Juger de l'importance d'une information constitue souvent le moment clé dans la confection d'un journal (imprimé, télévisé, radiodiffusé, Internet... peu importe...). Telle nouvelle mérite-t-elle une manchette ou une simple mention? Se rapproche-t-elle des premières pages ou des dernières? Est-elle d'intérêt ponctuel ou durable? Sa portée est-elle locale, nationale, mondiale?
Parfois, l'événement revêt un caractère historique. On l'inclura dans les revues de l'actualité de l'année, dans les rétrospectives de décennie ou même, de siècle. Éventuellement, il noircira quelques pages dans des manuels d'histoire générale ou spécialisée. Habituellement, leur importance crève les yeux. On leur consacre la une, souvent pour plus d'une journée. Ils font l'objet de suivis, d'analyses, de commentaires, d'éditoriaux, et animent les réseaux sociaux.
Alors cela m'étonne au plus haut point quand une annonce historique est traitée comme un fait divers de second ordre, reléguée à une demi-douzaine de paragraphes après un sous-titre anodin, dans un texte portant sur un tout autre sujet. Il s'agit, en l'occurrence, de l'annonce du prochain déménagement du quotidien Le Droit, qui quittera le sol ontarien après 107 ans d'existence pour installer sa rédaction à Gatineau, du côté québécois de la rivière des Outaouais.
Dans les chapitres d'histoire de la francophonie québécoise et canadienne, l'épisode du Règlement 17 en Ontario (interdiction d'enseigner en français après la 2e année du primaire) occupe une place de choix. La fondation du Droit, en 1913, en fut une conséquence directe et les débats entourant ce règlement génocidaire ont exacerbé la crise de la conscription durant la Première Guerre mondiale. Ainsi, depuis le 27 mars 1913, Le Droit est identifié aux combats franco-ontariens.
Au fil des décennies, la proportion des abonnés québécois a augmenté et dépassé le seuil des 50% durant les années 1940. Je ne serais pas surpris qu'aujourd'hui, les trois-quarts des abonnés du Droit aient une adresse au Québec. Malgré tout, le quotidien avait toujours eu pignon sur rue dans la Basse-Ville d'Ottawa, ancien bastion francophone jusqu'à ce que la Ville d'Ottawa lance un projet de rénovation urbaine ethnocidaire dans les années 1960.
Bon an mal an, en dépit d'un tirage en régression (la majorité des francophones de la capitale préférant les médias de langue anglaise), Le Droit est demeuré une figure de proue pour toutes les causes franco-ontariennes et continue d'être vu, au sein des franges militantes de l'Ontario français, comme l'un des leurs. Alors voir le vaisseau amiral des médias franco-ontariens s'installer au Québec, cela constitue un bouleversement majeur, presque un changement d'ADN...
La preuve du caractère primordial de cette traversée au Québec est révélée, entre autres, par les annonces préventives faites par Le Droit au cours de la dernière semaine : la résurrection du poste de journaliste à l'Assemblée législative ontarienne (aboli en 1988 quand le journal a adopté le format tabloïd) et la création d'un laboratoire de journalisme en association avec le collège La Cité, à Ottawa. Cette stratégie pour rassurer les élites franco-ontariennes est transparente.
Les gens ont beau dire comprendre la situation du journal, dans le sillage de la faillite du Groupe Capitales Médias, et son besoin d'avoir accès aux protections financières espérées du gouvernement Legault, il y a là une véritable rupture historique. En dépit de la tentative actuelle de diminuer l'impact d'un déménagement en sol québécois, la nouvelle continuera à faire couler beaucoup d'encre et à faire jaser sur les deux rives de l'Outaouais. L'équipe du réseau ONFR+ de TFO a déjà amorcé des suivis en allant chercher des réactions dans les milieux franco-ontariens (bit.ly/2RE217h).
Les historiens de l'avenir, en évoquant le quotidien de la capitale canadienne, verront dans les années 1913 et 2020 des jalons importants de l'histoire médiatique canadienne-française. Le fait qu'on ait enterré l'événement actuel sous une autre nouvelle, beaucoup moins importante, n'y changera rien.
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À la fin du texte de Sébastien Pierroz d'ONFR+, il y avait une autre nouvelle à caractère historique: la révélation que Le Droit «s'oriente vers une disparition de sa version papier»... Si cela est vrai pour l'ensemble des anciens quotidiens de Gesca/Capitales Médias, le sursis accordé par leur transformation en coopératives risque d'être court. Ceux et celles qui croient que nos quotidiens peuvent survivre sans édition papier se trompent. J'y reviendrai...
J'ai eu le même sursaut, Pierre. Charles-Antoine Gagnon s'est peut-être fait dire de jouer la nouvelle "low profile"...
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