mercredi 30 septembre 2020

Mesures de guerre... Trudeau doit-il s'excuser?

Photo SSJB

L'imposition de la Loi sur les mesures de guerre par le gouvernement fédéral durant la crise d'octobre 1970 passera sans doute à l'histoire comme la pire violation des libertés civiles au pays depuis la Confédération. Si, à l'époque, la classe politique et le grand public canadiens ont largement appuyé ce recours aux mesures de guerre en temps de paix, c'est uniquement parce qu'il était dirigé contre les indépendantistes québécois, qu'on avait diabolisés depuis des années, d'un océan à l'autre, dans les médias. 

Cinquante années plus tard, alors que des voix s'élèvent pour réclamer de Justin Trudeau des excuses pour les abus policiers et l'emprisonnement arbitraire de près de 500 Québécois innocents, le débat se poursuit sur la paternité de la décision ultime de recourir au pouvoir extrême de l'État durant cette nuit du 15 au 16 octobre 1970, alors que Pierre Laporte était toujours vivant et que les forces de l'ordre traquaient déjà la plupart des membres du FLQ impliqués dans les enlèvements... Qui a décidé quoi au moment crucial?

Marc Lalonde, ancien ministre fédéral et chef de cabinet de Pierre Elliott Trudeau en octobre 1970, a joué un rôle clé. Il assurait le lien entre le conseil des ministres et le gouvernement Bourassa et son influence pouvait parfois être décisive. Interviewé récemment par Antoine Robitaille, du Journal de Montréal, M. Lalonde a jugé «totalement ridicule» l'idée de présenter des excuses officielles pour les mesures de guerre parce qu'Ottawa ne faisait que répondre à «deux demandes officielles» - l'une du gouvernement québécois et l'autre du maire de Montréal, Jean Drapeau.

«À l'époque, a-t-il précisé à Radio-Canada, le gouvernement fédéral a agi seulement à la demande spécifique et très claire de deux gouvernements démocratiquement élus à Québec et à Montréal». Selon Marc Lalonde, Trudeau était même «des plus réticents» à promulguer les mesures de guerre. «Regardez toute l'histoire de cet homme-là, ses positions idéologiques, ses écrits antérieurs, ce n'était pas dans sa ligne de pensée», ajoute-t-il dans l'entrevue au Journal de Montréal.

Cette version des événements en laissera plusieurs sceptiques, notamment à la lumière du «Just Watch me» qu'il avait lancé à un reporter de CTV quand ce dernier, évoquant la présence de l'armée, lui avait demandé, deux jours plus tôt, jusqu'où il était prêt à aller... Pierre Elliott Trudeau tenait en horreur les nationalistes québécois, qu'ils soient fédéralistes (comme Claude Ryan) ou «séparatistes», et ne reculait pas quand venait le temps de les confronter. En témoignent les manoeuvres de la nuit des longs couteaux en 1981 et le sabotage sans scrupule de Meech à la fin des années 1980...

Récemment, l'ancien ministre québécois Claude Castonguay, le père de l'assurance-maladie, était invité à l'émission Le 21e de la radio de Radio-Canada et l'animateur Michel Lacombe l'avait interrogé au sujet de la nuit des mesures de guerre où M. Castonguay se trouvait à l'Assemblée nationale, siégeant en pleine nuit pour ordonner le retour au travail des médecins spécialistes en grève. Marc Lalonde, se souvient-il, venait d'avoir des discussions avec Robert Bourassa.

M. Castonguay dit avoir parlé au premier ministre québécois vers minuit. C'est là qu'il a appris l'imminence des mesures de guerre. Et à ce jour M. Castonguay affirme toujours n'avoir eu «aucune indication qui permet de croire que c'est Robert Bourassa qui a demandé l'intervention de l'armée» et la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre. L'ancien ministre de la Santé affirme sans détour, au sujet des mesures de guerre: «C'est une décision prise à Ottawa par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau.»

Le témoignage d'Eric Kierans, alors ministre dans le cabinet Trudeau mais aussi membre du cabinet de Jean Lesage dans les années 1960, offre lui aussi un témoignage révélateur dans son livre autobiographique, Remembering, publié en 2001. Il décrit la réunion du conseil des ministres du 15 octobre, où la décision devait se prendre. L'attention ne semble pas fixée sur une quelconque demande d'intervention de Robert Bourassa mais plutôt sur l'évolution de la situation au Québec. Et c'est Marc Lalonde, au téléphone avec le ministre québécois Jérôme Choquette, qui répète constamment que «les choses vont mal, très mal»...

