jeudi 27 avril 2023

Langues officielles... Des estrades vides...

Un entrefilet en page 2... rien de plus dans Le Devoir...

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Personne ne conteste l'importance du nouveau Plan d'action fédéral pour les langues officielles (2023-2028) annoncé, ce matin du 26 avril 2023, à Ottawa. Dans un pays où l'une des deux langues officielles (le français, au cas où vous ne l'auriez pas deviné) agonise dans plusieurs provinces et décline partout, même dans le château-fort québécois, les orientations linguistiques quinquennales du gouvernement central et les milliards de dollars que celles-ci charrient sont toujours de très grosses pièces sur l'échiquier. Et pourtant...

Au sein du public, tant francophone qu'anglophone, la majorité des gens connaissent peu ou mal les enjeux, et même ceux qui semblent bien informés restent largement indifférents. L'intérêt médiatique est à l'image des auditoires. En matinée sur le Web, quelques manchettes annoncent (surtout en français) le Plan d'action pour les langues officielles, survivent quelques heures sur les pages d'accueil, puis disparaîtront en soirée. Même pas le temps d'une rose. Des reporters ont interviewé ministres, députés, fonctionnaires et dirigeants d'association concernées. Ces derniers ont commenté, décortiqué, louangé et / ou dénoncé les mesures ou l'absence de mesures. Ni applaudissements ni huées. Même au sein des médias sociaux, le débat ne lève pas... On dirait un combat de coqs devant des estrades vides.

Il me semble voir là un constat inquiétant. Que faut-il penser quand on ausculte le coeur de nos identités nationales, linguistiques et culturelles et qu'un public usé par des rengaines trop souvent répétées peine à garder les yeux ouverts? Cela permet à nos dirigeants, bien au faîte des humeurs nationales, de maquiller, dissimuler, désinformer, de mentir s'il le faut, sans crainte d'éveiller la colère des masses. Ainsi le premier ministre Trudeau et sa ministre des Langues officielles peuvent du même souffle affirmer le besoin de protéger le français au Québec et annoncer des mesures qui auront pour effet de contribuer à son déclin... Dire une chose et faire son contraire, s'en tirer avec quelques quelques questions embêtantes de journalistes de langue française auxquelles on répond dans la langue officielle du pouvoir... la langue de bois...

Mais se pourrait-il cependant que cette fois, sans le vouloir, Ottawa ait provoqué une étincelle qui puisse un jour enflammer d'anciennes braises encore rougeoyantes? Parfois les cicatrices de la réalité ne peuvent plus être maquillées. Pendant plus de 50 ans, en matière de «langues officielles», le gouvernement fédéral a voulu nous faire croire à une quelconque symétrie entre le français hors Québec et l'anglais au Québec. Dans les textes de loi comme dans les budgets, on s'efforce de donner aux Anglo-Québécois ce qu'on donne aux Canadiens français et Acadiens des autres provinces. Pauvres francophones hors Québec, persécutés, malmenés depuis 1867, en voie d'assimilation, il faut les aider. Pauvres anglophones du Québec, persécutés, malmenés depuis 1867, en voie d'assimilation? Vraiment? Ben voyons... C'est le contraire et à un certain moment, ça crève les yeux!

Alors voilà qu'en 2020, le gouvernement fédéral reconnaît enfin que l'anglais au Québec et le français dans les autres provinces, ce n'est pas le pile et le face de la même pièce de monnaie. Le français, avoue-t-on enfin, est la seule langue menacée, et ce, partout au pays. Même au Québec. C'est un aveu lourd de conséquences qui met sens dessus dessous les politiques fédérales de bilinguisme prônées comme textes d'évangile depuis la fin des années 1960. Mais entre la théorie et sa mise en oeuvre, il y a un gouffre. Des pratiques bien ancrées devront être bousculées dans les bureaucraties linguistiques, publiques et privées, fédérales et provinciales, d'un océan à l'autre. Les porte-parole anglo-québécois, en particulier, sont aux aguets. Ils auront beaucoup plus de difficulté à se déguiser en victimes dans une situation où la précarité évidente du français, à Montréal notamment, permet maintenant de chanter les vertus de la Loi 101 jusque dans les couloirs du Parlement fédéral.

La question se posait, donc. Comment traduire ce chemin de Damas des dirigeants fédéraux en textes de loi et en «mesures positives»? Le moment était bien ou mal choisi, selon les points de vue. Ottawa s'était engagé à moderniser la Loi sur les langues officielles et devait en même temps préparer le Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028. Et pour compliquer les choses, le gouvernement québécois a étalé sur la place publique sa position et une série de demandes en matière linguistique. En rétrospective, l'objectif à Ottawa semble assez clair: s'en tenir à quelques déclarations de principe qui feraient plaisir aux oreilles québécoises tout en s'agrippant le plus possible aux vieilles symétries des politiques bilingues de Pierre Elliott Trudeau.

Alors on insère quelques références pas trop menaçantes à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 (la nouvelle Loi sur les langues officielles) et des engagements de principe dans l'introduction du Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028, en espérant que cela suffise. Entre-temps, sur les 4 milliards $ dépensés en cinq ans dans les programmes de langues officielles, environ 800 millions $ iront aux Anglo-Québécois, et le reste sera réparti entre la francophonie hors Québec et l'immersion française. La boutique inaugurée en 1969 par Pierre Elliott restera ouverte. Le menu n'a pas changé, et la clientèle reste la même. Quelles «mesures positives», quels budgets pour la protection et la promotion du français au Québec? Chut... N'en parlez pas trop... parce qu'il n'y en a pas.

Cette semaine, cependant, quelques journalistes ont posé la question qui tue à quelques fonctionnaires, au premier ministre et à Mme Petitpas Taylor, la ministre des Langues officielles. Combien d'argent va aux Anglo-Québécois, combien à la francophonie québécoise, et surtout, appuyer l'anglais au Québec ne va-t-il pas nuire au français? Et les réponses sont consignées dans quelques reportages qu'il faudra conserver précieusement, parce qu'elles illustrent bien le dilemme des langues au pays. D'abord une fonctionnaire, parlant au nom de Patrimoine canadien, a précisé qu'environ 20% des nouveaux investissements en langues officielles dans le cadre du Plan d'action servaient à «appuyer l'anglais» au Québec. Que c'était la part habituelle des Anglo-Québécois. On peut donc supposer qu'environ 800 millions $ du quatre milliards (2023-2028) viendront «appuyer l'anglais» au Québec. Combien pour appuyer le français? Rien! Mais faut surtout pas le dire trop fort.

Un reporter a demandé à la ministre Petitpas Taylor si, en accordant ces centaines de millions aux Anglo-Québécois, elle croyait que l'anglais était menacé au Québec? Difficile de contourner celle-là. Elle a réussi à répondre et à ne pas répondre en même temps, en affirmant que seul le français est menacé... au Canada. La consigne de l'heure. Mais disons que c'était un «non» à la question. J'aurais immédiatement enchaîné et lui aurais demandé pourquoi, si l'anglais n'est pas menacé au Québec, donne-t-on tous ces millions aux Anglo-Québécois et rien aux francophones? Mais si quelqu'un s'est aventuré jusque là, je n'ai rien vu dans les reportages médiatiques. La question posée à Mme Petitpas Taylor a également été soumise au brave Commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, qui me paraît plutôt sympathique à la cause des Anglo-Québécois. Des millions à l'anglais, ça ne nuit pas au français? «C’est une question qui est extrêmement difficile à répondre. […] C’est une question qui reste à vérifier sur le terrain», a-t-il affirmé en mêlée de presse. Il a dû en suer un coup... Ces déclarations ont été enterrées dans deux ou trois reportages qui risquent d'être oubliés d'ici quelques jours, même par la plupart de ceux qui les ont lus... mais c'est bien une étincelle, tombée dans les braises...

Dans le Montréal Gazette, des porte-parole anglo-québécois ont tiré à boulets très rouges sur le nouveau Plan d'action parce qu'on y affirme que seul le français est en situation précaire, même au Québec, et aussi, me semble-t-il, parce qu'Ottawa paraît avoir négocié quelque ténébreux compromis avec le gouvernement québécois dans leur dos. Les dirigeants d'organisations francophones hors Québec sont généralement plus prudentes face à la main fédérale qui les nourrit. Sans l'aide financière d'Ottawa, elles ferment leurs portes. Et ces dernières années, elles ont conclu une alliance contre nature avec les Anglo-Québécois pour faire front commun. Y aura-t-il des fissures? Une rupture? En tout cas, au moins un dirigeant acadien d'importance, Alexandre Cédric Doucet, président de la Société d'Acadie du Nouveau-Brunswick, a trouvé louche qu'on accorde 20% des budgets à l'anglais au Québec quand cette langue n'est même pas menacée... Si le passé est garant de l'avenir, ses propos seront vite rangés à l'ombre, dans les archives. Mais c'est bien une étincelle, tombée dans les braises...

La question de l'heure, c'est de savoir si les défenseurs du français au Québec laisseront faire ou engageront le combat. À Ottawa, c'est un dossier en or pour le Bloc québécois, et même, jusqu'à un certain point, pour les députés conservateurs québécois. Le gouvernement québécois fera-t-il savoir officiellement son mécontentement? Le Parti québécois en fera-t-il un cheval de bataille? Les grandes organisations québécoises de défense du français (SSJBM, MQF, Impératif français, etc.), les centrales syndicales et les médias sonneront-ils la charge? Les réseaux sociaux embarqueront-ils? En ce moment, il n'y a pas grand chose à attendre des médias. Dans l'édition imprimée du Devoir du lendemain, 27 avril, qui aurait dû en faire grand cas, l'annonce du Plan d'action pour les langues officielles 2023-2028 a eu droit à un simple entrefilet d'un paragraphe en page 2 (voir image au début du texte). Mais on ne sait jamais... Plus il y aura d'étincelles...

