mercredi 10 février 2021

«Tanné d'entendre ces petits séparatisses»...

Avant d'aborder ce texte de blogue, il faut absolument lire le commentaire de Réjean Grenier, éditorialiste / chroniqueur à l'hebdo La voix du Nord (Le voyageur) de Sudbury, Ontario (bit.ly/2MLc3DP). Je crois sincèrement que son point de vue est partagé par un grand nombre de Franco-Ontariens militants. J'ai ressenti moi-même, à l'occasion, cette exaspération, mais aussi le danger de fixer l'arbre qui cache la forêt, de transformer quelques vérités irritantes en généralisations et en amalgames qui déforment la réalité..

J'étais Franco-Ontarien. C'est en oeuvrant au sein d'organisations de l'Ontario français (AJFO, ACFO, APMJOF*) que je suis devenu indépendantiste, dans les années 1960. Comme le vieux patriarche Séraphin Marion et des centaines, voire des milliers d'autres Franco-Ontariens. Je suis aujourd'hui fier Québécois, mais je demeure attaché à mon ancien quartier de l'ouest d'Ottawa, et à la Franco-Ontarie. Et je reste convaincu, envers et contre tous, qu'on peut être à la fois partisan de l'indépendance du Québec et allié des Canadiens français et Acadiens ailleurs au Canada.

Voilà pourquoi je dois répondre à cette chronique de M. Grenier.

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L'éditorialiste/chroniqueur commence en se disant «tanné d'entendre ces petits séparatisses québécois qui prédisent la disparition des Franco-Canadiens». Et qui sont ces gens? «Qu'il me suffise de montrer du doigt la Bombardier (elle méritait au moins de se faire appeler Mme ou Denise), le Bloc québécois et le mouvement Impératif français». Il ajoute que «ces personnes n'hésitent pas à se joindre à des groupes en ligne comme "Fier d'être Franco-Ontarien" pour venir y distiller leurs inepties».

Mon impression, fondée sur plus de 50 ans d'observation, c'est que les Québécois, en général, connaissent peu la réalité quotidienne des minorités acadiennes et canadiennes-françaises. Ce n'est pas surprenant. Au-delà de l'occasionnelle crise linguistique, les grands médias n'en parlent à peu près pas. Mais les francophones hors Québec, s'abreuvant majoritairement (voir les études de Statistique Canada) aux médias de langue anglaise, rarement pro-québécois ou francophiles, sont-ils davantage informés de la réalité québécoise? La question est posée.

J'aurais espéré que M. Grenier offre au moins un exemple d'intervention de ces «petits séparatisses». À la place, il pointe du doigt un individu (Me Bombardier), le Bloc et Impératif français, les accusant d'utiliser des pages Facebook franco-ontariennes pour propager leurs inepties. Je connais suffisamment ces deux organisations pour savoir qu'elles sont bien outillées en matière de recherche, et que leurs prises de position, que l'on soit ou non d'accord avec elles, ne sont pas des sottises. Je connais aussi le groupe «Fier d'être Franco-Ontarien». C'est un groupe Facebook privé de plus de 11 000 membres, bien géré, et je doute que l'administrateur laisse des «petits séparatisses» l'utiliser pour «y distiller leurs inepties».

Revenons sur ces «inepties». En 1995, plus de 60% des francophones du Québec ont voté en faveur de la souveraineté du Québec.  En participant au processus référendaire, toutes les forces fédéralistes (y compris Jean Chrétien), ont reconnu la légitimité de la démarche. Et parmi les partisans du Oui, on trouvait d'anciens (et d'actuels) Franco-Ontariens qui connaissaient la réalité francophone minoritaire, et qui jugeaient préférable de se donner un pays de langue française. Que cela suscite des échanges robustes va de soi, mais les arguments portent mieux sans insultes.

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Le texte poursuit en notant que «ces souverainistes» applaudissent la résilience et le courage des Franco-Ontariens «en nous invitant à Tout le monde en parle pour bafouer le méchant Doug Ford»... Devons-nous comprendre que «ces souverainistes» occupent des postes de direction à Radio-Canada et que ce sont eux qui font le choix des invités à Tout le monde en parle? Et qu'il y a là une intention claire d'inviter des Franco-Ontariens pour montrer à quel point les francophones sont maltraités en Ontario, et ainsi favoriser la cause de l'indépendance? Vraiment?