Plusieurs ministres ne sont pas convaincus de la nécessité de proclamer les mesures de guerre. Trudeau, lui, était favorable. «Je ne pense pas que Trudeau aurait pu forcer l'adoption des mesures de guerre, écrit Kierans. Je pense que nous avons été emportés par l'hystérie générale, à l'extérieur, et par l'impression de contrôle que donnait Pierre Trudeau, à l'intérieur... Trudeau semblait tellement convaincu que l'action proposée par Lalonde était la bonne que nous avons perdu notre capacité de juger et lui avons donné notre appui dans ce qui allait devenir une injustice massive.»

Ainsi ce ministre parle de «l'action proposée par Marc Lalonde» et non de supplications venant de Robert Bourassa et de son état-major. Des actions qui étaient probablement le reflet fidèle des positions de Pierre Elliott Trudeau. Antoine Robitaille, dans son texte, cite Marc Lalonde qui raconte s'être rendu à Québec et à Montréal «pour faire signer des lettres officielles», «parce que Trudeau se disait que ces gens-là se devaient d'être engagés, car si la soupe devenait chaude, il ne pourrait offrir de réponses évasives». Cela est plus conforme à l'image de Robert Bourassa, l'incarnation politique de l'indécision.

J'étais journaliste à l'époque de la crise d'octobre, que j'ai couverte du début à la fin comme courriériste parlementaire à Ottawa. Pierre Trudeau était clairement aux commandes. L'image d'un Bourassa tourmenté et indécis se faisant dire par Marc Lalonde (au nom de Trudeau) de signer une «demande officielle» de promulguer les mesures de guerre semble bien plus plausible que celle d'un Bourassa en plein contrôle sommant Ottawa d'utiliser les mesures de guerre contre le FLQ.

Il n'est pas «totalement ridicule» de demander à Justin Trudeau de présenter, au nom du fédéral, des excuses pour la répression d'octobre 1970. Que Bourassa et Drapeau soient intervenus ne change rien au fait que seul Ottawa avait le pouvoir d'invoquer les mesures de guerre. Et ce sont les pouvoirs octroyés par ces mesures de guerre qui ont permis aux policiers et à l'armée de violer allègrement les libertés civiles et de mettre au cachot sans mandat près de 500 innocents qui n'avaient rien à voir avec les enlèvements et l'assassinat de Pierre Laporte.

Alors oui, le gouvernement fédéral devrait présenter des excuses officielles au peuple québécois et aux innocents incarcérés, et à leurs proches. Mais il ne le fera pas. Parce que dans l'esprit d'Ottawa, taper sur les méchants séparatistes demeure toujours, comme en octobre 1970, une activité tout à fait honorable...

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Textes consultés (liste partielle)

Excuses et crise d'octobre: le gouvernement Trudeau silencieux, texte de Louis Blouin sur le site Web de Radio-Canada, 28 septembre 2020. 

Trudeau offrira-t-il des excuses pour le geste de Trudeau père? Texte d'Antoine Robitaille dans le Journal de Montréal, 13 septembre 2020. 

16 octobre 1970: proclamation de la Loi sur les mesures de guerre - Les libertés suspendues, texte de Guy Bouthillier publié dans Le Devoir, 7 avril 2010. 


mardi 29 septembre 2020

Le jargon du Commissaire...



Le Commissaire fédéral aux langues officielles, Raymond Théberge, vient de rendre public son rapport annuel, qui souligne cette année le 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles. Le document est rédigé dans le jargon bureaucratique habituel, garantissant l'impossibilité de comprendre les véritables enjeux pour quiconque ne suit pas de près l'évolution des droits linguistiques au Canada...

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Allons-y d'une série d'exemples tirés des textes du Devoir et du site franco-ontarien ONFR+... Les médias, malheureusement, reproduisent fidèlement d'année en année ce «jargon» au lieu de rendre plus compréhensibles aux lecteurs les observations du Commissaire aux langues officielles...