Pour le moment, ce débat qui couve est surtout frustrant. Tout le monde convient de sa grande importance, mais le dossier fédéral des langues officielles endort plus qu'il n'éveille. Des estrades vides. Un terreau idéal pour les grands mensonges, les grandes dissimulations. 


mardi 25 avril 2023

Crier dans le désert...

La page une du dernier Droit imprimé, celui du 24 mars 2020

Je conserve précieusement l'édition du Droit du 24 mars 2020. C'est maintenant un objet de collectionneur, la toute dernière édition imprimée sur papier journal du quotidien qui desservait depuis 107 ans l'Ontario français et l'Outaouais québécois. On a cru que l'interruption de l'imprimé serait temporaire, pandémie oblige, mais on a compris par la suite que la COVID n'avait fait qu'accélérer la réalisation d'une intention arrêtée depuis on ne sait trop quand.

Le journal auquel j'ai consacré le coeur de ma vie professionnelle a continué de paraître quotidiennement en version numérique jusqu'au 18 avril 2023 pour devenir, à compter du lendemain, ce qu'on appelle désormais «un média d'information», une page Web sur laquelle on diffuse en continu textes et photos d'actualité. J'aurais bien voulu inclure une capture d'écran de la toute dernière édition du quotidien après 110 ans d'existence, mais je ne la trouve plus sur Internet. La page Web du Droit n'a pas de fonction archives et ne permet pas d'effectuer des recherches sur le site.

Je ne croyais pas voir un jour la pierre tombale du journal qui fut l'âme de l'information régionale pendant si longtemps. Mais le monument est bien là, gravé: Quotidien Le Droit, 27 mars 1913 - 18 avril 2023. On peut toujours lire les six pages de la première parution de 1913, à l'époque du Règlement 17 en Ontario, mais l'édition numérique du 18 avril 2023, mise en ligne il y a une semaine à peine, n'aura pas été conservée - du moins pas pour les yeux du public. N'est-ce pas là une parfaite illustration de la fragilité du numérique et de la permanence du papier qu'on a abandonné, presque avec enthousiasme, en 2020?

Je reste estomaqué devant l'indifférence de la collectivité journalistique d'ici face à la disparition bien entamée des quotidiens (et hebdos) imprimés. Les journalistes sont un rouage essentiel de la démocratie. Ils informent au quotidien les citoyens qui élisent et défont les gouvernements. Ils ont intérêt que l'information véhiculée soit bien comprise par le lectorat, et savent que chaque texte constitue une pièce du gigantesque casse-tête de l'histoire locale, nationale et mondiale. J'ai déjà assisté à des débats épiques sur l'importance accordée à une seule nouvelle d'une seule édition du journal. Alors aidez-moi à comprendre pourquoi on ne dresse pas des barricades sur les places publiques au moment où un quotidien congédie ses pressiers, puis, trois ans après, cesse complètement de publier!

D'aucuns diront que je martèle un clou qui ne s'enfonce pas... Ils ont peut-être raison, mais cela ne signifie pas que j'aie tort d'essayer. J'ai vécu assez longtemps pour avoir pu comparer l'expérience de lecture sur papier et sur écran, et l'imprimé a clairement le dessus. L'Internet multiplie les possibilités d'information et joue là un rôle de plus en plus essentiel, mais garder les yeux rivés sur un écran de tablette ou de téléphone pour s'informer n'arrive pas à la cheville de l'expérience sensorielle (et de la permanence) offerte par un journal papier.

Je tiens l'édition du 24 mars 2020 dans mes mains. Je la touche. Elle est bien réelle, physique, et sera tout aussi réelle demain, le mois prochain, dans dix ans. On ne peut en dire autant de l'information à l'écran, que l'on peut modifier à loisir ou carrément faire disparaître du jour au lendemain. Avec cette édition papier, j'ai 32 pages dans les mains que je peux feuilleter à loisir sans avoir à pitonner, sans avoir besoin d'électricité ou de batteries. Je vois une ou deux pages complètes et plusieurs articles (bien ordonnés) du même coup d'oeil. Vous me pardonnerez d'aller jusque là, mais le simple froissement des pages de papier journal que l'on tourne est un véritable baume pour l'oreille, comparé aux clics monotones de nos claviers. Et ceux qui, comme moi, ont travaillé. dans une salle des nouvelles et ont tenu des copies sorties des presses, encore chaudes, vous diront que l'odeur du papier et de l'encre fait partie de l'expérience de lire un journal.

La civilisation de l'imprimé compte plus de cinq siècles. Elle a fait ses preuves. Elle rejoint toutes les générations et ne requiert aucune compétence en informatique. En larguant le papier tels des apprentis sorciers munis de souris magiques, on largue des milliers de fidèles lecteurs qui n'ont pas accès aux écrans, ne savent pas les manier ou préfèrent tout simplement livres et journaux imprimés. Et ceux et celles qui s'habituent à lire sur de petits écrans sacrifient une grande partie du plaisir sensoriel de lecture, et, j'oserais croire, seront à la longue moins bien informés en butinant de façon interminable, d'une page à l'autre à l'autre à l'autre, sur leur tablette ou leur téléphone.

Je suis allé visiter la page Web du «média d'information» Le Droit ce matin (c'est sans doute la même chose pour les autres ex-quotidiens de Gesca / Capitales Médias / Coops de l'information) et je vois devant moi des liens à une multitude de textes, la plupart récents (de la veille), d'autres moins, tous sur la même grande page. Des textes du 17 avril côtoient des articles du 24 et 25 avril. Si je voulais savoir ce qui a été écrit hier pour les lecteurs et lectrices d'aujourd'hui, je ne saurais pas par où commencer. Je risque de prendre autant de temps à chercher dans ce fouillis qu'à lire. Pour obtenir un semblant de quotidien, j'écoute des bulletins régionaux et nationaux à la télé de Radio-Canada mais c'est beaucoup moins complet qu'un journal.

Je resterai abonné à la page du Droit, mais je m'ennuie de mon quotidien comme sans doute des dizaines de milliers d'autres résidants de l'Outaouais et de l'Est ontarien. Un trou béant est apparu dans l'information régionale et je refuse de le remplir avec les éditions papier des quotidiens anglais (et francophobes) d'Ottawa, le Citizen et le Sun. Je suis abonné à l'édition papier du Devoir qui, en matière de couverture de l'actualité, rétrécit d'année en année. Ne reste que le Journal de Montréal, un quotidien de nouvelles et de chroniques qui ne s'intéresse guère, comme tous les médias montréalais, à la région de Gatineau. Si j'étais jeune, et riche comme Bill Gates, je relancerais un journal quotidien papier dans cette région où vivent plus de 300 000 francophones. Le marché est là, le besoin est là. Mais la volonté n'y est plus...


lundi 24 avril 2023

Très bientôt, il sera trop tard...

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Capture d'écran du ministère québécois de l'Éducation en juillet 2012...

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Jean Charest et Philippe Couillard doivent être aux anges... Ces éminents fossoyeurs du français ne peuvent en prendre tout le mérite mais ils ont, chacun à sa façon, contribué à accélérer le déclin de l'unilinguisme français au Québec.

En février 2011, John James Charest, qui n'avait jamais si bien porté ses prénoms, annonçait la mise en oeuvre graduelle d'une demi-année d'anglais intensif (voir liens en bas de page) dans toutes les écoles primaires françaises du Québec. En mars 2014, durant la campagne électorale qui devait sonner le glas du PQ de Pauline Marois, le chef libéral Philippe Couillard, grand défenseur de McGill quand cette université voulait imposer des cours de médecine en anglais à Gatineau, annonçait son désir de rendre complètement bilingue la prochaine génération de jeunes Québécois francophones (voir lien en bas de page).

Ces politiques suicidaires du tandem Charest-Couillard avaient pour effet d'angliciser davantage un Québec où la langue officielle, le français, était déjà mal en point, menacée de toutes parts. Ces traîtres (il n'y a pas d'autre mot...) peuvent aujourd'hui se réjouir en apprenant que la proportion d'unilingues français* au Québec a chuté de 62,5% à 47,3% de la population totale entre 1951 et 2021, et que plus de 40% de cette dégringolade a eu lieu durant leurs règnes (2003-2018). Par ailleurs, durant la même période, soit entre les recensements de 2001 et 2021, la proportion d'anglophones unilingues* qui avait chuté après l'adoption de la Loi 101 a repris son ascension, passant de 4,6% à 5,3% entre 2016 et 2021...

Dans son document Population selon la connaissance des langues officielles et la géographie, 1951 à 2021 (voir lien en bas de page), publié en mars 2023, Statistique Canada nous a également appris que la proportion de Québécois bilingues français-anglais* avait connu une hausse spectaculaire entre 1951 et 2021: de 25,6% à 46,4%. N'allez jamais croire les ragots colportés par la presse anglo-canadienne, le Québec a toujours été et demeure la province la plus «bilingue» du Canada. Même après l'adoption de la Loi 101 (la Charte de la langue française), la proportion de Québécois qui connaissent l'anglais et le français a poursuivi sa croissance au même rythme. 

Parenthèse ici... Retour rapide aux années 1960. André Laurendeau, coprésident de la Commission B-B (commission d'enquête fédérale sur le bilinguisme et le biculturalisme), croyait que l'avenir d'un véritable bilinguisme au Canada dépendait de l'existence de «deux groupes unilingues» (un français, un anglais). Le bilinguisme mur à mur des collectivités constituerait ainsi, selon Laurendeau, «une situation transitoire qui se solde par l'assimilation linguistique du groupe le plus faible et le moins nombreux». L'avant-dernier Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, exprimait lui aussi une opinion similaire en 2016 (voir lien en bas de page). Selon eux, et ni un ni l'autre n'étaient indépendantistes, le déclin et l'éventuelle disparition d'une majorité unilingue chez les francophones québécois entraînerait l'anglicisation du Québec et l'unilinguisme anglais au Canada. Ce déclin, et Statistique Canada le démontre clairement, est amorcé.

