dimanche 10 mars 2024

Non mais sur quelle planète...

Capture d'écran d'ONFR+ (voir lien en bas de page)

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Quand le Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF) de l'Université d'Ottawa a annoncé une table ronde intitulée «Langues officielles du Canada: le français à la recherche de l'égalité réelle», j'aurais dû me méfier. Le «réel», la «réalité» sont des concepts fort impopulaires au sein de la francophonie hors-Québec (et au sein de l'anglophonie québécoise, pour des motifs fort différents). Regarder la réalité en face, en particulier devant des micros et caméras, constitue presque une mission impossible.

Le dictionnaire définit «réalité» ainsi: «ce qui est réel, ce qui existe vraiment». La loi fédérale sur les langues officielles affirmait depuis 1969 l'égalité juridique du français et de l'anglais dans à peu près tout ce qui relève des compétences du gouvernement canadien. Faut croire que la réalité était restée fort différente parce que la plus récente mouture de cette loi (C-13, adoptée en 2023) s'appelle désormais «Loi visant l'égalité réelle entre les langues officielles du Canada». On veut, du moins selon ce libellé, que «ce qui existe vraiment» ressemble davantage au texte de la loi...

Or, pour discuter intelligemment de «la recherche de l'égalité réelle», on doit pouvoir décrire avec précision la réalité actuelle, seul point de départ possible pour un cheminement vers la réalité souhaitée. Et c'est le plus souvent là que le train déraille. Les têtes dirigeantes de la francophonie canadienne évitent à tout prix d'évoquer la situation catastrophique de l'assimilation au sein des minorités de langue française (sauf au Nouveau-Brunswick), l'effacement des quartiers urbains francophones hors-Québec, l'effondrement des collectivités traditionnelles, la quasi-impossibilité de travailler uniquement en français dans la fonction publique fédérale, le caractère foncièrement anglo-dominant de tout ce qui porte l'étiquette fédérale...

Les «professionnels de la résistance», comme on les appelait jadis, sont depuis longtemps tributaires des dollars fédéraux, de la partie VII de la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais) et de l'article 23 (droits scolaires) de la Loi constitutionnelle de 1982. Alors ils arrivent à Ottawa avec des effectifs gonflés (la FCFA inclut même les anglos bilingues!), on invente des communautés (anglicisme) qu'on prétend vibrantes, on laisse faussement croire qu'un afflux massif d'immigrants francophones sauvera le français en déclin, et on se présente devant les autorités fédérales (là où c'est la majorité anglo-canadienne qui décide toujours) comme si ces dernières étaient un rempart contre leurs méchants gouvernements provinciaux...

Ce déni public de la réalité d'une francophonie trop souvent amorphe, voire agonisante, je peux le comprendre de ceux et celles qui ont pour mandat de quêter des dollars pour sauver les meubles, pour continuer coûte que coûte à enseigner en français à des enfants qui vivront en anglais, pour maintenir des réseaux de communication essentiels entre des collectivités isolées, pour défendre devant les tribunaux et dans les médias des droits linguistiques bafoués depuis la Confédération par des gouvernements trop souvent racistes envers les francophones. Les organisations francophones hors-Québec méritent chaque maudite cenne qu'elles réussissent à arracher à Ottawa, Toronto, à Fredericton, Winnipeg et autres capitales coupables.

Là je m'éloigne du sujet et je m'en excuse. Mes tripes franco-ontariennes remontent à la surface. Cette réalité qu'on camoufle peut s'expliquer dans un contexte politique, mais pas à un colloque universitaire qui rassemble en table ronde deux profs expertes en francophonie hors-Québec et deux juristes également connaissants, dont une avocate oeuvrant au sein du Commissariat fédéral aux langues officielles. Il est vrai que le format et la plage d'une heure seulement favorisaient une extrême concision, mais je m'attendais au moins qu'on tente de cerner clairement le sens d'une «égalité réelle» du français et les principaux défis à relever pour y arriver.

Au départ, dans un historique incomplet, on a occulté les interventions clés de Mélanie Joly et Sonia Lebel en 2019, à l'effet que le nouvelle Loi sur les langues officielles, jusque là axée sur l'égalité officielle et les droits individuels, affirmerait des droits plus collectifs pour la francophonie partout au Canada, y compris au Québec, et que le français serait reconnu comme seule langue minoritaire au pays. Je n'ai entendu aucun constat cohérent de la situation réelle du français dans les provinces à majorité anglaise, ni des objectifs à viser (autre qu'en immigration) pour arriver à une «égalité réelle» qu'on peine à définir. On n'a pas touché au problème pourtant crucial de l'imposition de l'anglais comme langue de travail dans la fonction publique fédérale.