D'abord Le DevoirI (article de Catherine Lévesque, de la Presse canadienne):

«Le Commissaire aux langues officielles du Canada a enregistré 1361 plaintes recevables pour l'année 2019-2020. Il s'agit d'un bond de 25%». Il aurait fallu demander à M. Théberge quelle proportion de ces plaintes provenaient de francophones du Québec et des autres provinces. 80%? 90%?

«Plus de la moitié des plaintes sont en lien avec les communications avec le public et la prestation de services, alors que près du tiers concernent les exigences linguistiques des postes. Il y a eu 172 plaintes au sujet de la langue de travail.» Je serais curieux de savoir combien d'anglophones se sont plaints de communications ou de services unilingues français, ou encore d'un excès de français au travail... Poser la question c'est y répondre?

«Selon le rapport, il y a eu une "augmentation considérable" du nombre de plaintes en lien avec les langues officielles dans les débats et travaux du Parlement»... Quoi? Trop de français au Parlement, peut-être? Vous avez des doutes? Moi itou... Telle qu'écrite, cette phrase dissimule la réalité anglo-dominante au Parlement...

Le Commissaire a reçu des plaintes dans le cadre des élections fédérales. «Plus de 80% de la part des électeurs portaient sur le manque de services dans la langue officielle de leur choix.» Elle est bien bonne. On laisse ainsi entendre qu'il y existe quelque part des anglophones ayant reçu des services unilingues français... alors que le bon sens dicte que ces plaintes proviennent en quasi-totalité de francophones qui ont eu de la difficulté à voter dans leur langue...

Le paragraphe suivant livre un indice important sur la provenance des plaintes... «La majorité des plaignants (70%) en lien avec les élections fédérales provenaient de l'Ontario»... L'hypothèse d'anglos soumis à l'unilinguisme français vient de s'évaporer...

«Les langues officielles ont aussi été malmenées dans le cadre de la crise sanitaire suis secoue le pays.» «Certaines institutions, écrit le Commissaire, ont eu du mal à offrir leurs services en anglais et en français.» Pourquoi décrire le problème ainsi quand tout le monde sait que seule la langue française est malmenée au Canada? On se moque de nous.

Et maintenant ONFR+ (article de l'excellent Benjamin Vachet):

«Le Commissaire constate que les problèmes demeurent en matière d'application de la Loi sur les langues officielles, rendant souvent les services dans la la langue officielle de son choix.» «Les institutions fédérales ne respectent pas la Loi sur les langues officielles.» Vivement laissez-nous savoir quelle institution fédérale brille par son unilinguisme français et pratique la discrimination contre l'anglais...

«Nous avons reçu beaucoup de plaintes visant l'Agence des services frontaliers du Canada, l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, le Système national d'alertes au public.» Pensez-vous vraiment que ces plaintes proviennent d'anglophones de la Saskatchewan ou de Terre-Neuve, incapables de se faire servir en anglais?

«La région de la capitale nationale (Ottawa, pas Québec...) regroupe près de la moitié des plaintes, comme c'est le cas depuis près de dix ans.» Je vis dans cette région depuis 74 ans et je sais, comme tous les francophones, quelle langue domine et laquelle est dominée... L'unilinguisme anglais est encore trop souvent la règle...

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Un souhait... que les journalistes obligent le Commissaire aux langues officielles, d'année en année, à mettre en avant-plan une ventilation linguistique de ses données (qui s'impose) et à reconnaître qu'il (elle) passe le plus gros de son temps - 90%? - à défendre la langue française et que cette soi-disant symétrie des deux langues officielles est de la pure fiction...


samedi 26 septembre 2020

L'autoroute 50... l'histoire sans fin...


Le titre du quotidien Le Droit était trop beau: «Autoroute 50: quatre voies entre L'Ange-Gardien (avoisinant Gatineau) et Mirabel». Le début du texte l'était aussi: «Un appel d'offres est lancé pour le doublement des voies de l'autoroute 50 entre L'Ange-Gardien et Mirabel.»

Notre demi-autoroute, que les gouvernements libéraux et péquistes avaient mis une quarantaine d'années à rafistoler, s'apprêterait donc à devenir un vrai 4-voies? C'aurait dû être la grosse manchette de la une, et non un texte concis adapté d'un communiqué, glissé en page 52 du Droit imprimé de samedi (l'article du site Web est même plus court...). Y a-t-il anguille sous roche?