Évidemment, les données mises de l'avant par Statistique Canada, notamment pour le Québec, ont besoin d'être mises en contexte. Par exemple, sans rappeler l'exode massif d'anglophones après l'élection du Parti québécois en 1976 et l'adoption de la Loi 101 l'année suivante, on se demandera pourquoi le nombre d'«unilingues» anglais au Québec a chuté de 10,5% à 6,7% entre les recensements de 1971 et 1981. Si j'étais expert comme mon ami Charles Castonguay, je nagerais plus facilement dans les océans de données disponibles des recensements fédéraux pour pondérer les chiffres sur l'unilinguisme et le bilinguisme par groupes d'âge. On découvrirait sans doute que les jeunes générations de Québécois francophones connaissent l'anglais bien plus que les générations plus âgées. Et cela augure mal pour l'avenir du français au Québec (et au Canada pour ceux et celles qui y croient toujours). Enfin, il serait important de brosser un tableau territorial de l'unilinguisme et du bilinguisme. Si les francophones sont  majoritairement bilingues dans la région montréalaise et en Outaouais, le péril y est nettement plus grand qu'à Rimouski ou Saguenay. 

Depuis 2018, la CAQ est au pouvoir et sa défense du français langue officielle-commune est nettement plus énergique que celle des libéraux, que l'électorat francophone a carrément largués. Mais à part le grignotage de la Loi 96, pas grand chose n'a changé. L'anglais intensif au primaire poursuit son petit bonhomme de chemin, les cégeps de langue anglaise débordent de francophones et d'allophones, Québec surfinance les universités de langue anglaise et le gouvernement Legault continue d'accepter que nos lois linguistiques soient jugées par des tribunaux hostiles nommés par le premier ministre fédéral en vertu d'une constitution que le Canada anglais a imposée au Québec. 

Alors je suis prêt à parier que je pourrais ajouter au document fédéral les résultats anticipés des recensements de 2026, 2031 et 2036 sans trop me tromper dans les grandes orientations. En 2036, la proportion de francophones* unilingues au Canada oscillera autour de 9%, un seuil où le caractère bilingue des institutions fédérales sera de plus en plus remis en question. Au Québec, la part des francophones unilingues* aura chuté sous les 40% et à l'extérieur du Québec, il ne restera que quelques minuscules poches d'unilinguisme français dans la péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick. Le bilinguisme collectif des francophones, au Québec et ailleurs au Canada, entraînera partout une accélération de l'assimilation. Et si le Québec n'a toujours pas réussi à se donner un statut souverain ou quasi, il sera trop tard. Too late...

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* précision sur les mots «unilingue» et «bilingue». On parle ici de la connaissance des «langues officielles» seulement. Ainsi, aux fins de la discussion, un citoyen qui ne connaît que le français et l'arabe devient unilingue français. La seule langue officielle qu'il connaît est le français. Celui ou celle qui ne parle qu'anglais et chinois sera classé unilingue anglais, selon le même raisonnement. Et celui qui connaît le français, l'anglais, l'espagnol, le portugais et l'allemand sera considéré bilingue français-anglais, au regard des langues officielles.

- lien à l'étude de Statistique Canada https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1510000401&pickMembers%5B0%5D=1.6&cubeTimeFrame.startYear=1951&cubeTimeFrame.endYear=2021&referencePeriods=19510101%2C20210101

- lien à mon éditorial «Fossoyeurs du français» dans le quotidien Le Droit, 25 février 2011 https://www.ledroit.com/2011/02/25/fossoyeurs-du-francais-226db8bcf25fe187f0df39f09b4c47e9/

- lien au texte TVA sur le discours inaugural de Jean Charest, 23 février 2011 https://www.tvanouvelles.ca/2011/02/23/une-quinzaine-de-promesses

- lien au dernier rapport annuel de Graham Fraser, ancien Commissaire fédéral aux langues officielles, 2015-2016 https://www.clo-ocol.gc.ca/fr/publications/rapports-annuels/2015-2016

- lien à mon texte de blogue sur le dernier rapport de Graham Fraser, 25 mai 2016 - https://pierreyallard.blogspot.com/2016/05/ou-sont-passes-les-medias.html

- lien aux propos de Philippe Couillard https://pierreyallard.blogspot.com/2014/11/un-quebec-de-moins-en-moins-francais.html

numérisation d'un texte du Devoir du 11 mars 2014


vendredi 21 avril 2023

André Laurendeau avait raison


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Statistique Canada voudrait sans doute pouvoir brosser un tableau optimiste de l'avenir du français au Canada, mais reste prisonnier de chiffres implacables. Le 21 mars 2023, l'organisme fédéral a une fois de plus livré des munitions à ceux et celles qui réclament une action urgente pour enrayer le déclin de la francophonie québécoise et pan-canadienne, avec la publication du document Population selon la connaissance des langues officielles et la géographie, 1951 à 2021 (voir lien en bas de page).

L'intérêt de ces données tient à sa description chirurgicale de l'évolution de l'«unilinguisme» français, de l'«unilinguisme» anglais et du «bilinguisme» à travers le Canada entre le milieu du 20e siècle et aujourd'hui. Entendons bien: il ne s'agit pas toujours, à proprement dire, d'unilinguisme. On parle ici de connaissance des «langues officielles». Ainsi, aux fins de la discussion, un citoyen qui ne connaît que le français et l'arabe devient unilingue français. La seule langue officielle qu'il connaît est le français. Celui ou celle qui ne parle qu'anglais et chinois sera classé unilingue anglais. L'autre qui connaît le français, l'anglais, l'espagnol, le portugais et l'allemand sera considéré bilingue français-anglais aux fins des langues officielles.

Retour rapide aux années 1960. André Laurendeau, l'inspiration et le coprésident de la Commission B-B (la commission d'enquête fédérale sur le bilinguisme et le biculturalisme), croyait que l'avenir d'un véritable bilinguisme pan-canadien reposait essentiellement sur l'existence de «deux groupes unilingues» (un français, un anglais). Le bilinguisme mur à mur des collectivités constituerait ainsi, selon Laurendeau, «une situation transitoire qui se solde par l'assimilation linguistique du groupe le plus faible et le moins nombreux». L'avant-dernier Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, exprimait lui aussi une opinion similaire en 2016.

L'étude récente de Statistique Canada présente en une quinzaine de tableaux plutôt déprimants la chute vertigineuse de l'unilinguisme français, à l'extérieur du Québec surtout, depuis les recensements de 1951 et 1961, s'accompagnant d'une forte hausse du bilinguisme et de l'assimilation chez les francophones. En 1951, les unilingues français (langues officielles) représentaient près de 20% de la population totale du Canada (19,6% plus précisément). En 2021, cette proportion oscille autour de 11% et baissera sous le seuil des 10% au cours des deux prochains recensements fédéraux. La part des bilingues s'est accrue (de 12,3% en 1951 à 18% en 2021), tout comme la proportion des unilingues anglais (de 67% à 69%). Il ne faudra pas creuser beaucoup pour découvrir que la majorité des nouveaux bilingues proviennent des collectivités francophones.

Les données compilées par Statistique Canada font aussi ressortir le contraste qui existe entre le Québec et les francophones des autres provinces et territoires, ainsi que certaines particularités au sein même de la francophonie hors Québec. Dans ce que l'organisme fédéral appelle le «Canada hors Québec», la présence d'unilingues français s'amenuise en proportion du total de la population mais aussi en chiffres absolus. De fait, elle est en chute libre, étant passée de 207 570 (2,1% de la population hors Québec) en 1951 à 107 610 (0,4%) en 2021. Pendant ce temps, le nombre d'unilingues anglais a grimpé de 9 millions en 1951 à environ 25 millions.

Pourquoi s'intéresser à l'unilinguisme français au sein des minorités franco-canadiennes? Parce que c'est un excellent indicateur, sur certains territoires et dans certaines collectivités, de la capacité de vivre normalement en français seulement. Sans avoir besoin de l'anglais au quotidien. En 1951, en 1961 même, on pouvait détecter des localités ou des régions - en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta - où des pochettes d'unilingues français témoignaient de la vitalité de la langue française. En 2021, à l'extérieur des régions du Madawaska et de la péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick, l'unilinguisme français a, à toutes fins utiles, disparu ou agonise.

De fait, environ 40% des unilingues francophones vivant à l'extérieur du Québec demeurent dans un grand arc entre la région d'Edmundston (Madawaska) et les villes et villages de la péninsule acadienne, au Nouveau-Brunswick. Par exemple, dans la paroisse péninsulaire de Shippagan, plus de 3300 des 4785 résidents sont unilingues français... Les Acadiens du sud-est (Moncton, Dieppe, etc.) sont davantage bilingues et même, de plus en plus anglicisés.

Ainsi, des 107 610 francophones unilingues (langues officielles) hors Québec, plus de 55% demeurent au Nouveau-Brunswick même si cette province ne représente que le quart de la francophonie pan-canadienne hors Québec. Les Acadiens du N.-B. ne devraient pas se réjouir trop vite, cependant, car même si certains territoires restent très francophones, le nombre total d'unilingues français au Nouveau-Brunwick est passé de 101 000 en 1951 à 60 000 en 2021 (de 19,5% à 7,9% de la population de la province).

