samedi 31 octobre 2020

Les sages paroles de mon grand-père...

Mon grand-père franco-ontarien Joseph Allard m'avait dit, un jour, il y a très longtemps, qu'il n'y avait que «deux sortes de monde au Canada... Les Canadiens (sous-entendre Canadiens français) et les Anglais»... La couleur de la peau, l'origine ethnique, la religion, tout cela était bien secondaire... Les problèmes du pays s'expliquaient essentiellement par la confrontation historique entre anglophones et francophones...

Dans cette époque où un multiculturalisme parfois outrancier embrouille une vaste gamme d'enjeux, la vieille maxime de mon grand-papa reste aussi vraie. Quant on gratte le vernis officiel, on découvre habituellement sous la surface des individus et groupes alignés le plus souvent en fonction de leur identité linguistique...

Quand, récemment, à l'Université d'Ottawa, la professeure Verushka Lieutenant-Duval a tenté de contextualiser ce que nos médias très pudiques appellent le plus souvent le «mot en "n"», elle enseignait en anglais et le mot qu'elle a prononcé n'était pas «nègre», mais l'insulte raciste «nigger». Avec l'entrée en scène immédiate des escouades d'inquisiteurs de la rectitude politique, on était sans doute en droit de s'attendre à un brouhaha sur la liberté d'expression professorale en milieu universitaire.

Mais non. En quelques jours, l'affaire a dégénéré en bagarre linguistique, les francophones et les Québécois se faisant injurier par des tas d'anglos haineux pour avoir soutenu Mme Lieutenant-Duval contre les appels à la censure et protesté contre le harcèlement dont elle était victime sur les médias sociaux. Les profs de langue française qui l'appuyaient se sont butés à une fin de non-recevoir de leurs collègues anglophones quand ils ont invités à prendre position avec eux sur la place publique.

Le débat sur la laïcité de l'État québécois (Loi 21) en 2018-2019 aurait normalement dû mettre aux prises les partisans et adversaires d'un État laïc. Comme ce débat dure depuis des siècles sur tous les continents, il ne manquait certes pas de points de repère pour lancer un dialogue raisonné,  intelligent. Encore là, très rapidement, il est devenu clair qu'ici au Québec, le clivage entre les deux camps serait d'ordre linguistique, les parlant-français appuyant largement le projet de loi 21, les anglophones s'y opposant en majorité. 

En 1990, la crise d'Oka - dont l'enjeu était essentiellement territorial - est devenue en quelques jours un terrain d'affrontement majeur entre Anglo-Canadiens et Québécois francophones, les soi-disant vertueux anglos nous traitant, avec une bonne pincée de haine, de racistes... 

Pourquoi? Parce que la langue, c'est bien plus qu'un moyen de communication. C'est aussi une culture, nourrie par des siècles d'histoire et entretenue par des ressources culturelles (médias, livres, musique, etc.) qui lui sont propres. Lisez les journaux en français et en anglais. La télé. La radio. Les médias sociaux. Les choix de nouvelles sont différents. L'orientation des textes et les opinions exprimées ne sont pas les mêmes, avec un effet prévisible sur leurs auditoires... 

En mars 2018, j'ai rédigé un texte de blogue à ce sujet, et je crois opportun d'en reproduire un long extrait qui s'applique bien aux contextes actuels...

«Au fil des siècles, au Canada anglais, on a beaucoup trop souvent diabolisé la langue française et depuis une cinquantaine d'années, on a littéralement déshumanisé les Québécois nationalistes et séparatistes. Cette semaine, la chroniqueuse Lise Ravary (bit.ly/2tA712z) se disait en état de choc après avoir participé à un panel organisé par la radio de CBC où des journalistes et des membres du public étaient invités à raconter des anecdotes qui feraient la preuve du racisme des Québécois. C'est en plein le genre de truc que les médias anglos adorent... mettre en scène des minorités, souvent en voie d'anglicisation, pour démontrer au pays à quel point le Québec persécute tous ceux qui ne sont pas de vieille souche française...

«Le Canada anglais se dit fier de son multiculturalisme soi-disant tolérant, mais la réalité c'est que ces minorités visibles ou pas, en s'intégrant à la société anglo-dominante qui les entoure, adoptent à la fois la langue anglaise et les valeurs anglo-canadiennes, y compris les attitudes de supériorité et mépris envers Québécois et francophones...

«Qu'ils aient l'anglais comme langue maternelle ou langue d'adoption, qu'ils soient de vieille souche britannique, d'anciens francophones assimilés, de races ou d'ethnies différentes, de religions ou cultures variées, cela a peu d'importance. Face à nous, francophones du Québec, ils adoptent des comportements similaires. Blancs, Noirs, Asiatiques, Européens, Africains, protestants, musulmans, catholiques, juifs, athées? Je vois peu de différences. Pour moi, ce sont tous des Anglais... et je sais quel sort ils nous réserveront si jamais ils finissent par former la majorité au Québec.... Ça va être laid... Une chose est sûre: on ne pourra plus jamais exiger de commander un 7up en français dans un avion d'air Canada...

Vous trouvez que je généralise? Que j'exagère un peu? Que je suis injuste envers tous ces anglophones parfois francophiles? Je l'avoue, je généralise, j'exagère (un tout petit peu), je suis injuste (un tout petit peu). Je leur dois bien ça aux Anglais, ils le font constamment avec nous. Et en terminant, si on veut compiler les victimes du racisme dans ce beau et grand bilingue pays, nous arriverons en tête de liste. De très loin. Et depuis très longtemps.
»

 

Un texte bourré de faussetés et d'erreurs...