M. Grenier soulève ensuite un aspect important de la problématique en affirmant «qu'ils (les séparatistes) ne connaissent pas - ou ne veulent pas connaître - le rôle important que joue le Québec dans le déclin du français hors de ses frontières», notamment en s'opposant «aux revendications judiciaires des Canadiens français pour obtenir des écoles». C'est sans doute vrai que l'immense majorité des indépendantistes (et des fédéralistes itou) ne connaissent pas le conflit autour de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'intervention du Québec contre les Franco-Yukonnais en 2015 a été souvent citée en exemple et j'ai abordé cette malheureuse stratégie québécoise dans mon blogue (bit.ly/2XKrP1Y).

Mais au-delà du fait que le coup de Jarnac contre les francophones du Yukon ait été perpétré par le gouvernement québécois le plus fédéraliste des dernières décennies, c'est y aller un peu fort de prétendre que les conflits autour de la gestion scolaire aient eu une grande importance dans le déclin du français hors Québec. Les multiples interventions judiciaires depuis 1982 ont plutôt servi les intérêts des francophones, du moins jusqu'à ces dernières années. Le milieu socioéconomique dans lequel vivent les collectivités de langue française en situation minoritaire explique bien plus les déclins qu'une quelconque stratégie judiciaire du gouvernement québécois.

M. Grenier mentionne que «nous sommes plus de 40 000 à parler français» à Sudbury. S'il avait voulu, il aurait même pu dire au-delà de 60 000 en comptant les anglophones bilingues. Mais il occulte d'autres chiffres du recensement qui viennent pondérer son affirmation, et qui vont au coeur du débat sur le déclin du français hors Québec (et de plus en plus au Québec même). Selon le recensement fédéral de 2016 près de 50% des 42 000 francophones du Grand Sudbury parlent le plus souvent l'anglais à la maison. Voilà un critère de mesure linguistique qu'évitent, à tort, les organismes de la francophonie minoritaire.

Pour ce qui est de la présence unilingue anglaise de plusieurs bannières commerciales québécoises en sol ontarien, le chroniqueur du Voyageur a bien raison. Si nous n'avions pas la Loi 101 au Québec, nous verrions sans doute apparaître des bannières et un affichage unilingues anglais dans des régions comme Montréal et l'Outaouais. Et je suis d'accord pour semoncer ces pratiques, mais quel exemple donnent de nombreux commerçants franco-ontariens qui, eux aussi, s'affichent en anglais, et ce, même dans des régions où les francophones constituent une présence substantielle? 

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Au suivant. L'éditorialiste/chroniqueur affirme que «ces indépendantistes se fichent complètement de nous. Ils se servent de nous pour mousser leur idéal auprès du peu de Québécois qui partagent encore leur politique chimérique». Sans doute y a-t-il des gens assez cyniques pour agir ainsi, mais pour les indépendantistes que je connais, ma perception, c'est que la plupart voient la situation des francophones minoritaires comme une tragédie irréparable, et croient fermement que le même sort guette le Québec français si l'on ne crée pas un pays capable de protéger et promouvoir la langue française. Mais cela est loin d'être le coeur de l'argumentaire indépendantiste.

Quant à savoir si l'indépendance est une chimère à laquelle «peu de Québécois» souscrivent, un sondage réalisé en 2020 à l'occasion du 25e anniversaire du référendum de 1996 a démontré que le «oui» recevrait encore 36% des votes. Pondéré en fonction des proportions linguistiques, cela signifie environ 45% des francophones... Ce n'est pas la majorité, mais ce n'est pas «très peu»...

M. Grenier conclut ce premier de deux textes en avertissant les indépendantistes de ne plus poursuivre leur idéal «en vous servant de nous». Il y a ici un problème. Ce «nous» (les minorités acadiennes et canadiennes-française) compte parmi les éléments importants du débat sur l'unité canadienne. Les francophones hors Québec ont abondamment invoqué leur présence, leur existence partout au pays, pour s'opposer au projet de souveraineté québécoise. Si on met ce «nous» sur la table des débats, il faut s'attendre d'être scruté à la loupe par ceux que l'on conteste. Ainsi le déclin du français partout au pays, et peut-être surtout à Montréal ces jours-ci, continuera de faire partie du coffre d'outils des souverainistes et des fédéralistes.

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On s'en reparlera.

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* ACFO (Association canadienne-française de l'Ontario), AJFO (Association de la jeunesse franco-ontarienne), APMJOF (Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français)

1 commentaire:

  1. C'est un excellent texte qui aborde des questions de fond qui sont rarement abordées, à cause d'une espèce de tabou.

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