La seule autre province canadienne où il subsiste quelques pochettes relativement francophones, c'est l'Ontario, particulièrement dans les régions de l'Est et du Nord les plus rapprochées du Québec. Par exemple, en 1951, dans les comtés de Prescott et Russell (l'est de la province entre Ottawa et la frontière québécoise en allant vers Montréal) la moitié de la population totale était unilingue française (14% était unilingue anglaise). Aujourd'hui, la proportion d'unilingues français a culbuté à 13%, alors que la proportion d'unilingues anglais est passée à 21%... Il ne faut donc pas se surprendre que pour l'ensemble de l'Ontario, selon Statistique Canada, le nombre de francophones unilingues (langues officielles) ait chuté de 95 000 en 1961 à 39 000 en 2021.

Il n'est plus possible, sauf rares exceptions, de vivre normalement en français en Ontario. Tous les quartiers urbains franco-ontariens ont disparu depuis 1951. Au regard du nombre d'unilingues anglais (de 4 000 000 en 1951 à 12 000 000 en 2021), la présence d'un certain unilinguisme français en Ontario est devenue insignifiante sur le plan statistique. Alors, si on ajoute les effectifs unilingues français du Nouveau-Brunswick à ceux de l'Ontario, on s'aperçoit qu'à peine 7,6% des unilingues français hors Québec (un peu plus de 8 000 personnes) vivent dans les dix autres provinces et territoires. Les anciennes communautés qui servaient de support à une vie française dans l'Ouest canadien et les Maritimes se sont bilinguisées et s'anglicisent à vue d'oeil. En Saskatchewan, il y avait en 1951 plus de 4 600 francophones unilingues. Il n'en reste en 2021 que 445...

Je reviendrai sur la situation au Québec, qui mérite une analyse à part. Une conclusion s'impose cependant. André Laurendeau avait raison!

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Lien à l'étude de Statistique Canada - https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1510000401&pickMembers%5B0%5D=1.7&cubeTimeFrame.startYear=1951&cubeTimeFrame.endYear=2021&referencePeriods=19510101%2C20210101

jeudi 20 avril 2023

Tristesse, colère, sympathie...

Gatineau, ce 20 avril 2023

Je suis triste de ne plus avoir de quotidien de langue française (Le Droit) depuis hier. Je suis en colère devant la désinformation fleurie qu'on déverse à pleine pelle pour me convaincre du contraire. Et j'ai une pensée spéciale pour les braves journalistes toujours en poste qui doivent composer avec la langue de bois des Coops de l'information.

Plus on sort l'encensoir, plus il faut se méfier. J'ai appris ça au fil des décennies en journalisme. Alors quand la direction du Droit (et des autres quotidiens de CN2i) parle de «grande fierté», d'«expérience de lecture inégalée», de la «richesse de nos contenus», et d'une «toute nouvelle expérience, plus dynamique», je suis aux aguets.

Depuis le 24 mars 2020, il n'y a plus d'édition papier, à l'exception d'un magazine le samedi (et cela disparaîtra à la fin de l'année). Depuis le 22 mars 2023, il n'y a plus d'entreprise Le Droit. Les six coopératives locales d'information se sont fusionnées. Le 1er avril, on a appris que les jours de l'édition imprimée du samedi étaient comptés. Et voilà que le 18 avril 2023 on met fin aux éditions quotidiennes numériques. Que restera-t-il? Après les multiples jets d'encens, on retrouve cette petite conclusion: «le concept (...) ressemblera davantage à notre page Web.» Voilà, Le Droit sera désormais une page Web payante...

J'ai tenté ce matin cette «expérience de lecture inégalée». Si ce que j'ai vu est bien ce qui sera désormais, eh bien parlons-en! Quand j'avais un quotidien imprimé, je l'ouvrais sur la table de cuisine ou ailleurs et je pouvais feuilleter et lire en tournant les pages grandeur nature, que je voyais en entier d'un seul coup d'oeil. Avec l'édition numérique quotidienne, je devais à coups d'index passer d'un texte à l'autre, et pour le lire il fallait le faire défiler sur un écran trop petit pour visionner l'ensemble de l'article. Mais le journal était toujours là.

Voilà qu'on me promet maintenant une «expérience de lecture inégalée» à l'aide d'un «des outils les plus performants de l'industrie, à l'échelle planétaire» (rien de moins!). Une amélioration garantie semble-t-il. Mais non. C'est pire encore, bien pire même que l'édition numérique qu'on a balancée à la poubelle. On se trouve devant un site ou une vaste page Web où les abonnés doivent choisir, un à la fois, dans un menu éparpillé, les articles du jour (et de plus anciens) qui sont susceptibles de les intéresser, les ouvrir un à un, les fermer un à un, retourner au menu, et recommencer jusqu'à découragement. Fini le journal du 20 avril 2023 qu'on feuillette du début à la fin!

Se souvenant un peu du coeur de la mission quotidienne d'un journal comme Le Droit, la direction ajoute comme si de rien n'était: «Vous aimez lire notre édition quotidienne, élaborée par notre équipe éditoriale (sic)? On a pensé à vous.» C'est à s'étouffer! Les lecteurs s'abonnent depuis 110 ans uniquement pour lire l'édition quotidienne préparée par l'équipe de rédaction et tous les artisans des différents service du journal. C'est la raison d'être du journal! Qu'on écrive une telle sottise me dépasse. Quoiqu'il en soit, pour ceux et celles qui «aimez lire notre édition quotidienne», chaque journal de la Coop CN2i propose la rubrique «nos choix» (les «meilleurs» articles de la journée, pas les plus importants), et un condensé de l'actualité dans une infolettre par courriel, matin et soir. Je ne conteste pas la valeur de ces deux options, si elles étaient ajoutées à l'édition quotidienne, mais elles la remplacent...

Silence médiatique

Après nous avoir dit au début d'avril que ces changements se faisaient «avec nous et pour nous», en évitant bien sûr de nous consulter ou de nous annoncer quelle forme prendraient les modifications, la disparition soudaine des éditions numériques quotidiennes ne semble avoir provoqué que de rares réactions. De fait, c'est le silence un peu partout. La FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec) n'a pas levé le petit doigt pour susciter un débat là-dessus. Quelques sections régionales de la FPJQ (Outaouais, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Québec) ont émis de brefs communiqués d'inquiétude. Les autres médias, Québécor, Le Devoir, Radio-Canada, etc., semblent ignorer ce qui se passe à l'extérieur de Montréal. La plus grande tragédie de notre histoire médiatique se déroule sous leurs yeux, et ils restent aveugles!

Six quotidiens viennent de disparaître et on semble se satisfaire de la langue de bois des Coops de l'information. Si Power/Gesca ou Gestion Capitales Médias avaient fait le coup, on aurait dressé des barricades partout. Mais... bruits de criquets...

Quelqu'un se lèvera-t-il pour défendre le droit des Québécois de l'Outaouais et des Franco-Ontariens de conserver le quotidien qui les a incarnés, informés et protégés pendant près de 110 ans? Semble pas. Mais on ne sait jamais... Les braises sont toujours chaudes...


mardi 18 avril 2023

La folie de Poilièvre...


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Pierre Poilièvre joue à l'apprenti sorcier. Pire, il s'amuse avec des allumettes dans une poudrière. Les effets de son appel à Twitter, demandant que le réseau d'Elon Musk identifie CBC comme un média financé par le gouvernement (government-funded media), contribueront à précipiter sa chute... et celle du Parti conservateur du Canada.

Son intention est on ne peut plus claire. Il veut détruire la CBC (Canadian Broadcasting Corporation), vue comme outil de propagande du gouvernement libéral de Justin Trudeau. Et il cherche des alliés. Twitter, ayant déjà collé ses «traumavertissements» sur les pages de réseaux publics comme la BBC et NPR, a dû lui sembler un partenaire idéal. Elon Musk a exaucé son voeu.

Depuis samedi, sur le compte Twitter de CBC (mais pas celui de Radio-Canada), on indique qu'il s'agit d'un government-funded media. Cet avis a été modifié le lendemain à 70% government-funded media, puis à 69% government-funded media. Twitter n'a pas consulté CBC et des demandes d'explication au réseau Musk ont eu comme seule réponse un émoticône de caca.

Pas besoin d'avoir inventé le bouton à quatre trous pour comprendre le sens de cet avertissement. Twitter laisse entendre, sans le dire de façon explicite, qu'un financement «gouvernemental» signifie une influence politique indue qui risque de saper l'indépendance des médias publics. La question est légitime, mais cette manière de l'exprimer est simpliste et, à la limite, malhonnête.

Le plus énorme mensonge véhiculé par l'avertissement de Twitter, c'est de laisser croire que les médias qui ne sont pas financés par les fonds publics ont davantage d'autonomie ou d'indépendance en matière de reportages, d'analyses ou d'éditoriaux. N'importe quel journaliste (je parle pour mon métier) apprend vite que TOUS les médias subissent TOUS les jours des influences de partout, internes et externes.

Les médias, privés ou publics, savent très bien qu'on ne mord pas impunément la main qui nous nourrit. Les journaux quotidiens qui dépendent en grande partie des revenus publicitaires piétineront avec beaucoup de prudence les plates-bandes des principaux annonceurs et feront preuve d'hésitation avant de heurter de front les préférences du lectorat payant. Il en va de même pour la télé et la radio publiques.

Dans le secteur privé autant que dans le domaine public, les médias qui font partie de chaînes ou de réseaux doivent composer avec les orientations décidées d'en haut. Et elles déteignent. Radio-Canada baigne à l'excès dans les directives d'EDI (Égalité, diversité, inclusion) jusque dans ses émissions d'information. Mais les journaux de chaînes comme Postmedia au Canada anglais ou des stations de télé affiliées à Fox News aux États-Unis sont aussi tenues de respecter des lignes directrices indigestes, même dans les salles des nouvelles.