La notion du pouvoir et de son exercice dans la fédération canadienne auraient dû être le pain quotidien des quatre panélistes (politicologue, historienne, juristes). Or on a associé la quête de l'égalité «réelle» du français à «l'empathie» (capacité de s'identifier à autrui dans ce qu'il ressent) et à «l'éducation». L'objectif d'égalité réelle, pour être atteint, aurait besoin d'une majorité anglo-canadienne consciente de ses privilèges et prête à les partager avec la minorité francophone. Pour y arriver, a-t-on entendu, il suffit d'en faire la promotion, il faut l'éducation. «Ce n'est pas plus compliqué que ça», a déclaré un des experts. Non mais entre ça et le monde des licornes...

L'égalité réelle passe par des élections, des législatures, des débats publics, et des décisions qui seront toujours prises, en fin de compte, par une majorité, toujours anglaise sauf au Québec. En 2015, en Ontario, le gouvernement libéral de Mme Wynne reconnaissait que l'absence d'une université française constituait une injustice, mais que voulez-vous, on n'a pas d'argent pour ça. À 2 ou 3% de la population, peu importe le degré d'empathie ou d'éducation, les Franco-Ontariens n'avaient aucune chance de se rapprocher d'une égalité réelle. Croit-on qu'enseigner aux élèves anglophones que leurs grands-parents ont adopté des lois et règlements racistes contre les francophones (Règlement 17) changera quelque chose aux rapports de pouvoir en Ontario? Et que dire de cette tendance, même chez des universitaires, à voir le fédéral comme le redresseur de torts, une espèce de bouclier des francophones, contre les méchantes provinces. J'ai des nouvelles pour vous, le gouvernement fédéral est le gouvernement national de la majorité anglo-canadienne et l'empathie ne fera pas le poids. Seuls, les francophones n'ont aucun pouvoir décisionnel à Ottawa. C'est la menace québécoise qui donne un levier à la francophonie pan-canadienne.

On pourrait continuer ainsi pendant des pages mais suffit de dire que j'attendais mieux de ce colloque du 7 mars 2024. Et ça valait la peine d'y participer même si ce n'est que pour chiâler un peu sur un blogue qui sera lu au max par quelques centaines de personnes...

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Lien au texte d'ONFR+ - https://onfr.tfo.org/la-loi-sur-les-langues-officielles-vise-t-elle-legalite-reelle/



1 commentaire:

  1. Vous avez entièrement raison de croire que seule l'indépendance ou la menace de l'indépendance peut faire reculer la majorité anglo-canadienne. Si le PQ remporte les prochaines élections provinciales (et c'est encore mieux si QS a une bonne performance, ce parti étant appelé à devenir celui des nouveaux indépendantistes, ceux qui seront, disons, moins vieux que vous et moi...), si le PQ gagne les élections, donc, il y aura quasi-certainement un référendum. Même s'il est raté de peu, comme l'autre, cela peut amener les Canadiens à accorder des concessions dans l'espoir de venir à bout de l'hydre indépendantiste. Un Québec autonome, i.e. ayant tous les pouvoirs réels, sauf ceux liés à la défense et aux relations diplomatiques, serait déjà un grand progrès, nous donnant peut-être assex de pouvoirs pour renverser l'assimilation au Québec et aider les francophones hors-Québec. Les francophones africains sont une solution évidente, tant pour les Québécois que pour les francophones hors-Québec. Je travaille présentement à un projet de renaissance rurale pour recréer l'équivalent du retour à la terre des années 30, lorsque la grande dépression à créer beaucoup de chômage à Montréal. Les villages outaouais de Notre-Dame-du-Laus, de Notre-Dame-de-Pontmain et de Lac-des-Îles, entre Buckingham et Mont-Laurier, en sont issus). Il y a moyen de refaire la même chose pour les sans abris et sans emploi des villes, mais aussi, et peut-être surtout, pour les ruraux Africains qui, au Bénin et ailleurs, vivent en campagne et cultivent. Il y a moyen de créer deux ou trois villages dans chaque région administrative du Québec, et peut-êre plus, et l'Acadie pourrait bénéficier de cette formule aussi, tout comme l'est et le nord de l'Ontario. J'ai pris des contacts avec le MAPAQ, région Outaouais, et l'UPA Outaouais-Laurentides pour présenter la formule et proposer deux projets-pilotes, un en Haute-Gatineau et un dans les Laurentides. Ce proejt est détaillé dans un article intitué Renaissance rurale, sur mon blogue. Donnez-vous la peine de le consulter, M. Allard, et de laisser des commentaires. Ils pourraient m'être utiles, vu que je devrais avoir une première rencontre formelle avec le directeur régional du MAPAQ dans le courant de la semaine prochaine. Merci de me donner un coup de main et de diffuser l'idée. Ça peut réellement faire une différence réelle...

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