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S'il fallait une preuve éclatante de l'agonie de notre presse écrite, nous l'avons eue la semaine dernière lors de la publication du rapport de l'OQLF sur l'effritement du français comme langue de travail, en particulier à Montréal. Quand j'étais jeune journaliste, il y a une cinquantaine d'années, une nouvelle de cette ampleur aurait mobilisé les salles des nouvelles et les équipes éditoriales...
Les kiosques à journaux auraient étalé, le lendemain et les jours suivants, une variété de manchettes, de suivis, d'analyses et d'éditoriaux susceptibles d'alimenter le débat public. Le rapport aurait été décortiqué, on aurait abondamment sollicité des opinions d'experts, de politiciens, d'intervenants patronaux et syndicaux en milieu de travail. Les lecteurs et lectrices auraient eu de quoi se mettre sous la dent...
Le paysage médiatique de 2020 a plutôt des allures désertiques... Huit des onze journaux de langue française du Québec ne publient plus d'édition papier quotidienne... Ne reste en version imprimée que les deux quotidiens de Québecor (Journal de Montréal, Journal de Québec) et Le Devoir... Les autres n'ont qu'une existence virtuelle qui deviendra de plus en plus marginale au fil des ans dans la jungle fragmentée de l'Internet... Par ailleurs, dans notre univers de 2020, il n'y a plus que Le Devoir et La Presse pour offrir au lectorat un éditorial quotidien...
L'Office québécois de langue française (OQLF) a rendu public son rapport sur le français langue de travail le mardi 11 août. Seuls les quotidiens imprimés en ont fait mention le lendemain, mais sans lui accorder toute l'importance que cette nouvelle méritait. Dans les jours qui ont suivi, au-delà de quelques bonnes chroniques dans le Journal de Montréal, je n'ai vu qu'un texte récapitulatif sur le site Web de La Presse, le lundi 17 août... Et rien sur le rapport de l'OQLF, rien du tout dans les vapeurs virtuelles des six anciens quotidiens papier de Capitales Médias devenus coopératives...
Une semaine après la publication qui démontrait, entre autres, qu'on impose de plus en plus l'anglais comme langue de communication à l'interne dans de nombreuses entreprises et municipalités québécoises, seuls quelques chroniqueurs de Québécor ont brassé les braises dans la presse écrite. Même Le Devoir, notre quotidien national, celui qui nous accompagne dans nos combats en faveur de la langue française depuis plus de 100 ans, semble avoir baissé les bras. Le silence y est assourdissant ces jours-ci.
Fort heureusement, des textes de Mathieu Bock-Côté, de Denise Bombardier, Sophie Durocher, Joseph Facal, Steve Fortin et autres chroniqueurs et blogueurs de Québecor ont alimenté le débat dans les réseaux sociaux mais ces échanges, s'ils ont le mérite de mobiliser l'opinion, ajoutent peu aux connaissances des lecteurs et internautes en matière de français langue de travail. Une étoile dans la nuit médiatique: l'interview de Mathieu Bock-Côté avec le chercheur Frédéric Lacroix, qui offrait au lectorat un regard plus approfondi sur la situation actuelle.
Dans nos salles de rédaction décharnées, personne n'a assigné de reporters à vérifier sur le terrain les données transmises par l'OQLF. D'abord à Montréal, l'épicentre de notre anglicisation, mais aussi à Québec et ailleurs en régions, notamment en Outaouais où la ville de Gatineau, dans son acharnement à imposer la connaissance de l'anglais à un commis aux finances (qui n'en avait pas vraiment besoin), a réussi en 2015 à ébranler tout un pan de la Loi 101 devant les tribunaux... Depuis l'annonce de l'OQLF, le 11 août, je n'ai lu aucune réaction d'employeur, de travailleur ou d'expert, même dans les méandres du Web médiatique...
Quand nous plongeons dans les archives de la presse écrite des années 60 et 70 pour revivre les grands combats de la nation, et notamment celui d'assurer la pérennité de la langue et de la culture françaises en Amérique du Nord, on peut étaler à perte de vue des coupures des journaux de l'époque... Le Devoir, La Presse, Montréal-Matin, Le Soleil, Le Droit, Le Nouvelliste, La Tribune, L'Évangéline, La Voix de l'Est, Le Jour, Québec-Presse, le Quotidien... Dans ces pages imprimées, on peut suivre l'actualité brûlante au jour le jour sans en perdre le fil...
Quand, un jour, des chercheurs de l'avenir se pencheront sur la décennie qui s'amorce en 2020 pour établir une chronologie de nos ultimes sursauts linguistiques avant l'effondrement, ils constateront que le déclin national et le déclin de la presse québécoise ont emprunté le même trajet. Si les archives Web des médias deviennent des labyrinthes insondables - c'est déjà le cas pour certains quotidiens - il ne restera que quelques maigres coupures imprimées pour démontrer à nos descendants (parleront-ils français?) qu'on nous avait informés de la gravité de la situation (médiatique et linguistique) et que nous n'avons pas agi quand il était encore temps...
Nous posons les bonnes questions et refusons les bonnes réponses... On se satisfait de demi-mesures trouées et inefficaces... On brûle des lampions dans des églises désertes pour que les tablettes et les téléphones, tributaires de vastes empires du Web sur lesquels nous n'avons aucun contrôle, puissent remplacer la civilisation de l'imprimé qui a alimenté nos démocraties toujours naissantes depuis des centaines d'années. On colmate à moitié des brèches géantes dans une Loi 101 déjà incomplète et on prie St-Jude pour que les milieux de travail se francisent, pour que la qualité du français parlé et écrit s'améliore, pour que les anglophones et allophones respectent notre langue et notre culture. Avec des résultats prévisibles.
Nos ancêtres ont bûché courageusement pendant quatre siècles pour nous offrir cette fenêtre historique où enfin, les prises de décision nous appartiennent. Cette fenêtre se refermera bientôt, pour de bon, si nous continuons d'agir en lâches. Notre presse agonise. La nation suivra de près.
Et pourtant, il n'est pas trop tard...
Si je comprends bien, il y aurait de l'espoir ??? Permettez-moi d'en douter quelque peu !!!
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