Depuis avril 1970, quand le gouvernement de la défunte Union nationale avait annoncé pour la première fois le projet d'autoroute 50, lors d'une conférence de presse électorale que j'avais couverte pour Le Droit, on a appris à prendre avec un grain de sel les annonces d'échéanciers de travaux, rarement respectées au fil des décennies. Après plus de 30 ans d'attente, on lançait à la blague que la 50 était devenue la plus vieille promesse électorale non réalisée du Québec...

Ce qui m'a frappé en premier, au-delà de la brièveté de la nouvelle d'aujourd'hui et son rejet vers la fin du journal, c'était la première citation attribuée au ministre des Transports, François Bonnardel, qui parle du «tronçon entre L'Ange-Gardien et Mirabel»... Si on avait évoqué le segment Papineauville-Montebello, ou L'Ange-Gardien-Thurso, j'aurais compris l'emploi du terme «tronçon»... Mais le le trajet L'Ange-Gardien-Mirabel couvre plus de 100 km d'une autoroute qui n'en a, au total, que 160... 

En cas de doute, réflexe de journaliste, on retourne aux sources. L'article du Droit citait le ministre Bonnardel et le ministre de l'Outaouais, Mathieu Lacombe. On avait bien dû tenir une conférence de presse quelque part, et le ministère aurait émis un communiqué de presse. Vérification faite, si les médias avaient été convoqués c'était à Lachute, et M. Bonnardel n'y était pas. L'annonce était confiée à la ministre responsable des Laurentides, Sylvie d'Amours, et à la députée d'Argenteuil, Agnès Grondin. Rien dans le communiqué n'indiquait la présence du ministre de l'Outaouais...

Là, quelque chose ne tourne pas rond... Si on procède vraiment à un appel d'offres pour le doublement des voies sur plus de 100 km de l'autoroute 50, on sort les gros canons: le premier ministre, le ministre des Transports et tous les députés du territoire touché par les travaux. Après 50 années de tergiversations, voilà une annonce historique menant au parachèvement d'un projet autoroutier majeur reliant l'Outaouais à la région montréalaise. Le fait de n'avoir mobilisé qu'une ministre régionale et une députée semble justifier un second regard sur le communiqué.

Le texte du communiqué publié à 11 h, le vendredi 25 septembre, évoque «un important appel d'offres en lien avec le projet de bonification de l'autoroute 50 entre L'Ange-Gardien et Mirabel». Il ne s'agit pas ici d'un nouveau projet. Des travaux d'élargissement à quatre voies du tronçon (ici le bon mot) entre le secteur Buckingham de Gatineau et L'Ange-Gardien sont prévus pour le printemps 2021. La véritable nouveauté régionale serait donc le fait de prioriser pour 2022 le tronçon Lachute-Mirabel «en raison de problèmes de sécurité qui y ont été constatés et de débits de circulation plus élevés». Cela expliquerait la présence de députés des Laurentides et l'absence de ceux de l'Outaouais...

Alors qu'en est-il de ce pseudo-tronçon L'Ange-Gardien-Mirabel, qui est en réalité la totalité de l'autoroute 50 à deux voies? Le communiqué précise que le contrat qu'on va octroyer portera sur «la réalisation de différentes études complémentaires d'avant-projet (géotechnique, environnementale et hydraulique), les travaux d'arpentage ainsi que la préparation des plans et devis qui permettront de passer à la réalisation du projet». Ce n'est pas rien, mais entre les études d'avant-projet et un éventuel début des travaux (et que dire, de l'achèvement des travaux), je serai probablement mort et enterré depuis longtemps...

Le communiqué de presse du gouvernement québécois porte un titre plutôt pompeux: «Le gouvernement va de l'avant avec l'autoroute 50 entre Mirabel et L'Ange-Gardien». C'est essentiellement une annonce régionale pour le segment Lachute-Mirabel. Ces travaux d'avant-projet étaient prévus depuis que la CAQ s'était engagée à faire de la 50 une vraie autoroute. Le fait de les enclencher a beaucoup de mérite, mais n'ajoute pas grand-chose au dossier. Quand elles seront terminées, on verra...

