vendredi 18 novembre 2022

Chers amis, Acadiens...



Chers amis de l'Acadie,

Voua l'avez pas eue facile, ces dernières années, avec la bande à Higgs. Je ne serais pas surpris que ce chenapan rêve à l'occasion de vous voir, tous et toutes, partir pour ailleurs avec la belle parlure de vos ancêtres déportés. J'aime autant vous dire de suite que je suis Québécois (tout juste, en face d'Ottawa) et séparatiste. Et que je comprends ce qui vous arrive parce qu'avant de m'installer à Gatineau, j'ai été Franco-Ontarien. C'est là que je suis devenu séparatiste.

Des Blaine Higgs et des Kris Austin, nous en avions en quantité. Ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour se débarrasser de nous et du français. Ils ont supprimé nos écoles, comme chez vous, puis quand le Québec s'est agité, nous les ont rendues au compte-goutte sans nous compenser pour tout ce qu'ils nous avaient volé. À Ottawa, quand j'étais jeune, c'était l'époque du Sorry I don't speak French... sans le Sorry... 

J'ai assez vite appris à quoi servait le bilinguisme. Ça voulait dire qu'entre nous, on parlait le plus souvent français, mais qu'avec les autres, dans les autobus, dans les commerces, à la municipalité, au fédéral, on baragouinait cet «anglà» qu'on nous avait imposé. Pour la plupart des Anglais, le bilinguisme se résumait à l'irritation d'entendre les perpétuelles jérémiades des Franco-Ontariens.

Comme vous, on n'a jamais lutté à armes égales. Les anglos avaient le nombre, l'argent, le pouvoir. Ils les ont toujours. On nous a forcés à devenir bilingues. À nous angliciser. D'une génération à l'autre, on perd des joueurs. Peu au début...  Mais après quelques générations, les vannes sont grand ouvertes. J'ai vu mes quartiers français d'Ottawa disparaître sous les coups de boutoir des autorités municipales et fédérales. Un ethnocide, rien de moins. Mais nous étions en minorité et les rênes du pouvoir étaient et sont toujours entre les mains d'immenses majorités anglo-ontariennes. Ils nous ont à l'usure.

Si je vous dis ça, c'est que j'ai la certitude que ce qui nous est arrivé en Ontario vous arrivera en Acadie du Nouveau-Brunswick. Au Québec, l'État demeure pour le moment entre les mains d'une majorité de langue française. On peut s'en servir, dans la mesure de nos moyens, pour nous protéger et assurer la pérennité de notre langue et de notre culture. Les Anglais ont la Loi 101 comme une arête dans la gorge depuis 45 ans mais en 1977, ils n'avaient pas les votes pour l'empêcher. Alors ils se sont tournés vers les tribunaux fédéraux, où les juges sont nommés par la majorité anglo-canadienne et où la Constitution qu'on nous a enfoncée dans la gorge protège l'anglais au Québec (mais pas autant le français ailleurs). Et les juges ont charcuté ce projet de société à notre image... Ils comprennent ça, le pouvoir, les Anglais...

C'est la leçon que j'ai apprise de mes années de militantisme franco-ontarien dans les années 1960 et 1970. Sans pouvoir politique, dans notre Amérique du Nord unilingue anglaise, nous sommes foutus. Et au Nouveau-Brunswick, chers amis Acadiens, vous ne gouvernerez jamais parce qu'il y a deux fois plus d'Anglais que de francophones. Et que vous êtes de plus en plus bilingues (environ 75%), pendant que les anglos de chez vous font comme les anglos de chez nous. Ils nous parlent le plus souvent en anglais et on leur répond le plus souvent dans leur langue. Heureusement il vous reste une soixantaine de milliers d'unilingues francophones, mais je soupçonne qu'on y trouvera les jeunes enfants et les vieux surreprésentés.

Jetez un coup d'oeil au dernier recensement fédéral. Et à ceux qui l'ont précédé. Si vous ne sonnez pas l'alarme bientôt, il sera trop tard. Vous avez cependant un avantage sur les Franco-Ontariens. Il existe encore des régions (Madawaska, la péninsule acadienne, etc.) où l'on peut vivre en français, au point où il arrive que des anglophones se francisent. On ne voit plus cela en Ontario. Et secundo, au coeur de votre avantage, vous formez une nation en bonne et due forme. Vous êtes soudés par la langue et par les souffrances et par la résistance de la charrette de Pélagie. Et vous occupez un territoire bien à vous. On peut le dessiner sur une carte. On le sait quand on y est.