Le texte d'opinion ci-dessous (en italiques) a été publié sous le titre «Le racisme n'a pas sa place à l'Université d'Ottawa» aujourd'hui, 31 octobre 2020, dans le quotidien Le Droit en français, et dans l'Ottawa Citizen en anglais. Laquelle était la version originale? On ne le saura sans doute pas, mais la pensée n'est clairement pas issue de la tradition française... Quoiqu'il en soit, cette plus récente intervention du recteur de l'Université d'Ottawa, Jacques Frémont, dans l'affaire Lieutenant-Duval est tellement bourrée d'erreurs, de faussetés et de jugements de pacotille qu'il faut y répondre sans délai. J'ai fréquenté cette institution pendant près de 10 ans. J'estime pouvoir y mettre mon grain de poivre...

 

Le texte du recteur est en italiques noires. Mes répliques sont en caractère droit.


Des événements récents à l’Université d’Ottawa ont ouvert le débat, à la fois sur le campus et ailleurs, sur deux principes qui nous tiennent à cœur. Laissez-moi vous dire d’entrée de jeu que le racisme n’a pas sa place à l’Université d’Ottawa. La liberté universitaire et le droit de toute personne à la dignité et au respect ne sont pas incompatibles, au contraire. Ces deux principes ne devraient jamais être en opposition.

 

- Le recteur donne le ton en affirmant dès le départ «que le racisme n'a pas sa place à l'Université d'Ottawa». Bien sûr! Qui peut être en désaccord? Le problème, c'est qu'il n'y a pas eu de manifestation de racisme (sauf après, contre les francophones). L'emploi pédagogique du mot «nigger» dans un cours est devenu du racisme seulement dans l'imagination des inquisiteurs de la rectitude politique, principalement anglophones.

 

- Il ajoute que la «liberté universitaire et le droit à toute personne à la dignité et au respect ne sont pas incompatibles» et «ne devraient jamais être en opposition»... Le problème, ici, et il est de taille, c'est que la professeure n'avait pas porté atteinte «à la dignité et au respect» de quelque personne que ce soit. Elle enseignait, tout simplement. Il n'y a donc pas eu d'opposition entre «les deux principes».

 

Bien que nous soyons 50 000 personnes, nous sommes une seule et même communauté. Une communauté accueillante, qui est totalement opposée à toutes formes de racisme, de harcèlement, d’insultes raciales et de discrimination, et qui les dénonce vivement. Il est essentiel que toutes les personnes qui fréquentent notre campus se sentent en sécurité et fassent preuve de respect les unes envers les autres.

 

- Le recteur Frémont déclare qu'à l'Université d'Ottawa, «nous sommes une seule et même communauté». Voilà une énormité qu'il faut relever. Toutes personnes ayant fréquenté ce campus, étudiants comme professeurs comme employés, savent que cette affirmation est fausse. D'abord, l'emploi du mot «communauté» constitue ici un anglicisme. Secundo, il existe clairement à l'université une fracture linguistique, tout au moins. Francos et anglos ne font pas partie de la même «community». Non seulement n'utilisent-ils pas la même langue, mais ils sont porteurs d'une culture et de traditions différentes. Et ça paraît!

 

- Et Jacques Fromont en rajoute. Cette communauté unique qu'il imagine serait «accueillante», et «totalement» (pas principalement, surtout ou partiellement) opposée au racisme et aux «insultes raciales». De quoi parle-t-il? De l'emploi du «n-word» (c'était en anglais) en classe par un prof qui l'explique? Il ne s'agissait pas alors d'une «insulte raciale». En tout cas, le recteur n'évoque sûrement pas les injures haineuses comme «fucking frogs» lancées aux Québécois et francophones par des membres anglos de «sa» communauté... Ce sont les seules «insultes raciales» que j'ai vues ces derniers temps dans les médias sociaux...

 

- Il est essentiel, poursuit-il, que les gens «se sentent en sécurité» sur le campus et fassent preuve de respect. Mais de quoi parle-t-il? De l'emploi du «mot-arme», vu comme une agression (ou micro-agression) et une forme d'intimidation, ou des menaces et du harcèlement dont Mme Lieutenant-Duval et les profs qui l'on défendue ont été victimes? Étant donné les positions prises par le recteur, je vous laisse le soin de juger...

 

Les mots sont importants. Le mot au cœur du présent débat est accompagné d’une charge sémantique, historique et connotative qui en fait tout simplement l’un des vocables les plus grossiers et les moins acceptables des langues anglaise et française.

 

- Selon le recteur Frémont, «le mot au coeur du présent débat» est «l'un des vocables les plus grossiers et les moins acceptables des langues anglaise et française». Cette affirmation n'a aucun sens puisque «le mot» était anglais, pas français. Le terme «nègre» en français n'a pas la même charge que l'insulte raciale «nigger». Il se traduit en anglais par «negro», pas par le «n-word». Cette confusion entretenue entre les deux vocables a eu son effet dans la presse de langue française, où l'on semble trop souvent croire que la prof Lieutenant-Duval a utilisé le mot «nègre» en français...

 

Personnellement, j’abhorre les insultes et le ton méprisant avec lequel certaines personnes ont choisi de s’exprimer. Toutefois, ce n’est certainement pas le rôle d’une université que de tenter de dicter aux gens ce qu’ils doivent ou non ressentir ou de chercher à modérer le débat. Mais c’est notre rôle d’affirmer qu’en tant que membres d’une communauté vaste et diversifiée, nous avons l’obligation mutuelle d’offrir un environnement sain et sécuritaire pour toutes et tous, même lorsque les enjeux sont délicats ou difficiles à aborder.

 

- Après avoir dit qu'il «abhorre les insultes et le ton méprisant avec lequel certaines personnes ont choisi de s'exprimer», M. Frémont précise que ce n'est pas le rôle de l'université de «dicter aux gens ce qu'ils doivent ou non ressentir ou de chercher à modérer le débat». Comment alors expliquer la suspension immédiate de la professeure, jugée et condamnée sans procès, suivie d'une inaction totale envers ceux et celles qui l'ont menacée, harcelée et qui ont proféré des injures haineuses à l'endroit des francophones? On sévit ici, on laisse faire ailleurs? Deux poids, deux mesures?