Petites notes à la fin... Le communiqué parle du «tronçon entre L'Ange-Gardien et Mirabel» dans une citation attribuée au ministre Bonnardel mais les documents du ministère annexés au communiqué, après avoir indiqué les tronçons priorisés (Gatineau-L'Ange-Gardien, Lachute-Mirabel), présentent sur une carte les cinq tronçons restants entre L'Ange-Gardien et Lachute... Cela fait donc pour le segment L'Ange-Gardien-Mirabel un total de six tronçons, et non un seul... Le communiqué offre aussi aux salles de nouvelles dégarnies quatre citations prêtes-à-publier de trois ministres et d'une députée... qui ont servi...

Retour au début... L'annonce d'hier n'est pas un appel d'offres pour le doublement des voies de l'autoroute 50 entre L'Ange-Gardien et Mirabel. C'est pour des études d'avant-projet, d'éventuels travaux d'arpentage suivis de plans et devis, devant un jour mener à l'annonce d'appels d'offres pour le doublement des voies...

J'ose espérer que ce texte de blogue ne m'attirera pas railleries et vulgarités comme mes premiers commentaires d'hier soir dans les pages de réseaux sociaux...

Amen!



jeudi 24 septembre 2020

Un discours à «la nation» dans un État «postnational»...



Quelle insulte, ce «discours à la nation» de Justin Trudeau! D'abord, le premier ministre fédéral fait fi de notre existence comme nation, s'adressant au Canada comme s'il n'y en avait qu'une, puis nous informe que la «nation» anglo-canadienne dont il a été élu porte-parole a l'intention de nous dicter ses quatre volontés dans des champs de compétence qui appartiennent au Québec!

Garderies, assurance-médicaments, soins de longue durée, formation professionnelle, sans oublier le logement social, l'administration de la justice et les priorités municipales... Le discours du trône et l'homélie de Trudeau en soirée se lisent comme une liste d'épicerie de compétences provinciales qu'on va allègrement saccager sous le couvert de la pandémie.

Et le fils de Pierre Elliott Trudeau a emprunté les accents autoritaires de son père dans son adresse à la télé. Parlant de la situation inacceptable vécue dans les centres de soins de longue durée au printemps, on aurait cru entendre le «Just watch me» d'octobre 1970... Le ton était le même... «Il faut que ça change et ça va changer», a déclaré lapidairement Justin Trudeau, comme si les CHSLD étaient des créatures d'Ottawa.

Le premier ministre québécois François Legault a immédiatement dénoncé l'invasion fédérale, notamment dans le secteur de la santé, et annoncé son intention d'en discuter sans délai avec ses collègues des autres provinces. S'il croit vraiment à l'efficacité d'une telle démarche, il vit au pays des merveilles. Quand le moment décisif arrivera, et il arrivera, les provinces anglaises s'aligneront sur «leur» gouvernement «national», Ottawa, comme durant la nuit des longs couteaux en 1981...

D'ailleurs, quand Justin Trudeau parle de discours à «la nation», non seulement gifle-t-il délibérément le Québec, mais il se contredit, ayant déclaré (en 2015) que le Canada était le premier État «postnational» de la planète... Dans un État postnational, comment peut-on s'adresser à «la nation»? Quoiqu'il en soit, si pour lui, le pays tout entier constitue une nation, alors il communique avec une nation à majorité anglaise. C'est elle qu'il veut convaincre. Avec son soutien, il peut isoler le Québec, seul véritable obstacle aux visées d'empiétement fédéral dans les champs de compétence provinciale.

Pour nous, au Québec, cela dépasse la simple révision des compétences constitutionnelles. L'enjeu est véritablement national, identitaire, culturel, linguistique. Ce qui se fait à Ottawa se fait essentiellement en anglais, en fonction des valeurs du Canada anglais. Le français y est surtout une langue de traduction et les francophones qui y exercent un pouvoir le font toujours sous surveillance. Veut-on vraiment que nos garderies, nos soins de santé, nos municipalités, notre éducation soient soumises  - directement ou par la bande - aux volontés d'Ottawa et des provinces anglaises? Car c'est bien de cela qu'il s'agit quand Trudeau lance: «Ça va changer!»

