Dans sa publication Web de samedi (27 février 2021), le Journal de Montréal rapporte la sortie de la présidente de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, Padminee Chundunsing, contre certains propos de l'animateur de l'émission Tout le monde en parle, Guy A. Lepage. Ce dernier avait affirmé devant la ministre Mélanie Joly que le français, à Vancouver, était «la septième ou la huitième langue parlée, après le mandarin, le cantonais, le pendjabi et deux/trois autres langues que j'oublie»...
Dans une lettre ouverte publiée le 25 février, Mme Chundunsing réplique en affirmant que la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique représente «près de 400 000 locuteurs du français, ce qui fait du français la deuxième langue parlée dans notre province, et non la septième comme vous l'avez affirmé», ajoutant que «nous sommes une communauté bien vivante, bien loin de l'image d'espèce en voie de disparition que vous semblez avoir».
À première vue, on a l'impression que l'un dit noir et l'autre blanc. Qui a raison? Guy A. Lepage ou Mme Chundunsing? Le rédacteur du texte de l'Agence QMI aurait pu s'informer (aurait dû...) mais ne l'a pas fait, et laisse le lecteur dans le brouillard. Une simple vérification des données du recensement de 2016, le plus récent, aurait vite remis les pendules à l'heure.
Premièrement, l'animateur de TLMEP avait parlé spécifiquement de Vancouver et la présidente des organismes franco-colombiens propose un survol de la situation du français dans l'ensemble de la province. Selon elle, la Colombie-Britannique compte «près de 400 000 locuteurs du français». Cette information est vérifiable. Selon le dernier recensement fédéral, 316 735 Britanno-Colombiens peuvent soutenir une conversation en français, soit 6,9% de la population. Cette donnée inclut les Franco-Colombiens ainsi que les anglophones et allophones bilingues ou multilingues.
Alors si la catégorie choisie est la capacité de soutenir une conversation dans une langue, Mme Chundunsing a raison. Le français occupe la deuxième place, suivi du mandarin, du pendjabi et du cantonais. Le problème, évidemment, c'est que les bilingues sont comptés en double. Les trilingues en triple. Sur les 316 735 locuteurs du français, 314 925 parlent aussi l'anglais et sont ainsi comptés également parmi les locuteurs de l'anglais. Et l'immense majorité d'entre eux ont effectivement l'anglais comme langue maternelle ou langue d'usage. Mais on reste encore loin du chiffre de «près de 400 000»... Et ce n'est pas le meilleur indicateur du dynamisme d'une langue.
Les données sur la langue maternelle (première langue apprise et encore comprise) et la langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison) ont beaucoup plus de pertinence. En comparant l'une à l'autre, on obtient aussi un portrait plus précis de la dynamique linguistique en Colombie-Britannique. Il y a, selon le recensement de 2016, pour ceux qui n'indiquent qu'un choix, 57 425 personnes de langue maternelle française, ce qui place le français en septième position derrière l'anglais, le pendjabi, le cantonais, le mandarin, le Tagalog (philippin) et l'allemand.
Les données pour la langue d'usage sont bien plus sombres: seulement 16 795 personnes indiquent le français comme langue la plus souvent parlée à la maison (choix unique). Cela place le français en 10e position après l'anglais, le mandarin, le pendjabi, le cantonais, le coréen, le tagalog, le persan, l'espagnol et le vietnamien. Si on employait les choix multiples (pondérés) au lieu des choix uniques, le français passerait probablement à la 9e place, devant le vietnamien. On notera aussi que des 57 000 personnes de langue maternelle française (choix uniques), à peine 17 000 parlent le plus souvent français à la maison. Une assimilation massive décime les rangs francophones.
Si l'on revient à Vancouver, la ville dont parlait Guy A. Lepage à TLMEP, la situation du français ne s'améliore pas du tout. Les données sur la langue maternelle placent le français en neuvième position, et en treizième position pour la langue d'usage... Sur une population de près de 2 500 000 personnes dans la région métropolitaine de recensement de Vancouver, à peine 8625 disent utiliser le français le plus souvent à la maison (choix unique), soit 0,4% de la population.
Cela ne signifie pas que le français doive être considéré sur un pied d'égalité avec toutes les autres langues, et qu'on puisse ainsi piétiner les droits constitutionnels des Franco-Colombiens comme on le fait depuis trop longtemps. Et sans doute peut-on compter sur l'apport de quelques centaines de milliers de francophiles en Colombie-Britannique. Cependant, si l'on peut accepter que ce qui reste de la collectivité francophone est «bien vivant», il est difficile de croire que ces données brossent un tableau d'une communauté «pleine de vitalité».
Alors qui, de Guy A. Lepage ou de Mme Cundunsing, a raison? À vous de décider. Les chiffres sont là. Mon plus grand regret, c'est que les médias - qui ont accès à ces données - ne fassent que peu d'efforts pour vérifier le fondement de telles affirmations.
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