Je n'avais pas mis les pieds dans une taverne depuis le début des années 1970, alors que je travaillais toute la nuit au quotidien Le Droit et que notre petite équipe cherchait sur la rive québécoise de l'Outaouais un endroit où prendre une bière et une collation à 8 heures du matin.
Mais samedi après-midi, ce 19 novembre 2022, je suis entré à la taverne Montcalm du secteur Hull de Gatineau, sans doute l'une des dernières à avoir conservé l'ambiance chaleureuse d'une époque que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. Mais je n'y allais pas pour trinquer.
Un auteur de la région, Luc Bouvier, y lançait une édition mise à jour et bonifiée de son livre de 2002, Les sacrifiés de la bonne entente, un rappel étoffé et enrageant de la persécution historique des francophones dans la région outaouaise du Pontiac. Dans le contexte actuel d'un déclin généralisé du français, même au Québec, ce rappel était fort opportun!
Au-delà d'une dizaine de clients réguliers au fond de la salle, l"aire centrale de la taverne était occupée par une cinquantaine de personnes venues assister à l'événement. J'y ai salué entre autres le président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, et le socio-démographe Charles Castonguay (qui signe la postface du volume de 300 pages). Écouté les conversations animées de dizaines de visages familiers et inconnus pendant que l'auteur signait des dédicaces.
Ce que je n'ai pas vu, cependant, ce sont des représentants des médias d'information. Pas de micros, pas de caméras, pas d'appareils photo. Il est vrai que c'était un samedi après-midi plutôt gris, que les salles de rédaction amaigries le sont encore davantage en fin de semaine, et que les pages d'information accordent un traitement de faveur aux injustices linguistiques en Ontario, mais l'histoire tragique des Pontissois francophones mérite d'être martelée dans nos médias.
Les Québécois des autres régions, et même ceux de Gatineau, ne peuvent imaginer à quel point les francophones du Pontiac ont été opprimés depuis le 19e siècle sous le fouet du diocèse ontarien de Pembroke, qui contrôlait la vie religieuse et les écoles catholiques du Pontiac jusqu'à la laïcité moderne. Prenant la parole au lancement de samedi, Luc Bouvier a raconté deux anecdotes fort révélatrices de l'esprit qui animait les anti-francophones de la hiérarchie anglo-catholique.
L'auteur a notamment évoqué les agissements de l'évêque William J. Smith, qui a «régné» sur le diocèse de Pembroke de 1945 à 1971. Un jour, après avoir visité une école catholique de la ville de Pembroke, Mgr Smith s'apprêtait à quitter quand on lui a noté qu'il y avait une classe française dans cette école et qu'il n'avait pas rencontré ces enfants. Il a immédiatement répliqué en refusant de les voir: «Je ne les considère même pas comme des catholiques»...
Puis il y a l'épisode du curé Archambault, à l'Île du Grand Calumet, dans le Pontiac (localité à majorité francophone). L'école primaire était bilingue et bien sûr tout s'y passait en anglais. Quand l'école a brûlé en 1957, le père Archambault a voulu faire construire deux écoles, une pour les francophones et l'autre pour les anglophones. Mais sachant que Mgr Smith refuserait, il a dissimulé ses plans en affirmant que l'une d'entre elles serait réservée aux garçons et l'autre aux filles...
Quand l'évêque de Pembroke a su la vérité, sa colère n'a pas connu de bornes. Il a démis le curé Archambault de ses fonctions et l'a exilé à un village ontarien. Mais le père Archambault a refusé l'ordre de son supérieur en démissionnant et en indiquant son intention de prendre sa retraite à l'Île du Grand Calumet. L'évêque francophobe lui a alors interdit de dire la messe dans les limites de son diocèse, obligeant le prêtre francophone à l'exil. Voilà comment les choses se passaient.
Notez bien. Encore aujourd'hui, les paroisses de langue française du Pontiac sous toujours sous le joug du diocèse ontarien de Pembroke, les seules au Québec à ne pas être intégrées à un diocèse québécois. L'archevêque de Gatineau n'aurait qu'à demander le rapatriement de ces paroisses. La Conférence des évêques du Canada n'oserait pas refuser. Mais il ne le fait pas, dans la plus pure tradition de l'Église catholique, dont la haute hiérarchie a toujours servi les intérêts de la majorité anglo-canadienne en s'acoquinant au pouvoir qu'elle détenait. Cette même hiérarchie avait excommunié les patriotes de 1837, approuvé le Règlement 17 en Ontario et donné raison à Mgr Smith au sujet de l'expulsion du curé Archambault.
Si vous voulez inclure un livre québécois à vos achats des prochaines semaines, ou du temps des Fêtes, n'oubliez pas Les sacrifiés de la bonne entente aux Éditions de l'Action nationale et Pièce sur pièce. Vous y verrez ce qui nous attend, comme peuple, si jamais le déclin du français dépasse le point de non-retour en Outaouais et dans la région de Montréal. Le livre de Luc Bouvier ne figurera peut-être jamais au palmarès des meilleurs vendeurs en librairie, mais il mérite amplement d'y trôner. Très près du sommet.
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