mercredi 15 septembre 2021

Rencontrer le chef du Bloc? Ô horreur!


Que la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) ait claqué la porte au nez du chef du Bloc québécois est certes regrettable (1), mais le geste s'inscrit dans une certaine logique quand on sait que la SANB avait signé, en 2019, un protocole d'entente avec des groupes anglo-québécois qui combattent la francisation du Québec (2).

L'histoire des relations de la majorité francophone du Québec avec les organisations canadiennes-françaises et acadiennes des autres provinces est empoisonnée depuis la montée du mouvement indépendantiste durant les années 1960. Entre l'indifférence de trop de Québécois et un sentiment d'abandon chez les francophones hors-Québec, les rapports entre les uns et les autres ont pourri...

Cette apparence de divorce, ayant éclaté au grand jour aux États généraux du Canada français en 1967, a nourri une rancune tenace, presque une haine, à l'endroit du Québec, dans plusieurs milieux et aveuglé de nombreux dirigeants francophones hors-Québec aux moments d'évaluer les véritables rapports de force et de prendre des décisions stratégiques.

Jouant les grenouilles qui se bombent le torse pour se donner l'apparence d'un boeuf, fermant les yeux sur les effets dramatiques d'une assimilation galopante, les dirigeants des collectivités francophones minoritaires ont eu tendance à gonfler artificiellement leurs effectifs et à s'approprier un pouvoir politique qu'ils ne sont pas en mesure d'exercer seuls.

On l'a vu cette semaine en Acadie quand Yves-François Blanchet a dû rebrousser chemin aux portes du Nouveau-Brunswick alors qu'il devait rencontrer le président de la SANB, Alexandre Cédric Doucet, à moins d'une semaine du scrutin fédéral. « Les Acadiennes et les Acadiens n'ont pas besoin du Bloc pour se faire entendre sur la Colline parlementaire », a déclaré ce dernier, apparemment pressé par son conseil d'administration d'annuler le rendez-vous.

Remplacez dans cette citation le mot «Bloc» par «Québec» et vous aurez compris le sens profond de l'intervention. Les organisations franco-ontariennes auraient réagi de façon similaire. Je ne veux pas diminuer l'importance de l'apport des minorités, mais sans le Québec et la menace qu'il fait peser sur l'ensemble du pays, les francophones des provinces à majorité anglaise auraient remporté peu de combats.

Comme ancien Franco-Ontarien, j'ai en mémoire l'acquisition du réseau d'écoles françaises primaires et secondaires vers 1967. Pense-t-on vraiment que sans L'égalité ou l'indépendance de Daniel Johnson, qui exerçait de fortes pressions sur le premier ministre ontarien John Robarts, la décision aurait été prise à ce moment précis? Que l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 aurait existé sans le Parti québécois et son référendum de 1980? Que le retentissement de l'affaire de l'hôpital Montfort au Québec à la fin des années 1990 n'a eu aucun effet sur les rapports de force?

La seule façon, pour les minorités, de discuter tant soit peu en position d'égalité relative avec leurs gouvernements francophobes est d'avoir comme allié (officieux ou officiel) le Québec, tout entier si possible, tout au moins les indépendantistes. L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario aura beau dire qu'il y a plus de 700 000 Franco-Ontariens, la réalité se situe en-deçà de 500 000 et leur niveau de militantisme - sauf exception - reste très faible.

Au Parlement fédéral, seulement quatre députés représentent des circonscriptions à majorité française (dont trois Acadiens, l'autre étant Franco-Ontarien). Tous libéraux, tous soumis à la discipline du parti en matière de droits linguistiques. Et les minorités doivent traiter avec une ministre québécoise, Mélanie Joly, qui a beaucoup plus d'influence que leurs élus, pour faire avancer leurs dossiers. 

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a emprunté une formulation malheureuse quand il a déclaré récemment: «Dans la dernière législature, les francophones hors Québec et les Acadiens... ont eu une seule voix à la Chambre des communes et ça été le Bloc Québécois.» C'est oublier le rôle joué par Mme Joly dans quelques dossiers chauds, dont le projet d'université franco-ontarienne et le drame à l'Université Laurentienne de Sudbury.