En octobre 1970, il  a 50 ans, Trudeau l'aîné avait profité de la crise du FLQ pour imposer les mesures de guerre à l'ensemble du pays et tenter d'écraser l'élan indépendantiste au Québec. Aujourd'hui, devant la pandémie, Trudeau fils invoque l'urgence pour charcuter l'esprit et la lettre de la constitution, et encore une fois mettre le Québec à sa place. Cela ne devrait surprendre personne. Depuis 150 ans, le Québec et les Canadiens français ont toujours été «mis à leur place» par la majorité anglo-canadienne. Pourquoi serait-ce différent en 2020?

Quand se rendra-t-on enfin compte, comme les Anglo-Canadiens l'ont toujours fait, qu'on n'est maître chez soi seulement quand on est majoritaire. On consent des postes de direction, même celui de premier ministre, à des francophones à condition qu'ils «collaborent» avec la majorité et en respectent les priorités. Tout pouvoir que le Québec consent à Ottawa, il le consent à une «nation» pan-canadienne qui gouverne en fonction de ses valeurs, de sa culture et de sa langue... Le pouvoir de décision de la majorité francophone du Québec est perdu pour de bon...

Le gouvernement Legault s'apercevra vite qu'il n'y en a pas de faciles dans ce pays... et que sa marge de manœuvre est très, très limitée. Son seul levier demeure la menace, encore à l'état de braises, d'une sécession de la fédération. Un jour, pas trop tard je l'espère, on tirera les conclusions logiques de 150 ans d'efforts futiles. Il en va de notre existence comme peuple.


 

jeudi 10 septembre 2020

Après avoir vu «Les Rose»...


Jamais on n'aurait pu soupçonner mon papa d'entretenir des sympathies «séparatistes». Surtout pas moi. Nos plus terribles chicanes auront été d'ordre politique. Lui et moi Franco-Ontariens, originaires d'Ottawa. Lui, fier Canadien français fédéraliste, hostile à tout ce qui menaçait l'unité canadienne. Moi, partisan inconditionnel de l'indépendance du Québec. Aucun terrain d'entente. De Gaulle, René Lévesque, le PQ, la crise d'octobre, tout était sujet de discorde. Et il n'a jamais changé d'idée, jusqu'à sa mort.

Et pourtant, un jour, à l'Institut canadien-français d'Ottawa dont il était membre, quand un collègue - qui me connaissait comme journaliste - m'a traité plutôt méchamment de «séparatiste», mon père lui a presque sauté à la gorge. Lui pouvait m'engueuler dans l'intimité de la famille, mais jamais il n'aurait supporté qu'on m'attaque sur la place publique. Il était ainsi. Si l'un des siens était malmené, on le trouvait debout à ses côtés, prêt à tout pour le défendre, même quand celui-ci se faisait l'avocat de thèses auxquelles il était viscéralement opposé.

Je me suis souvenu de mon père et de nos désaccords, hier soir, après m'être rendu au cinéma pour visionner le film «Les Rose». En tant que pacifiste intraitable, j'ai toujours été opposé à l'emploi de la violence en politique, tant par l'État que par ceux qui contestent l'État. J'ai condamné sans réserve les mesures de guerre, injustifiables, et l'emprisonnement arbitraire de près de 500 Québécois innocents. J'ai aussi condamné sans réserve les attentats, les enlèvements et l'assassinat de Pierre Laporte. Et pourtant il existait une différence entre les uns et les autres...

J'accueillais avec enthousiasme les critiques contre les excès des mesures de guerre fédérales, mais restais mal à l'aise devant ceux et celles qui se jetaient à bras raccourcis sur les actions du Front de libération du Québec. Avoir été confronté en privé à Paul Rose ou quelque autre membre des cellules Chénier ou Libération, j'aurais eu la querelle des querelles (verbale, bien sûr) avec mon interlocuteur sur l'immoralité de la violence comme arme politique. Alors pourquoi hésitais-je à me ranger avec les matraqueurs du FLQ sur la place publique?

J'ai trouvé la réponse en regardant le film de Félix Rose sur son papa. À l'image de la classe ouvrière québécoise dont ils étaient issus, les parents de Paul et Jacques Rose n'étaient pas des violents. Ils trimaient dur, comme bien d'autres familles, pour vêtir, nourrir et instruire la marmaille. Exploités par une classe capitaliste que leur labeur avait enrichie, le plus souvent dans une langue autre que la leur, l'anglais bien sûr, ils avaient enduré le système comme les générations précédentes. Le choc a dû être brutal quand deux de leurs fils ont kidnappé et participé au meurtre d'un ministre du gouvernement Bourassa.

