jeudi 29 février 2024

Le 29 février...

Le 29 février... C'est mon vingtième... et à mon âge on ne peut avoir aucune certitude quant au prochain... Disons qu'avec un peu de chance, je puisse en espérer deux ou trois de plus...

Voulant en laisser quelque trace sur mon blogue, je lance à bâtons rompus quelques observations émanant du trop-plein d'un peu tout...

-----------------

Le soleil rouge dans le ciel enfumé du 24 juin 2023 à Unamen Shipu, sur la Basse-Côte-Nord


--------------------------

J'ai toujours été obsédé par la météo, détestant le froid, la neige et tous les autres désagréments de l'hiver, adorant le printemps et l'été pour la chaleur revenue et la symbiose de mes deux couleurs préférées, le vert et le bleu... Mais là, en cette protubérance bissextile, j'ai des doutes...

Hier, 28 février, le mercure a dépassé le cap des 15 degrés Celsius. Sans doute un autre record de chaleur fracassé durant cet hiver sans véritable vague de froid... Puis, en début de soirée, le vortex polaire nous lance une taloche, chassant le deuxième orage de février avec une culbute à -14 (!) en quelques heures, le tout accompagné de vents atteignant 90 km/h. Et demain, 1er mars, on annonce une remontée à +6. Peut-être même 17 degrés mardi...

Cette météo apocalyptique, s'accordant fort bien avec l'exception d'un 29 février qui brasse nos calendriers à tous les 1461 jours, semble malheureusement vouloir devenir la règle. Les humains ont semé le vent au fil des siècles et récoltent désormais tempête après tempête. Je dis tempête au sens figuré bien sûr parce que durant cet hiver 2023-2024, nos déneigeurs se sont le plus souvent tourné les pouces.

Depuis le début de décembre, dans la région de Gatineau, il est tombé à peine 85 centimètres de neige... et un peu plus de 28 millimètres de pluie. À l'hiver précédent, dans le seul mois de janvier, environ 100 cm de neige s'étaient accumulés! Notre entreprise de déneigement semble ces jours-ci se déplacer aux moindres flocons, peut-être pour que les machines ne rouillent pas. Et on n'annonce que quelque centimètres de plus d'ici la mi-mars...

Avec les prévisions actuelles de chaleur, la saison des sucres risque d'être écourtée et la fonte des neiges sera rapide. À moins de pluies régulières au printemps, la saison des feux de forêt se fera de nouveau menaçante. J'ai encore en mémoire notre croisière de juin dernier en Basse-Côte-Nord sur le Bella Desgagné. Dans ce coin de pays, nous nous attendions à tout sauf un soleil rouge orangé perçant d'épaisses couches de fumée, l'odeur âcre des feux de forêt anéantissant l'air frais et salin du golfe Saint-Laurent...

En ce 29 février, j'ai toujours hâte au printemps, aux premiers perce-neige, au jaune brillant des pissenlits, mais l'espoir est tempéré par une terreur naissante. Je viens de voir en fin de semaine mon arrière-petit-fils Louis Pierre Poulin, qui a de très bonnes chances d'assister au début du 22e siècle. Qu'écrira-t-il à 80 ans, le 29 février 2104?

-----------------------------------------

Bon, voilà le moment où je passe aux «bâtons rompus»...

Je songe beaucoup, surtout depuis février 2022, quand Poutine a envahi l'Ukraine, à cette citation fort opportune, attribuée à Albert Einstein : «Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font du mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.»

Depuis maintenant deux ans, des dizaines de milliers d'Ukrainiens, civils et militaires, ont été tués par les troupes et les bombes russes. Tout le monde sait que l'aide fournie par les démocraties occidentales ne suffit pas pour permettre à l'Ukraine de résister indéfiniment, encore moins de vaincre les armes de Poutine. Qu'il faudrait livrer des avions de combat, ou mieux, intervenir en Ukraine même pour défendre le territoire et la population avec des troupes des pays alliés.

Or faire trop peu, c'est comme ne rien faire du tout. On se contente de retarder l'inévitable défaite en se donnant bonne conscience. Pire, certains, comme le Canada, lancent des promesses de soutien qu'ils ne tiennent pas. Aux États-Unis, les fous partisans de Trump bloquent carrément l'aide au peuple ukrainien. Et pourquoi n'en fait-on pas davantage? Parce que l'apprenti dictateur Poutine brandit constamment la menace nucléaire. Il l'a fait de nouveau aujourd'hui, ce 29 février.

Il n'y a qu'une issue à ce genre de chantage. Y céder aura pour conséquence d'encourager Poutine à récidiver. Une bonne fois, il finira par en demander trop, et ce sera le moment de vérité et nous devrons risquer le tout pour le tout. Nous aurons peut-être détruit le monde par notre inaction. Avant qu'il ne soit trop tard, il faut voler au secours du peuple ukrainien avec des moyens suffisants pour repousser l'envahisseur. Avec les dangers que cela comporte.

Dans un autre coin du monde, dans l'est de la Méditerranée, la planète assiste à l'anéantissement du peuple palestinien de Gaza sans lever le petit doigt. Se limiter à des manifestations de soutien et à des discours à l'ONU ne sera d'aucun secours à la population civile victime des crimes insoutenables du Hamas et de la cruelle revanche, encore plus insoutenable, de Netanyahu.

Personne ne doute que les auteurs de l'attentat du 7 octobre commis par les militants du Hamas doivent être châtiés et traduits devant les tribunaux internationaux. Mais le premier ministre d'Israël a saisi l'occasion pour anéantir d'une main de fer la totalité de la bande de Gaza. On compte déjà plus de 25 000 morts chez les Gazaouis. Des hôpitaux bombardés. Aujourd'hui, des soldats israéliens ont ouvert le feu sur une foule affamée durant une distribution d'aliments. Cent morts de plus... Assez!

L'ONU est déjà intervenue militairement auparavant dans des zones de conflit. Pourquoi est-il devenu impossible de constituer une force internationale capable de repousser les armes israéliennes et de neutraliser les terroristes du Hamas dans la bande de Gaza? Nous allons assister, les bras croisés, à un génocide. Nous devrions tous avoir honte.

--------------------------------------------

Enfin, sur le front du déclin du français en Outaouais, j'ai entendu un reportage au bulletin régional de 18 heures, hier, à Radio-Canada sur l'incinération des déchets. Le journaliste a interrogé la préfet de la MRC de Pontiac et ancienne conseillère municipale de Toronto, Jane Toller, qui lui a accordé une entrevue en anglais seulement. Le porte-parole du comité citoyen, aussi interviewé, était apparemment lui aussi unilingue anglais. C'est de pire en pire, à tous les jours. Et nos élus restent là, à rien faire... 

