moment était bien ou mal choisi, selon les points de vue. Ottawa s'était engagé à moderniser la Loi sur les langues officielles et devait en même temps préparer le Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028. Et pour compliquer les choses, le gouvernement québécois a étalé sur la place publique sa position et une série de demandes en matière linguistique. En rétrospective, l'objectif à Ottawa semble assez clair: s'en tenir à quelques déclarations de principe qui feraient plaisir aux oreilles québécoises tout en s'agrippant le plus possible aux vieilles symétries des politiques bilingues de Pierre Elliott Trudeau.
Alors on insère quelques références pas trop menaçantes à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 (la nouvelle Loi sur les langues officielles) et des engagements de principe dans l'introduction du Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028, en espérant que cela suffise. Entre-temps, sur les 4 milliards $ dépensés en cinq ans dans les programmes de langues officielles, environ 800 millions $ iront aux Anglo-Québécois, et le reste sera réparti entre la francophonie hors Québec et l'immersion française. La boutique inaugurée en 1969 par Pierre Elliott restera ouverte. Le menu n'a pas changé, et la clientèle reste la même. Quelles «mesures positives», quels budgets pour la protection et la promotion du français au Québec? Chut... N'en parlez pas trop... parce qu'il n'y en a pas.
Cette semaine, cependant, quelques journalistes ont posé la question qui tue à quelques fonctionnaires, au premier ministre et à Mme Petitpas Taylor, la ministre des Langues officielles. Combien d'argent va aux Anglo-Québécois, combien à la francophonie québécoise, et surtout, appuyer l'anglais au Québec ne va-t-il pas nuire au français? Et les réponses sont consignées dans quelques reportages qu'il faudra conserver précieusement, parce qu'elles illustrent bien le dilemme des langues au pays. D'abord une fonctionnaire, parlant au nom de Patrimoine canadien, a précisé qu'environ 20% des nouveaux investissements en langues officielles dans le cadre du Plan d'action servaient à «appuyer l'anglais» au Québec. Que c'était la part habituelle des Anglo-Québécois. On peut donc supposer qu'environ 800 millions $ du quatre milliards (2023-2028) viendront «appuyer l'anglais» au Québec. Combien pour appuyer le français? Rien! Mais faut surtout pas le dire trop fort.
Un reporter a demandé à la ministre Petitpas Taylor si, en accordant ces centaines de millions aux Anglo-Québécois, elle croyait que l'anglais était menacé au Québec? Difficile de contourner celle-là. Elle a réussi à répondre et à ne pas répondre en même temps, en affirmant que seul le français est menacé... au Canada. La consigne de l'heure. Mais disons que c'était un «non» à la question. J'aurais immédiatement enchaîné et lui aurais demandé pourquoi, si l'anglais n'est pas menacé au Québec, donne-t-on tous ces millions aux Anglo-Québécois et rien aux francophones? Mais si quelqu'un s'est aventuré jusque là, je n'ai rien vu dans les reportages médiatiques. La question posée à Mme Petitpas Taylor a également été soumise au brave Commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, qui me paraît plutôt sympathique à la cause des Anglo-Québécois. Des millions à l'anglais, ça ne nuit pas au français? «C’est une question qui est extrêmement difficile à répondre. […] C’est une question qui reste à vérifier sur le terrain», a-t-il affirmé en mêlée de presse. Il a dû en suer un coup... Ces déclarations ont été enterrées dans deux ou trois reportages qui risquent d'être oubliés d'ici quelques jours, même par la plupart de ceux qui les ont lus... mais c'est bien une étincelle, tombée dans les braises...
Dans le Montréal Gazette, des porte-parole anglo-québécois ont tiré à boulets très rouges sur le nouveau Plan d'action parce qu'on y affirme que seul le français est en situation précaire, même au Québec, et aussi, me semble-t-il, parce qu'Ottawa paraît avoir négocié quelque ténébreux compromis avec le gouvernement québécois dans leur dos. Les dirigeants d'organisations francophones hors Québec sont généralement plus prudentes face à la main fédérale qui les nourrit. Sans l'aide financière d'Ottawa, elles ferment leurs portes. Et ces dernières années, elles ont conclu une alliance contre nature avec les Anglo-Québécois pour faire front commun. Y aura-t-il des fissures? Une rupture? En tout cas, au moins un dirigeant acadien d'importance, Alexandre Cédric Doucet, président de la Société d'Acadie du Nouveau-Brunswick, a trouvé louche qu'on accorde 20% des budgets à l'anglais au Québec quand cette langue n'est même pas menacée... Si le passé est garant de l'avenir, ses propos seront vite rangés à l'ombre, dans les archives. Mais c'est bien une étincelle, tombée dans les braises...
La question de l'heure, c'est de savoir si les défenseurs du français au Québec laisseront faire ou engageront le combat. À Ottawa, c'est un dossier en or pour le Bloc québécois, et même, jusqu'à un certain point, pour les députés conservateurs québécois. Le gouvernement québécois fera-t-il savoir officiellement son mécontentement? Le Parti québécois en fera-t-il un cheval de bataille? Les grandes organisations québécoises de défense du français (SSJBM, MQF, Impératif français, etc.), les centrales syndicales et les médias sonneront-ils la charge? Les réseaux sociaux embarqueront-ils? En ce moment, il n'y a pas grand chose à attendre des médias. Dans l'édition imprimée du Devoir du lendemain, 27 avril, qui aurait dû en faire grand cas, l'annonce du Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028 a eu droit à un simple entrefilet d'un paragraphe en page 2 (voir image au début du texte). Mais on ne sait jamais... Plus il y aura d'étincelles...
Pour le moment, ce débat qui couve est surtout frustrant. Tout le monde convient de sa grande importance, mais le dossier fédéral des langues officielles endort plus qu'il n'éveille. Des estrades vides. Un terreau idéal pour les grands mensonges, les grandes dissimulations.