mardi 16 février 2021

La différence entre un fait divers et un moment historique...

Résultat de recherche d'images pour "images Loi sur les langues officielles"

Plusieurs nouvelles ont un caractère ponctuel. On en parle un jour, on l'oublie le lendemain. D'autres traînent dans le décor quelques semaines, quelques mois. Certaines, enfin, marquent un moment important de l'histoire, font l'objet de multiples suivis et restent à jamais gravées dans la mémoire collective. La capacité de distinguer entre les unes et les autres devrait être l'un des fondements du journalisme. 

Malheureusement, au Québec, trop de salles de rédaction semblent avoir beaucoup de difficulté à s'élever au-dessus de l'immédiat. L'an dernier, l'important rapport de l'OQLF sur l'érosion du français comme langue de travail, puis le procès intenté contre la Loi 21 sur la laïcité de l'État, ont largement échappé aux radars de la presse québécoise. Et tout récemment, l'intervention majeure du Québec dans le dossier fédéral des langues officielles n'a même pas enregistré un bip sur l'échelle de Richter médiatique.

J'ai déjà abordé la couverture anémique du document de l'OQLF et du procès de la Loi 21 par nos quotidiens dans deux textes de blogue (voir bit.ly/2ZmoaKh et bit.ly/3qq21X8). Aujourd'hui, c'est au tour du gouvernement québécois, avec sa prise de position sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, de tomber dans un trou noir médiatique. On ne devrait avoir à faire comprendre à des directions de salles de rédaction pourquoi l'annonce du 5 février 2021 de Sonia Lebel méritait une manchette...

Sous Trudeau père, fin années 60, on avait administré au vieux concept de «bilinguisme / biculturalisme» l'aide politique à mourir. En 1969, une première mouture de la Loi sur les langues officielles consacrait une certaine égalité du français et de l'anglais dans les sphères de compétence fédérale et créait le Commissariat aux langues officielles. En parallèle, le multiculturalisme devenait un dogme pour l'État canadien. L'adhésion linguistique, vue par Ottawa comme un choix individuel, ne renvoyait plus à des droits collectifs, ou à des concepts tels que société distincte ou nation.

Il n'y a plus que des individus francophones ou anglophones, minoritaires ou majoritaires en additionnant les colonnes de chiffres des recensements. La réalité historique de la domination anglo-canadienne disparaît d'un trait de plume. Les Québécois de langue anglaise deviennent une minorité comme les autres au Canada. Ainsi se crée l'aberration d'une symétrie quasi parfaite entre les minorités franco-canadiennes et les Anglo-Québécois. Pire, une mise à jour de la LLO dans les années 80 donne à Ottawa le mandat de promouvoir (avec des tas de $$$) l'épanouissement des minorités françaises et de la minorité anglaise...

Voilà le régime de fous dans lequel le pays évolue depuis un demi-siècle. Et pendant que la langue française connaît un déclin partout, même au Québec, le gouvernement fédéral continue tous les ans à pomper au Québec des dizaines de millions de dollars du budget «langues officielles» pour appuyer la langue anglaise (et seulement la langue anglaise) en territoire québécois. Pendant ce temps, la Loi 101 s'effrite devant les tribunaux fédéraux et des gouvernement québécois ouvertement anglophiles (Charest, Couillard) instaurent l'anglais intensif dans les écoles françaises et surfinancent (comme Ottawa) les institutions d'éducation et de santé anglo-québécoises.

Puis, peu à peu, la réalité nous rattrape. Même les fédéraux commencent à comprendre que le déclin de la langue et de la culture françaises menace les fondements mêmes de leur beau et grand pays bilingue. Les taux d'assimilation deviennent plus qu'alarmants à travers le Canada et même au Québec, les menaces qui pèsent sur la langue de la majorité ne peuvent plus être dissimulées. Dans son ultime rapport, en 2016, l'ancien Commissaire aux langues officielles Graham Fraser avait sonné l'alarme, en rappelant le caractère primordial d'une majorité unilingue française au Québec.

L'élection du gouvernement de la CAQ en 2018, conjuguée au retour des libéraux fédéraux sous Justin Trudeau, a favorisé un nouveau brassage des cartes linguistiques. Quelques mois après l'élection du gouvernement Legault, clairement moins docile que le troupeau Couillard, la ministre fédérale montréalaise Mélanie Joly affirmait lors d'un colloque sur le bilinguisme (à l'Université d'Ottawa) que dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, elle avait l'intention de recommander l'inclusion de mesures pour protéger les droits collectifs des francophones. Elle n'a pas précisé, mais tout le monde a compris qu'elle pensait aussi au Québec, pas seulement aux minorités.

À l'automne 2019, la ministre québécoise Sonia Lebel - abordant elle aussi la modernisation de la LLO - a lancé cette idée de virer sens dessus dessous les pratiques d'un demi-siècle pour considérer les Anglo-Québécois comme une extension en territoire québécois de la majorité anglo-canadienne, et non comme une minorité. Ainsi, seule la langue française serait considérée minoritaire, et ce, partout au Canada, y compris au Québec.

