lundi 3 août 2020

Les 50 ans de la crise d'octobre... Des Anglos solidaires...


Ceux et celles qui ont l’âge de se souvenir des événements de 1970, comme les plus jeunes qui ont pu se renseigner sur cette année turbulente, peuvent témoigner de l’intensité des débats politiques, linguistiques et sociaux qui déchiraient les Québécois de langue française, ainsi que les Acadiens et Canadiens français ailleurs au Canada, lors de la crise d’octobre.

Si on demandait à ces mêmes personnes de rappeler leurs perceptions de l’opinion anglo-canadienne à la même époque, les réponses seraient sans doute plus floues. Les médias québécois ont peu analysé les réactions du Canada anglais, et l’on conserve aujourd’hui l’impression d’un vif ressac anti-québécois chez les anglophones et d’un appui quasi total  à la répression et aux mesures de guerre invoquées par le gouvernement Trudeau. Une impression assez juste...

Et pourtant, des voix discordantes se sont fait entendre… Quand le gouvernement fédéral a soumis aux Communes sa décision de recourir à la Loi sur les mesures de guerre, seize députés ont eu le courage de s’y opposer… Ils étaient tous anglophones, tous néo-démocrates, Tommy Douglas (de la Saskatchewan) en tête. Leur position, fort impopulaire dans l'opinion publique, avait quelques appuis au sein de l’intelligentsia anglo-canadienne, notamment de l’auteure Margaret Atwood. Certains ont alors écrit que le NPD venait de se faire hara kiri. C'était au contraire l'une de ses heures de gloire.

Dans les médias de langue anglaise, quelques revues de gauche – Canadian Dimension (de Winnipeg) et Last Post (de Montréal) – ont proposé des textes sympathiques aux causes défendues par les mouvements indépendantistes québécois et hostiles à l’utilisation de l’armée canadienne pour mater une «insurrection appréhendée» inexistante. Fondé en 1969 par une coopérative de rédacteurs dont Terry Mosher (le caricaturiste Aislin), le magazine Last Post était le plus percutant.

Dans son tout premier numéro, en décembre 1969, la revue présente, sous le titre White Negroes, un portrait presque flatteur du felquiste Pierre Vallières (auteur de Nègres blancs d’Amérique) ainsi qu’un méga reportage de neuf pages (Québec: Into the Streets) pour expliquer aux lecteurs de langue anglaise les combats historiques et actuels des  Franco-Québécois, sous l’angle d’une lutte nationale doublée d’un combat contre le capitalisme.

Le texte conclut en décochant une flèche au public anglo-canadien, même celui de la gauche politisée, raillant son ignorance du vécu des militants indépendantistes, syndicaux et étudiants québécois. «Un membre de la gauche torontoise, rapportent les auteurs Peter Allnutt et Robert Chodos, s’est rendu à Montréal pour la manifestation Opération libération et s’est retrouvé sur la rue St-Jacques, où des rangs de policiers en motos fonçaient sur les manifestants. Horrifié, il s’est empressé de prendre le vol de minuit pour retourner à Toronto.»

Après une fin d'été 1970 relativement calme, les enlèvements du FLQ et les réactions des gouvernements en octobre ont pris de court les équipes de Last Post et Canadian Dimension, habituées à pondre des textes de fond muris et non à chasser l’actualité brûlante. Mais il n’a fallu que quelques jours à l’équipe de collaborateurs de Last Post, en particulier après le recours aux mesures de guerre, pour acquérir «la profonde conviction que dans l’examen des événements, et de leur traitement dans la presse anglo-canadienne à l’extérieur du Québec, trop de choses n’ont pas été dites, et trop de questions n’ont pas été posées dans l’explosion des événements».

Dans une édition spéciale tabloïd-papier-journal (photo ci-haut) produite quelques jours après l'imposition des mesures de guerre et la mort de Pierre Laporte, les journalistes de Last Post concluaient déjà que la soi-disant «insurrection appréhendée» (doublée d'une tentative de coup d'État) était pure fabrication. «Ce qui est très probable, écrivait-on, c'est que Trudeau y a vu l'occasion de porter un coup décisif à la vague nationaliste-indépendantiste» en faisant arrêter près de 500 innocents. Ainsi le «véritable coup d'État est l'oeuvre de Pierre Elliott Trudeau».



Le mois suivant, en novembre 1970, tant Last Post que Canadian Dimension publiaient des numéros presque entièrement consacrés à la crise d'octobre, placardant à la une des titres qui ne laissent aucun doute quand à leur opposition aux mesures de guerre de Trudeau. Canadian Dimension annonçait en lettres jaunes sur fond rouge, sous sa bannière: «War declared on QUEBEC», pendant que Last Post titrait, à côté de la photo d'un militaire armé, «OCTOBER 1970: The Plot Against Quebec».


En plus de proposer une analyse critique des événements d'octobre, Canadian Dimension (le plus modéré des deux magazines) présente en pleines mesures de guerre des interviews avec des personnalités proches du FLQ, une biographie de Pierre Vallières ainsi que les deux manifestes du FLQ (celui de 1963 et celui d'octobre 1970)! Dans Last Post, au-delà des textes de fond, le journaliste Nick Auf der Mar raconte son arrestation en vertu des mesures de guerre et la revue publie même des extraits de la version anglaise du livre de Pierre Vallières, intitulé White Niggers of America. Un pied de nez à l'autocensure qui caractérisa l'ensemble de la presse canadienne et québécoise après le coup d'État du gouvernement Trudeau.

Au moment où l'on s'apprête à souligner les 50 ans de la crise d'octobre 1970, il ne faudrait pas oublier les écrits d'une petite minorité anglo-canadienne qui s'est donné la peine de fouiller plus loin que la propagande officielle, et dont les textes percutants n'ont rien perdu de leur valeur.






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