 

La lutte contre le racisme demeure une priorité absolue pour l’Université. Nous travaillons à mettre en place des mesures de lutte contre le racisme depuis plus d’un an, et nous avons fait des progrès en ce sens. Toutefois, cela est loin d’être suffisant. Ensemble, nous pouvons changer les choses. Nous pouvons faire mieux et nous ferons les changements nécessaires pour transformer nos efforts en actions.

 

- Que la lutte contre le racisme soit une «priorité absolue» pour une une université (voire la société tout entière) va de soi. Cela implique cependant qu'on comprenne bien le terme et qu'on sache bien l'identifier. La professeure Lieutenant-Duval n'ayant pas fait preuve de racisme, on peine à comprendre pourquoi un incident qui aurait dû être sans conséquence devient la rampe de lancement pour une nième reconnaissance de l'existence du racisme et un nouveau rappel qu'il s'agit d'une «priorité absolue».

 

La liberté universitaire constitue la valeur la plus fondamentale de toute université. Elle est cette valeur absolue et essentielle qui nous unit et qui nous permet d’accomplir pleinement notre mission première : celle d’éduquer et de faire de la recherche. Elle doit être protégée et sans cesse renforcée.

 

Cette liberté universitaire doit être exercée de façon respectueuse et en favorisant un environnement d’apprentissage sain. Il y a un vaste consensus au sein des membres de notre communauté, tout comme parmi l’ensemble des universités canadiennes, selon lequel le milieu d’enseignement et d’apprentissage doit être sécuritaire et favoriser le respect, la liberté intellectuelle, la liberté de recherche et la pensée critique. Ces valeurs sont au cœur de notre mission universitaire et nous devons constamment les défendre avec ardeur.

 

- Voilà deux paragraphes qui auraient été rassurants s'ils n'avaient pas été d'un énorme «mais»...

 

Bien que l’Université reconnaisse le droit, voire le devoir des universitaires d’aborder et d’explorer des sujets sensibles, nous avons la responsabilité de le faire sans causer de préjudice. Tout comportement inapproprié ne sera pas toléré à l’Université d’Ottawa.
Les discussions de la dernière semaine présentent d’énormes défis. Elles soulèvent de vives émotions. Nous sommes très conscients que certaines des paroles qui ont été prononcées ont blessé bien des membres de notre communauté.

 

- Après avoir affirmé avec force la «liberté universitaire», on passe à ce qui semble être un procès, à mots couverts, de la professeure Lieutenant-Duval, étant donné que c'est elle qui a «abordé» et «exploré» un «sujet sensible» dans le cadre de son enseignement. À quoi fait-il référence en évoquant un «préjudice», un «comportement inapproprié»? Et quelles sont ces paroles prononcées qui «ont blessé bien des membres de notre communauté»? Comme il a suspendu la professeure, on peut supposer que son blâme ne vise pas celui ou ceux qui ont traité gratuitement les «fucking frogs» de racistes...

 

Nous sommes inquiets du fait que certaines personnes ont peut-être, en cours de route, perdu de vue le besoin fondamental et essentiel pour toutes et tous de se sentir en sécurité dans leur milieu d’apprentissage.

 

Il est de notre devoir, en tant que société, de veiller à la sécurité les uns des autres, même si nous sommes en désaccord. Les sentiments de colère et de peine exprimés par diverses personnes et divers groupes sont sincères et profonds. Il faut comprendre ces sentiments et les respecter.

 

- Un autre commentaire insidieux laissant entendre que l'emploi pédagogique du «n-word» a menacé le sentiment de sécurité de certains étudiants dans leur milieu d'apprentissage, un argument qui permet de justifier les réaction colériques et haineuses de «diverses personnes et divers groupes», estimées «sincères et profondes». La saison de chasse aux francophones est donc rouverte à l'Université d'Ottawa et on nous invite à «comprendre ces sentiments» et à «les respecter»... Vraiment!

 

Nous sommes sûrs qu’au cours des jours et semaines qui viennent, nous parviendrons à convenir de la marche à suivre pour que notre communauté sorte plus forte de cette crise et nous assurer que la dignité individuelle et la liberté universitaire demeurent nos valeurs fondamentales.

 

 - Dans ce débat, la dignité individuelle des personnes de race noire n'a jamais été attaquée. Seule la liberté universitaire (principalement celle des francophones) a subi une agression constante des inquisiteurs de la rectitude politique. Et clairement, pour ce recteur, la valeur la plus «fondamentale» de l'Université n'est pas cette «liberté universitaire». Si l'Université d'Ottawa avait été une institution de langue française, il n'y aurait pas eu de crise et un recteur qui se serait conduit aussi lâchement aurait été démis de ses fonctions.

 

 

 


lundi 26 octobre 2020

De quoi je me mêle???

Photo de l'Université d'Ottawa

Le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, ancien président de la Fédération étudiante de l'Université d'Ottawa, a pris position en faveur de la professeure Lieutenant-Duval et de la liberté d'expression. Il écrivait: «Cette phrase, venant du recteur de l’Université d’Ottawa, me donne des frissons dans le dos: "Les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une microagression". Un recteur cautionne l’idée qu’une opinion puisse être jugée non pas en fonction de son contenu, mais en fonction du groupe d’appartenance de la personne qui parle…»

Par la voie de sa page Facebook, l'activiste bien connu Bill Clennett (ancien candidat de Québec Solidaire), lui répondait: «S’il y a une chose qui me donne les frissons dans le dos, c’est un maire issu du groupe dominant qui revendique le droit de définir l’expérience d’oppression vécue par des personnes racisées et qui a le culot de justifier cette position en faisant appel à la démocratie et la citoyenneté. Maxime Pedneaud Jobin n’a aucune compétence pour parler des microagressions subies par les personnes racisées. Comme homme blanc priviliégié, il n’a pas d’expérience en la matière.»

