samedi 26 juin 2021

Gatineau s'anglicise? Surtout n'en parlez pas...


Arrivant à Gatineau, sur le pont du Portage

Dans une cinquantaine d'années, quand un centre-ville de Gatineau largement unilingue anglais, au mieux bilingual, sonnera le glas du français dans la quatrième ville du Québec, il sera bien trop tard pour poser les questions qui auraient pu faire la différence au moment opportun.

Et pourtant, aujourd'hui, en 2021, tout le monde qui se donne la peine d'ouvrir les yeux sait pertinemment que l'anglicisation s'accélère depuis l'époque, il y a 50 ans, où le gouvernement fédéral a exproprié une tranche du vieux Hull francophone pour y ériger ses tours où l'on travaille et l'on communique surtout en anglais.

Les constructeurs d'habitation gatinois font aussi leur part. Ils salivent à l'idée d'attirer les Ontariens, majoritairement anglophones (mais faut surtout pas le dire), désormais séduits par les avantages financiers de traverser la rivière des Outaouais. Une économie de centaines de milliers de dollars à l'achat d'une maison, des garderies pas cher, des écoles et des services mur à mur en anglais.

Les plus récentes données de la Chambre immobilière de l'Outaouais, rendues publiques par le quotidien Le Droit, révèlent qu'au cours de la dernière année, de 28 à 34% des transactions immobilières à Gatineau ont été faites par des Ontariens (voir bit.ly/3vZIVZZ). Avant, c'était entre 4 et 6%... Pour la plupart de ces gens, c'est comme changer de quartier. Québec? Ontario? Au quotidien, pour eux, il n'y aura pas grand différence.

Ils pourront continuer à vivre en anglais, ils s'adresseront dans leur langue à la municipalité, dans les hôpitaux, dans les commerces, ils parleront anglais à leurs voisins francophones, pour la plupart bilingues. Certains conserveront même leurs plaques d'immatriculation ontariennes, comme s'ils vivaient toujours de l'autre côté des ponts... comme s'ils étaient dans la même ville, la même région.

Le pire, c'est qu'ils ont presque raison. Quand, à la mi-juin, le Québec et l'Ontario ont annoncé la réouverture de la frontière entre Ottawa et Gatineau après des mois de fermeture covidienne, la députée de Hull à l'Assemblée nationale a lancé un cri de soulagement devant ce qui apparaissait à plusieurs comme une injure à l'unité ottavienne-gatinoise... «J'espère qu'on n'entendra plus parler de ce clivage de notre région, a déclaré Maryse Gaudreault, presque indignée. Ottawa et Gatineau, c'est une seule grande région.» Ne nous séparez pas!

Pendant que les politiciens et dirigeants franco-ontariens d'Ottawa crient sur tous les toits pour défendre la langue et la culture française dans leur ville trop souvent francophobe, le silence est assourdissant dans les milieux politiques et institutionnels à Gatineau. Le sujet de la langue paraît même tabou. Soutenir la Loi 101 et un Québec français à Gatineau éveille la méfiance dans une région où soutenir la Loi 101 et un Québec français est associé aux indépendantistes, depuis toujours condamnés à une relative marginalité.

Non seulement la députée libérale de Hull ne défend-elle pas les droits de ses concitoyens francophones sur la place publique, elle ne comprend pas pourquoi les parents de langue française ne pourraient pas inscrire leurs enfants dans les écoles anglaises... Quand McGill a voulu imposer des cours en anglais dans sa nouvelle faculté de médecine à Gatineau, elle avait une réponse fort simple pour ceux qui ont exprimé des réserves: «c'est ça ou rien» (voir bit.ly/2Uwkfez). Et elle acceptait volontiers «ça»...

La ville de Gatineau n'a guère fait mieux. Pour pouvoir inclure l'anglais comme exigence pour un poste de fonctionnaire qui n'en avait pas vraiment besoin, nos élus sont allés devant les tribunaux et ont réussi à faire tomber un pan entier de la Loi 101 (bit.ly/3gYOiV7). Difficile de croire qu'ils vont changer leur fusil d'épaule pour protéger ailleurs le caractère français de la métropole de l'Outaouais. De fait ils n'en parlent à peu près jamais. Faut pas discuter de ces choses. On pourrait passer pour un xénophobe ou pire, un raciste. 

Alors l'anglicisation se poursuit. Avec le nouveau projet Zibi, un quartier intégré (le premier du genre) qui s'étend des deux côtés de la rivière à la hauteur des Chutes Chaudière, on crée de toutes pièces un territoire ontarien-québécois d'au moins 5000 ou 6000 résidents où j'ai peine à croire que la majorité soit ou demeure francophone, même dans les résidences érigées sur la rive gatinoise. Mais personne n'évoque cette question. On laisse faire en y pensant le moins possible et on se contentera de constater les dégâts culturels et linguistiques dans une dizaine ou une vingtaine d'années.

Pour le moment, traditionnelle bonne entente exige, chut!



11 commentaires:

  1. Vous avez bien raison de vous inquiéter, M. Allard, il me semble. J'espère que nous n'assistons pas à une 'orléanisation' d'une partie de Gatineau. Orélans, à l'origine, était un petit village canadien-français sans histoire. C'est maintenant une grosse banlieue anglophone à 70 %. Plus à l'est, Rockland est passé de presque 100 % francophone à près de 50 %. C'est toujours le même phénomène: des anglophones à la recherche d'un bon 'deal' immobilier.

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    1. And Francophones do not want a good deal? What a stupid, ignorant comment.

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  2. Excellent texte, M. Allard. Merci.

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  3. Ouf… excellent texte qui décrit bien -heals - la réalité. Gaulois dans un petit village menacé…

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  4. Excellent article. Merci, M. Allard. Vous devriez essayer de le publier dans LeDroit. Mais ce serait beaucoup espérer.

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  5. Nous vivons à une époque où plus d'une personne trahirait sa mère pour aller au bal des orphelins ; l'argent est aujourd'hui tout ce qui compte. Les promoteurs immobiliers et les agents d'immeubles s'en donnent à cœur joie.

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  6. Tellement la réalité.
    En plus pendant que les ponts étaient barrés dû à la Covid, nos braves policiers auraient dûs en profiter pour donner des 48 heures à tous ceux qui disaient résider au Quebec, mais avaient toujours des plaques ontariennes!

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  7. Qui osera dire le non-dit? Il est temps que ça cesse!
    Excellent texte monsieur Allard.

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  8. C'est maintenant à la grandeur de Gatineau qu'on se bute à des unilingue anglophone dans nos commerces. J'entend maintenant parler partout où je vais dans la région. Les 20 dernière année ont été désastreuses pour la vie en français en Outaouais. Je m'en désole, mais je ne baisserai jamais les bras. C'est en dénonçant les commerces fautifs et en appuyant nos organismes de défense de la langue française que nous parviendrons à rectifier le tir.

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