lundi 30 octobre 2023

Tourner le fer dans la plaie...



Je savais que ça s'en venait. Mon journal, Le Droit (c'est comme ça qu'on doit l'épeler en passant), avait supprimé son édition papier sur semaine en mars 2020, et son édition quotidienne numérique en avril 2023. Il ne restait, pour rappeler les époques glorieuses ayant précédé le déclin du Droit, que l'édition papier du samedi, style magazine, et dans deux mois jour pour jour, elle passera à la guillotine.

Quand j'ai vu la page de publicité ci-dessus dans l'hebdo Le Droit du 28 octobre, j'ai figé. Ce douloureux rappel de la déchéance de la presse imprimée, et de l'agonie de mon ancien quotidien, c'était un peu comme tourner le fer dans la plaie. Pire, au lieu de s'attrister devant ce que je considère une tragédie, on transforme sans regret apparent la mort du journal en ultime occasion de vendre des espaces publicitaires.

Au moins reconnaît-on enfin qu'il s'agit d'un moment historique et non d'une simple étape après des décennies de coupes qui n'en finissaient plus. «Écrivez une page d'histoire», propose-t-on aux entreprises, institutions, gens d'affaires et autres individus qui voudraient voir leurs noms associés à l'ultime parution d'un Droit papier. En avoir les moyens, je me paierais une page entière pour saluer les milliers d'artisans qui ont façonné ce journal depuis 1913, pour dénoncer aussi la trahison des empires de presse et le silence de ma profession.

Vous remarquerez le personnage dans cette page de publicité du Droit. Un homme d'âge très adulte, portant verres fumés, en complet-cravate, lisant un ancien journal grand format... pas un tabloïd. Comme image rétro d'un produit jugé aujourd'hui très rétro, c'est fort réussi. Curieux de voir une publicité institutionnelle montrant un individu en train de faire ce qu'on a voulu à tout prix qu'il cesse de faire. Prendre un journal imprimé dans ses mains et le lire...

Et alors qu'on vante sans arrêt depuis quelques années le numérique comme «expérience de lecture inégalée» en pointant du doigt les «nostalgiques» qui tiennent au papier, voilà qu'on invite les lecteurs et lectrices à ne pas jeter «la dernière édition papier» à la poubelle. C'est, dit le message, «un numéro à consulter, à partager et aussi à conserver». Une «page d'histoire». Et, comme pour s'excuser de ce relent excessif de nostalgie, on ajoute aussitôt pour les modernes branchés non nostalgiques: «aussi disponible en version numérique».

Et n'oubliez pas. Date limite pour réserver une publicité: le 1er décembre. J'espère lire, le 30 décembre 2023, un dernier numéro imprimé très, très épais. Un cercueil de luxe pour l'enterrement. 

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