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Le commentaire de M. Clennett, c'est ni plus ni moins la «cassette» qui joue constamment depuis le début de cette affaire, surtout dans les milieux anglophones ou anglo-dominés mais aussi dans une soi-disant gauche multiculturelle québécoise... 

Sur quel principe doit-on alors s'appuyer pour intervenir dans un débat autour du droit d'utiliser le mot «nigger» dans un contexte pédagogique? Car, répétons-le, à l'Université d'Ottawa il s'agissait bien de l'insulte anglo-américaine, et non du mot français «nègre». Si une personne de race blanche n'a «aucune compétence» pour parler des expériences d'oppression subies par les personnes dites «racisées» (je présume que ça veut dire non-blanches), alors comment fait-elle, cette personne de race blanche, pour arriver à porter un jugement informé qui l'amènera à prendre position?

Que faut-il conclure? Qu'on veut empêcher des Blancs de participer à un débat sous prétexte qu'ils ne peuvent espérer comprendre la situation des personnes de race noire, mais en les exhortant du même souffle à comprendre et soutenir la position des personnes de race noire (ce qui constitue une participation au débat)? Ça n'a aucun sens. Ça devient un problème sans issue.

Cette façon de raisonner constitue elle-même une forme de racisme en charriant l'image de «l'homme blanc privilégié» supérieur face aux victimes noires ou «racisées» inférieures, fragilisées, qu'il faudrait apparemment protéger des mots pouvant les blesser ou les rendre inconfortables... On dit en quelque sorte aux personnes de race noire qu'elles n'ont pas la capacité d'affronter des mots injurieux, et pire, qu'elles n'ont pas la capacité de distinguer entre l'emploi de ces mots à des fins pédagogiques et leur utilisation comme insultes raciales. Pour moi, une telle attitude est foncièrement raciste.

Il me semble que cet argument mérite une réplique cinglante. Les Noirs luttent pour l'égalité des droits humains depuis des siècles, souvent au péril de leur vie. Individuellement et collectivement, ils sont forts, tenaces et pleinement capables de soutenir un débat sans censure. Au fil des siècles ils ont surmonté esclavage, colonialisme, apartheids, combattu la discrimination sur tous les continents, passé au travers des lynchages du KKK en Amérique et affrontent encore aujourd'hui des brutalités policières. Et on croit qu'en 2020 un mot - peu importe le contexte dans lequel il est prononcé - pourrait ou devrait les intimider?

Je ne peux m'empêcher de penser aux années de militantisme des années 60 où Noirs (et Blancs) luttaient aux États-Unis contre les relents des anciens esclavages, contre la ségrégation raciale dans les écoles, les restaurants, les hôtels et autres milieux jusque là réservés aux Blancs... Les Noirs d'ailleurs et d'ici cherchaient à affirmer leur droit de participer pleinement et en toute égalité aux débats et enjeux de l'ensemble de la société. À s'intégrer, quoi. Et on voudrait aujourd'hui leur réserver de nouvelles formes de ségrégation, des espèces de lieux sûrs intellectuels où les Blancs seraient interdits d'accès?

En suivant ce même raisonnement fêlé, on pourrait argumenter qu'un professeur d'université anglo-canadien, issu clairement «du groupe dominant», n'a aucune compétence pour juger les expériences d'oppression subies par les francophones du Québec et du reste du pays, et qu'il n'a donc pas le droit - dans des cours d'histoire - d'expliquer à ses étudiants le contexte et l'évolution d'expressions racisantes comme «Speak white» ou d'injures comme «fucking frogs»... De fait, il est plutôt souhaitable qu'il le fasse! Tous doivent pouvoir nommer le mal par son nom.

Les censeurs d'aujourd'hui, de toutes tendances, veulent trop souvent taire le passé et les mots qui le rappellent. Certains tentent d'effacer des livres d'histoire la Shoah, d'autres le génocide arménien, et encore d'autres les histoires d'horreur liées à l'esclavage et aux apartheids. Plus près de nous, nombreux sont ceux qui s'efforcent de dissimuler l'oppression «racisante» subie depuis deux siècles par les Québécois, Acadiens et Franco-Canadiens sous prétexte que ce sont de «vieilles chicanes» sans intérêt. Au contraire, il faut les étudier, les décortiquer, les rappeler. Sinon, on s'expose à des récidives...

Au lieu d'aborder le débat de front, avec une franchise porteuse de solutions, nos inquisiteurs du 21e siècle arrachent des confessions de racisme systémique, au confessionnal ou mieux, sur la place publique. Cela libère peut-être la conscience de celui ou celle qui l'avoue mais ça ne donne strictement rien aux victimes. Est-ce qu'on veut se contenter de voir l'existence d'un «racisme systémique» reconnue un peu partout, et de donner ainsi l'absolution aux coupables sans réparer le mal qu'ils ont fait... et continuent de faire? En ciblant les «systèmes» on laisse le plus souvent les individus et organisations racistes poursuivre leur sale boulot...

De toute façon, de quoi je me mêle? Par la couleur de ma peau, je suis, comme Maxime Pedneaud-Jobin, associé au «groupe dominant» dont on dénonce les privilèges historiques. Par ma langue et ma culture, je suis associé à un peuple nord-américain qui a vécu le colonialisme et l'oppression depuis plus de 250 ans. Je suis héritier de ceux que Pierre Vallières a baptisés «nègres blancs d'Amérique», de ceux à qui on a trop souvent dit «Speak white»... Je ne sais pas quel droit de parole cela me confère, mais j'ai au moins une certitude. Je ne me tairai pas.


mardi 20 octobre 2020

Suspendue sans procès et lynchée dans les médias sociaux


Une professeure de l'Université d'Ottawa, Verushka Lieutenant-Duval, suspendue sans procès et lynchée dans les médias sociaux pour avoir tenté d'expliquer et de contextualiser le mot «nigger» dans son cours à la faculté des Arts... Une pétition du Syndicat étudiant de l'Université ayant clairement pour buts de la condamner voire lui faire perdre son emploi a déjà recueilli près de 10 000 signatures en quelques jours... 

