J'ai regardé les interviews des chefs de partis fédéraux à Radio-Canada, hier soir (29 août 2021), avec beaucoup d'intérêt. Comme d'autres vieux journalistes de la presse écrite sans doute - j'ai couvert ma première campagne électorale en 1970 - j'avais le goût d'en discuter et surtout de lire couverture et commentaires de collègues des autres journaux.
Et c'est là que je me suis rappelé, une nouvelle fois, que mon ancien univers médiatique n'existe plus... Non seulement une bonne moitié des collègues de l'époque sont-ils disparus (oui, j'aurais dû écrire morts), mais les journaux qu'ils ont abondamment noircis de leurs plumes ont pour la plupart été fermés ou n'ont plus d'éditions imprimées. Sans écran (même avec), aujourd'hui, au Québec, on est souvent condamné à l'ignorance.
Au lendemain d'un événement électoral majeur, disons un débat des chefs, quand j'arrivais à la salle des nouvelles du quotidien Le Droit dans les années 70, je pouvais aligner sur un des grands pupitres cinq, six ou sept autres quotidiens d'Ottawa et de Montréal et y lire les comptes rendus, analyses et commentaires éditoriaux.
Sans allumer d'ordinateur, sans avoir à éplucher une diversités de sites et de pages Web, sans avoir à faire défiler les textes, sans avoir à imprimer ou enregistrer ceux que j'avais besoin de conserver, j'avais devant moi des centaines de nouvelles, largement mises en page selon leur importance, toutes visibles sans avoir à ouvrir huit ou neuf fenêtres sur un écran de tablette déjà trop petit...
Entre Le Droit, La Presse, Le Devoir, Montréal-Matin, le Journal de Montréal, Le Soleil, l'Ottawa Journal, l'Ottawa Citizen, le Montréal Star, la Gazette, et pour un temps, Le Jour, il y avait suffisamment d'encre pour plusieurs lavages de main et assez de variété pour s'estimer relativement bien renseignés sur les actualités du jour. Sans oublier des salles de rédaction bondées où les voix animées réussissaient facilement à enterrer le vacarme des machines à écrire.
Revenant au débat d'hier soir entre les chefs de parti et les trois chefs d'antenne de Radio-Canada, je suis allé à la porte tôt ce matin pour cueillir le seul journal papier que je reçois, Le Devoir, qui proposait en manchette sa couverture de l'événement. Un texte forcément rédigé à la hâte vu les heures de tombée mais tout de même, un honnête effort de synthèse.
Ailleurs, je n'ai rien vu! Peut-être ai-je cherché avec mes yeux d'homme, comme dirait mon épouse, mais dans la presse jadis écrite devenue numérique (et dans le site Web du Journal de Montréal), j'ai eu beau scruter... ce fut en vain. On y trouvait des textes sur la campagne électorale, mais pas sur la première prestation des chefs de partis en ondes. Il n'y manquait pourtant pas de matière à exploiter.
Pour la nième fois depuis le début de cette campagne, je reste sur ma faim, me disant qu'il y a 40 ou 50 ans, les choses auraient été faites autrement. On aurait eu de quoi se mettre sous la dent. Les scribes de 2021 n'ont pas moins de talent et d'expérience que ceux de mon époque. Ils sont tout simplement moins nombreux, et soumis aux exigences de technologies qui - du moins jusqu'à maintenant - n'ont pas favorisé une présentation structurée, ordonnée, claire et accessible de l'information quotidienne. On perd plus de temps à chercher qu'à lire.
On nous objectera que les journaux numériques peuvent présenter des quantités beaucoup plus importantes de textes de tous genres que les anciennes éditions imprimées. Et c'est vrai. Alors comment se fait-il que le public, me semble-t-il, soit moins informé qu'autrefois? Est-ce à cause des salles de rédaction charcutées? De la fragmentation des sources d'information? De l'érosion des identités régionales au sein de la presse écrite? De l'obligation de lire une information volumineuse et complexe sur de petits écrans qui n'ont rien de convivial?
En 2014, alors que j'étais toujours éditorialiste au Droit et que le débat faisait rage sur l'avenir de l'imprimé, j'avais affirmé ma foi au potentiel de l'Internet et de ses dérivés comme multiplicateur de l'offre existante, «pour ce qu'ils ajoutent à la connaissance et à la communication, mais pas pour ce qu'ils ont ou auront la prétention de remplacer». Dans trop d'organes de presse, depuis la montée de l'Internet à partir du milieu des années 1990, le glaçage a remplacé le gâteau.
Vous voyez les journaux que j'ai étalés dans la photo ci-haut? J'en ai une dizaine sur mon bureau, que je peux feuilleter et lire ensemble, passant de l'un à l'autre, sans avoir à perdre des heures en recherches d'archives sur Google et dans les sites Web médiatiques. Je ne serai plus là dans 40 ans, mais j'espère qu'un de mes petits-enfants conservera ce texte et tentera d'aligner ainsi une dizaine d'éditions de quotidiens de 2021 et de les consulter de même façon... Il ou elle s'apercevra que sous l'épais glaçage du Web d'aujourd'hui et de l'avenir, il n'y a rien.
Alors, pour ce qui est de l'émission spéciale de Radio-Canada d'hier, je l'ai écoutée, j'ai fait quelques commentaires à haute voix que personne n'a entendus, j'ai griffonné quelques notes pour un futur texte de blogue, et j'ai lu aujourd'hui le texte du Devoir. Peut-être demain, ce qui reste de notre presse d'antan offrira-t-elle quelques chroniques, analyses ou opinions, que j'imprimerai...
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RépondreEffacerJe peux vous comprendre sans difficulté. De tous les journaux écrits pour qui j'ai travaillé au cours de ma vie, un seul existe encore, le plus important d'entre eux, possiblement le dernier à disparaître éventuellement, soit LeDroit, mais sous sa forme numérique actuelle et accessible au complet seulement sur abonnement, alors que la version écrite d'autrefois avait entre autres l'avantage de traîner parfois longtemps sur des tables de cuisine ou des espaces publics. Le problème des médias écrits (ou parlés), c'est cependant d'être de l'histoire instantanée et immédiate, donc nécessairement superficielle et menacée de disparition si son support matériel n'existe plus ou n'est plus disponible. Essayez d'utiliser un ordinateur en plein désert ou lors de panne d'électricité de longue durée. La force du livre, dans le même esprit, c'est d'être consultable en tout temps, en tout lieu, sans bidule techno compliqué et d'une fiabilité discutable.
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