lundi 26 octobre 2020

De quoi je me mêle???

Photo de l'Université d'Ottawa

Le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, ancien président de la Fédération étudiante de l'Université d'Ottawa, a pris position en faveur de la professeure Lieutenant-Duval et de la liberté d'expression. Il écrivait: «Cette phrase, venant du recteur de l’Université d’Ottawa, me donne des frissons dans le dos: "Les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une microagression". Un recteur cautionne l’idée qu’une opinion puisse être jugée non pas en fonction de son contenu, mais en fonction du groupe d’appartenance de la personne qui parle…»

Par la voie de sa page Facebook, l'activiste bien connu Bill Clennett (ancien candidat de Québec Solidaire), lui répondait: «S’il y a une chose qui me donne les frissons dans le dos, c’est un maire issu du groupe dominant qui revendique le droit de définir l’expérience d’oppression vécue par des personnes racisées et qui a le culot de justifier cette position en faisant appel à la démocratie et la citoyenneté. Maxime Pedneaud Jobin n’a aucune compétence pour parler des microagressions subies par les personnes racisées. Comme homme blanc priviliégié, il n’a pas d’expérience en la matière.»

.....................................

Le commentaire de M. Clennett, c'est ni plus ni moins la «cassette» qui joue constamment depuis le début de cette affaire, surtout dans les milieux anglophones ou anglo-dominés mais aussi dans une soi-disant gauche multiculturelle québécoise... 

Sur quel principe doit-on alors s'appuyer pour intervenir dans un débat autour du droit d'utiliser le mot «nigger» dans un contexte pédagogique? Car, répétons-le, à l'Université d'Ottawa il s'agissait bien de l'insulte anglo-américaine, et non du mot français «nègre». Si une personne de race blanche n'a «aucune compétence» pour parler des expériences d'oppression subies par les personnes dites «racisées» (je présume que ça veut dire non-blanches), alors comment fait-elle, cette personne de race blanche, pour arriver à porter un jugement informé qui l'amènera à prendre position?

Que faut-il conclure? Qu'on veut empêcher des Blancs de participer à un débat sous prétexte qu'ils ne peuvent espérer comprendre la situation des personnes de race noire, mais en les exhortant du même souffle à comprendre et soutenir la position des personnes de race noire (ce qui constitue une participation au débat)? Ça n'a aucun sens. Ça devient un problème sans issue.

Cette façon de raisonner constitue elle-même une forme de racisme en charriant l'image de «l'homme blanc privilégié» supérieur face aux victimes noires ou «racisées» inférieures, fragilisées, qu'il faudrait apparemment protéger des mots pouvant les blesser ou les rendre inconfortables... On dit en quelque sorte aux personnes de race noire qu'elles n'ont pas la capacité d'affronter des mots injurieux, et pire, qu'elles n'ont pas la capacité de distinguer entre l'emploi de ces mots à des fins pédagogiques et leur utilisation comme insultes raciales. Pour moi, une telle attitude est foncièrement raciste.

Il me semble que cet argument mérite une réplique cinglante. Les Noirs luttent pour l'égalité des droits humains depuis des siècles, souvent au péril de leur vie. Individuellement et collectivement, ils sont forts, tenaces et pleinement capables de soutenir un débat sans censure. Au fil des siècles ils ont surmonté esclavage, colonialisme, apartheids, combattu la discrimination sur tous les continents, passé au travers des lynchages du KKK en Amérique et affrontent encore aujourd'hui des brutalités policières. Et on croit qu'en 2020 un mot - peu importe le contexte dans lequel il est prononcé - pourrait ou devrait les intimider?

Je ne peux m'empêcher de penser aux années de militantisme des années 60 où Noirs (et Blancs) luttaient aux États-Unis contre les relents des anciens esclavages, contre la ségrégation raciale dans les écoles, les restaurants, les hôtels et autres milieux jusque là réservés aux Blancs... Les Noirs d'ailleurs et d'ici cherchaient à affirmer leur droit de participer pleinement et en toute égalité aux débats et enjeux de l'ensemble de la société. À s'intégrer, quoi. Et on voudrait aujourd'hui leur réserver de nouvelles formes de ségrégation, des espèces de lieux sûrs intellectuels où les Blancs seraient interdits d'accès?