Personne ne niera que les gouvernements peuvent avoir la main lourde. Mais cela dépend des régimes et des gouvernements. Je n'ai pas d'atomes crochus avec Justin Trudeau, mais il n'a rien en commun avec le quasi-dictateur Poutine, en Russie. Ou Xi Jinping, en Chine. Il faut faire la part des choses. En démocratie, les constitutions, lois et conventions collectives (quand il y a des syndicats) garantissent une bonne marge d'autonomie à des réseaux comme CBC/Radio-Canada, du moins en matière d'information. Twitter n'en tient pas compte dans ses mises en garde enfantines.

C'est vrai que même ici, parfois, les gouvernements se servent de leur poids politique et financier pour influencer les médias, jusque dans le secteur privé. J'étais journaliste parlementaire à Ottawa durant la crise d'octobre 1970 et durant les mesures de guerre, les menaces de censure  du gouvernement Trudeau étaient bien réelles. Il en est résulté beaucoup d'autocensure. Et que dire d'aujourd'hui, alors que des journaux privés comptent sur l'aide financière des gouvernements pour éviter la faillite? Faudrait-il coller de petits avertissements sur leurs comptes Twitter?

Revenons à Pierre Poilièvre et à ce qui le coulera dans cette affaire. À l'instar de la droite américaine et du grand capital qu'elle défend, il présente le «gouvernement» comme une puissance extérieure au peuple, une puissance qui opprime le peuple et qu'il faut, par tous les moyens possibles, réduire à sa taille minimale. S'en libérer. Privatiser, définancer. Alors que la réalité est contraire. Le grand capital et le régime économique qu'il soutient tirent les plus gosses ficelles. Il n'y a qu'une seule institution où le public détient un certain pouvoir, dans la mesure où il veut l'exercer bien sûr, et c'est l'État. En démocratie, les gouvernements et législatures représentent l'ensemble des citoyens (ou ont le potentiel de le faire), et non les milliards de puissants intérêts privés ayant comme seul objectif de remplir leurs poches. 

M. Poilièvre et les conservateurs qui l'appuient dans sa croisade anti-CBC découvriront, durant la prochaine campagne électorale, que la population anglo-canadienne sait parfois faire la part des choses, et qu'elle reste sans doute profondément attachée à cette institution qui lui appartient depuis les années 1930 et qui constitue le plus important rempart contre sa totale américanisation. Le problème pour CBC, c'est que l'un de ses principaux défenseurs soit le gouvernement de Justin Trudeau, qui n'a guère plus de crédibilité en la matière que les hordes d'extrême-droite.

Quant à l'avertissement affiché par Twitter, on pourrait tout au moins exiger (à moins que le mépris d'Elon Musk ne l'aveugle) qu'on supprime «government-funded» et qu'on le remplace par «publicly-funded», pour au moins reconnaître que le financement est adopté par le Parlement, et ce, en vertu de lois auxquelles ont été soumises les gouvernements tant libéraux que conservateurs. Et qu'on ajoute, pour tous les médias privés, une indication de la principale provenance de leur financement. Le fait que Twitter réponde à des interrogations par un émoticône de caca reflète bien la valeur de son avertissement: c'est de la marde !


samedi 15 avril 2023

Faut-il taire notre passé catholique?


Cette déclaration de François Legault, comme le texte de Mathieu Bock-Côté qu'elle commente, sont bien intentionnés et comportent une part de vérité. Mais l'une et l'autre sont incomplets et peuvent porter à confusion. Dans un contexte où la laïcité est lancée comme une grenade, à gauche et à droite, devait arriver ce qui arriva. Boum!

S'il reste de chaque côté de la clôture des gens qui cherchent à comprendre plutôt qu'à louanger ou condamner, je propose de retourner au vécu d'une époque dont j'ai connu la fin. Je n'ai pas grandi au Québec mais je crois que la vie collective dans mon petit îlot francophone d'Ottawa ressemblait de bien des façons à celle d'un quartier urbain de la région montréalaise. Même langue, même religion, repères culturels similaires, mêmes valeurs transmises.

Veut, veut pas, à peu près tout le monde était catholique. Pas tous pratiquants mais baptisés. Enfant, dans les années 1950, je récitais des prières tous les jours. Je fréquentais l'école paroissiale, très catholique bien sûr. J'allais à la messe avec mes parents tous les dimanches, comme mes amis et leurs parents. J'ai été servant de messe pendant trois ans (j'ai dû servir près de 1000 messes). J'ai toujours mon vieux missel. On se rendait à l'église en soirée pour le mois de Marie (le mois de mai). On devait interrompre les jeux quotidiennement pour dire le chapelet à 7 heures du soir. 

Les rues étaient décorées et les maisons pavoisaient pour la procession annuelle de la Fête-Dieu et pour la St-Jean-Baptiste (fête religieuse et nationale). Le sous-sol de l'église, principal lieu de rencontre des associations paroissiales canadiennes-françaises, accueillait les danses, les bingos et autres activités communautaires. Il y avait des crucifix dans tous (ou presque tous) les foyers. On devait écrire JMJ (Jésus-Marie-Joseph) dans les marges de nos cahiers scolaires et les bons devoirs étaient récompensés par un petit ange collé sur la page.

On baignait dans la religion catholique, jusque dans notre langage. À ma première visite en Floride, où j'étais allé seul, en voiture, à l'âge de 25 ans, je me promenais dans le stationnement d'un centre commercial de St. Petersburg, m'ennuyant un peu, quand j'ai entendu au loin des «câlisse de tabarnak». Des Québécois! Des gens de chez nous. Les jurons profanent souvent ce qu'un peuple a de plus sacré. Je n'ai jamais aimé sacrer, mais tout autour de nous, on dépeçait avec enthousiasme les autels de ces églises dont les clochers marquaient notre empreinte collective depuis des siècles.

Mais rien de tout cela ne concerne la théologie. Ces phénomènes relèvent plutôt de la sociologie, du vécu national, de la société canadienne-française catholique devenue québécoise laïque. Le fait que je sois tombé dans la marmite religieuse quand j'étais petit n'a pas fait de moi un croyant ou un pratiquant (tout au plus un espérant), mais je porte toujours en moi la mémoire du vécu, les valeurs humaines transmises, les repères communs, le langage partagé, les anciennes solidarités. Quand nous, Québécois, nous rencontrons, à Gaspé, Gatineau, Montréal, Paris ou Venise, nous nous reconnaissons. Nous sommes de la même grande famille culturelle. Et nous nous sommes laïcisés côte à côte. Ensemble. 

Voilà, je pense, ce que voulait exprimer le gazouillis de François Legault et la chronique de Mathieu Bock-Côté*. Si on veut discuter des mérites de la théologie catholique ou du rôle tantôt libérateur, le plus souvent oppressif qu'a joué l'Église catholique au Québec et au Canada français, allons-y. J'aurai tendance à être sévère et rien ne pourrait ébranler aujourd'hui mes convictions laïques. Mais l'héritage socioculturel qu'a transporté au fil des siècles notre vie autour des clochers de l'Église catholique a contribué à façonner la nation, à faire de nous ce que nous sommes. Et comme l'histoire de chaque peuple est unique, la nôtre nous distingue en effet à l'échelle continentale, comme l'affirme M. Legault. À l'échelle planétaire, aurait-il pu écrire.

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* Mathieu Bock-Côté, Éloge de notre vieux fond catholique, Journal de Montréal, 7 avril 2023 https://www.journaldequebec.com/2023/04/07/eloge-de-notre-vieux-fond-catholique


vendredi 14 avril 2023

Olymel, Fonderie Horne. À quoi sert l'État québécois?

Capture d'écran du Journal de Québec

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La situation créée par l'annonce de la fermeture de l'usine Olymel à Vallée-Jonction et par les vagues menaces de fermeture de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda a surtout mis en lumière la totale impuissance de l'État québécois. Un vrai gouvernement de lavettes, prompt à plier devant les grandes entreprises même quand cela va clairement à l'encontre des intérêts citoyens dont ils ont la garde pour quatre ans.

Le gouvernement québécois a tous les pouvoirs en main pour obliger la Fonderie Horne à cesser d'empoisonner la population à l'arsenic et pour empêcher la fermeture de l'usine d'abattage d'Olymel à Vallée-Jonction. L'État détient son mandat des citoyens et a le devoir d'agir en fonction de l'intérêt public. Québec peut intervenir de façon décisive pour assainir l'air à Rouyn-Noranda et protéger les emplois à Vallée-Jonction en utilisant un pouvoir dont personne ne semble vouloir parler: la prise en charge de ces entreprises par l'État québécois. Plus clairement, les nationaliser!

Si, en 1962, René Lévesque s'était mis en mode CAQ pour négocier avec les entreprises privées d'hydro-électricité, ces dernières auraient continué pendant des décennies à exploiter le peuple québécois et à remplir les poches de leurs actionnaires au détriment des citoyens et du Trésor public. Car, et ça tous, toutes le savent, le grand capital (même coopératif) se moque de l'intérêt public. Seules comptent les marges de profit. Respirez notre arsenic ou on vous mettra au chômage. Vous avez voulu faire la grève et revendiquer? Eh bien maintenant, souffrez! Votre santé? Vos familles? Vos villes, villages, collectivités? Les propriétaires s'en fichent et Québec les laisse faire!

Le gouvernement Legault a investi 150 millions$ de fonds public dans l'entreprise Olymel en 2021, et apparemment cela ne confère à l'État aucune influence. Nous sommes «de tout coeur avec les travailleurs d'Olymel». Voilà qui résume bien l'attitude de nos dirigeants élus. L'État québécois va les «accompagner» jusqu'au bureau du chômage et l'assistance sociale. Ah oui, j'oubliais, on va créer quelques comités (toujours des comités...) et la ministre de l'Emploi a «insisté» pour qu'Olymel offre «le soutien psychologique nécessaire» aux employés qu'on met à la porte. Mais c'est un scandale public!

