Depuis cinquante ans, le discours fédéral officiel veut nous faire croire à une symétrie linguistique entre les minorités francophones hors Québec et les Anglo-Québécois. Au regard de la Loi sur les langues officielles, les unes et les autres sont des «minorités»... Rien de plus...
C'est de la bouillie pour les chats bien sûr... «Rien qu'à wère on wé bin» où réside la puissance. Pour une démonstration éloquente de cette asymétrie où anglophones québécois trônent au sommet, on n'a pas à regarder plus loin que cette campagne électorale où la francophonie minoritaire a été larguée sans hésitation par le gouvernement Trudeau.
Cela faisait des années que les organisations canadiennes-françaises et acadiennes exerçaient des pressions en faveur d'un renforcement de la Loi sur les langues officielles. Retardée d'année en année sans motif, voilà qu'enfin, en juin 2021, une nouvelle mouture de la LLO (projet de loi C-32) est présentée au Parlement alors que circulent abondamment les rumeurs du déclenchement imminent d'une élection générale.
Déjà là, on pouvait douter du sérieux des libéraux en matière de protection de la langue française, in et hors Québec. Mélanie Joly et sa troupe n'avaient pas comblé tous les espoirs, mais le projet de loi proposait du nouveau (juges bilingues à la Cour suprême, pouvoirs accrus au Commissariat aux langues officielles, contributions au post-secondaire de langue française, droit de travailler en français, etc.) et recueillait une adhésion suffisante pour être adopté aux Communes.
Le gouvernement de Justin Trudeau avait en main tous les outils parlementaires pour honorer au moins certains des engagements envers les minorités francophones. Le Parlement fonctionnait bien, aucun parti d'Opposition n'avait l'intention de renverser le gouvernement minoritaire et tout laissait croire que les libéraux pourraient demeurer au pouvoir jusqu'en 2023, date à laquelle de nouvelles élections auraient lieu en vertu des dispositions de la Loi électorale.
Le cynisme des libéraux fédéraux est légendaire. Tout en sachant que C-32 n'était que pion poussé sur un échiquier électoral encore secret, Justin Trudeau a eu l'effronterie de discuter du projet de loi à la mi-juillet avec la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Liane Roy, et le premier ministre y «a invité la francophonie canadienne à faire valoir les éléments à renforcer dans le projet de loi lors du processus parlementaire qui suivra son cours au retour de la Chambre des communes»(1)...
Les francophones hors Québec auraient dû savoir dès le départ qu'ils ne feraient pas le poids dans l'étude des calculs électoraux. Il n'y a que quatre circonscriptions à majorité francophone à l'extérieur du Québec (une en Ontario, trois au Nouveau-Brunswick). Le poids de l'électorat de langue française n'est déterminant nulle part ailleurs, et même en diminution avec des taux d'assimilation souvent dramatiques.
Pendant ce temps, au Québec, les francophones sont minoritaires dans neuf circonscriptions (concentrées dans le centre-ouest de l'île de Montréal et à Laval) et sont près d'être mis en minorité dans trois autres (encore sur l'île de Montréal). Or ce sont tous des comtés libéraux et ces jours-ci, les Anglo-Québécois se rebiffent contre tout ce qu'ils perçoivent comme une menace à leur domination traditionnelle, y compris le projet de loi 96 du Québec et le C-32 fédéral.
Quand, en juin 2021, la Chambre avait adopté à 281 contre 2 la motion du Bloc Québécois reconnaissant au Québec le droit de modifier en faveur du français sa section de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, neuf députés libéraux de la région montréalaise (2) s'étaient abstenus. À la fois une manifestation de solidarité et une menace à peine voilée des conséquences d'offusquer les anglophones et allophones anglicisés du Québec... plus nombreux, plus solidaires et moins dispersés que la totalité de la francophonie hors-Québec.
En violant l'esprit, sinon la lettre de la Loi électorale qui prévoit des élections aux quatre ans, Justin Trudeau a «flushé» sa nouvelle Loi sur les langues officielles qui déplaisait surtout aux Anglo-Québécois par sa reconnaissance du français comme seule langue menacée au Canada, y compris au Québec. Le statut quo constitue toujours un gain pour les anglos, qui ne veulent pas modifier la symétrie linguistique de la LLO. Pour les francophones hors Québec, conscients que le temps joue contre eux, il s'agit d'une perte évidente. Au rythme actuel de l'assimilation, ils deviendront bientôt marginaux sur l'échiquier politique et les dirigeants politiques du Canada le savent fort bien.
Encore une fois, dans un jeu électoral fédéral où seuls les puissants exercent une réelle influence, les Canadiens français et les Acadiens des provinces à majorité anglaise risquent fort d'être parmi les laissés-pour-compte de la campagne qui se terminera le 20 septembre. Si jamais les enjeux linguistiques remontent à l'avant-scène, il y a fort à parier que les anglos monopoliseront les micros pour dénoncer l'attitude complaisante d'Ottawa envers un Québec qui se donne des airs un peu trop français.
Pas que la francophonie canadienne n'aurait pas ici quelques flèches efficaces à décocher stratégiquement, mais avec la fragilité de ses collectivités et ses dirigeants peu habitués aux combats dans la boue, elle est mal outillée.
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(1) Voir bit.ly/3BiF7WG.
(2) Voir https://www.journaldemontreal.com/2021/06/19/ces-deputes-liberaux-anti-quebecois.
Vos commentaires me semblent très pertinents, M. Allard, et je suis heureux de voir ce genre de considérations soulevées. Oui, il est vrai que les francophones hors-Québec ne pèsent pas lourds aux yeux d'Ottawa, comparativement aux Anglo-Québécois, nombreux, concentrés et bien organisés, auxquels même le gouvernement québécois semble se dévouer en priorité, à en juger par les décisions caquistes relatives à l'enseignement collégial et universitaire à Montréal. Montréal est le point faible de la francophonie au Québec et cette région est en péril d'assimilation.
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