Une petite dernière... En cours présentement, ce 29 février 2024, en France, la «Paris Fashion Week»... Trahison dans la mère-patrie...




mercredi 28 février 2024

Les grands «dérangements» des Franco-Ontariens d'Ottawa

«Les bastions francophones de la ville d'Ottawa tremblent, mais ils ne cèdent pas.» Le Devoir a été très mal informé... Les anciens bastions francophones d'Ottawa sont TOUS tombés. Il n'en reste plus. Le Devoir doit publier un correctif. (mon «tweet» du 24 février)

---------------------------------------------------------------

Capture d'écran de la page Facebook «J'ai grandi dans la Basse-Ville» d'Ottawa (autour de 1950)
-----------------------------------------------------------

Dans la revue Vie française d'août-septembre 1951, le patriarche franco-ontarien Séraphin Marion écrivait que «l'Ottawa français de 1950 est au diapason du Canada français de 1950 et du Canada français d'autrefois. Il répand chez lui et autour de lui la vraie culture française». «À cet égard, ajoute-t-il, Ottawa est devenue la surprenante émule de ses grandes soeurs: Québec et Montréal.»

Une telle affirmation serait impensable en 2024. Sans même oser une comparaison avec les tragédies acadiennes, les Franco-Ontariens de la capitale fédérale ont tout de même connu de «grands dérangements». Les quartiers modestes qu'ils occupaient et au sein desquels ils avaient créé une vie française ont été éviscérés depuis les années 1960 à coups d'expropriations, d'expulsions, de «rénovations urbaines», de zonages modifiés, combinés aux pressions multiples des autorités municipales et fédérales, ainsi que de promoteurs immobiliers voraces.

Les milieux de vie francophones que M. Marion avait encensés en 1950 ont croulé en quelques décennies. Les plus âgés des résidents se sont accrochés autant qu'ils ont pu, mais les jeunes ont quitté en masse. Les Franco-Ontariens ont ainsi délaissé en grands nombres leurs quartiers, désormais convoités par plus puissants qu'eux, pour s'installer dans les banlieues ou en périphérie, ou encore traverser la rivière des Outaouais.

Les recensements témoignent d'une perte de plus de 10 000 francophones (langue maternelle) dans l'ancienne ville d'Ottawa, celle d'avant les fusions de 2001, entre les années 1971 et 2001. Pourtant, la population totale avait augmenté, de 302 340 à 330 820. Pendant ce temps, dans la banlieue est de Cumberland, le nombre de francophones bondissait, de 4000 à 17 000, comme à Gloucester (de 11 000 à 28 000)! Des milliers de francophones s'étaient installés même dans les banlieues ouest, massivement anglaises. À Nepean, entre 1971 et 2001, les personnes de langue maternelle françaises sont passées de 3390 à 7865! Dans le canton de March,  de 150 à 1011... (voir tableaux ci-dessous). Les vieux bastions français avaient rendu l'âme.

En 2021, selon le critère de la langue maternelle, le grand Ottawa compte toujours plus de 140 000 francophones (c'est 95 400 au chapitre de la langue d'usage), mais aucun de ces francophones ne vit aujourd'hui dans un quartier à majorité française. Inutile d'ajouter que les taux d'assimilation s'en sont ressentis. Voilà LA différence d'avec les générations pré-1970, qui avaient majoritairement grandi et vécu dans des territoires urbains à majorité ou à forte proportion francophones. Ne pas comprendre ça, c'est ne rien comprendre à la dynamique linguistique franco-ontarienne de la capitale fédérale. 

Les anciens bastions sont désormais consignés aux livres d'histoire, ou conservés dans la mémoire de tous ces vieux Franco-Ontariens qui, de plus en plus, font des résidences pour personnes âgées les seuls milieux de vie collectifs véritablement francophones à Ottawa.

---------------------------------------------------------------

Tableau 1

Le français à Ottawa

Langue maternelle            Langue d'usage     Assimilation

1941 - 28,8%                    ----                         ----

1951 - 27,4%                    ----                         ----

1971 - 21,4%                    18,1%                    (15,4%)

2001 - 15,6%                    12,2%                    (21,8%)

2006 - 15,5%                    11,1%                    (28,4%)

2011 - 15,2%                    10,7%                    (29,6%)

2016 - 14,9%                    10,3%                    (30,8%)

2021 - 14,0%                    9,5%                      (32,1%)

-------------------------------------------------------------- 

Tableau 2

Nombre de francophones (langue maternelle) - Ancienne ville d'Ottawa et banlieues - Recensements de 1971 et 2001

                                  1971                               2001

Ottawa                      62 235 (20,6%)       50 415 (15,2%)

Vanier                       14 440 (66,5%)         8650  (50,1%)

Banlieues

Gloucester                11 475 (30,9%)       28 545 (27,7%)

Cumberland               4205  (45,2%)       17 105 (32,8%)

Nepean                        3390  (5,2%)          7865   (5,9%)

March                             150 (2,6%)            1011   (5,9%)

Goulbourn                       15 (0,3%)           1297   (5,5%)

--------------------------------------------------------------------

Tableau 3

Nombre de francophones (langue maternelle et langue d'usage - la plus souvent parlée à la maison) - Ottawa-Carleton (pour 1971) et le grand Ottawa (2001, 2021) - Recensements de 1971, 2001 et 2021

                                        1971                      2001                   2021

Ottawa                      

Population totale        453 290              763 790           1 006 965


Francophones

(langue d'usage)      82 115 (18,1%)   96 910 (12,2%)  95 399 (9,5%)

(langue maternelle) 96 895 (21,4%)  118 942(15,6%) 141 440 (14,0%)

----------------------------------------------------------------------


lundi 26 février 2024

Les «bastions» n'existent plus...

«Les bastions francophones de la ville d'Ottawa tremblent, mais ils ne cèdent pas.» Le Devoir a été très mal informé... Les anciens bastions francophones d'Ottawa sont TOUS tombés. Il n'en reste plus. Le Devoir doit publier un correctif. (mon «tweet» du 24 février)

Les anciens «bastions» francophones d'Ottawa, rayés en bleu

Le Devoir n'a pas publié de rectificatif. Mais l'affirmation reste fausse, même si on la présente comme vérité d'évangile. N'étant pas attribuée, cette conclusion erronée est endossée par l'auteure du texte et, par extension, le journal qui la publie (voir lien en bas de page). Si, encore, il ne s'agissait que de nuances de gris, je dirais «Bon, on en a déjà vu d'autres...». Mais ici on dit blanc quand c'est noir !