Ce territoire, si vous voulez assurer l'avenir de la nation acadienne, vous ne devez pas seulement l'occuper. Vous devez le gouverner. Je me souviens à l'université d'avoir côtoyé des Acadiens, dont un bon ami de St-Quentin, qui voulaient transformer la nostalgie de l'ancienne Acadie en projet de province ou d'État acadien, découpé à même le Nouveau-Brunswick actuel. Un peu comme en Belgique où on a tracé une ligne correspondant plus ou moins aux frontières linguistiques et octroyé à la région wallonne et à la région flamande des pouvoirs étatiques, jusque dans le domaine des relations internationales. À l'intérieur d'une telle région, les Acadiens pourraient prendre les moyens opportuns, sans ingérence d'une majorité étrangère, pour se gouverner.

Le temps est venu, chers amis Acadiens, de revendiquer une forme d'autodétermination politique. Le moment est particulièrement propice. Vos ennemis sont au pouvoir et ne manqueront pas une chance de vous égratigner. Ne comptez que sur vous-mêmes. Surtout pas sur Ottawa, qui parle francophonie sans arrêt mais nomme sans cligner de l'oeil une lieutenante-gouverneure unilingue anglaise dans votre province dite bilingue. N'oubliez pas que le gouvernement fédéral est l'instrument de la majorité anglo-canadienne. Nous y exerçons toujours un certain pouvoir tant que le risque d'une sécession du Québec subsiste. Mais ce risque s'amenuise et nos effectifs francophones chuteront bientôt sous les 20%. La répression suivra. Alors profitez-en pour monter aux barricades pendant que vous possédez un vrai rapport de force.

Je vous appuierai vigoureusement, ainsi que de nombreux Québécois et Canadiens français, je crois. Mais autant vous avertir. Nous sommes toujours quelques millions à vouloir faire du Québec un pays. À sortir du carcan où une partie ou la totalité des pouvoirs sont exercés par ceux et celles qui ont toujours tenté de nous assimiler. Un projet d'État acadien peut paraître comme un rêve en couleur, mais je vous l'assure, foi d'ex-Franco-Ontarien, sans réelle gouvernance vous serez acculés pour toujours à revendiquer, résister, protester, lutter contre une érosion lente mais inéluctable.

Quand j'étais jeune et qu'on parlait d'unilinguisme français à l'Université d'Ottawa, de militer pour protéger nos assises territoriales en Ontario, d'embrasser l'autodétermination d'un Québec français, voire d'envisager l'annexion de l'Est ontarien francophone au Québec, les bonzes traditionnels nous ridiculisaient. Ils ne voulaient même pas de débat. Aucun de nos projets ne s'est réalisé. Au-delà des gains institutionnels que toutes les minorités acadiennes et canadiennes-françaises ont obtenu dans le sillage de la turbulence québécoise, rien de fondamental n'a changé. Nous avons accumulé les combats victorieux... et perdons la guerre pour ainsi dire. Je ne souhaite pas à l'Acadie de connaître le lent supplice actuel des Franco-Ontariens. 

Alors, chers amis, sortez les tracteurs et creusez un sillon large et profond à travers la province Higgs/Austin pour marquer la frontière de votre Acadie. De notre côté, dites-leur, c'est chez nous et c'est nous qui gouvernons, désormais. Faites de Moncton une zone bilingue, comme Bruxelles en Belgique. J'ai passé une décennie à me plaindre du sort réservé aux Franco-Ontariens et à lutter pour la bonne cause, sans véritable espoir de réussite. Vous avez toujours, en Acadie, la chance de protéger et promouvoir votre contribution unique à la diversité culturelle mondiale. Ne perdez pas les 30 prochaines années dans une guerre d'usure impossible à gagner. En 2050 il sera trop tard. Vous serez peut-être devenus comme nous et les nôtres, une page blanche de l'histoire.

Merde!



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