lundi 14 novembre 2022

Le cri des vieux combattants !

capture d'écran de Radio-Canada

J'observais la foule qui entrait à la Maison de la culture de Gatineau, samedi soir, assis confortablement avec mon épouse Ginette dans l'aire bistrot attenante à la grande salle Odyssée. Tous ces gens étaient venus, comme nous, voir et entendre Richard Séguin. L'heure qui précède le spectacle a toujours constitué, pour moi du moins, une part importante de l'événement.

Balayer la vaste pièce des yeux, scruter les têtes, les visages, les tenues, les démarches, en quête d'amis et de connaissances, capter les échos des conversations et salutations tout autour, savourer l'ambiance d'un rassemblement d'humains joyeux. Ces moments sont précieux.

Perdu dans mes pensées, repassant dans ma tête L'ange vagabond, ma chanson préférée de Séguin, j’ai noté à Ginette que c'était seulement la deuxième fois dans ma vie où je verrais Richard Séguin sur scène. Ma première et seule présence à l'une de ses prestations remonte à 1972, alors qu'il participait avec sa soeur Marie-Claire à un spectacle-bénéfice pour le journal Québec-Presse.

Ça fait 50 ans! Je me souviens de l'immense aréna à Montréal où s'entassaient des milliers de personnes et où, parfois, le bruit de la foule enterrait la musique des artistes qui défilaient, heure après heure après heure. Puis, tout à coup, au beau milieu du spectacle, les voix se sont graduellement tues alors que le duo Séguin chantait une chanson jusqu'alors inconnue pour moi, Som Seguin.

Ça vaut la peine de l'écouter: https://www.youtube.com/watch?v=YtJSQtmy3ZE. Vers la fin du crescendo de ces quatre minutes magiques, la foule était silencieuse, conquise. J'avais 26 ans, j'étais journaliste et militant syndical, siégeant au conseil confédéral de la CSN. Il me semble que nous étions tous et toutes, ou presque, dans la vingtaine. Cheveux longs, la barbe. En mode attaque, la vie devant soi.

En ce 10 novembre 2022, il me semble être entouré de la même génération... Une majorité de têtes blanchissantes... Je compte sur les doigts d'une main les jeunes de moins de 30 ans... Les cheveux longs ont disparu, la plupart des barbes aussi, et la nostalgie semble avoir rangé les barricades de jadis. Le Québec en mode libération qui m'a séduit à la fin des années 1960 ne vit-il plus que dans ces salles où nos bardes nationaux le rassemble à l'occasion?

Enfin, comment pourrait-il en être autrement? Comme le disait lui-même Richard Séguin dans une récente entrevue, les jeunes générations ne connaissent pas l'oeuvre de Claude Léveillée, Pauline Julien, Gilles Vigneault et les autres. On ne l'enseigne pas dans les écoles, et le répertoire de langue française, du Québec et d'ailleurs, est trop souvent absent ou mortellement dilué dans nos radios privées qui, sauf exception, devraient être classées comme bilingues tout au plus aux heures de grande écoute.

Il m'arrive à l'occasion d'écouter la radio et de balayer la bande FM à la recherche des 7 ou 8 destinations dites de langue française, et de tomber à chacune sur des chansons anglo-américaines. La station la plus francophone, ironiquement, est le 94,5 (Unique-FM)... d'Ottawa! À la télé c'est aussi du bilingue (La voix, En direct de l'univers, etc.). Il arrive que l'anglais domine. Seule la radio satellite offre trois chaînes de musique québécoise et française, mais c'est surtout du contemporain.

Alors si le public, en supposant qu'il le connaisse, voulait entendre à la radio (ou à la télé ou ailleurs) le répertoire des chansonniers et chanteurs / groupes rock qui ont marqué profondément le Québec depuis les années 1960, où ira-t-il? Nulle part! Nos radios et télés nous anglicisent et ce faisant, enterrent dans les musées ou sur nos tablettes des trésors musicaux qui conservent toute leur actualité, tout leur attrait, et qui constituent notre contribution originale et précieuse à la diversité culturelle de la planète.

Que cette musique, que ces chansons soient quasi absentes des ondes québécoises soi-disant francophones n'est pas seulement désolant. C'est un crime. Quand ma génération mourra, enterrera-t-on avec elle les vinyles et CD de Vigneault, Charlebois, Dufresne, Dubois, Forestier, Séguin, Rivard et tous les autres? Je le crains. Notre patrimoine musical s'efface déjà dans l'indifférence générale, du moins chez les plus jeunes.

À 20 heures, samedi, j'étais assis dans une salle bondée qui a accordé une ovation à Richard Séguin avant même qu'il ne commence à chanter. Tout le monde debout, criant et applaudissant à tout rompre. L'ultime bravade de vieux combattants, hurlant: nous sommes toujours là! Mais pour combien de temps?

Le spectacle fut magnifique. J'ai savouré chaque instant la prestation magique de L'ange vagabond, ode à la mémoire de Jack Kerouac, une boule dans la gorge. Ovations. Rappels. Et puis c'était fini. La foule s'est dispersée, se disant sans doute, «À la prochaine, peut-être…»


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