D'abord où sont... Non. Où étaient ces «bastions francophones» ottaviens? Il est essentiel de les nommer pour savoir de quoi on parle. Il y avait d'abord la Basse-Ville, habitée par des Canadiens français depuis la première moitié du 19e siècle. C'est là que se sont déroulés quelques-uns des événements les plus mémorables de la lutte contre le Règlement 17 durant la première Guerre mondiale. On y trouve l'école Guigues, l'église Ste-Anne, l'Institut canadien-français, l'Académie de la Salle, l'hôpital des soeurs grises. C'est là, en plein Marché By, que le journal Le Droit a entrepris son périple de 110 ans.

Ceinturées par le canal Rideau, la rivière des Outaouais, la rivière Rideau et la Côte-de-Sable (où est située l'Université d'Ottawa), les rues de la Basse-Ville étaient massivement francophones. Si la Franco-Ontarie ottavienne avait un coeur, c'est là qu'il battait. Tout près, sur l'autre rive de la rivière Rideau, s'étendait un deuxième «bastion», l'ex-ville de Vanier, aux deux tiers francophone. L'Ordre de Jacques Cartier (La Patente) y a été fondé, au sous-sol de l'église St-Charles, en 1926. Le quartier adjacent, Overbrook, abritait aussi une forte proportion de Franco-Ontariens.

Le dernier «bastion» était situé dans l'ouest de la ville d'Ottawa. Entre la rue Wellington et la rivière des Outaouais, à l'ouest des chutes Chaudière, une véritable communauté de langue française de plus de 5000 personnes y a rayonné, très majoritaire, jusqu'aux années 1960. La «Patente» avait tenu ses deux premières réunions à l'église St-Charles de Vanier, mais la troisième rencontre de fondation, en novembre 1926, a eu lieu à l'église St-François d'Assise, véritable monument dont les clochers rappellent ce qui fut et n'est plus dans ce quartier où je suis né.

Ces trois «bastions» n'existent plus. Dans mon ancien quartier (St-François d'Assise), la proportion de francophones, jadis à 80%, oscille entre 10 et 15% en 2021. Ce bastion n'a pas seulement tremblé. Il s'est écroulé. Jusqu'aux années 1970, la Basse-Ville était toujours à plus de 70% francophone. Aujourd'hui, la proportion varie de 20 à 40%, et on parle ici de langue maternelle. En utilisant le critère plus fiable de la langue d'usage on perdrait peut-être un autre tiers des effectifs. Il n'y a plus de «bastion»: l'école Guigues est fermée, l'église Ste-Anne vendue, Le Droit a rendu l'âme, et le quartier a été charcuté par les bulldozeurs de la ville d'Ottawa. Et à côté, l'Université d'Ottawa ne compte plus que 30% d'étudiants francophones... Plus à l'est, dans Vanier-Overbrook, les francophones sont désormais en minorité, depuis au moins une vingtaine d'années. Sauf quelques îlots, l'anglais domine à travers l'est de la ville. Et l'église St-Charles est vendue. Resteront l'hôpital Montfort et quelques plaques pour rappeler un passé francophone.

Ces données sont connues. Évidemment, les associations franco-ontariennes ne les crient pas sur tous les toits et je peux comprendre. On cherche à diffuser l'image la plus positive possible de la francophonie ottavienne, quitte à gonfler les chiffres à l'intention de médias qui n'ont pas vraiment les ressources pour les passer au crible. Le Devoir a consulté une experte, la professeure Anne Gilbert, mais celle-ci a complètement occulté l'historique des quartiers, insistant sur la présence encore appréciable de francophones dans certains coins de l'est d'Ottawa. Cela ne nous apprend rien sur la chute des «bastions». Son commentaire voulant que la Basse-Ville se soit transformée et anglicisée dans les dix dernières années ne tient pas la route. L'expulsion des francophones de ce quartier, assortie d'une gentrification à forte teneur anglaise, constitue un processus qui a débuté il y a près d'un demi-siècle.

Avec la disparition des «bastions», des milliers de francophones se sont dispersés à travers la capitale, y compris dans les quartiers jadis anglophones à plus de 90%. Minoritaires à peu près partout à Ottawa, les jeunes Franco-Ontariens de 2024 n'auront jamais connu un milieu où, partout autour d'eux, la langue de la rue était le français. Ce n'était sans doute par un français raffiné, mais on l'apprenait sans importer d'accent anglais. De la Basse-Ville, de Vanier-Overbrook, de St-François d'Assise sortaient des chefs de file qui rayonnaient à travers la province et le pays. Avec l'accélération de l'anglicisation, des milliers d'entre eux ont traversé la rivière pour vivre au Québec. Aujourd'hui, la jeune génération qui peuple les écoles françaises d'Ottawa ne connaît que l'anglais comme langue de la rue (sauf exception). Les taux d'assimilation sont mirobolants et j'ai l'impression qu'une majorité d'entre eux parlent le français avec un accent (vous savez lequel). Il n'y a plus de «bastion»...

À lire aussi: Voir liens ci-dessous. J'aborderai dans un deuxième texte de blogue l'évolution de la francophonie d'Ottawa à travers les recensements, depuis 1951.

NB - Nonobstant mes réserves sur la conclusion du texte, j'applaudis les efforts du Devoir de s'intéresser à la francophonie hors Québec, et ceux de la journaliste Lise Denis qui verra bientôt très clair dans les méandres du substrat franco-canadien.

-------------------------------------------------

Lien 1 - au texte du Devoir «Que reste-t-il du français à Ottawa?» - https://www.ledevoir.com/societe/807847/reste-il-francais-ottawa

Lien 2 - «Il était une fois». Texte de blogue du 25 septembre 2023 - https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/09/il-etait-une-fois.html

Lien 3 - «Le déclin des quartiers urbains franco-ontariens» - Texte de blogue du 18 novembre 2023 - https://lettresdufront1.blogspot.com/2020/11/le-declin-des-quartiers-urbains-franco.html


jeudi 22 février 2024

Le Vieux Hull... Bientôt ce sera «The Old Hull»...

La langue dominante... bleu pour le français... rouge pour l'anglais...

------------------------------------------------------------------------------

Le site Web du quotidien Le Devoir a remis ce 21 février 2024 un jouet fort éducatif à son lectorat (voir lien en bas de page), en particulier à ceux et celles qui suivent de près les déboires de la langue française au Québec (et ailleurs au Canada).

À l'aide d'une carte interactive, on peut à l'écran promener la souris d'un quartier à l'autre dans la localité de son choix et extraire sans effort les données du recensement 2021 sur la langue maternelle. J'ai ainsi pu découvrir que dans mon quartier de Gatineau, l'Orée des bois, 85% des résidents se disent de langue maternelle française (première langue apprise et encore comprise). S'y ajoutent 7% dont l'anglais est la langue maternelle et 8% d'autres langues (arabe, espagnol).

