Entre-temps, la question devant nous, c'est de savoir si les nouveaux députés doivent jurer fidélité au monarque britannique, conformément à l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867. Parlant au nom de l'Assemblée nationale dont il est toujours le président, François Paradis a réaffirmé hier le caractère obligatoire du vétuste serment d'allégeance à la Couronne du Royaume-Uni.
Venant du président de l'Assemblée nationale du Québec dont la loi constituante, adoptée en 1982, ne prévoit qu'un seul serment «envers le peuple du Québec», cette décision de M. Paradis constitue ni plus ni moins une trahison d'une décision législative qui avait de facto annulé la nécessité du serment d'allégeance à la reine ou au roi (et ainsi modifié la portée de l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867).
Le Québec a le droit de modifier sa propre constitution, dans la mesure où telle chose existe. Ce droit est reconnu même dans la Charte de la nuit des longs couteaux (article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982), et Québec l'a utilisé en modifiant unilatéralement l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (ou Loi constitutionnelle de 1867), y ajoutant des articles faisant du français la langue officielle et la langue commune du Québec.
Ce droit s'étend-il aux rapports du Québec avec la monarchie? Oui. Le lien entre le Québec et Charles III ne passe pas par Ottawa, et la gouverneure-générale n'est pas la «chef d'État» du Québec même si elle a le droit constitutionnel de nommer son lieutenant-gouverneur. Dans le demi-siècle qui a suivi la création de la fédération canadienne, le Comité judiciaire du Conseil privé du Royaume-Uni (ancien arbitre des disputes fédérales-provinciales) avait clairement établi qu'il existait un lien direct entre la Couronne britannique et les provinces. Le lieutenant-gouverneur du Québec incarne Charles III sans détour fédéral...
Les rapports entre le Québec et le roi sont du ressort de la Constitution québécoise. Ottawa n'a pas à s'en mêler. Si l'Assemblée nationale adopte un projet de loi dictant un seul serment d'allégeance, fait au peuple québécois, c'est son affaire et Charles III (ainsi que son représentant, le lieutenant-gouverneur) n'ont qu'à en prendre acte. La Constitution n'évolue pas seulement à coups d'amendements constitutionnels. Elle est aussi façonnée par les lois, les coutumes et les changements sociaux. Mais l'essentiel, c'est que Québec est le seul responsable de sa gestion des rapports de l'État québécois avec la couronne du Royaume-Uni.
En 1925, poussant sa décision à sa conclusion logique, le Comité judiciaire du Conseil privé avait jugé que les provinces étaient «in a sense like independent kingdoms». Des royaumes indépendants. Trente ans plus tôt, le même Comité avait affirmé qu'un lieutenant-gouverneur, une fois nommé, «is as much a representative of Her Majesty, for all purposes of provincial government, as the Governor General himself is, for the purposes of Dominion government»1. C'est on ne peut plus clair. Québec règle seul ses comptes avec son roi. Et pour ce qui est du serment d'allégeance, Québec avait déjà décidé en adoptant sa Loi de l'Assemblée nationale en 1982. UN serment. Au peuple québécois.
Au lieu de se faire défenseur des droits de ses députés et des lois québécoises, le président de notre Assemblée nationale a fait siens les vestiges de l'ancien colonialisme oppresseur. Entre le serment unique au peuple québécois et l'obligation de jurer également fidélité au roi du Royaume-Uni, il a choisi le second. Il a même ordonné l'expulsion des députés qui, horreur, jureraient fidélité au seul peuple québécois, comme l'exige la Loi de l'Assemblée nationale. M. Paradis, je m'estime trahi.
Tenez bon, les trois et les onze!
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1 - The Evolving Canadian Crown, Edited by Jennifer Smith and D. Michael Jackson, Queen's University Press, McGill University Press, 2011
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