Quand je fréquentais cette université, dans les années 1960, un tel scénario aurait paru impensable. Dans un climat de liberté quasi totale, les opinions et idéologies les plus diverses s'y croisaient et tout y passait -- le capitalisme, le socialisme, les nationalismes, l'indépendance du Québec, le sort réservé à la langue et la culture françaises, la laïcité et bien sûr, le racisme à l'époque de la décolonisation, de la guerre du Vietnam et du combat pour les droits civiques aux États-Unis. Rien n'était tabou, surtout pas les mots...

Aujourd'hui, la religion multiculturaliste - en réalité un rouleau compresseur contre la diversité - a converti une frange importante des milieux intellectuels en secte zélée et intolérante. Toute atteinte aux soi-disant dogmes de la nouvelle rectitude politique est punie sans débat sur la place publique. Anathèmes. Ostracisme. Représailles. Intimidation. Menaces. Tous les moyens sont bons. On se croirait parfois en pleine révolution culturelle à la Mao ou à la Khomenei, ou dans le cerveau tordu de Donald Trump...

On ne s'embarrasse plus des faits ou des vérités historiques. Pour tenter de faire taire la dissidence, il est permis de mentir sans gêne, de désinformer et même de supprimer des mots. Il y a 40 ans, l'activiste afro-américain Dick Gregory publiait un vibrant plaidoyer contre le racisme, qu'il a intitulé «Nigger!». Ça ne passerait pas en 2020 sur nos campus universitaires, ni même dans nos médias devenus plus sensibles aux dogmes multiculturalistes qu'au devoir de liberté d'expression dont ils sont sensés être porte-étendards.

Dans la presse écrite et électronique, les textes portant sur la suspension de la professeure Lieutenant-Duval parlent de tout sauf du mot qui lui a valu sa suspension et son «lynchage» public... Dans La Presse, on lit «n**ger» et aussi «le mot commençant par "n"»... Dans Le Droit, j'ai vu «le mot en "n"» et le «fameux mot qui commence par N»... À Radio-Canada, «le mot en n»... J'ai aussi entendu, «le mot controversé commençant par n»... Le communiqué du Syndicat étudiant de l'UO évoque «le mot "n"» tandis que celui du recteur Jacques Frémont, plus bizarre, dit «le mot entier commençant par n»... 

Ne pas avoir le droit de l'écrire ou de le prononcer n'empêche pas de le commenter ou de le critiquer avec virulence, cependant.  Le Syndicat étudiant note avec justesse que le mot «nigger» est «un terme péjoratif utilisé au cours de l'histoire pour rabaisser et déshumaniser les personnes noires. Il reflète et représente un processus violent et brutal au cours duquel on cherchait à leur faire sentir qu'ils étaient moins qu'humains et à légitimer leur infériorité». C'est vrai et c'est important. Il ne faut pas l'oublier. Conclure alors que le mot «ne devrait pas être utilisé par les professeurs» dans un contexte d'enseignement n'a aucun sens...

Le Syndicat étudiant semble voir dans l'emploi pédagogique de ce mot «une insulte raciale» et dénonce les 34 professeurs de l'Université qui se sont portés à la défense de la professeure suspendue, affirmant que ces profs défendent ainsi «l'utilisation d'insultes racistes dans les salles de classe». Que cela constitue un grossier mensonge ne les dérange aucunement et ils appellent le recteur à dénoncer les professeurs «non juste avec des paroles, mais avec des actions» (ça sonne traduction de l'anglais). Ils risquent de trouver chez lui une oreille favorable, puisque le recteur Frémont confesse l'omniprésence du «racisme systémique» à l'Université, «bien ancré dans nos façons de faire»... 

S'il faut les croire, ce «racisme systémique» doit être un véritable enfer pour ceux qui disent le subir à l'Université d'Ottawa... Le recteur reconnaît tout de go «les agressions et micro-agressions dont sont régulièrement victimes des membres noirs ou racisés de notre communauté». Mais le Syndicat étudiant y va beaucoup plus fort en affirmant que «les étudiant.e.s noir.e.s sont toujours victimes de violence raciale dans leurs salles de classe»! Imaginez... une violence raciale constante dans les salles de classe de l'Université d'Ottawa... On se croirait à Selma, Alabama, dans les années 1950 et 1960... En passant, au cas où vous voudriez en discuter, n'y pensez pas. Le recteur rappelle que seules les personnes noires ou racisées «ont la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression»...

Permettez-moi aussi de ne pas passer sous silence l'utilisation douteuse de termes et concepts qui devraient être étudiés et compris dans une institution de haut savoir. Le recteur note que tout cela peut sembler «banal» pour «un membre de la communauté majoritaire» à l'Université d'Ottawa. Une communauté majoritaire? Mais de qui parle-t-il? Des étudiantes et étudiants blancs? À la limite on peut parler de «collectivités» ou de «population», mais le mot communauté a un sens précis et ne s'applique pas ici. Les francophones (de toutes races) forment aussi une minorité en situation d'infériorité sur le campus. Sont-ils eux aussi victimes de formes de racisme?

Le Syndicat étudiant, pour sa part, est dans le champ gauche quand il évoque «la communauté noire» de l'Université d'Ottawa comme s'il n'y en avait qu'une. Ça fait un peu traduction louche du mot anglais «community»... Il y a fort à parier que les étudiants noirs d'Afrique francophone, d'Haïti ou d'ici ont peu en commun avec ceux issus de territoires de langue anglaise... Il serait intéressant de voir à quel point le clivage linguistique pourrait être un facteur de division plus important que celui de la race dans plusieurs dossiers sur le campus universitaire de la Côte-de-sable, y compris celui qui nous préoccupe. 