Le critère de la langue maternelle n'est pas le meilleur pour identifier les véritables francophones. La langue la plus souvent parlée à la maison (langue d'usage) constitue un indicateur plus précis malgré ses imperfections. Mais sans un outil comme celui que Le Devoir a mis en ligne, il est à peu près impossible, à partir des données disponibles via Statistique Canada, de cibler la langue d'usage par quartier.

Ce que ce jouet éducatif permet de faire, c'est d'illustrer à quel point s'est anglicisé le coeur de l'ancienne ville de Hull, qu'on appelle aussi l'île de Hull, là où se concentraient jusqu'aux années 1960 les maisons allumettes, où trônaient autour de la rue Principale le palais de justice, l'hôtel de ville et la vieille église Notre-Dame. Au recensement de 1961, plus de 90% des répondants hullois donnaient le français comme langue maternelle (8,2% pour l'anglais).

Après les expropriations, les démolitions et les incendies, suivies d'une invasion de milliers de fonctionnaires fédéraux anglophones au centre-ville, tout a changé. La construction d'un nouvel hôtel de ville (Maison du citoyen) et d'un édifice du gouvernement québécois (Place du Centre) n'a pas endigué l'envahissement de l'anglais au coeur du vieux Hull. Maintenant on voit, dans ce territoire à distance de marche du centre-ville d'Ottawa, champignonner des tours d'habitation dont on devine les conséquences pour ce qui reste de l'ancien caractère français du quartier...

Le mot clef ici est «devine»... On peut supposer, et c'est fort plausible, qu'une forte proportion des nouveaux résidents d'appartements et condos riverains sont anglophones, et nouveaux arrivants de l'Ontario qui, somme toute, voient l'île de Hull comme une extension de la capitale fédérale, Ottawa. Mais personne n'est allé compter, de porte à porte, sauf au recensement de 2021 dont Statistique Canada ne révèle pas toutes les données. De toute façon, la situation évolue de mois en mois et j'ai la conviction qu'en 2026, les nouveaux chiffres viendront confirmer la déchéance définitive de la langue française dans ce quartier qu'on voudrait le centre-ville de Gatineau.

Mais revenons à l'outil éducatif offert par Le Devoir. Je m'en suis servi pour ausculter de long en large l'île de Hull et les résultats étaient pires que ce à quoi je m'attendais. À quelques endroits, le français langue maternelle dépasse le seuil de 60% (déjà un recul à faire peur), mais le plus souvent la proportion oscille entre 50 et 55%!!! Dans un coin de l'île, près du boulevard des Allumetières, le français langue maternelle est désormais minoritaire (48%)... Au prochain recensement (2026), la proportion de personnes ayant le français comme langue maternelle dans le vieux Hull risque fort de chuter sous la barre des 50%! C'était 90% il y a un peu plus de 50 ans...

Au cours des 30 dernières années, les secteurs Hull et Aylmer de Gatineau, et notamment le vieux Hull, sont devenus un terrain de chasse pour des promoteurs immobiliers qui ne cessent d'inviter les Ontariens à déménager dans leurs maisons et immeubles bien moins coûteux qu'à Ottawa. Les résultats étaient prévisibles. Les Anglo-Ontariens savent compter, eux aussi. De 83% en 1961, la proportion de personnes de langue maternelle française dans Hull-Aylmer est passée à 72,6% en 2001, 68,7% en 2011 et 63,7% en 2021... Et comme la différence avec la langue d'usage est quasi nulle dans ce coin de Gatineau (63,7%), j'estime qu'on a là un indicateur valable du précipice vers lequel les francophones, guidés par leur conseil municipal, courent en troupeau... Dans un des quartiers de l'île de Hull, on ne dénombre que 48% de personnes de langue maternelle française!

Nous assistons à notre disparition en temps réel, sur nos écrans, et restons là à rien faire. À suivre l'exemple de nos élus...

 Il y a 50 ans, les deux secteurs d'Ottawa que j'ai barbouillés auraient aussi été peints en bleu...

Lien à l'outil interactif du Devoir - https://www.ledevoir.com/interactif/2024-02-21/langues-maternelles-outil/index.html

lundi 19 février 2024

Greenstone… Le drapeau franco-ontarien méprisé…

Le drapeau franco-ontarien n’y est plus…


Dans la plupart des régions de l'Ontario, d'anciennes communautés francophones agonisent après plus d'un siècle de persécution, de discrimination, d'incompréhension, de négligence et de mépris. Sauf exception, les cris à l'aide qui s'en élèvent de temps à autre, se perdent trop souvent dans un désert d'indifférence médiatique.

Comme ex-Franco-Ontarien, ayant fait carrière en journalisme pendant 45 ans et suivi de près les dossiers de la francophonie en Ontario, comme Québécois indépendantiste aussi, j'ai depuis longtemps la conviction que la population du Québec doit être informée des misères franco-ontariennes, et s'y intéresser. C'est très, très instructif... et tant qu'à y être, on pourrait donner un coup de main.

Le plus récent «incident» met en cause les petites collectivités franco-ontariennes des localités de Longlac et Geraldton, maintenant regroupées dans la municipalité de Greenstone, au nord du Lac Supérieur, le long de la route 11 entre la ville de Hearst et le port de Thunder Bay. C'est loin, très loin, à plus de 500 km au nord-ouest de l'Abitibi, et on y trouve à peine 4270 résidents, dont 22% de langue maternelle française.

La semaine dernière, le 12 février 2024, le conseil municipal a décidé retirer le drapeau franco-ontarien vert et blanc du mat municipal où il flotte en permanence depuis une dizaine d'années. En vertu d'une nouvelle politique municipale sur les drapeaux, on lui accordera tout au plus cinq jours par année, incluant la Journée des Franco-Ontariens (le 25 septembre). Une décision que plusieurs jugeraient sans doute banale, mais les motifs invoqués lui confèrent un intérêt «national»...

S'alignant sur l'approche insidieuse qui a fait ses preuves au Canada anglais depuis la crise d'Oka en 1990, la municipalité de Greenstone a grossièrement mis en opposition francophones et Autochtones, y ajoutant l'attitude anglo-canadienne typique dans les milieux éloignés des fortes concentrations francophones (Québec, nord du Nouveau-Brunswick, Est ontarien et une partie du Nord ontarien), selon laquelle les parlant français doivent être considérés comme un groupe démographique parmi tant d'autres, et rien de plus...