Selon le texte de La Presse, l'usine d'Olymel à vallée-Jonction aurait besoin de 40 millions $ à très court terme pour pouvoir continuer de fonctionner de façon rentable. Québec a déjà mis 150 millions $ dans la cagnotte. Et combien coûteront à l'État les séquelles de cette fermeture... en dollars, en détresse, en dislocation du tissu social, etc.? Selon le journal Les affaires, la fermeture est décriée de toutes parts mais personne ne semble avoir songé à la nationalisation comme solution immédiate. Par leur État, les citoyens du Québec doivent dire à Olymel: vous voulez détruire la vie, le gagne-pain de toute une région de la Beauce? Eh bien voici un chèque et partez! Le gouvernement de ces citoyens est maintenant propriétaire et fera ce qu'il faut. Peut-être cela ébranlerait-il Olymel...

Capture d'écran de Radio-Canada

Quant à la Fonderie Horne, Québec est non seulement coupable d'inaction immédiate, il est devenu carrément complice des empoisonneurs en leur permettant de jeter dans l'air plus longtemps des concentrations d'arsenic 24 fois supérieures à la norme de santé. Un gouvernement responsable obligerait la Fonderie à se conformer aux règles sans délai. En cas de refus ou de menace de fermeture, l'Assemblée nationale adopterait rapidement un projet de loi pour acquérir de force l'entreprise et la rendre conforme aux normes de santé à la vitesse grand V. Voilà comment on traite des empoisonneurs.

Nous sommes tellement habitués à nous faire piler dessus que nous avons oublié les pouvoirs que nous confère la démocratie. Les entreprises doivent se soumettre aux décisions de l'État, et non le contraire. Les citoyens, par leurs élus, n'ont pas à accepter de respirer de l'arsenic ou de perdre leur gagne-pain pour protéger les marges de profit d'actionnaires ou propriétaires qui ne respirent pas d'arsenic et qui ne perdront pas leur gagne-pain. Coudonc, à quoi sert notre État?


mercredi 12 avril 2023

Lire hier pour comprendre aujourd'hui...

Capture d'écran du quotidien Le Droit, avril 1973...

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La principale faiblesse des textes d'information médiatiques tient, quant à moi, à l'absence (sauf exception) de contexte historique. Ce problème n'a rien de récent, mais le virage numérique de nos journaux l'a accentué. Jadis, avec l'imprimé, les centres de documentation des quotidiens conservaient dix, vingt, trente années et plus de coupures de presse pour les principaux dossiers d'actualité mondiale, nationale et locale. Au quotidien Le Droit (celui que je connais le mieux), et sans doute ailleurs, ces chemises remplies d'articles de journaux et de photos, outils précieux pour les journalistes, ont été détruites et avec elles, une partie de la mémoire collective.

Ces rédactions de milliers de reporters reposent dans l'oubli le plus total à moins de fouiller presque à l'aveuglette, comme des moines, dans les archives numériques, vieille édition par vieille édition, page par page. Plus souvent qu'on pense, ce qui s'est passé il y a un siècle, et encore davantage il y a un demi-siècle, éclaire les manchettes de 2023. Pour en faire la démonstration, je suis retourné voir les éditions des 10 et 11 avril 1973 du Droit et j'ai vite déniché une dizaine de textes qui auraient pu servir à étoffer la rédaction de nouvelles d'aujourd'hui sur les situations pénibles vécues par les francophones au sein de la fonction publique fédérale et dans le milieu scolaire franco-ontarien.

La Loi sur les langues officielles

Au moment où le Parlement fédéral s'apprête à adopter une nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles (LLO) de 1969 dans l'espoir de freiner le déclin du français partout au pays, y compris au sein de la fonction publique fédérale, il serait sans doute opportun de rappeler les récriminations et engagements du premier Commissaire aux langues officielles, Keith Spicer, captés en avril 1973 par des reporters du Droit.

Quatre ans après l'adoption de la LLO, M. Spicer estimait que cette loi devait produire des résultats concrets «d'ici deux ou trois ans» afin que les politiques du gouvernement Trudeau, et plus particulièrement la Loi sur les langues officielles, conservent leur crédibilité. Il estimait que les Canadiens français «cesseraient de croire aux efforts que déploie le gouvernement fédéral pour implanter le bilinguisme dans la fonction publique s'ils ne voyaient pas de résultats tangibles et concrets d'ici deux ou trois ans». Et doit-on se surprendre que le Commissaire mentionne notamment les «injustices linguistiques» subies par les francophones à Air Canada? Cinquante années plus tard, les plaintes continuent de s'empiler...

Keith Spicer soulevait une question qui reste au coeur des obstacles qui se dressent toujours devant l'utilisation élargie de la langue française au sein de l'administration fédérale: la compréhension des enjeux et la volonté d'ébranler l'hégémonie de l'anglais. «Il est attristant de constater combien la Loi sur les langues officielles, en vigueur depuis trois ans et demi, est ignorée par ceux-là mêmes qui ont pour mission de l'appliquer», affirme le Commissaire. Les choses ont-elles fondamentalement changé depuis l'époque de Pierre Elliott Trudeau?

Les luttes scolaires en Ontario

Les données du dernier recensement, celui de 2021, ont mis en lumière le déclin catastrophique des francophones à l'extérieur du Québec et du Nouveau-Brunswick, un déclin qui - en Ontario et ailleurs - ne se manifeste plus uniquement en pourcentages, mais en chiffres absolus. Il serait opportun, pour bien saisir l'évolution, de retourner vers un passé pas si lointain (avril 1973) pour comparer la situation des Anglo-Québécois roulant en Cadillac scolaires, et celle des Franco-Ontariens toujours à pied dans d'éternels nids-de-poule racistes. Dans Le Droit du 11 avril 1973, on retrouve trois articles sur les luttes étudiantes à Cornwall, dans l'Est ontarien, et à Elliot Lake, davantage au nord de la province. Les ultimes soubresauts des jeunes générations que les séquelles du Règlement 17 n'avaient pas fini d'assimiler...

Élèves franco-ontariens en grève à Cornwall

À Cornwall, les 750 élèves franco-ontariens de l'école secondaire bilingue St-Laurent venaient de reprendre leurs cours après une grève de trois semaines pour appuyer leur exigence d'une école secondaire française dès la rentrée scolaire de 1973. Le climat était tendu dans cette école, réservée aux anglophones le matin et aux francophones l'après-midi. «Maintenant les francophones ne peuvent pas entrer à l'école avant 1 h 05 de l'après-midi», précisait Jacques-Paul Gagnon, un membre du comité étudiant franco-ontarien. Quand celui-ci a essayé d'entrer un peu plus tôt que 13 h 05 dans l'école, «un groupe d'étudiants anglophones l'a fait sortir», ajoute le texte du Droit

Le Conseil scolaire de Stormont, Dundas et Glengarry (responsable de cette école) s'était réuni la veille et avait dû de nouveau faire face à la grogne étudiante franco-ontarienne. Étalant leur ignorance crasse des organisations francophones de l'Ontario, les commissaires anglophones ont voté en bloc (contre les commissaires francophones) pour demander une enquête sur la section locale de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO), qui avait offert une aide financières aux élèves en grève. Un des commissaires francophones avait demandé à l'auteur de la demande d'enquête s'il savait ce qu'était l'ACFO. «Non, je ne le sais pas», a répondu ce dernier.

Alors, quand on constate qu'à l'époque du conflit de 1973, près de 40% de la population de Cornwall était francophone et qu'on apprend qu'en 2021, cette proportion est tombée à 21% (18 165 personnes de langue maternelle française en 1971, contre 9953 en 2021), il serait fort utile de savoir qu'il y avait jadis une collectivité franco-ontarienne vibrante à Cornwall et que l'usure à la suite de luttes comme celles de 1973 contribue, du moins en partie, à expliquer un taux d'assimilation qui dépasse les 50% un demi-siècle plus tard.

Politique d'assimilation à Elliot Lake

Alors que la situation demeurait volatile à Cornwall, un autre conflit scolaire de même nature se poursuivait à Elliot Lake, une petite ville située entre Sudbury et Sault Ste-Marie, au nord du lac Huron. Le Droit annonce qu'une cinquantaine d'élèves du secondaire de l'endroit iraient manifester à Queen's Park (Toronto) pour que les 200 étudiants franco-ontariens de leur école soient regroupés dans une aile homogène française de leur établissement soi-disant bilingue. Quelque 300 parents francophones avaient assisté la veille à une réunion houleuse pour se plaindre de la détérioration de la situation de leurs enfants, alors que la direction de l'école avait annoncé l'abandon de cinq cours donnés en français.

L'annulation de ces cours obligeait les élèves francophones à s'intégrer au secteur anglais pour obtenir leur diplôme d'études secondaires, ou à s'exiler hors de la région pour trouver une école française. Selon les élèves, précise Le Droit, «cette annulation de cours s'inscrit dans le cadre d'une politique d'assimilation de la part de la direction d'école. Selon ces derniers, la direction emploie tous les moyens possibles pour obliger les étudiants de langue française à s'inscrire au programme anglais après la 10e année». Ces événements survenus en 1973 font partie d'une histoire à ne pas oublier, une histoire qui aide à comprendre pourquoi, en 2021, le taux d'assimilation des francophones d'Elliot Lake dépasse les 60%...

Le français devant les tribunaux

Pouvez-vous imaginer, dans le West Island montréalais, en 1973 (enfin peu importe la date), que des anglophones se soient vu refuser le droit de plaider et d'être jugés en anglais devant les tribunaux québécois? On aurait crié au scandale, au racisme, on aurait appelé l'ONU à la rescousse. Mais pour les Franco-Ontariens, il était impossible d'utiliser le français devant les tribunaux de l'Ontario, même dans les régions où ils étaient majoritaires ou à forte présence (comme à Ottawa). Et personne ne s'en offusquait au Canada anglais...