Comment réagir, alors, quand l'État fédéral mobilise l'armée et la vétuste loi des mesures de guerre contre leurs enfants et, par ricochet, contre l'ensemble du mouvement indépendantiste québécois? Comment réagir quand la police recherche leurs fils et que les médias sous le poids de l'auto-censure les présentent comme des tueurs à une opinion publique manipulée qui crie vengeance? Ils ont fait comme les parents font quand leurs enfants sont en danger. Ils se sont rangés à leurs côtés. Boucliers levés.

Tous les indépendantistes, ainsi que les démocrates fédéralistes, ont ressenti - à un moindre degré sans doute - ce que les proches de Paul et Jacques Rose ont vécu. Les Rose et comparses étaient des nôtres. Des Québécois qui défendaient la cause indépendantiste et combattaient les injustices sociales et économiques dont la majorité de leurs compatriotes avaient souffert. Ce n'est pas un hasard si le manifeste du FLQ, lu à la télé, a suscité tant de sympathie. Puis vinrent les mesures de guerre, et surtout la mort de Pierre Laporte. Un geste irréparable.

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«Le gros voisin d'en face
Est accouru armé
Grossier, étranger
Pour abattre mon fils
Une bonne fois pour toutes»...

Félix Leclerc (L'alouette en colère)
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Notre cher barde Félix, pas très politique jusque là, a pondu en paroles et en musique ce que plusieurs ressentaient dans leurs tripes. Celui qui voulait abattre nos petits Robin-des-Bois-devenus-assassins, c'était le gros voisin d'en face, l'Anglais qui avait confié à nos trois colombes-collabos la tâche de mettre à leur place le Québec et ceux qui luttaient pour le libérer du carcan fédéral. Oui, Paul et Jacques Rose avaient commis un crime, mais nous n'avions pas le pouvoir de les juger librement, entre nous. Ceux qui les pourchassaient étaient les héritiers de ceux qui pourchassaient le Québec français (et la francophonie canadienne) depuis deux siècles.

Quand je suis sorti du cinéma, j'étais toujours incapable de reconnaître la légitimité du recours à la violence du FLQ, et pire, à un assassinat, mais je crois maintenant que j'aurais hésité à livrer les nôtres, fussent-ils coupables, au «gros voisin d'en face» pour qu'il administre une justice dont l'un des objectifs était d'écraser toute une nation.

Un jour, quand nous aurons notre pays, nous réglerons nos comptes entre nous. D'ici là, je ne ne dis pas que j'agirais toujours ainsi (il y a des exceptions à tout) mais dans un contexte comme celui de la crise d'octobre... Quoiqu'il en soit, j'ai au moins une certitude. Si quelqu'un avait voulu s'en prendre à mon père parce qu'il était anti-séparatiste, il aurait eu affaire à moi...






jeudi 3 septembre 2020

Hé les politiciens... Allez donc passer une nuit ou deux à l'urgence...

photo de Radio-Canada

Y aura-il ou non un nouvel hôpital dans l'Outaouais urbain? Autant discuter du sexe des anges, dans une région où pour plusieurs, simplement décrocher un médecin de famille équivaut à gagner le gros lot de la 6/49...

Pendant que nos savants bureaucrates planchent sur l'échéancier d'une bonification de l'offre hospitalière à Gatineau, les établissements existants - souvent faute de personnel suffisant - peinent à remplir leur mission de base d'assurer de bons soins dans des délais acceptables...

Lundi, 31 août... J'accompagne un proche à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, une installation récente et ultra-moderne... Arrivés près des portes de l'urgence, il faut s'arrêter à deux mètres d'une table où des membres du personnel vous posent des questions sur la COVID au lieu de vous laisser passer immédiatement au triage.

Ça je peux comprendre, avec la pandémie. Et on nous offre un fauteuil roulant, fort apprécié et nécessaire. Mais une fois le formulaire rempli, on ne nous laisse pas entrer... Il faut emprunter un détour et utiliser une porte de côté située dans la «zone verte», un itinéraire très mal adapté aux fauteuils roulants qui doivent franchir trois ou quatre obstacles de taille...