«En hissant le drapeau franco-ontarien au mat toute l'année, nous reconnaissons un groupe démographique de façon permanente, ce qui pourrait être considéré comme une non-reconnaissance d'autres groupes démographiques, y compris les peuples autochtones», peut-on lire dans le projet de règlement municipal. L'objectif, très clair dans sa promotion de la «diversité», vise à affirmer l'engagement de Greenstone envers la réconciliation avec les Autochtones en remplaçant le drapeau franco-ontarien par le drapeau Chaque enfant compte ainsi que d'autres drapeaux «communautaires».

La petite ville compte trois mats devant son centre administratif où flottent le drapeau canadien, celui de l'Ontario et, sur le mat municipal, deux drapeaux, ceux de Greenstone et de l'Ontario français (voir photo ci-haut). Personne, parmi les dirigeants de la municipalité, ne semble avoir songé un instant aux Franco-Ontariens comme représentants d'un des peuples fondateurs du Canada, méritant à cet égard un traitement «national» dans tout protocole sur les drapeaux. On les place aux rangs des multiples «groupes communautaires» qui pourraient proposer de hisser «leur» drapeau quatre ou cinq jours par année pour quelque occasion.

La nouvelle politique martèle de façon très nette le désir d'accorder une place beaucoup plus importante aux Autochtones, ce que personne ne conteste, mais propose de le faire aux dépens des Franco-Ontariens. Comme si le drapeau vert et blanc et le drapeau «Chaque enfant compte» des Autochtones ne pouvaient être hissés en même temps... D'autre part, à chaque mention de la Journée de vérité et de réconciliation, la municipalité évoque son caractère «national» et parle des «peuples autochtones». Les Franco-Ontariens, pour leur part, deviennent un simple groupe «communautaire» ou «démographique» que l'on dénombre... un peu comme le maire de Windsor qui avait déclaré, en 2016, que l'arabe était plus important que le français pour son conseil des services policiers...

La décision du conseil de Greenstone sur le drapeau franco-ontarien ne semble pas avoir suscité grand débat à l'assemblée du 12 février. Le 16 février, le média en ligne ONFR+, sous la plume de Lila Mouch-Essers, a cependant fait état de vives réactions d'indignation en provenance de porte-paroles franco-ontariens, notamment de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) et de l'Association des francophones du Nord-Ouest de l'Ontario (AFNOO) - voir lien à ce texte en bas de page. Le 19 février, Radio-Canada a repris le sujet dans son réseau nord-ontarien. L'article d'Orphée Moussongo cite le maire James McPherson, qui relègue très clairement les francophones et leur langue au même statut que le chinois, le tagalog ou le magyar. «Tous les groupes sont reconnus de façon égale», dit-il, étalant son ignorance du statut national des Canadiens français de son patelin.

Ni ONFR+ ni Radio-Canada ne citent de sources francophones locales, mais sur la page Facebook du Club des francophones de Longlac (une composante de Greenstone), un membre, Tim Beaulieu, écrit: «Très décevant! Les Franco-Ontariens sont des piliers de cette belle grande communauté! Je crois que cette décision manque de respect envers les fondateurs de cette région, qui déjà représentaient plus de 50% de la population.» Dans la localité de Longlac, selon le recensement de 2021, les francophones (langue maternelle) forment 31% de la population. Le taux d'assimilation à l'anglais y est comme ailleurs dans Greenstone, très élevé. La proportion de personnes ayant le français comme langue d'usage (langue parlée à la maison) est seulement de 18%.

Y aura-t-il un quelconque mouvement pour crier une fois de plus à l’injustice dans le désert de l'anglophonie ontarienne? Je l'espère mais... Faudrait tout au moins que les Québécois s'informent davantage des vexations historiques que subissent les francophones ailleurs au Canada, si ce n'est que pour comprendre le sort qui nous attend si nous perdons la maîtrise de notre demi-État qu'on voudrait souverain et français... Comment réagiriez-vous si les anglos retiraient un jour le fleurdelisé des mats de nos mairies?

----------------------------------------------------

Lien à l'appel à l'action de l'Association des francophones du nord-ouest de l'Ontario - https://www.afnoo.org/documentation/actualites/appel-a-laction-drapeau-franco-ontarien-en-danger-a-greenstone?fbclid=IwAR0Mq4WY7eZcD4hUveNwqGJzIg2cWas5Yx5k_goV5P7qjGUlYFsbSYa3MOo

Lien au texte d'ONFR+ intitulé Le drapeau franco-ontarien ne flottera plus de façon permanente à Greenstonehttps://onfr.tfo.org/le-drapeau-franco-ontarien-ne-flottera-plus-de-facon-permanente-a-greenstone/

Lien au texte de Radio-Canada intitulé Le drapeau franco-ontarien ne flottera plus en permanence à Greenstone - https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2050575/francophonie-reconciliation-conflit-reconnaissance

Lien à l'article du Voyageur, hebdo de Sudbury - https://lavoixdunord.ca/actualites/francophonie/2024/02/16/exclusif-le-drapeau-franco-ontarien-pourrait-ne-plus-flotter-en-permanence-a-greenstone/

Lien à la décision du 12 février du conseil municipal de Greenstone - https://www.greenstone.ca/en/news/amended-flag-policy.aspx

 

mardi 13 février 2024

Aujourd'hui j'avais 17 ans...

Gaza, l'Ukraine, Poutine, Trump, l'inflation, les chicanes politiques... Parfois, trop c'est trop! Une trêve s'impose, si ce n'est que pour s'en reposer quelques heures, de temps en temps... Alors il m'arrive de choisir, certains jours, de retrouver mes 15 ans, mes 16 ans, mes 17 ans... Je délaisse livres, journaux, écrans pour butiner dans mes vieilles boîtes de 45 tours des années 1960, tout aussi précieuses après tant de décennies... Réentendre le rock'n roll de mon adolescence s'avère toujours à la fois reposant et tonifiant... Ça recharge les batteries...

Ayant conservé mes vieux vinyles par ordre alphabétique d'artiste, j'ai cueilli au hasard la boîte A-B, où s'entassent des dizaines de 45 tours des Beach Boys et bien sûr, des Beatles. Ces disques, qui ont jadis fait vibrer le vieux stéréo Silvertone (Sears) de mes parents, portent bien leur usure de 60 ans. Et on y fait des trouvailles inattendues, comme ce 45 tours de l'original The Twist, chanté en 1960 par celui qui l'a composé, Hank Ballard, avant que Chubby Checker ne le reprenne et en fasse un disque phare de l'époque.

