Mon grand-père franco-ontarien Joseph Allard m'avait dit, un jour, il y a très longtemps, qu'il n'y avait que «deux sortes de monde au Canada... Les Canadiens (sous-entendre Canadiens français) et les Anglais»... La couleur de la peau, l'origine ethnique, la religion, tout cela était bien secondaire... Les problèmes du pays s'expliquaient essentiellement par la confrontation historique entre anglophones et francophones...
Dans cette époque où un multiculturalisme parfois outrancier embrouille une vaste gamme d'enjeux, la vieille maxime de mon grand-papa reste aussi vraie. Quant on gratte le vernis officiel, on découvre habituellement sous la surface des individus et groupes alignés le plus souvent en fonction de leur identité linguistique...
Quand, récemment, à l'Université d'Ottawa, la professeure Verushka Lieutenant-Duval a tenté de contextualiser ce que nos médias très pudiques appellent le plus souvent le «mot en "n"», elle enseignait en anglais et le mot qu'elle a prononcé n'était pas «nègre», mais l'insulte raciste «nigger». Avec l'entrée en scène immédiate des escouades d'inquisiteurs de la rectitude politique, on était sans doute en droit de s'attendre à un brouhaha sur la liberté d'expression professorale en milieu universitaire.
Mais non. En quelques jours, l'affaire a dégénéré en bagarre linguistique, les francophones et les Québécois se faisant injurier par des tas d'anglos haineux pour avoir soutenu Mme Lieutenant-Duval contre les appels à la censure et protesté contre le harcèlement dont elle était victime sur les médias sociaux. Les profs de langue française qui l'appuyaient se sont butés à une fin de non-recevoir de leurs collègues anglophones quand ils ont invités à prendre position avec eux sur la place publique.
Le débat sur la laïcité de l'État québécois (Loi 21) en 2018-2019 aurait normalement dû mettre aux prises les partisans et adversaires d'un État laïc. Comme ce débat dure depuis des siècles sur tous les continents, il ne manquait certes pas de points de repère pour lancer un dialogue raisonné, intelligent. Encore là, très rapidement, il est devenu clair qu'ici au Québec, le clivage entre les deux camps serait d'ordre linguistique, les parlant-français appuyant largement le projet de loi 21, les anglophones s'y opposant en majorité.
En 1990, la crise d'Oka - dont l'enjeu était essentiellement territorial - est devenue en quelques jours un terrain d'affrontement majeur entre Anglo-Canadiens et Québécois francophones, les soi-disant vertueux anglos nous traitant, avec une bonne pincée de haine, de racistes...
Pourquoi? Parce que la langue, c'est bien plus qu'un moyen de communication. C'est aussi une culture, nourrie par des siècles d'histoire et entretenue par des ressources culturelles (médias, livres, musique, etc.) qui lui sont propres. Lisez les journaux en français et en anglais. La télé. La radio. Les médias sociaux. Les choix de nouvelles sont différents. L'orientation des textes et les opinions exprimées ne sont pas les mêmes, avec un effet prévisible sur leurs auditoires...
En mars 2018, j'ai rédigé un texte de blogue à ce sujet, et je crois opportun d'en reproduire un long extrait qui s'applique bien aux contextes actuels...
«Au fil des siècles, au Canada anglais, on a beaucoup trop souvent diabolisé la langue française et depuis une cinquantaine d'années, on a littéralement déshumanisé les Québécois nationalistes et séparatistes. Cette semaine, la chroniqueuse Lise Ravary (bit.ly/2tA712z) se disait en état de choc après avoir participé à un panel organisé par la radio de CBC où des journalistes et des membres du public étaient invités à raconter des anecdotes qui feraient la preuve du racisme des Québécois. C'est en plein le genre de truc que les médias anglos adorent... mettre en scène des minorités, souvent en voie d'anglicisation, pour démontrer au pays à quel point le Québec persécute tous ceux qui ne sont pas de vieille souche française...
«Le Canada anglais se dit fier de son multiculturalisme soi-disant tolérant, mais la réalité c'est que ces minorités visibles ou pas, en s'intégrant à la société anglo-dominante qui les entoure, adoptent à la fois la langue anglaise et les valeurs anglo-canadiennes, y compris les attitudes de supériorité et mépris envers Québécois et francophones...
«Qu'ils aient l'anglais comme langue maternelle ou langue d'adoption, qu'ils soient de vieille souche britannique, d'anciens francophones assimilés, de races ou d'ethnies différentes, de religions ou cultures variées, cela a peu d'importance. Face à nous, francophones du Québec, ils adoptent des comportements similaires. Blancs, Noirs, Asiatiques, Européens, Africains, protestants, musulmans, catholiques, juifs, athées? Je vois peu de différences. Pour moi, ce sont tous des Anglais... et je sais quel sort ils nous réserveront si jamais ils finissent par former la majorité au Québec.... Ça va être laid... Une chose est sûre: on ne pourra plus jamais exiger de commander un 7up en français dans un avion d'air Canada...
Vous trouvez que je généralise? Que j'exagère un peu? Que je suis injuste envers tous ces anglophones parfois francophiles? Je l'avoue, je généralise, j'exagère (un tout petit peu), je suis injuste (un tout petit peu). Je leur dois bien ça aux Anglais, ils le font constamment avec nous. Et en terminant, si on veut compiler les victimes du racisme dans ce beau et grand bilingue pays, nous arriverons en tête de liste. De très loin. Et depuis très longtemps.»