Ce qu'il aurait pu dire, c'est que le Bloc, avec sa trentaine de députés, a été le seul parti à constamment et vigoureusement défendre - sans conditions - les revendications de la francophonie minoritaire et à fustiger leurs adversaires. Que le Bloc, dans sa défense de la francophonie québécoise, canadienne et mondiale, constitue un allié stratégique naturel, capable d'exercer une influence utile aux francophones hors Québec même si son objectif premier demeure la défense du Québec et la cause de l'indépendance.

Les dirigeants de la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick, de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO), de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) ont suffisamment d'expérience en politique pour savoir qu'on ne verrouille pas les portes à cause d'une simple déclaration maladroite mais bien intentionnée. Ils osent s'allier avec des ennemis traditionnels, les Anglo-Québécois, même si plusieurs de ces derniers combattent la Loi 101, le projet de loi 96, voire toute initiative de francisation au Québec. Ils pactisent au besoin avec les gouvernements Higgs et Ford, en dépit de leur francophobie notoire. Comment expliquer, alors, qu'on sente le besoin de répudier aussi rudement le chef du Bloc qui, sur le terrain boueux du Parlement fédéral, s'est avéré l'allié le plus sûr?

Trop de ténors de la francophonie minoritaire se comportent envers le Québec comme l'animatrice du débat des chefs en anglais (supériorité morale et racisme en moins). Il flotte dans la vaste brume minoritaire un relent de colère et de haine pour ce qui est encore perçu, depuis plus de 50 ans, comme une trahison des Québécois.

Quand le chef du Bloc a tenté d'aborder la question de la francophonie hors Québec au débat anglais et a été rabroué par la soi-disant animatrice, je n'ai pas entendu beaucoup d'échos au sein de la direction de la FCFA, de l'AFO ou de la SANB. Les associations auraient pu au moins saluer le geste et accepter, en contrepartie, de recevoir en audience le chef du Bloc, en prenant soin - bien sûr - de souligner les différences entre les objectifs des uns et des autres.

Craint-on, en recevant chez-soi le chef du Bloc québécois, qu'on puisse soupçonner les dirigeants acadiens d'être sympathiques à la cause de la souveraineté du Québec? Ô horreur! On pourrait attiser la colère à peine retenue des anglos, et mettre en péril les miettes qu'ils laissent à l'occasion tomber de la table linguistique. Ils pourraient nous détester encore plus qu'avant. Non, mieux vaut ne pas faire de vagues et rester bien sages. Rectitude politique. Vivre à genoux.

Quand le nouveau Parlement siégera et que la francophonie minoritaire se sentira bien seule dans un épineuse affaire linguistique, elle pourra sans doute compter sur l'appui indéfectible du Bloc québécois. J'espère que les chefs de la SANB feront au moins un acte de contrition en se souvenant du traitement qu'ils ont réservé à Yves-François Blanchet durant la dernière semaine de cette campagne électorale.

Sait-on jamais? Peut-être entendra-t-on quelques sons de cloche différents au débat électoral sur les langues officielles, ce soir, 15 septembre...


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(1) Voir texte d'ONFR à https://onfr.tfo.org/le-chef-du-bloc-quebecois-sattire-les-foudres-des-acadiens/.

Voir aussi le texte de Radio-Canada à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1824072/bloc-quebecois-acadie-societe-acadie-nouveau-brunswick-caraquet

(2) Voir texte de Radio-Canada à https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1209180/entente-afo-francophonie-exclusion-accord-anglophone-fcfa.


1 commentaire:

  1. J'aimerais faire parvenir un texte sur un des sujets traités par Monsieur Allard. L'espace réponse est insuffisant. Comment contourner ce problème Je n'ai pas d'adresse courriel pour contacter et faire parvenir quoi que ce soit à ce monsieur ?

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