D'autres noms de groupes rock et de chanteurs qu'on ne voit presque plus - Angels, Astronauts, Beau-Marks, Booker T, Belmonts, Busters - ravivent chacun leur tour, souvent avec force, le souvenir d'une époque, d'une personne, d'un endroit, d'un événement, d'une odeur... Puis, vers la fin de mon heure d'écoute, je suis tombé sur Little Lonely Summer Girl (voir lien à la chanson en bas de page), une offrande d'un chanteur peu connu appelé David Box. Ce disque, que j'avais usé à la corde, comptait parmi mes préférés de 1964 parce qu'il rappelait le style de Buddy Holly, mon chanteur culte des années 1950. L'un de mes premiers 78 tours, fin 1957 (j'avais 11 ans) fut Peggy Sue, une chanson qui a inspiré quelques succès du début des années 60, y compris Sheila de Tommy Roe (1962) et celle de David Box.

Alors j'ai fait ce qui aurait été impossible en 1964: aller m'informer davantage sur Internet. J'ai découvert que David Box vivait à Lubbock, au Texas, la ville natale de Buddy Holly, et qu'il avait remplacé ce dernier au sein du groupe The Crickets au début des années 1960. Il avait collaboré avec Roy Orbison, lui aussi texan. Le 45 tours que j'ai dans ma collection avait été un succès régional dans son coin de pays, effleurant à peine les palmarès ailleurs. Mais la renommée du jeune auteur-compositeur-interprète s'affirmait et David Box était sur le point de signer un contrat avec les disques RCA Victor quand il est mort en septembre 1964, à l'âge de 21 ans, comme son mentor Buddy Holly, dans un accident d'avion.

Comment avais-je fini par entendre cette chanson? Sans doute en syntonisant en soirée les stations de radio rock'n roll américaines de Buffalo, Chicago et New York, les seules intéressantes à l'époque. Vivant à Ottawa, je n'étais pas à l'écoute de la musique québécoise. Le premier groupe de langue française à éveiller mon attention serait Les Classels (en 1964 aussi). Je découvrirais l'année suivante les Vigneault, Léveillée, Ferland, Félix, Pauline Julien, et ma vie ne serait plus la même. Jusque là, cependant, les chapitres musicaux de ma vie d'adolescent sont conservés dans une dizaine de boîtes de 45 tours. Un véritable coffre à trésors!

-----------------------------------

Lien à Little Lonely Summer Girl, de David Box - https://www.youtube.com/watch?v=Q3L33J_hGTQ


dimanche 11 février 2024

Ottawa et ses juges envoient les Autochtones au front contre Québec...

En 2021, avec sa décision sur la taxe carbone, la Cour suprême a sapé les bases du fédéralisme canadien, renforçant un régime où Ottawa, en bout de ligne, possédera toujours un net ascendant sur les États fédérés (eh, que je déteste le mot province). En février 2024, avec leur plus récente décision sur les «DPJ autochtones»1, les juges d'Ottawa ont asséné un autre solide coup de masse au vieil édifice constitutionnel où le Québec avait réussi, tant bien que mal, à protéger quelques niches depuis 1867.

Dans cette «fédération» tout croche où la majorité anglo-canadienne, avec ses francophones de service à Ottawa, peut nommer seule les arbitres judiciaires suprêmes qui auront à trancher ses différends avec le Québec, on ne fait plus dans la dentelle. Surtout depuis que l'élan souverainiste se soit fracassé contre deux référendums. Flairant la bête blessée, le gouvernement fédéral a désormais entrepris - avec la complicité de ses juges - de détruire sans pitié les fondements constitutionnels des visées autonomistes de la nation québécoise.

Les coups de boutoir s'accumulent depuis le début du millénaire. Avec la Loi sur la clarté en 2000, la majorité anglaise du Canada s'est arrogé le droit de nous dicter une question référendaire et de décider de la majorité requise pour une victoire du Oui... En 2011, les juges de la Cour suprême ont presque invité Ottawa à s'immiscer dans le domaine «provincial» des valeurs mobilières, ce qu'il n'a pas hésité à faire en 2014. Plus récemment, la Loi 96 (langue française) et la Loi 21 (laïcité) se frayent un chemin peut-être sans issue dans le déchiqueteur fédéral. Et voilà que la Cour suprême défonce un autre pan de mur avec sa décision carrément politique (Trudeau lui-même aurait pu l'écrire) sur les services à l'enfance chez les Autochtones.

Sur le fond, à peu près tout le monde s'accorde pour reconnaître aux nations autochtones l'autonomie requise pour exercer «un contrôle effectif sur le bien-être de leurs enfants». Mais dans le vrai monde, ce contrôle doit s'accorder avec les institutions des populations avec qui elles partagent les territoires. Ici, l'échafaudage politique est parfois tortueux. Constitutionnellement et historiquement, les «Indiens» relèvent du gouvernement central, mais les services sociaux et les services de santé sont dispensés par les États fédérés, le Québec en l'occurrence dans la cause actuelle. Pour des motifs sans doute complexes, les Autochtones ont choisi de s'allier (de se soumettre?) à Ottawa (jadis l'auteur des infâmes pensionnats où leurs enfants kidnappés avaient été assimilés de force, en anglais surtout) contre les voisins qu'ils côtoient et avec lesquels se développaient depuis au moins un demi-siècle des rapports de nation à nation.

Politiquement, on peut comprendre cette alliance. Le gouvernement fédéral occupe des positions de force sur l'équipier constitutionnel et, sous les libéraux du moins, baigne dans un océan de multiculturalisme qui ne peut que favoriser la reconnaissance des droits internationaux des populations autochtones. Pourquoi alors s'associer à un Québec français vaincu, battant constamment en retraite, incapable de se dresser contre un appareil judiciaire taillé sur mesure pour toujours le remettre à sa place sur le plan de l'autonomie, de la langue, de la laïcité et, de plus en plus, dans des domaines qui lui étaient exclusifs comme la santé et les services sociaux? Le résultat, c'est cette décision du 9 février 2024 de la Cour suprême et à Ottawa, on a dû sabler le champagne pendant quelques nuits... pendant que Québec, penaud sous la CAQ, «prend acte»...

Agissant en conformité avec la Loi constitutionnelle de 1982 que le Québec n'a jamais entérinée tout en la subissant depuis plus de 40 ans, les juges d'Ottawa ont reconnu la validité d'une loi fédérale (Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis) qui crée littéralement un troisième ordre de gouvernement, inféodé à Ottawa mais supérieur aux provinces. Une loi que les suprêmes encensent et qualifient d'«innovante». En matière de services à l'enfance et à la famille, cette loi permet aux nations autochtones de prendre leurs propres décisions, de légiférer, et stipule qu'il «est entendu que les textes législatifs d'un groupe, d'une collectivité ou d'un peuple autochtones l'emportent sur toute disposition incompatible d'un texte de loi provincial». Une gomme à effacer des statuts et règlements du Québec sans qu'Ottawa ait à lever le petit doigt... On expédie les Autochtones au front contre la nation québécoise, armés du pouvoir constitutionnel de 1982... On peut comprendre pourquoi le gouvernement du Québec a contesté cette loi fédérale. Mais en Cour suprême les dés étaient pipés...

