Capture d'écran de la page d'accueil française du «Diocese of Pembroke» |
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J'ai lu avec intérêt le texte, publié dans Le Droit, portant sur l'annexion du diocèse d'Alexandria-Cornwall par l'archidiocèse d'Ottawa, qui portera désormais le nom d'Ottawa-Cornwall (voir lien en bas de page). La demande a été présentée en 2017, et la fusion était complétée en 2020 en dépit d'inquiétudes exprimées par des catholiques de la région d'Alexandria-Cornwall. Ce que je trouve intéressant dans cette nouvelle, c'est qu'il soit possible en peu de temps, au sein de l'Église catholique, de modifier les frontières d'un ou de quelques diocèses.
Cela signifie qu'il serait sans doute possible, facile même, pour l'archidiocèse de Gatineau de récupérer les paroisses catholiques du Pontiac, toujours sous l'emprise du diocèse ontarien de Pembroke, reconnu historiquement pour sa francophobie. Mgr Paul-André Durocher a raté une belle occasion de le faire en 2013, quand l'archidiocèse a fêté son cinquantenaire. Nous voici en 2023, à l'heure du soixantenaire, et rien ne semble avoir été fait pour rapatrier le seul territoire diocésain du Québec rattaché à l'Ontario. Un autre péché mortel au compte de l'Église...
Le 19 juillet 2013, Le Droit avait publié un éditorial que j'avais rédigé pour le quotidien sur cet enjeu. Dix ans plus tard, malheureusement, le texte pourrait être republié mot pour mot et demeurerait tout à fait opportun. Le revoici donc:
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L’archidiocèse incomplet
par Pierre Allard
Dans sa toute première encyclique, publiée au début de juillet (2013) et intitulée La lumière de la foi, le pape François écrit : «Comme toute famille, l’Église transmet à ses enfants le contenu de sa mémoire.» Ces paroles méritent d’être gravées alors que l’Archidiocèse de Gatineau (créé en 1963 sous le nom de Diocèse de Hull) fête son cinquantenaire. En effet, s’il existe un moment privilégié de transmission de la mémoire, c’est bien l’occasion des grands anniversaires. Or, force est de constater qu’un oubli majeur marque ces célébrations.
Dans un devoir de souvenance qui s’impose, il y a lieu de revenir sur la genèse du diocèse. Réclamé depuis le 19e siècle mais refusé à plusieurs reprises pour assurer une majorité de langue française au sein de l’archidiocèse d’Ottawa, le projet d’un diocèse ayant siège à Hull a évolué dans un contexte historique de lutte linguistique, opposant les évêques francophones du pays à leurs collègues irlandais anglophones de l’Ontario. «Les intérêts de la nation canadienne-française dans son ensemble passent avant ceux de l’Outaouais québécois», avait-on expliqué, dans un langage plus politique que religieux.
D’autre part, il faut aussi rappeler que la demande d’un siège épiscopal sur la rive québécoise portait sur un territoire et une population qui englobait le territoire actuel de l’Archidiocèse de Gatineau, mais aussi l’ensemble des paroisses du Pontiac, alors et toujours rattachées au diocèse ontarien de Pembroke. Et n’oublions pas que jusqu’au début des années 1960, l’Église constituait une puissance redoutable, tant par les instruments de la foi que par son contrôle quasi total des écoles au Québec. Or, le diocèse de Pembroke persécutait ouvertement les francophones avec une politique avouée d’anglicisation.
Dans les années 1920 et 1930, les catholiques francophones étaient désespérés au point de lancer un appel à l’aide aux organisations franco-ontariennes, en lutte contre le Règlement 17 (qui interdisait l’enseignement en français) et ses séquelles. Les francophones du Pontiac étaient soumis au même régime, une partie du clergé anglophone appliquant un simili-règlement 17 en Outaouais et imposant même des manuels ontariens. Le livre Les sacrifiés de la bonne entente (voir https://lettresdufront1.blogspot.com/2022/11/les-sacrifies-de-la-bonne-entente.html) retrace, pas à pas, le calvaire des francophones du Pontiac sous les griffes du diocèse de Pembroke, où la charité chrétienne ne s’étendait pas toujours aux fidèles de langue française.
Au moment de souligner les 50 ans de l’archidiocèse «gatinois», il est de la plus grande importance d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un archidiocèse incomplet, amputé d’une dizaine de milliers de fidèles et de la moitié de son territoire. Bafoués et humiliés depuis plus d’un siècle, les Pontissois de langue française ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils auraient pu devenir. La résistance est réduite à l’état de braises et les revendications, quand elles se manifestent, se font tout en douceur, par crainte de ne pas froisser les anglophones… L’Église catholique a une dette – une énorme dette – envers ces gens et envers ce territoire.
S’il existe encore un brin de justice politique dans le grand édifice ecclésiastique canadien, si on regarde bien au fond du contenu de cette mémoire trop souvent enfouie, on complétera le cinquantenaire de l’Archidiocèse de Gatineau en lui remettant ce qu’il aurait dû obtenir dès l’année de sa fondation en 1963: l’autorité sur le Pontiac. Mgr Durocher n’a qu’à en faire vigoureusement la demande. L’Assemblée des évêques du Québec l’appuiera, et la Conférence des évêques catholiques du Canada n’aura pas un seul argument valable à lui opposer, autre que les cris qui s’élèveront des Anglo-Pontissois et du diocèse de Pembroke. Les cris de ceux qui n’ont jamais fait de quartier à leurs concitoyens de langue française…
Le moment est venu. L’occasion est belle. Mgr Durocher doit comprendre. Lui-même est issu des milieux franco-ontariens. Il reste une injustice à réparer.
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Lien à l'article du Droit L'archidiocèse Ottawa-Cornwall bientôt reconnu légalement - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/est-ontarien/2023/05/05/larchidiocese-dottawa-cornwall-bientot-reconnu-legalement-QUJQKQSUZ5DIJEOGWBUENGKPSI/
Balayage de la page éditoriale du Droit du 19 juillet 2013. Le texte est devenu introuvable dans les archives Web charcutées du journal. Heureusement j'ai conservé la coupure papier:
Intéressant article, M. Allard. L'église catholique, actuellement, est cependant en train de fermer les paroisses, une par une, faute de pratique. L'âge moyen des prêtres, en Outaouais, est de 60 ans. Il s'agit d'une moyenne. Les plus jeunes sont habituellement des prêtres africains, comme mon ex-épouse, dont la réalité culturelle est bien diffèrente de la nôtre. J'ai travaillé deux mois pour l'archidiocèse, en communication, jusqu'à ce qu'ils se rendent compte qu'ils n'avaient pas assez de budget pour me garder. Pourtant, vous avez raison de souligner que les frontières de ce genre sont relativement faciles à modifier, en autant que la volonté y soit de part et d'autre. Pourquoi ne pas appeler carrément Mgr Durocher et lui en parler de vive voix?
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