La pétition contre les 34 profs (pour la plupart francophones) a été lancée en anglais. Des commentaires injurieux, voire haineux, ont été proférés dans les médias sociaux contre les francophones et les Québécois, qu'on a même traités de «fucking francophones» (ça, c'est permis). Des appels à la cyber-intimidation ont été lancées contre les membres du corps professoral qui soutiennent la liberté universitaire de Mme Lieutenant-Duval. La vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbeault, a dénoncé des «attaques de militants», qui ont ciblé les profs parce «qu'ils étaient francophones». La cheffe libérale Dominique Anglade, elle-même de race noire, a aussi protesté contre le traitement réservé à la professeure Lieutenant Duval.

À noter : les incidents entourant la suspension de la prof de l'Université d'Ottawa ont suscité une levée de boucliers dans la presse de langue française, alors que la presse de langue anglaise est demeurée beaucoup plus silencieuse. Les textes que j'ai lus en anglais dans l'Ottawa Citizen et CBC Ottawa sont clairement biaisés en faveur de ceux qui veulent bannir entièrement l'usage, même pédagogique, du mot «nigger». Seuls les politiciens québécois ont véritablement commenté l'affaire, Mme Gulbeault traitant même le recteur Frémont de lâche!

Le pire dans cette affaire c'est que pendant qu'on lève les boucliers pour traiter de racistes des profs qui ne le sont pas et pour supprimer un mot dans les dictionnaires et salles de classe, les véritables racistes (et il y en a beaucoup) poursuivent leur sale boulot... satisfaits qu'on s'acharne à faire avouer un peu partout le «racisme systémique» plutôt que de combattre les individus et situations racistes...

Je termine avec un poème franco-ontarien qui sera sans doute effacé des cours de littérature de l'avenir et que l'immense majorité des Anglo-Canadiens (de toutes races) ne comprendra jamais...

« Nous qui avons été la chair à canon dans leurs guerres
sommes la sueur à piasses dans leurs mines et leurs moulins à bois
Nous qui sommes
de rivières, de lacs, de forêts
Nous qui sommes
des terres à perte de vue
des rigodons à perdre haleine
des rires à perdre la tête
des amours à perdre la cœur
Nous sommes les Nigger-Frogs de l'Ontario.»
--- Jean Marc Dalpé, Gens d'ici, 1981


mercredi 14 octobre 2020

Deux crises d'octobre 1970...

photo prise le 16 octobre 1970 à Montréal

Il faudra un jour que je mette de l'ordre dans mes souvenirs d'octobre 1970, que je relise les textes que j'ai rédigés comme journaliste du Droit à La Tribune de la presse parlementaire d'Ottawa, que je reparle à des collègues de la salle de rédaction pour mieux remémorer l'époque et ses humeurs. Une chose est certaine: j'ai toujours eu la conviction que nous avons passé au travers de «deux» crises d'octobre à l'automne 1970. Celle d'avant les mesures de guerre, puis, celle d'après...

La première «crise» - provoquée par les enlèvements de James Cross et Pierre Laporte - s'inscrivait dans la continuité de l'ébullition des années 1960. Les actions du FLQ alimentaient les débats depuis sept ans au sein de la société québécoise (et ailleurs au Canada) et les coups d'éclat d'octobre 1970 avaient suscité un climat de fébrilité médiatique rarement vu auparavant. Toute la population s'y abreuvait au rythme des communiqués et des réactions politiques que la radio retransmettait aussitôt...

Peu de gens approuvaient la violence mais une frange importante du peuple québécois manifestait une certaine sympathie pour la cause qu'épousait le Front de libération su Québec. La lecture du manifeste du FLQ sur les ondes de Radio-Canada, loin d'engendrer un sentiment de réprobation générale, en a fait sourire plusieurs. Personne ne croyait vraiment que les ravisseurs tueraient leurs otages, et l'affaire était suivie comme un téléroman ou un radioroman palpitant dont on attend un dénouement heureux. En tout cas, nos jeunes «terroristes» ne terrorisaient pas grand monde hors des officines du pouvoir...

Les gouvernements, à Ottawa et à Québec, voulaient l'appui du public pour écrabouiller le FLQ mais ni Trudeau ni Bourassa, ni Jean Drapeau, ne contrôlaient le message médiatique. Ottawa avait cédé les ondes au FLQ, le soir du 7 octobre, et une petite armée de journalistes de la presse écrite et électronique - ceux de la radio surtout - se livraient une concurrence féroce, tous les jours, pour livrer sans délai les derniers développements à un auditoire avide. Les Québécois de langue française, bien informés, faisaient la part des choses, au plus grand déplaisir d'Ottawa, qui craignait un glissement à gauche de l'opinion publique.

Même quand les autorités fédérales ont commencé à déployer l'armée, il régnait toujours au Québec une animation fort tranquille. J'étais à Montréal les 15 et 16 octobre. Devant le palais de justice et l'hôtel de ville, des soldats (anglophones?) montaient la garde, sans doute un peu nerveux parce qu'on leur avait fait craindre une insurrection appréhendée. Et voilà que des familles arrivaient, souriantes, pour prendre en photo des militaires avec leurs enfants. Armés jusqu'aux dents pour combattre des terroristes, ils étaient désormais une espèce d'attraction touristique! Mais où était l'insurrection?

Pendant ce temps, sur la Colline parlementaire, à Ottawa, une riposte se tramait... contre le FLQ, contre le mouvement indépendantiste, et peut-être surtout, contre le gouvernement québécois de Robert Bourassa, en proie à la division et l'indécision... On craignait que ce dernier puisse s'associer à seize personnalités influentes (indépendantistes et fédéralistes) qui lui avaient offert leur appui pour négocier avec le FLQ, ce qui aurait pu permettre un dénouement de la crise sans présence fédérale... Alors on a inventé de toutes pièces la thèse d'un «gouvernement parallèle» en gestation au Québec...