En 2021, dans la cause sur la taxe carbone, la Cour suprême des fédéraux avait reconnu qu'Ottawa avait le droit de décréter qu'un enjeu constitue une question «d'intérêt national» (quelle nation?) et que «l'effet de la reconnaissance en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière». Entre le droit illimité de dépenser et les tronçonneuses offertes en cadeau par ses juges, le gouvernement de la majorité anglo-canadienne a maintenant en main tous les outils politiques et juridiques pour tailler en pièces les velléités d'autonomie du Québec. Et dans cette plus récente cause, le Parlement fédéral n'a même pas à se salir les mains. On envoie les Autochtones faire la «job de bras»...

Une observation en passant. Dans la décision de près de 100 pages des suprêmes fédéraux (celle du 9 février 2024)1, les mots «nation» et variantes (nationaux, nationales, etc.) apparaissent 272 fois ! À chaque mention d'une norme «nationale», on parle bien sûr de la nation Canadian. Puis on énumère des dizaines de «nations» autochtones et Métis, d'un bout à l'autre du Canada. Mais vous ne trouverez pas une seule fois, dans toutes ces pages, une référence à la «nation québécoise» dont l'existence est pourtant reconnue par le Parlement canadien. Ici, chez les juges suprêmes, les lois d'Ottawa sont «nationales» et les lois québécoises ne sont pas «nationales». Une majorité de juges anglais décide du sort de notre État français. Et le gouvernement de la nation québécoise ne s'en offusque pas.

Le gouvernement Legault se trouve aujourd'hui devant un cul-de-sac juridique et constitutionnel. Et n'a aucune stratégie, ayant exclu la souveraineté. Viendront bientôt les culs-de-sac de la laïcité et de la langue française. Quand décidera-t-on d'emprunter une voie qui nous mène ailleurs qu'à un mur de béton?

-----------------------------------------------------------------------

1 - Lien au texte du Devoir du 9 février 2024 - https://www.ledevoir.com/politique/canada/806933/decision-cour-supreme-protection-enfants-autochtones

2- Décision du 7 février 2024 de la Cour suprême du Canada - https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/20264/index.do

jeudi 8 février 2024

Dans une ville sans âme, on démolit...

Le 207 Notre-Dame, Gatineau (Secteur Hull)

----------------------------------------------------------------------------

Si la petite maison allumette au 207 Notre-Dame finit par échapper au pic des démolisseurs, ce sera un véritable miracle... Au fond, cette bête blessée d'une époque révolue avait peu de chances de survie contre les loups affamés qui la cernent. St-Jude en personne devra quitter son perchoir céleste pour sauver les vieilles planches de la maisonnette...

Dans ce qui fut jadis le centre-ville de Hull (maintenant Gatineau), on s'acharne depuis plus d'un demi-siècle à effacer à coups de bulldozeurs, d'allumettes et de négligence tout ce qui rappelle le charme de l'ancien patrimoine bâti et de son âme francophone. Confrontés aux puissances de l'argent et aux copinages politiques, ces quartiers modestes n'étaient pas équipés pour offrir une véritable résistance.

Au début des années 1970, pour ériger des tours fédérales sur la rive ourtaouaise - question de montrer aux séparatistes que le secteur québécois de la capitale soi-disant nationale avait droit à sa part de la tarte aux piastres - on n'a pas hésité à raser tout un quartier riverain, expulsant les habitants et démolissent les maisons pour y planter des édifices à bureaux remplis de fonctionnaires travaillant en anglais.

Amputées d'une partie de sa population, s'anglicisant à vue d'oeil, la belle rue Principale et les artères environnantes sont devenues des cibles de choix. La désintégration était amorcée. Des commerces ont fermé leurs portes, d'autres bâtisses historiques (l'hôtel de ville, le Palais de justice, l'église Notre-Dame) ont été incendiées, les pressions se sont accentuées pour fermer les usines papetières en bordure de la rivière des Outaouais, et des promoteurs immobiliers voraces ont flairé les occasions d'acheter les maisons de résidents pour ériger à leur place des multi-logements locatifs en hauteur.

Quelle résistance peuvent bien offrir les quartiers de travailleurs contre des constructeurs aux poches pleines agissant avec la complicité des politiciens fédéraux, provinciaux et municipaux? Capitalisme 101. Après plus de 50 ans de défaites, l'âme n'y est plus. Le quartier tout entier est méconnaissable et les rives sont désormais peuplées de tours d'habitation plus luxueuses que les vieilles maisons de jadis, et bien plus anglaises itou. Le centre-ville s'anglicise à vitesse grand-V.

Alors, dans un contexte de dégradation générale du patrimoine historique, arrive un autre promoteur qui achète une des dernières authentiques maisons allumettes (de 1908). Celle-ci était semble-t-il parfaitement habitable il y a quelques années mais en un rien de temps elle s'est détériorée au point de devoir la démolir. Dit-on... Il faut lire les textes du journaliste Mathieu Bélanger pour voir à quel point cette maison patrimoniale a été «protégée» du bout des lèvres (voir liens en bas de page). Le mieux qu'on puisse espérer, à moins d'une apparition de St-Jude, sera une grande manifestation à la chandelle où les défenseurs du patrimoine du centre-ville pleureront pendant que les bulldozeurs abattent 125 ans d'histoire devant leurs yeux.

Bienvenue à Gatineau!!!

--------------------------------------------------------------------

Liens aux textes de Mathieu Bélanger sur le site Web Le Droit

La démolition de l'authentique maison allumette autorisée, 7 février 2024 - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/gatineau/2024/02/07/les-tribunaux-autorisent-la-demolition-de-lauthentique-maison-allumette-U3UZFZSMLJCJPAT7KHDL5KHMG4/

Sursis pour la petite maison allumette, 26 octobre 2022 - https://www.ledroit.com/2022/10/26/sursis-pour-la-petite-maison-allumette-345897a0ee6252e1079ab3f69aa85e0a/

Démolition: le promoteur propose une pastiche de la petite maison allumette, 12 septembre 2022 - https://www.ledroit.com/2022/09/12/demolition-le-promoteur-propose-un-pastiche-de-la-petite-maison-allumette-f682c5f1fa2bc401c8a0d55d61cf238f/


samedi 3 février 2024

Coopérative mon oeil!

