Gatineau, ce 20 avril 2023
Je suis triste de ne plus avoir de quotidien de langue française (Le Droit) depuis hier. Je suis en colère devant la désinformation fleurie qu'on déverse à pleine pelle pour me convaincre du contraire. Et j'ai une pensée spéciale pour les braves journalistes toujours en poste qui doivent composer avec la langue de bois des Coops de l'information.
Plus on sort l'encensoir, plus il faut se méfier. J'ai appris ça au fil des décennies en journalisme. Alors quand la direction du Droit (et des autres quotidiens de CN2i) parle de «grande fierté», d'«expérience de lecture inégalée», de la «richesse de nos contenus», et d'une «toute nouvelle expérience, plus dynamique», je suis aux aguets.
Depuis le 24 mars 2020, il n'y a plus d'édition papier, à l'exception d'un magazine le samedi (et cela disparaîtra à la fin de l'année). Depuis le 22 mars 2023, il n'y a plus d'entreprise Le Droit. Les six coopératives locales d'information se sont fusionnées. Le 1er avril, on a appris que les jours de l'édition imprimée du samedi étaient comptés. Et voilà que le 18 avril 2023 on met fin aux éditions quotidiennes numériques. Que restera-t-il? Après les multiples jets d'encens, on retrouve cette petite conclusion: «le concept (...) ressemblera davantage à notre page Web.» Voilà, Le Droit sera désormais une page Web payante...
J'ai tenté ce matin cette «expérience de lecture inégalée». Si ce que j'ai vu est bien ce qui sera désormais, eh bien parlons-en! Quand j'avais un quotidien imprimé, je l'ouvrais sur la table de cuisine ou ailleurs et je pouvais feuilleter et lire en tournant les pages grandeur nature, que je voyais en entier d'un seul coup d'oeil. Avec l'édition numérique quotidienne, je devais à coups d'index passer d'un texte à l'autre, et pour le lire il fallait le faire défiler sur un écran trop petit pour visionner l'ensemble de l'article. Mais le journal était toujours là.
Voilà qu'on me promet maintenant une «expérience de lecture inégalée» à l'aide d'un «des outils les plus performants de l'industrie, à l'échelle planétaire» (rien de moins!). Une amélioration garantie semble-t-il. Mais non. C'est pire encore, bien pire même que l'édition numérique qu'on a balancée à la poubelle. On se trouve devant un site ou une vaste page Web où les abonnés doivent choisir, un à la fois, dans un menu éparpillé, les articles du jour (et de plus anciens) qui sont susceptibles de les intéresser, les ouvrir un à un, les fermer un à un, retourner au menu, et recommencer jusqu'à découragement. Fini le journal du 20 avril 2023 qu'on feuillette du début à la fin!
Se souvenant un peu du coeur de la mission quotidienne d'un journal comme Le Droit, la direction ajoute comme si de rien n'était: «Vous aimez lire notre édition quotidienne, élaborée par notre équipe éditoriale (sic)? On a pensé à vous.» C'est à s'étouffer! Les lecteurs s'abonnent depuis 110 ans uniquement pour lire l'édition quotidienne préparée par l'équipe de rédaction et tous les artisans des différents service du journal. C'est la raison d'être du journal! Qu'on écrive une telle sottise me dépasse. Quoiqu'il en soit, pour ceux et celles qui «aimez lire notre édition quotidienne», chaque journal de la Coop CN2i propose la rubrique «nos choix» (les «meilleurs» articles de la journée, pas les plus importants), et un condensé de l'actualité dans une infolettre par courriel, matin et soir. Je ne conteste pas la valeur de ces deux options, si elles étaient ajoutées à l'édition quotidienne, mais elles la remplacent...
Silence médiatique
Après nous avoir dit au début d'avril que ces changements se faisaient «avec nous et pour nous», en évitant bien sûr de nous consulter ou de nous annoncer quelle forme prendraient les modifications, la disparition soudaine des éditions numériques quotidiennes ne semble avoir provoqué que de rares réactions. De fait, c'est le silence un peu partout. La FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec) n'a pas levé le petit doigt pour susciter un débat là-dessus. Quelques sections régionales de la FPJQ (Outaouais, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Québec) ont émis de brefs communiqués d'inquiétude. Les autres médias, Québécor, Le Devoir, Radio-Canada, etc., semblent ignorer ce qui se passe à l'extérieur de Montréal. La plus grande tragédie de notre histoire médiatique se déroule sous leurs yeux, et ils restent aveugles!
Six quotidiens viennent de disparaître et on semble se satisfaire de la langue de bois des Coops de l'information. Si Power/Gesca ou Gestion Capitales Médias avaient fait le coup, on aurait dressé des barricades partout. Mais... bruits de criquets...
Quelqu'un se lèvera-t-il pour défendre le droit des Québécois de l'Outaouais et des Franco-Ontariens de conserver le quotidien qui les a incarnés, informés et protégés pendant près de 110 ans? Semble pas. Mais on ne sait jamais... Les braises sont toujours chaudes...
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