Tout a commencé à basculer à 4 heures du matin, le vendredi 16 octobre, quand Pierre Elliott Trudeau a sorti des placards la Loi sur les mesures de guerre, signalant (et signant) le début de la «deuxième» crise d'octobre 1970, différente à tous points de vue de la première. Finie la négociation, finis les libres débats sur la place publique, finie la liberté de la presse des jours précédents, le temps était à la répression et à la vengeance. Des centaines d'individus arrêtés sans mandat, sans accusation, sans motif, et sans avoir droit aux services d'un avocat. Leur «crime» n'était pas d'être associés au FLQ, mais d'être pour la plupart identifiés comme indépendantistes ou socialistes...

Aux enlèvements illégaux du FLQ Ottawa avait substitué des centaines d'enlèvements «légaux»... Aux faiblesses de Bourassa et de son entourage, Trudeau avait répondu par un coup d'État à peine déguisé. Le chef du Parti québécois, René Lévesque, a bien résumé l'affaire dans une chronique au Journal de Montréal, publiée sous le titre 16 octobre 1970. «Le Québec n'a plus de gouvernement, écrit-il. Le cabinet Bourassa a passé la main et n'est plus que le pantin des dirigeants fédéraux.» Quelques jours plus tôt, Trudeau avait dit: «Just Watch me!»... Là, en effet, on le «watchait»...

Des gens qui, la veille, discutaient en toute liberté des moyens de régler la crise, se retrouvaient au cachot, sous la menace, sans recours. Pour la première fois, ils étaient terrorisés, et pas par le FLQ. Dans la rue, dans les foyers, des milliers d'autres, craignant peut-être de subir eux aussi le sort réservé à leurs amis ou collègues quand des policiers enfonçaient les portes à 5 heures du matin, ont commencé à baisser le ton et à se faire plus discrets... et les médias ont été avertis que les mesures de guerre pouvaient entraîner une censure d'État si les rédacteurs ne se pliaient pas aux consignes, réelles ou perçues...

L'assassinat de Pierre Laporte, le lendemain de l'imposition des mesures de guerre, a presque réduit au silence les principales voix d'opposition. Le gouvernement fédéral avait désormais la mainmise sur Québec, sur les médias et, ultimement, sur l'opinion publique qui a vite basculé contre tout ce qui pouvait sembler plus faible que la ligne dure de Trudeau. Les médias, le moins qu'on puisse dire, sont devenus plus prudents dans leurs commentaires et leur couverture. Ceux et celles qui osaient toujours élever leurs voix contre la répression le faisaient à leurs risques et périls, sous la menace des mesures de guerre. Certains, certaines l'ont appris à leurs dépens...

Durant la première crise d'octobre, un Québec en ébullition tentait de désamorcer à l'interne la situation créée par la violence du FLQ. Durant la deuxième, un régime fédéral de guerre, le «Finies les folies» du gouvernement Trudeau, réduisait les voix discordantes au silence. «Céder au FLQ équivaudrait à encourager le terrorisme», clamait Trudeau. Deux mois après la mort de Pierre Laporte, il négociait avec les felquistes la libération de l'otage James Cross. Il n'avait plus à craindre Bourassa, l'opposition ou l'opinion publique... Deux poids, deux mesures? C'est ce que semble croire le fils de Pierre Laporte...

Deux poids, deux mesures, deux crises d'octobre... 



lundi 12 octobre 2020

La mycologie, antidote au confinement

Coprins chevelus aux Jardins de Métis (2020)

Il y a 40 ans, en 1980 très exactement, alors que j'étais chef des nouvelles au quotidien Le Droit, j'ai commencé à éprouver des malaises inquiétants... nausées, palpitations cardiaques, vertiges, maux de tête... Craignant le pire (c'est mon genre...), je suis allé voir mon médecin qui m'a aussitôt dit que j'étais en parfaite santé... «C'est toutte dans ta tête»... Un mélange de stress et d'épuisement... «Change-toi les idées, trouve-toi des activités, sinon je te mets au repos forcé»...

Facile à dire, mais ma jeune famille et mon boulot de journaliste accaparaient déjà l'essentiel de mon temps... Les livres me servant de refuge depuis l'enfance, je me suis tourné instinctivement vers la lecture et le sort a voulu que je tombe, entre autres, sur un petit livre intitulé Champignons du Québec. Page après page, je découvrais pour la première fois l'univers fascinant de la mycologie... Des champignons sauvages de toutes formes, d'une palette de couleurs (rouges, orangés, verts, jaunes, violets), d'une variété de saveurs et d'odeurs, certains comestibles, d'autres toxiques et même mortels...

Il y avait là de quoi me changer les idées, d'autant plus que pour pénétrer ce monde mystérieux, il fallait chausser ses souliers de marche et parcourir les sentiers forestiers et les parcs... Une excellente solution de rechange aux pilules et au repos à la maison... Le printemps suivant, le 5 mai 1981, quand j'ai cueilli pour la première fois une morille conique au lac Leamy (secteur Hull), j'étais accro... et je m'ai pas tardé à me joindre aux Mycologues amateurs de l'Outaouais, une association fondée trois ans plus tôt pour regrouper les amateurs de champignons sauvages et populariser la mycologie dans la région.

Manuel en poche, je partais à la découverte, parfois en excursion avec d'autres membres des Mycologues amateurs, le plus souvent seul ou avec mes deux filles de quatre ans et trois ans (Véronique et Catherine). Au cours de l'été et de l'automne 1981, tout ce qui aurait pu languir des symptômes éprouvés l'année précédente s'était évaporé au contact des fleurs sauvages et de dizaines d'espèces de champignons, vus, cueillis ou photographiés pour identification. En forêt, pour moi du moins, le stress se dissipe et les batteries se rechargent...