Ma caisse à Gatineau, avec l'ancien logo (qui a disparu depuis)

---------------------------------------------------------------------------------

Il y a encore des gens qui croient que Desjardins demeure une coopérative... Légalement, peut-être... Mais en pratique, le mouvement de coopératisme qui a donné naissance à des centaines et centaines de caisses populaires depuis plus d'un siècle est désormais consigné aux livres d'histoire. Et pour les dirigeants de la méga «banque» centralisée Desjardins du 21e siècle, moins on s'en souviendra, mieux ce sera...

À chaque fermeture de caisse (jadis populaire), de centre de services ou de guichet automatique, les pages de ce qui nous reste de presse régionale regorgent de protestations de membres (oui, membres), de citoyens, et même de municipalités qui semblent toujours croire à leur droit d'exercer une quelconque autorité au sein de «leurs» coopératives Desjardins au logo hexagonal dépouillé (sans ruche).

Quand, en 2018, on a annoncé la fermeture du guichet et comptoir caisse de Notre-Dame-de-la-Salette (vallée de la Lièvre), le maire Denis Légaré était monté en vain aux barricades. «On va leur montrer une leçon, disait-il. S'ils l'ont oublié, on va leur rappeler que ça appartient à leurs membres, la Caisse populaire»... À l'annonce du retrait du guichet de Plaisance (Petite-Nation), le maire Christian Pilon a été plus lucide dans son malheur: «Tout le monde sait que la décision vient du conseil d'administration à Montréal», a-t-il déclaré.

Dans la région du Lac-Saint-Jean, l'an dernier (2023), Desjardins a fermé des installations dans un certain nombre de localités (Albanel, L'Ascension, Ste-Monique, etc.). Plusieurs pétitions ont circulé et des milliers de membres ont signé. Encore en vain. «C'est une coopérative, a plaidé l'une des signataires. Ça appartient aux membres et on n'a pas notre mot à dire.» Desjardins aurait pu au moins organiser une assemblée publique pour expliquer les fermetures, notait pour sa part le maire d'Albanel, Dave Plourde.

En principe, sur le plan juridique, une coopérative «est une organisation autonome, gérée par ses membres», selon la définition offerte par le gouvernement du Québec. En réalité, depuis que Desjardins a tout fait pour liquider les petites caisses populaires sur lesquelles s'est édifié au fil des décennies le monstre bureaucratique actuel, la démocratie coopérative est morte ou agonisante. Quand une coopérative d'épargne et de crédit comme la Caisse Desjardins (jadis populaire) de Gatineau compte plus de 60 000 membres - bouffés après l'abolition et la fusion de caisses locales plus modestes - ça fonctionne à toutes fins utiles comme une banque.

On «scrappe» les livrets de caisse... À qui faudra-t-il s'adresser? Sais pas... Sûrement pas à ma caisse jadis populaire, qui semble être essentiellement un haut-parleur pour retransmettre les mots d'ordres du sommet de la pyramide. Je veux voter là-dessus comme membre? Impossible. Là on annonce la fermeture de près de 190 centres de services et bien plus de guichets d'ici 2026. Ce n'est pas Desjardins qui l'annonce, mais un journaliste du Soleil qui le révèle sur Internet. Dans une coopérative démocratique, une guillotine similaire aurait dû depuis longtemps être l'objet de discussions et de votes dans toutes les localités visées. Au lieu de ça, on met les cinq ou six millions de membres Desjardins devant un fait quasi accompli. Qui a pris la décision? Quand? Sais pas. Probablement dans des bureaux où les numéros de téléphone ne sont accessibles qu'au personnel de Desjardins. Surtout pas aux membres...

Une chose est sûre. On a pris le temps de préparer des réponses parfois claires, parfois pas claires du tout, toujours dans une langue de bois, aux milliers de questions qui seront posées dans les médias et parmi les membres des coopératives. «Desjardins maintient ainsi son objectif de centraliser ses services et de déplacer les opérations courantes de son réseau physique vers le numérique», explique-t-on. De belles paroles pour nous dire: ne venez plus à votre caisse, on ne veut pas vous voir. Ne vous rendez plus à ces guichets qu'on a mis des années à vous convaincre d'utiliser. Sortez vos petits téléphones et vos tablettes, bandes de zombis, et restez encabanés chez vous, greffés à vos écrans. Je n'ai jamais voté pour ça. Je ne me souviens pas d'une assemblée générale où on m'a demandé de voter pour ça.

Les dirigeants de Desjardins vous lancent ensuite quelques statistiques destinées à vous faire croire que vous êtes un dinosaure si vous n'avez pas encore compris ce que 99% des gens autour de vous font déjà. «L'an dernier, dit-on, moins de 1% des transactions ont été effectuées aux comptoirs caissiers» de Desjardins. Mais ça veut dire quoi, au juste? C'est quoi, une transaction? À chaque fois que j'utilise ma carte VISA ou ma carte débit et que cela apparaît dans mes comptes, c'est une transaction? À chaque fois que mes paiements d'hypothèque, d'assurance, de téléphone, de câble, etc. sont retirées de mon compte de caisse par Internet, c'est une transaction? 

Ça fait combien de transactions par année? Des milliards? Un pour cent, ça reste au moins plusieurs millions de transactions effectuées par des humains, probablement plus âgés que la moyenne, qui se déplacent à une caisse jadis populaire ou à ses centres de service. À la mienne, ce que je sais, c'est qu'à chaque fois que je m'y rends pour un dépôt, un retrait, pour avoir du comptant, une devise étrangère, ou de l'information, il y a une file d'attente aux quatre ou cinq guichets caissiers ouverts. Ces personnes sont des humains, des membres qui, semble-t-il, n'auront pas voix au chapitre quand on barrera un jour les portes. Coopérative mon oeil!

Dans une société en voie de zombification par écrans, les coopératives devraient avoir pour mission de stimuler l'action collective, la solidarité, l'engagement social. Promouvoir l'éducation coopérative. Investir dans la formation de nouvelles coopératives. Multiplier les assemblées thématiques à la caisse même. Devenir un instrument de participation citoyenne. Et cela peut inclure, entre autres, la volonté de conserver des guichets et des centres déficitaires pour rendre service aux membres et aux localités qui en ont besoin, ceux-là même qui ont donné à Desjardins sa force actuelle.

Les dirigeants de Desjardins traitent de plus en plus les membres propriétaires comme de simples clients, comme le font les banques. Les nouvelles technologies, qui auraient dû se contenter d'ajouter à l'offre de services et à la bonifier, ont été détournées pour justifier la destruction de ce qu'on appelle vulgairement «le réseau physique». Quand les guichets et les comptoirs caissiers auront tous disparu, un jour, et que tout, vraiment tout, se fera en pitonnant sur un petit écran, Desjardins pourra dire: mission accomplie. Et si jamais un jour les écrans s'éteignent, il ne restera plus rien...