Sans aller aussi loin, le gouvernement Trudeau a tout de même ouvert la porte à une remise en question globale de la LLO lors du discours du Trône de septembre 2020 en déclarant que «le gouvernement a la responsabilité de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec Ayant attisé de vieilles braises, on a voulu calmer le jeu en annonçant, fin novembre 2020, un «Livre blanc» devant servir aux débats sur une nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles.

Et voilà qu'avant même qu'Ottawa annonce officiellement ses couleurs, Québec fonce dans la brèche le 5 février 2021 avec une proposition détaillée en vue de la modernisation de la LLO. Dans le document québécois on peut lire: «L'approche proposée par le Québec prend comme point d'ancrage le fait que des deux langues officielles au Canada, seul le français est vulnérable, et qu'il doit être protégé et promu, tant dans les autres provinces qu'au Québec.» Cela vire sens dessus dessous ls symétrie linguistique qui fonde les politiques de bilinguisme fédérales depuis 1969.

Or, ce 5 février 2021, seul le Journal de Montréal avait assigné un reporter à cette nouvelle. (Le Montréal Gazette aussi, bien sûr, mais seuls les journaux de langue française m'intéressent aux fins de ce texte). L'agence La presse canadienne a diffusé un court texte de six paragraphes, sans citations, sans contexte, sans profondeur, que quelques quotidiens ont repris. Ni Le Devoir ni La Presse, ni les anciens quotidiens de Capitales Médias n'ont commandé de texte maison. Aucune mise en contexte, aucun suivi...

L'indifférence de la presse québécoise de langue française dans ce dossier (autre qu'une chronique fort pertinente de Michel David (bit.ly/3cVsTdP) dans Le Devoir) est incompréhensible. N'a-t-on pas compris que Québec vient de bouger bien plus qu'un pion sur l'échiquier linguistique canadien? Que le lourd bateau du bilinguisme fédéral a entrepris un changement de cap? Qu'un nouveau chapitre des relations entre francophones et anglophones s'amorce? Qu'il s'agit d'un moment historique? De toute évidence, non!

C'est parfois désespérant...

.................................

Annexe

Article 41(1) de la Loi sur les langues officielles (1985, 1988)

 (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. (voir https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/o-3.01/)


Extrait du rapport du Commissaire aux langues officielles (Graham Fraser) - 19 mai 2016

«Le Canada est réellement formé de deux communautés principalement unilingues qui vivent côte à côte. Quelque 90 % des Canadiens anglophones ne parlent pas français et environ 60 % des Canadiens francophones ne parlent pas anglais.» (voir https://www.clo-ocol.gc.ca/fr/publications/rapports-annuels/2015-2016)


Notes consignées à un colloque sur le bilinguisme à l'Université d'Ottawa - 31 janvier 2019

Le ministre fédérale Mélanie Joly a largué une véritable bombe en affirmant que le gouvernement Trudeau avait l'intention de recommander (dans la Loi sur les langues officielles) l'inclusion de mesures portant sur les droits collectifs des francophones. Cela constituerait un changement de cap majeur pour les administrations libérales sous Trudeau père et fils, qui ont toujours refusé d'enchâsser nos droits collectifs (sous forme de société distincte ou autre) dans une loi fédérale, et encore moins dans la Constitution. (voir http://lettresdufront1.blogspot.com/2019/02/)

  • Note marginale :


    Extrait d'un texte du quotidien Le Droit du 23 novembre 2019

    «Pour nous, c’est important de partir de la prémisse que le français est la seule langue minoritaire officielle au Canada», affirme la ministre québécoise responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Sonia LeBel, au sujet de la réforme de la Loi sur les langues officielles (LLO). (voir bit.ly/3qrsDqT)


    Extrait du Discours du trône du gouvernement Trudeau, 23 septembre 2020 (voir bit.ly/378Zl8L)

    Protection des deux langues officielles

    Nos deux langues officielles sont indissociables du patrimoine de notre pays.

    La défense des droits des minorités francophones à l’extérieur du Québec et la défense des droits de la minorité anglophone au Québec sont une priorité pour le gouvernement.

    Mais le gouvernement du Canada doit également reconnaître que la situation du français est particulière. Il y a près de 8 millions de francophones au Canada dans un océan de plus de 360 millions d’habitants principalement anglophones. Le gouvernement a donc la responsabilité de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec.

    En ce sens, 51 ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles, le gouvernement s’engage notamment à renforcer cette loi en tenant compte de la réalité particulière du français.


    Extrait de la position officielle du gouvernement du Québec (Modernisation de la Loi sur les langues officielles) - 5 février 2021 (voir bit.ly/3rPByms)

* À l’échelle canadienne, la langue française est, de fait, la (seule) langue officielle minoritaire. La langue française doit bénéficier de mesures de protection spécifiques afin d’assurer sa pérennité et son développement au Canada, incluant au Québec. Il faut, considérant le contexte dans lequel la langue française évolue, y porter une attention particulière.

* La Loi sur les langues officielles modernisée doit affirmer explicitement que le français est la seule langue officielle minoritaire à l’échelle du Canada. Ce principe permet de reconnaître à la fois la spécificité du Québec et les enjeux linguistiques francophones ailleurs au Canada, légitimant ainsi un traitement différencié de la langue française et de la langue anglaise au Canada.


Aucun commentaire:

Publier un commentaire