lundi 13 janvier 2020

Les livres en français à Toronto...


La semaine dernière, le réseau #OnFr annonçait que 26 000 livres de langue française seraient retirés des bibliothèques publiques torontoises (voir bit.ly/2T90Dul). Une nouvelle vite reprise ailleurs, y compris à la une du quotidien montréalais Le Devoir (voir bit.ly/2t1W1f7). Devant les hauts cris des élites francophones, y compris de la ministre fédérale Mélanie Joly, la décision a été presque immédiatement renversée (voir bit.ly/2NoTOBd) et on a même annoncé des investissements supplémentaires pour enrichir les collections en français en 2020...

Pour justifier un tel charcutage de ses collections de livres français, la direction centrale des bibliothèques de la Ville Reine invoquait «une chute de 47% de la consommation des livres francophones (sic) et multilingues»... L'ancienne coordonnatrice des services en français aux bibliothèques publiques de Toronto, Céline Marcoux-Hamade, a vite monté aux barricades, rappelant qu'en 2018, au moment de sa retraite, les livres en français gagnaient en popularité... Un tel renversement en deux ans est suspect, surtout qu'on a jugé bon de regrouper les livres français avec les «multilingues», comme s'ils étaient sur le même pied d'inégalité devant l'anglais...

Pressée par Le Devoir à offrir plus de précisions, la porte-parole des bibliothèques publiques de Toronto, Ana-Maria Critchley, a affirmé que la circulation des livres en français avait chuté de 10% au cours de la dernière décennie, et que ce déclin s'était accéléré depuis 2015. L'emprunt d'ouvrages français pour adultes, entre autres, aurait diminué de 24% depuis cinq ans... Saura-t-on un jour qui dit vrai là-dedans? Peu importe, après du tordage de bras par le maire John Tory, la ministre ontarienne Caroline Mulroney, par Mélanie Joly et les associations de francophones, il n'a guère fallu plus de 24 heures pour que les tablettes de livres français échappent à la guillotine...

Vu le climat de francophobie qui sévit dans plusieurs franges de la société ontarienne depuis la Confédération, on voit souvent - et avec raison - une empreinte anti-francophone dans une variété de décisions administratives et gouvernementales à travers la province. Dans une région métropolitaine de près de 6 millions de personnes comme Toronto où à peine 65 000 habitants déclarent le français comme langue maternelle (et moins de 30 000 comme langue principale à la maison), il ne faut pas trop se surprendre qu'on marginalise la langue française. Surtout quand c'est un très vieux réflexe...

Mais - et j'hésite à aborder cette question que l'on balaie souvent sous le tapis - dans le brouhaha politique entourant la décision controversée des bibliothèques torontoises, à peu près personne n'a osé suggérer que le problème du délaissement des livres de langue française puisse être fondé, et qu'au-delà de la francophobie chronique anglo-torontoise, l'assimilation foudroyante des francophones dans la Ville Reine puisse aussi s'être répercutée sur la consommation culturelle...

Dans une étude réalisée en 2010 par Statistique Canada sur les francophones de l'Ontario (voir bit.ly/3a7cE9A), on apprenait qu'à peine 17% des Franco-Torontois lisaient des livres «uniquement ou surtout en français», alors que 60% des francophones de Toronto étaient adeptes de livres «uniquement ou surtout en anglais»... et que moins de 40% des francophones torontois donnaient le français comme langue principale (langue dans laquelle on est le plus à l'aise)... Quand les effectifs de langue maternelle française ne dépassent guère 65 000, et que plus de la moitié s'assimilent à l'anglais, cela ne crée pas une très forte demande de livres en français dans les bibliothèques publiques...

Quand on ajoute à ces chiffres perturbants le fait qu'à Toronto, environ 80% des francophones vivent dans des couples exogames (où l'un des deux conjoints n'est pas francophone), et que 80% des enfants issus de ces couples auront l'anglais comme langue principale à la maison, il ne faut pas être brillant mathématicien pour voir de sombres nuages s'amonceler à l'horizon... Le taux d'assimilation des francophones dépasse déjà le cap des 50% dans la Ville Reine... Heureusement, à Toronto, quelque 400 000 non-francophones disent comprendre le français (près de 8% de la population). Mais à quel point consomment-ils des objets culturels de langue française? Sais pas.

On tente parfois de nous faire croire que le bassin franco-ontarien gagne en importance à Toronto, au point où le gouvernement Wynne avait décidé d'y implanter un campus universitaire de langue française (faussement appelé Université de l'Ontario français). Mais ce n'est qu'une illusion. Dans quelques générations, si la tendance se maintient, l'immense majorité des francophones de la région torontoise sera anglicisée. Voilà où se situe le noeud de la question. Tant qu'on ne reconnaîtra pas la réalité des chiffres des études et recensements, tant qu'on persistera à vivre au pays des merveilles, tant qu'on ne s'outillera pas pour poser un diagnostic réaliste... ai-je besoin de faire un dessin???

Les 26 000 livres en français sont sauvés à Toronto? Bravo! Bonne décision! Mais ce n'est que partie remise, et la prochaine fois, la décision ne sera peut-être pas renversée...




3 commentaires:

  1. Le Canada est un pays bilingue, mais seulement au Québec.

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  2. Après Toronto, Vancouver, etc.

    Alberta : Fermeture de la dernière librairie francophone de l’Alberta

    http://www.rcinet.ca/fr/2015/01/26/alberta-fermeture-de-la-derniere-librairie-francophone-situee-a-edmonton/

    26 janvier, 2015

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    1. Est-ce normal dans ce beau pays bilingue, que les francophones doivent toujours quémander des services de base et des droits élémentaires??? Et que finalement, on s'excuse et on recule... quand on se fait prendre les deux mains dans le sac!!!!

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