Au fil des expéditions, entre la terminologie mycologique et les noms (latins, français, anglais) des champignons du Québec et du nord-est de l'Amérique, mon vocabulaire s'est enrichi. Je parvenais de plus en plus à reconnaître les agarics, les coprins, les pholiotes, les polypores, les pleurotes, les vesses-de-loup, les bolets, les amanites, les paxilles, les marasmes, les chanterelles, les russules, les cortinaires, les hydnes, les tricholomes, des lépiotes et j'en passe... Des dizaines de kilomètres en forêt, de longues heures à scruter les descriptions dans les manuels, dont l'immense Flore des champignons du Québec de René Pomerleau, la satisfaction de réussir à identifier une nouvelle espèce, des plaisirs toujours renouvelés...

En Europe, la cueillette des champignons est répandue mais ici, les gens ont tendance à se méfier (souvent avec raison) des champignons sauvages, par crainte de s'empoisonner. Mais comme pour toute chose, le danger diminue quand on s'informe. En peu de temps, tout individu peut assez facilement apprendre à identifier au moins une dizaine d'espèces de champignons sauvages parfaitement comestibles. Et dans des associations comme les Mycologues amateurs de l'Outaouais, on trouve invariablement quelques experts pour nous renseigner. Ici en Outaouais, par exemple, on peut compter depuis 40 ans sur la présence de Yolande Dalpé, chef de la section Mycologie au ministère fédéral de l'Agriculture.

J'ai participé aux activités de l'association outaouaise pendant quatre ou cinq ans, y compris au lancement du bulletin «La corne d'abondance» en 1984. Par la suite, les obligations familiales et professionnelles ont repris le dessus mais je n'ai jamais cessé de m'intéresser aux champignons sauvages, les cueillant et les photographiant à l'occasion. Depuis le début de la deuxième vague de COVID, cependant, qui semble susciter chez bien des gens le genre de stress que j'ai ressenti il y a 40 ans, la mycologie exerce sur moi une fascination renouvelée. Ça change vraiment les idées et ça permet d'échapper un tout petit peu aux statistiques déprimantes d'infections dont regorgent quotidiennement les actualités.

De plus, il s'agit d'une activité qui peut se pratiquer presque en toute saison. Évidemment, l'été et l'automne offrent au mycologue amateur la plus grande variété de champignons sauvages, mais le printemps recèle quelques belles trouvailles, les morilles en particulier. Certaines espèces survivent jusqu'aux grands gels de fin d'automne et au moins l'une d'entre elles réapparaît même en hiver lors d'un dégel prolongé. J'ai déjà cueilli en février, en raquettes, un grand nombre de collybies à pied velouté (Flammulina Velutipes) sur des arbres dans le parc de la Gatineau... Les mois d'hiver constituent évidemment le meilleur temps pour parfaire ses connaissances théoriques en mycologie.

Alors, à tous ceux et toutes celles qui n'en peuvent plus d'entendre parler de confinement covidien, pourquoi ne pas s'initier aux champignons sauvages? C'est une activité passionnante qui ne comporte aucun risque relatif à la distanciation, qui nous déconfine en toute sécurité, nous fait marcher, prendre de l'air, retrouver la nature, faire de belles découvertes et, sait-on jamais, qui peut garnir notre table pendant la saison enneigée (oui, les champignons comestibles se conservent souvent séchés).

Et en attendant, post-pandémie, de pouvoir fréquenter de nouveau les sorties en groupe des associations de mycologues, plusieurs pages québécoises Facebook de mycologie permettent d'échanger des photos et de dialoguer avec des milliers d'amateurs de champignons sauvages dans toutes les régions...

 

Chanterelle au lac Sinclair (La Pêche)


dimanche 4 octobre 2020

Y'a rien à faire...

Ce matin, en me rendant en voiture à l'épicerie du quartier, j'ai noté que des imbéciles avaient de nouveau jeté en plein milieu de la rue leurs déchets de McDo... Parfois ce sont des emballages de Tim...

Régulièrement, à l'endroit où cette rue longe un parc boisé, d'autres imbéciles (peut-être les mêmes...) lancent sur la chaussée des sacs de vidanges plastifiés que les corneilles font vite d'éventrer et que personne ne ramassera pour plusieurs jours...

Au stationnement de l'épicerie, je ne compte plus les gens qui laissent au sol des bouts de cigarettes, des bouteilles vides ou même, pandémie oblige, des masques...

Combien de fois ai-je hésité à m'avancer quand un feu de circulation vire au vert parce que trop souvent, quelque chauffard fonce dans l'intersection sur un feu rouge?

Quand j'essaie de respecter les limites de vitesse de 40 km/h dans nos secteurs résidentiels, je dois composer avec tous ces impatients qui arrivent dans mon rétroviseur à haute vitesse et grimpent presque sur le pare-choc arrière pour laisser savoir leur irritation...

Que dois-je penser de tous ces irresponsables pour qui les panneaux d'arrêt sont tout au plus des recommandations à suivre selon l'humeur du jour?

Comment ne pas se décourager devant les nombreux clients qui refusent obstinément de respecter les sens uniques dans les supermarchés et qui font fi de toute distanciation en dépit des dangers de contagion de la COVID-19...

Et surtout, n'essayez pas de rappeler à toutes ces gens les règles élémentaires de civisme... Trop souvent on a pour réponse un majeur levé bien droit, un regard furieux ou des injures à haute voix...


Alors quand le premier ministre Legault demande à la population québécoise de suivre les consignes pour éviter que la deuxième vague de la pandémie devienne catastrophique, et que le nombre de cas d'infection continue d'augmenter, je pense à toutes ces personnes que je croise dans la vie quotidienne et qui ne semblent avoir aucun respect pour autrui...

Elles constituent une minorité, mais elles sont nombreuses... Trop nombreuses... On y recrute sûrement une bonne proportion d'anti-masques et de complotistes...

Le pire, c'est qu'avec ces irresponsables, j'ai désormais la conviction qu'il n'y a rien à faire...

Ils nous font payer le prix de leur égoïsme, et ne semblent comprendre que la répression...

Je ne croyais jamais dire ça un jour, mais voilà... On y est... Lâchez la police...