samedi 25 janvier 2020

La maison de l'enfance...

mon ancien chez-moi, 153 Hinchey, à Ottawa


Un autre début de décennie... Mon huitième... Le moment idéal pour un septuagénaire comme moi de jeter un regard sur le passé, de faire le tri des souvenirs, de dégager quelques faits saillants... «Au bout du ch'min dis-moi c'qui va rester», chantent les Cowboys fringants dans une de leurs belles offrandes, Les étoiles filantes. Voilà, en effet, «LA» question, n'est-ce pas?

Au moment d'entreprendre cette quête complexe, j'avais appris le décès d'Anne Vanderlove (en retard, elle est morte en juillet), dont l'album Ballades en novembre de 1968 demeure l'un de mes préférés. Dans ce petit chef-d'oeuvre, elle dédie l'une de ses chansons à «la maison de l'enfance», cette maison de bois où elle a grandi et qu'on voudrait aujourd'hui raser pour faire place à des «blocs immenses»...

Et cela m'a rappelé à quel point la maison de l'enfance peut nous marquer... Je l'ai quittée en mai 1959... Elle résiste toujours en 2020 à l'envahissement des blocs, parfois immenses, sur les rues voisines. Chaque fois que je m'impose un grand détour pour la revoir, la simple vue du balcon à l'étage suffit pour faire ressurgir cette époque que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître.

J'ai grandi dans une ville - la capitale du Canada - mais dans notre petit coin d'Ottawa, on aurait pu se croire dans un village canadien-français. Entre la rivière des Outaouais et ce qu'on appelait «la grand-rue» (la rue Wellington, celle du Parlement), à l'ouest du «flatte» (Plaines Lebreton), les familles s'appelaient Jubinville, Tremblay, Chartier, Bourguignon, Lalande, Pelletier, Saint-Laurent, Champagne, Meunier, Fournier, Carrière, Bastien... Même quand leur nom était Corcoran ou Connolly, les enfants parlaient français...

Nous habitions au 153 de la rue Hinchey, l'ancienne maison de mon grand-père Joseph Allard qui avait réaménagé l'intérieur pour loger un de ses fils (mon père) et trois de ses filles avec leurs conjoints et leur progéniture. Nous étions donc quatre familles - Allard, Longpré, Pouliotte et Desrochers - à l'intérieur de ces murs. En comptant les mononcles, les matantes, les cousins et cousines, nous étions plus d'une vingtaine à partager cette maison au milieu des années 1950...

C'était plein de vie... Nos mères y travaillaient toute la journée... Mon oncle Aurèle Desrochers aussi, qui logeait son salon de barbier au rez-de-chaussée. J'ai encore en mémoire la musique des Joyeux troubadours que maman écoutait à la radio quand nous arrivions de l'école pour le lunch... les longues jasettes entre familles sur le perron au rez-de-chaussée, les jeux avec cousins et amis dans la cour arrière de terre battue, dans la ruelle ou dans la rue... la visite quotidienne du laitier et du boulanger, qui livraient leurs produits dans des voiturettes tirées par des chevaux... et toutes ces fois où nous avons sauté du balcon au toit des Desrochers pour revenir par le balcon arrière...

Les dimanche matin, avec la quasi-totalité du quartier, nous nous revoyions à l'une des nombreuses messes sous les hauts clochers de l'église Saint-François d'Assise... En marchant le kilomètre de retour jusque chez nous, après la grand-messe, on pouvait humer les arômes sortant des maisons collées au trottoir, sur toutes les rues, alors que mères et grand-mères cuisinaient le grand dîner du midi pour leurs affamés. (Petit rappel: il fallait jeûner le dimanche matin jusqu'à la communion. Nous n'avions pas mangé depuis la veille...)

En 1954, Mechanicsville, notre petit secteur de huit rues et avenues entre la voie ferrée et la rivière des Outaouais, à 90% francophone, est devenu paroisse distincte, baptisée Notre-Dame des Anges, avec son église au coin de la rue. L'école de paroisse «bilingue» est apparue l'année suivante, sur la rue d'à-côté, à une minute de chez nous en empruntant un raccourci à travers la cour des voisins de face, les Bastien. Sur la rue suivante, dans le grand pâturage où M. Tunney faisait jadis paître ses vaches, un nouvel édifice - le Bureau fédéral de la statistique - annonçait la mort du quartier.

Les enfants s'amusaient à récupérer dans les vidanges de l'édifice fédéral des cartes perforées (servant aux ordinateurs du recensement de 1951) pour les plier et en faire des avions. Nous ne savions pas que Statistique Canada n'était que le premier de dizaines d'édifices gouvernementaux qui allaient bouleverser notre communauté. Ce qui était auparavant un «village» isolé devenait vite attrayant pour les milliers de fonctionnaires qui désiraient vivre à proximité du travail.

Aujourd'hui, le pâturage de M. Tunney - notre ancien terrain de jeux - n'existe plus. On y trouve rang sur rang d'édifices à bureaux du gouvernement canadien. Un boulevard fédéral à la mémoire de l'infâme Sir John A. Macdonald occupe les abords de la rivière des Outaouais où nous nous aventurions sans que nos parents le sachent. Notre église de paroisse a fermé ses portes, ainsi que les deux écoles canadiennes-françaises du quartier. Seule subsiste l'église St-François d'Assise, sans doute à cause de sa valeur patrimoniale.

En une vingtaine d'années à peine, la seule communauté canadienne-française de l'ouest de la ville d'Ottawa - qui existait depuis le 19e siècle - s'est désintégrée.  La principale collectivité francophone de la ville d'Ottawa, celle de la Basse-Ville, devait subir le même sort dans les années 1960 et 1970 sous les assauts d'un projet municipal de «rénovation» urbaine. À Cornwall, Welland et Sudbury, les quartiers français ont aussi écopé. Partout, la présence urbaine des Franco-Ontariens agonise...

La maison de l'enfance est toujours là, rue Hinchey, en 2020. Même que de l'extérieur, elle a peu changé en 70 ans. Je m'ennuie d'elle, et de l'époque où j'y ai vécu avec mes parents, mon frère, mes soeurs, mes oncles, mes tantes et mes cousins et cousines. Ce furent de belles années. Ma «terre sacrée», celle de mes racines, s'y trouvera toujours. Le Québec a beau être ma patrie d'adoption, jamais je ne m'éloignerai trop de l'ancien foyer franco-ontarien.










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