samedi 1 février 2020
Le plus-que-parfait du subjonctif???
Dans nos milieux politiques, plus personne ne s'exprime comme Jean-Noël Tremblay. En écoutant cet ancien ministre québécois des Affaires culturelles de l'époque de Daniel Johnson, décédé le 23 janvier 2020 à l'âge de 93 ans, on se rendait compte que la qualité de son français oral était fort supérieure au français écrit de la plupart d'entre nous. Il était l'un des rares hommes politiques à pouvoir verbaliser avec aisance tous les temps du subjonctif dans ses conversations...
À un intervieweur qui l'interrogeait sur les circonstances entourant je-ne-sais-quelle décision, le député de Chicoutimi avait répondu quelque chose comme: «Qu'eussiez-vous voulu qu'il en fît?» Je comprends que le grand public, dont je fais partie, ne manie pas l'imparfait et le plus-que-parfait du subjonctif avec autant de facilité que le présent de l'indicatif, mais leur rareté me rappelle que dans nos grammaires et dictionnaires sommeillent de nombreuses conjugaisons, ainsi que des dizaines de milliers de mots et d'expressions françaises qui pourraient émailler nos échanges verbaux et écrits.
Pourquoi ne les utilise-t-on pas, ou si peu? Soit on les connaît mal (ou pas), soit on craint d'attirer les regards en ne parlant pas «comme tout le monde»... Peu importe les motifs, on se prive des richesses de la langue française en demeurant au plus bas dénominateur commun qui, ces jours-ci, est farci de vulgarités, de joual et d'anglicismes, sans compter une abondance de termes et de phrases en anglais. Pour s'en convaincre, il suffit d'épier les jasettes pendant une petite heure dans une salle d'attente d'hôpital, d'écouter quelques entrevues de vedettes et de sportifs à la télévision ou, pire, de lire une brochette de messages affichés sur Facebook et Twitter...
Dans une société comme la nôtre, encerclée dans une Amérique du Nord unilingue anglaise où nous ne formons que 2% de la population, la tâche n'est certes pas facile. Encore faut-il vouloir retrousser nos manches et mettre à notre service le seul État que nous contrôlons, le Québec, pour que notre langue commune soit effectivement le français - un français de qualité - à l'école (du primaire à l'université), dans la société, au travail, à Rimouski comme à Montréal... même dans le West Island.
Mais à voir ce qui se passe ici depuis quelques décennies, on croirait par moments qu'un Québec français agonisant se prépare à demander «l'aide médicale à mourir»... Alors que l'anglais s'impose de plus en plus comme langue de travail et que la qualité du français s'effrite à vue d'oeil, Québec a créé des programmes d'anglais intensif au primaire dans les écoles françaises, annonce des DEC bilingues dans nos cégeps et tolère l'infiltration de cours en anglais dans les universités de langue française. Notre gouvernement oblige même, en 2019-2020, des étudiants francophones de Gatineau à faire leur année préparatoire en médecine en anglais à McGill... Non seulement cela témoigne-t-il d'une érosion de fierté nationale, c'est surtout un manque flagrant de respect pour cette langue que des générations d'ancêtres ont vaillamment transmise.
Quand, au début des années 1960, René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles dans le gouvernement de Jean Lesage, a voulu nationaliser les compagnies d'hydroélectricité et annoncé son intention de construire des barrages en français, bien des anglophones (et peut-être des francophones) lui ont dit qu'il rêvait en couleurs. Il a réussi. Aujourd'hui, devant l'omniprésence de l'anglais autour de nous, trop des nôtres baissent les bras et préconisent un bilinguisme de masse au lieu de tenter de redonner au français la maîtrise des lieux. C'est une stratégie suicidaire.
Une prise de conscience collective et individuelle s'impose. Il ne suffit pas d'obtenir une intervention énergique de l'État. Chacun, chacune doit y mettre du sien en exigeant le français partout, en le lisant davantage, en l'écrivant mieux, en soignant son français parlé. Ne rien faire est bien plus facile, j'en conviens. Mais on sait déjà ce que cela donnera. Une nouvelle Louisiane aux bords du Saint-Laurent dans quelques générations...
Pour ma part, j'ai commencé à introduire dans mes conversations des mots précis, un peu plus recherchés, pour remplacer les «affaires» et les «choses» qu'on leur a trop souvent substitués. J'ai aussi entrepris de franciser la prononciation de certains termes, noms et lieux qu'on verbalise trop souvent à l'anglaise... La première fois que j'ai dit «i»Pad et non «aille»Pad, j'étais un peu inconfortable et mon interlocuteur a sourcillé... Maintenant je suis habitué et plusieurs personnes autour de moi ont commencé à prononcer le «i» du iPad comme un «i» français...
Vous me direz que c'est une goutte dans un océan. Certes. Mais si des millions de personnes s'y mettent quotidiennement, le paysage linguistique changera... Le pays aussi, peut-être...
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Excellent texte qui nous porte à une sérieuse réflexion. C’est une responsabilité citoyenne de nous assurer que notre langue chemine et demeure vivante pour et par les générations qui nous succéderont.
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