En suivant ce même raisonnement fêlé, on pourrait argumenter qu'un professeur d'université anglo-canadien, issu clairement «du groupe dominant», n'a aucune compétence pour juger les expériences d'oppression subies par les francophones du Québec et du reste du pays, et qu'il n'a donc pas le droit - dans des cours d'histoire - d'expliquer à ses étudiants le contexte et l'évolution d'expressions racisantes comme «Speak white» ou d'injures comme «fucking frogs»... De fait, il est plutôt souhaitable qu'il le fasse! Tous doivent pouvoir nommer le mal par son nom.

Les censeurs d'aujourd'hui, de toutes tendances, veulent trop souvent taire le passé et les mots qui le rappellent. Certains tentent d'effacer des livres d'histoire la Shoah, d'autres le génocide arménien, et encore d'autres les histoires d'horreur liées à l'esclavage et aux apartheids. Plus près de nous, nombreux sont ceux qui s'efforcent de dissimuler l'oppression «racisante» subie depuis deux siècles par les Québécois, Acadiens et Franco-Canadiens sous prétexte que ce sont de «vieilles chicanes» sans intérêt. Au contraire, il faut les étudier, les décortiquer, les rappeler. Sinon, on s'expose à des récidives...

Au lieu d'aborder le débat de front, avec une franchise porteuse de solutions, nos inquisiteurs du 21e siècle arrachent des confessions de racisme systémique, au confessionnal ou mieux, sur la place publique. Cela libère peut-être la conscience de celui ou celle qui l'avoue mais ça ne donne strictement rien aux victimes. Est-ce qu'on veut se contenter de voir l'existence d'un «racisme systémique» reconnue un peu partout, et de donner ainsi l'absolution aux coupables sans réparer le mal qu'ils ont fait... et continuent de faire? En ciblant les «systèmes» on laisse le plus souvent les individus et organisations racistes poursuivre leur sale boulot...

De toute façon, de quoi je me mêle? Par la couleur de ma peau, je suis, comme Maxime Pedneaud-Jobin, associé au «groupe dominant» dont on dénonce les privilèges historiques. Par ma langue et ma culture, je suis associé à un peuple nord-américain qui a vécu le colonialisme et l'oppression depuis plus de 250 ans. Je suis héritier de ceux que Pierre Vallières a baptisés «nègres blancs d'Amérique», de ceux à qui on a trop souvent dit «Speak white»... Je ne sais pas quel droit de parole cela me confère, mais j'ai au moins une certitude. Je ne me tairai pas.


2 commentaires:

  1. "Suis-je racisé ?"
    -Laurent Desbois, Autochtone aux yeux bleus et aux cheveux blonds
    https://www.facebook.com/laurent.desbois2/posts/10156566174703140?comment_id=10156566183523140&notif_id=1530198060878611&notif_t=feed_comment

    RépondreEffacer

  2. Éteignez les Lumières
    2020/10/26 | Par Michel Rioux

    https://www.facebook.com/michel.rioux.338/posts/1050341538768342

    https://www.facebook.com/lautjournal/photos/a.1166513766699116/4065368076813656

    http://lautjournal.info/20201026/eteignez-les-lumieres?fbclid=IwAR0z_Swe3TJ8oc53F30GYZcEmuXi1olAMNz8K66ieoly_ogNta1BDzMzsfI


    Il aura fallu des siècles d’ignorance, de superstition, d’Inquisition, de guerres de religions, d’exécutions sommaires, de sorcellerie, de chasses aux sorcières, de bûchers, d’excommunications, de croisades avant qu’enfin, au Siècle des Lumières, la raison finisse par prévaloir.

    Il semble bien, avec les évènements que nous vivons, que l’embellie n’aura eu qu’un temps et que, comme le soulignait récemment Lise Bissonnette, c’est l’obscurantisme qui semble s’installer à demeure.

    RépondreEffacer