Il faut d'abord, au bout du trottoir, descendre sur une piste de terre ou sur l'entrée asphaltée des ambulances où le fauteuil roulant bute sur toute dénivellation... Arrivé près de la porte de la «zone verte», on doit tenter de monter une marche sans rampe réglementaire... Impossible de manoeuvrer avec cette petite rampe à pic, bloqué de nouveau à la porte, le patient doit se lever et marcher pour que le fauteuil roulant puisse avancer...

Et cela dure depuis des mois... Les jours d'un scrutin municipal, provincial ou fédéral, on s'assure d'installer pour cette seule journée de longues rampes à pente douce, conforme à la réglementation. Pourquoi ne peut-on pas faire de même à l'entrée de l'urgence dans un des deux hôpitaux de la quatrième ville du Québec?

Enfin, les problèmes ne font que commencer pour un malade qui arrive à l'urgence... Tout va très vite si la vie d'une personne est en danger mais autrement, on se retrouve sur une liste d'attente dans une salle d'attente bondée... Là tout concept d'urgence disparaît... Je veux bien croire que certaines des personnes présentes auraient pu aller à une clinique, mais la majorité sont là parce qu'elles ont besoin de soins urgents, qu'elles n'auront pas...

Bien sûr il faut agir avec célérité quand l'intervention s'impose dans les secondes ou les minutes qui suivent, mais comment expliquer que pour les autres cas urgents-mais-moins-urgents, on puisse accepter comme normal de poireauter dans des salles d'attente plus ou moins confortables pendant trois, quatre, cinq, dix heures et même plus?

Ce lundi, 31 août, vers 19 heures, on jase avec une dame qui s'est pointée à l'urgence huit heures plus tôt, et qui ne semble pas espérer d'être appelée de si tôt... La personne que j'accompagne, qui a besoin de prises de sang immédiates, a été informée que cela ne se ferait pas avant tard la nuit... On se prépare pour un long séjour, et j'observe ce qui se passe autour de moi...

Les bruits courent (habituellement fondés) que les civières à l'urgence ont un taux d'occupation de 140%... On voit les ambulances arriver à un rythme parfois inquiétant, chacune avec son nouveau patient pour l'urgence... À un certain moment, une infirmière se plante à la croisée des salles d'attente et lit une liste de 20 et quelques noms de personnes, pas pour les informer qu'elles seront bientôt soignées mais pour savoir si elles sont toujours là... Ciel...

L'infirmière répète la manoeuvre une seconde fois, puis une troisième en annonçant qu'il s'agit du dernier rappel pour ceux qui n'ont pas répondu «présent»... Je présume qu'ils ont été rayés de la liste et qu'ils ont eu une bien mauvaise surprise s'ils sont revenus à la salle d'attente par la suite...

Après quelques heures de plus, j'ai entendu l'appel de seulement deux noms de la liste... À ce rythme les derniers passeront aux soins le lendemain... Paraîtrait qu'il n'y a qu'un seul médecin à l'urgence de Gatineau pour s'occuper des cas super urgents, moyennement urgents et autres-nuances-d'urgent... De fait, vu la lenteur du processus, cela me paraît l'évidence même...

Pourquoi n'y a-t-il pas plus de médecins soignants à l'urgence? Voilà bien la question de l'heure... parce que selon les données, des médecins, on en trouve un peu partout... Alors l'embouteillage semble se trouver là, et le pauvre urgentologue doit se débrouiller seul, acheminant au compte-gouttes patient sur patient à un personnel infirmier compétent et dévoué qui ne peut qu'attendre...

Le résultat? Après plusieurs heures d'attente, des malades qui auraient dû recevoir des soins se découragent et s'en vont... D'autres quittent et tentent leur chance à un autre hôpital qu'ils espèrent moins bondé... Après cinq heures dans ce milieu plus que déprimant, à la fois découragés et mécontents, nous abandonnons nous aussi...

Alors quand les politiciens et bureaucrates se lancent dans de grands débats sur la construction d'un nouvel hôpital, puis-je leur proposer d'aller passer une soirée et une nuit dans une urgence hospitalière de Gatineau. Trois médecins à l'urgence au lieu d'un régleraient plus de problèmes qu'un nième rapport sur l'état des services de santé en Outaouais...