Dans son édition du 11 avril 1973, Le Droit rapporte que le député libéral provincial d'Ottawa-Est, Albert Roy (un ancien Fransaskois devenu Ontarien), venait de déposer à l'Assemblée législative de l'Ontario un projet de loi privé pour permettre l'usage du français dans les cours de justice, et ce, dans les régions où les francophones forment au moins 10% de la population. Ses efforts ont éventuellement porté fruit, quelques années plus tard. En 2016, le chroniqueur Denis Gratton écrivait: «Si l'usage du français est aujourd'hui permis dans les cours de justice de l'Ontario, c'est grâce à lui (Albert Roy)».

Début de désintégration de l'ACFO

Le début des années 1970 a vu la lente, puis rapide désintégration des anciennes organisations franco-ontariennes, et notamment l'organisme parapluie de la collectivité, l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO), fondée en 1910. Des divergences régionales, depuis toujours présentes, se manifestent avec plus d'acuité. Le Droit du 11 avril 1973 annonce que la région du Timiskaming songe à se retirer de l'ACFO pour former une organisation plus attentive aux besoins des francophones du Nord de l'Ontario. On n'a jamais créé une telle organisation et les taux d'assimilation à New Liskeard, au coeur de cette région du Timiskaming, dépassent aujourd'hui le seuil de 40%.

Au Québec pour apprendre le français

Enfin, on apprend le 11 avril 1973 que des élèves d'école secondaire unilingues anglais du Conseil scolaire d'Ottawa passeront la moitié de juillet à Québec pour tenter d'acquérir les rudiments de la langue française. On précise que le programme se déroulera exclusivement en français, même durant les heures de repas et les pause-café...

Enfin, j'ai noté avec beaucoup de tristesse que l'exercice de fouiller dans les journaux d'il y a un demi-siècle, fort instructif par ailleurs, sera impossible en 2073. Il n'y a plus de journaux papier dans la plupart des régions du Québec et rien ne garantit que les éditions numériques de 2023, façonnées avec des salles de rédaction réduites et logées dans les nuages de l'Internet, seront toujours accessibles sans avoir été tripotées...


mardi 11 avril 2023

Gatineau contre l'égalité des femmes...

Capture d'écran du site Web de la Ville de Gatineau (10 avril 2023)
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Dans les officines du pouvoir municipal, et sans doute ailleurs, ils.elles.iels.ielles ne comprennent pas... ou refusent de comprendre! Le titre de cette publicité de la Ville de Gatineau (voir lien en bas de page et image ci-dessus) évoque le vivre-ensemble, mais ce message télévisé met à l'avant-plan un symbole d'intégrisme religieux qui accentue le vivre-séparément, le refus de l'inclusion, le rejet des «autres», le combat contre la laïcité et qui, surtout, martèle l'infériorisation de la femme.

Je soupçonne que la plupart de ceux (et celles) qui se font avocats du port du voile musulman sous toutes ses formes (foulard, hijab, tchador, burqa) feignent d'être partisans de la «diversité» parce qu'ils sont en minorité dans le pays ou la société où ils vivent. L'expérience dans de nombreux pays ou coins de pays où ces intégristes sont devenus majoritaires, ou détiennent le pouvoir, démontre qu'ils sont beaucoup moins réceptifs aux demandes de tolérance et d'acceptation de leurs propres minorités religieuses, souvent opprimées et persécutées.

Et que dire du traitement des femmes. Une moitié de l'humanité que ces intégristes n'hésiteront pas à asservir. Leur médecine, portée à ses extrêmes, écrase les femmes afghanes et iraniennes. Au mieux, les rebelles sont ostracisées. Au pire, elles croupissent en prison ou se font tuer. Même ici, au Québec, on voit de plus en plus des fillettes à qui les parents imposent un voile qui n'est jamais, au grand jamais, signe d'une volonté de «vivre-ensemble». Il est devenu, au Canada anglais, la bannière du combat contre la laïcité québécoise. Mais il est surtout une manifestation de plus en plus visible d'un refus de la valeur la plus fondamentale de nos chartes constitutionnelles: l'égalité de l'homme et de la femme.

En présentant comme modèle de vie des femmes voilées dans sa publicité sur le vivre-ensemble, la Ville de Gatineau affirme son rejet officiel de l'égalité des sexes et insulte les femmes musulmanes (la majorité?) qui ne portent pas le voile ainsi que toutes celles, très nombreuses, qui le combattent quotidiennement sur la place publique partout au Québec, y compris dans la métropole de l'Outaouais. Je ne conteste pas la liberté des femmes musulmanes de se soumettre dans leur vie privée au diktat des bonzes mâles de leur religion, d'accepter d'être infériorisées sur la place publique, mais d'aucune façon ne peut-on transformer ce rejet ostentatoire d'une valeur fondamentale et commune de la société en volonté de «vivre-ensemble». 

Dans son texte de présentation, la Ville de Gatineau parle du «vivre-ensemble» comme outil d'«intégration sociale». L'intégrisme religieux, qu'il soit musulman, chrétien, juif ou autre, constitue bien davantage un rejet de l'intégration sociale. Les valeurs religieuses sont trop souvent utilisées comme refus des valeurs citoyennes. Que la Ville de Gatineau nous propose un tel modèle est inacceptable, voire révoltant.

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Lien à la page «Inclusion, diversité et vivre-ensemble» de la Ville de Gatineau - https://www.gatineau.ca/portail/default.aspx?p=guichet_municipal/inclusion_diversite_vivre_ensemble&requete=vivre&ref=haut-de-page


mercredi 5 avril 2023

Avec et pour vous? Expliquez-moi ça!


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Dans son édition imprimée du samedi 1er avril, le journal Le Droit publiait un message pleine page signé par la directrice générale Sylvie Charette et portant sur ce qu'on appelle depuis un certain temps la «transition numérique» du quotidien de Gatineau/Ottawa. En langage plus clair, on parle ici des funérailles et de l'enterrement du quotidien papier agonisant. Sur la pierre tombale virtuelle, on écrira en grosses lettres 1913-2020 pour le quotidien imprimé, et en petits caractères 2020-2023 pour l'édition magazine papier du samedi...

Mais au Droit comme dans les cinq autres quotidiens de la coopérative CN2i, comme au vaisseau amiral du numérique, La Presse, comme au Devoir dont la transition semble amorcée, et sans doute aussi comme aux quotidiens de Québécor, il n'y a plus grand monde pour s'exprimer clairement. Dans les années 1970, aux États-Unis, on appelait ça du Nixon-speak. Maquiller ou dissimuler la réalité en lançant des slogans plutôt vides mais vendeurs... du moins perçus comme vendeurs.

Le premier paragraphe donne le ton. «Le Droit et les Coops de l'information amorcent une nouvelle étape dans la transition numérique, et vous, abonnés, annonceurs et partenaires commerciaux, faites partie de l'équation.» Une nouvelle étape signifie qu'il existe des étapes antérieures et laisse entrevoir des étapes futures. Un processus, quoi, dont les abonnés (entre autres) font apparemment partie. Et pourtant, à ma connaissance, on ne les a jamais consultés à ce sujet.

Le Droit a interrompu en catastrophe l'impression du journal quotidien le 24 mars 2020 à cause de la pandémie de COVID-19. Le message pleine page dans l'ultime édition imprimée était très clair là-dessus. «Compte tenu de la fermeture de presque toutes les entreprises au Québec et en Ontario, nous vous avisons que nous maintiendrons la publication de nos éditions imprimées le samedi seulement jusqu'à nouvel ordre.»

On dit sans équivoque qu'il s'agit d'un «plan d'urgence». «Nous sommes désolés des inconvénients que cette situation exceptionnelle occasionne», précise le quotidien. Plan d'urgence, jusqu'à nouvel ordre, situation exceptionnelle... Ai-je mal compris ou laisse-t-on entendre qu'il s'agit d'une mesure temporaire et qu'un jour le papier reviendra? Est-ce que cette annonce du 24 mars 2020 ressemble à une première étape planifiée d'une transition numérique? Pas du tout. Si c'était l'amorce d'une transition planifiée, mais simplement devancée par la COVID, on s'est bien gardé de l'avouer.

Or, voilà qu'en ce 1er avril 2023 (quel choix de jour!), on affirme que toutes les parties prenantes - y compris les abonnés - «font partie de l'équation». Que signifie «faire partie de l'équation»? Comme français ça laisse à désirer, mais c'est surtout une expression dont le sens peut être très élastique. De quelle équation parle-t-on? Et que signifie exactement «faire partie»? Il me semble qu'on évoque une transition en cours, comprise par l'ensemble des joueurs, à laquelle participent l'ensemble des joueurs. On me dira sans doute que j'ai mal compris... Pourtant, le titre dit bien en grosses lettres «Avec et pour vous!»

Deuxième paragraphe... «Nous dévoilerons bientôt un site Web plus convivial et une application mobile mise à jour en temps réel. Ces lancements sont faits avec le seul et unique souci d'améliorer l'expérience des lecteurs.» Le site Web actuel n'est pas suffisamment convivial? Et que signifie une application mobile mise à jour en temps réel? Sais pas. Quant au «seul et unique souci d'améliorer l'expérience des lecteurs», permettez-moi de conserver une petite gêne. La quasi-totalité des «transitions» que j'ai vues au cours du dernier demi-siècle avaient pour but d'augmenter les revenus des journaux. Et plus souvent qu'autrement, accompagnées de pertes d'emploi...

Troisième paragraphe... «Le Droit accompagne l'évolution de la région de Gatineau, Ottawa et tous les environs depuis 1913. Ce faisant, le journal se transforme aussi. C'est dans notre ADN de nous réinventer au rythme du monde qui nous entoure.» Passons sur l'emploi du mot réinventer, devenu nauséeusement omniprésent. Bien sûr, les journaux évoluent, changent avec le temps, avec l'actualité, avec les nouvelles technologies. Mais de là à suggérer que la réalité du papier imprimé et celle, virtuelle, des images manipulables sur de petits écrans partagent le même ADN... c'est gros, très gros... indigeste même.

Quatrième paragraphe, l'un des pires... «Aujourd'hui, nous sommes une fois de plus conviés à un rendez-vous avec l'Histoire. La fin du support imprimé ne correspond pas à la fin de l'information locale, bien au contraire! C'est le début d'un nouveau chapitre pour Le Droit.» J'aimerais bien savoir ce qu'est l'histoire avec un H majuscule, et à quelles occasions antérieures elle nous a conviés à des rendez-vous. Le «une fois de plus» était sans doute de trop. Quant à l'expression «support papier» pour désigner 500 années de civilisation de l'imprimé, elle reste comme une arête dans la gorge. Ces milliards de mots qui ont façonné l'Histoire mondiale et locale n'auraient jamais vu le jour sans encre et papier. Que du haut d'à peine 30 années volatiles d'Internet on puisse qualifier le noble papier multi-centenaire de simple «support» me fait penser à Icare qui, grisé par le vol et l'altitude, perdit ses ailes et plongea dans la mer...

Sixième paragraphe... «Soyez rassurés, Le Droit continuera de vous accompagner.» Ce n'est pas le genre de propos que l'on tient à des abonnés qui «font partie de l'équation». Ils sont censés avoir déjà été mis au courant... et non inquiets que Le Droit puisse cesser de les accompagner... Septième paragraphe... «Tout est en place pour garantir notre pérennité, avec votre soutien.» C'est quoi, ce «tout» qui est en place et pour lequel on réclame «notre soutien»? Quant à «garantir notre pérennité», voilà bien une promesse en l'air. Aucun journal, du New York Times à Le monde au Droit, ne peut garantir sa pérennité. Il y a un peu partout des cadavres de journaux jadis prestigieux.

Dernier paragraphe... «Notre promesse ne change pas, et vous, abonnés, annonceurs et partenaires, avez toujours fait, faites encore et ferez toujours partie de l'équation.» Encore cette équation non définie dont les abonnés sont censés «faire partie» depuis toujours... Demandez aux abonnés qui restent, depuis l'abandon du papier, s'ils se sont sentis «partie de l'équation»? Il y aura beaucoup de haussements d'épaule. Quant aux promesses, cela me fait penser au dernier message du directeur général de l'époque, Éric Brousseau, le 10 mars 2020, deux semaines avant l'abandon du papier en semaine: «Nous allons bientôt mettre en oeuvre le virage numérique... Pour les nostalgiques qui préfèrent la version papier, n'hésitez pas à vous réabonner.» Au-delà du mépris envers les abonnés qui préfèrent le papier, traités cavalièrement de «nostalgiques», il y a là une promesse de continuer à imprimer le journal. «Notre promesse ne change pas». Poisson d'avril.

Je suis un inconditionnel du Droit. J'y ai passé les plus belles années de ma carrière professionnelle et je resterai abonné peu importe ce qu'on m'offre à l'avenir. Mais je refuse de passer sous silence des messages remplis de clichés et de dissimulations. On ne sauvera pas Le Droit en déformant l'histoire et la réalité du présent. 

Je termine avec la dernière phrase du message: «La version imprimée sera vendue dans tous les commerces jusqu'à la fin.» Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'avant même la fin de l'année, peut-être en avril, en juillet, en octobre, des abonnés se fassent dire qu'on ne livrera plus le journal du samedi à leur domicile, et qu'ils devront, pour le lire, aller l'acheter dans un commerce. Ce serait tout à fait dans l'esprit du message. Ça fait sans doute partie de l'équation, dirait-on. Jusqu'à la fin!





dimanche 2 avril 2023

Hé les vieux! Un ultime assaut?

Moi, en 1973... (Photo Michel Lafleur)

Il y a 50 ans, j'étais jeune. Journaliste, syndicaliste. Les cheveux longs, la barbe. Frais sorti d'années contestataires aux sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Solidaire des Afro-Américains, des Vietnamiens, des mouvements de libération en Amérique latine. Dynamisé par l'élection de Salvador Allende au Chili. Coude à coude avec les partisans de l'indépendance, de l'unilinguisme français et de la laïcité au Québec (même si j'étais alors franco-ontarien). Vivant d'espoir que le socialisme démocratique viendrait à bout des dictatures et du capitalisme débridé autour du monde. En un mot, à gauche!

Je n'étais pas seul. Ma génération était en voie de devenir le fer de lance d'un vaste mouvement, issu de la Révolution tranquille, qui menaçait d'ébranler le socle de nos anciens asservissements, tant à Québec qu'à Ottawa. Les ténors d'un fédéralisme intransigeant à la Trudeau et les défenseurs du statu quo économique nous voyaient monter aux barricades avec anxiété. Ce n'est pas un hasard si plusieurs des nôtres ont été emprisonnés durant la crise d'octobre. Nos opinions étaient jugées séditieuses. La véritable démocratie a toujours été séditieuse. Ici, ailleurs, partout.

Nous croyions à nos chances de réussite. Nous semblions portés par un élan irrésistible. Avec l'élection du Parti québécois en 1976, la victoire pointait à l'horizon. On avait sous-estimé le pouvoir, la ténacité et la mauvaise foi de l'adversaire. La Loi 101 a été charcutée par les tribunaux fédéraux. Avec la nuit des longs couteaux de 1981, le reste du pays nous a imposé une camisole de force constitutionnelle. Même un faible compromis comme Meech a été saboté sans merci. Au référendum de 1995, les forces du Non (Ottawa en tête) n'ont pas hésité à violer toutes les règles du jeu pour nous arracher notre pays... Depuis près de 30 ans, l'usure a refroidi les braises des anciens combats. En ce printemps de 2023, où va-t-on?

Autour de la planète, les victoires de la gauche ont été rares et peu contagieuses. Les Noirs luttent toujours pour l'égalité et la justice aux États-Unis. Les Vietnamiens ont repoussé les Américains mais attendent toujours la démocratie. Allende a été assassiné et les Latino-Américains, pour la plupart, n'ont pas échappé aux griffes de puissants capitaux étrangers. Le projet d'un Québec indépendant, français et laïc stagne. Les vieux intégrismes religieux (musulmans, juifs, chrétiens) empoisonnent de nouveau nos sociétés et nos lois. De nouvelles rectitudes politiques charrient de nouvelles censures, jusque dans les universités. Les technologies modernes nous asservissent plus qu'elles ne nous libèrent.

Dans une situation semblable, on devrait pouvoir s'attendre que les jeunes montent au front pour reprendre le flambeau porté par les générations précédentes. Pour mener à terme l'oeuvre inachevée, en marche depuis plus de 250 ans. Pour que les efforts consentis par des millions de Québécois et Canadiens français depuis la conquête de 1760 n'aient pas été en vain. Parce que le but est noble. La démocratie. La souveraineté. L'égalité de tous les humains. La laïcité de l'État. La justice. La paix. Pour permettre aussi à notre petit peuple de s'affirmer au sein du concert des nations, d'apporter notre modeste contribution à la diversité mondiale. 

Malheureusement, rien ne semble indiquer que nos plus jeunes générations aient suffisamment l'étoffe de combattants. Elles connaissent mal notre histoire. Ont trop souvent peu de respect pour la langue et la culture françaises transmises au prix d'efforts parfois herculéens. Sont à l'occasion obnubilées par les rectitudes politiques de l'heure, par les motifs voilés d'un soi-disant multiculturalisme, par tous ces écrans qui les accaparent. Ont perdu de vue ce qu'est véritablement la gauche et la démocratie. Une génération où les étincelles jaillissent encore, de temps à autre, pour s'éteindre dans une mer d'indifférence...

Je ne cherche pas à défendre outre-mesure ma vieille génération. J'ai 76 ans et quand je fais le bilan de notre présence sur cette terre nord-américaine, je suis obligé de conclure que nous avons échoué là où ça comptait le plus. Mais au moins, il me semble, nous avons essayé!

Aujourd'hui, cette génération des années 1960 et 1970 vieillit. Vieillit vite, même. Nous commencerons bientôt à croupir dans des résidences pour personnes âgées et des CHSLD. Mais j'ai la conviction que les braises du combat historique demeurent plus chaudes chez nous qu'ailleurs, et que notre attroupement de boomers n'a peut-être pas dit son dernier mot. Une mission finale, avant la décrépitude? Une dernière fois au front pour fourbir les armes (au sens figuré) de la relève qui franchira le Jourdain à notre place?

Nous avons des connaissances. Un vécu aussi. Des idéaux que nous avons portés quand la vie était devant nous, des idéaux qui méritent un engagement renouvelé. Nous sommes encore suffisamment nombreux pour peser dans les débats de l'heure. Je ne sais pas comment, individuellement et collectivement, les vieux pourraient faire basculer des enjeux aujourd'hui, mais cela vaut bien un débat, une réflexion, un dialogue. Je ne veux pas mourir en voyant mon peuple s'éteindre à petit feu. Mon coeur et mon cerveau ont toujours 20 ans... quand il le faut. Et j'ai la conviction de ne pas être seul.

Hé les vieux, un dernier sursaut? Un ultime assaut?

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Note en bas de page... J'avais écrit ce texte de blogue à la fin de 2020, alors que l'attention était toujours fixée sur la pandémie.. Je l'ai mis à jour parce que je le crois toujours pertinent...