jeudi 30 avril 2020

Le 29 avril 1970... J'y étais...

Le 50e anniversaire de l'élection québécoise du 29 avril 1970 est passé à peu près inaperçu, pandémie oblige. C'était pourtant un moment charnière de l'histoire du Québec : l'élection du premier gouvernement de Robert Bourassa, l'arrivée du Parti québécois de René Lévesque sur la scène électorale et la déconfiture de l'Union nationale après la mort de Daniel Johnson. Pour la première fois, l'indépendance du Québec devenait le principal enjeu d'un scrutin... Et j'y étais...

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En octobre 1969, j’avais à peine quatre mois d’expérience comme reporter au quotidien Le Droit. Mes études en science politique, avec spécialisation en fédéralisme canadien, avaient cependant capté l’attention du chef de l’équipe de couverture parlementaire du Droit, Marcel Desjardins (qui allait poursuivre par la suite une carrière fructueuse à Montréal-Matin, Radio-Canada, puis à La Presse jusqu’à son décès en 2003). Aussi, par un matin automnal, quand Marcel m’a invité à devenir courriériste parlementaire, j'ai saisi l'occasion qui m'était offerte. 

Le Droit, à cette époque, appartenait aux Oblats de Marie Immaculée. Un journal indépendant, et rentable. Doté d'une salle des nouvelles bien garnie, le quotidien de la capitale fédérale attachait une grande importance à la couverture parlementaire et avait en poste, au Parlement, une équipe de quatre journalistes à temps plein. On ne verrait pas cela aujourd'hui. La rédaction était chapeautée par un directeur de l'information, Christian Verdon, ancien de Montréal-Matin (journal associé à l'Union nationale) dont l'expérience journalistique remontait aux années 1940 et qui connaissait comme le fond de sa main toutes les anecdotes savoureuses de l'époque de Maurice Duplessis...

Quoiqu'on puisse penser des orientations politique de M. Verdon, il avait le sens de l'histoire et dans un contexte d'affrontement croissant entre indépendantistes et fédéralistes au Québec, avait bien compris toute la portée du scrutin québécois de 1970. «L'élection du 29 avril, écrivait-il, est la plus importante de toute l'histoire du Québec.» Dans son plan de couverture, axé bien sûr sur la région de l'Outaouais, il avait cependant inséré une incursion de trois semaines pour deux journalistes du Droit dans les régions de Montréal et de Québec. Une opération coûteuse à l'époque, à vrai dire presque impensable en 2020...

Le directeur de l’information m’avait convoqué à la fin de mars pour me demander d'aller couvrir la campagne électorale québécoise dans la région de Montréal. Je serais détaché de l'équipe parlementaire pour près d'un mois. Mon collègue Philippe Gagnon, chef du bureau de Hull du Droit, prendrait la route de Québec. L'offre était généreuse, sur le plan professionnel et monétaire: on nous faisait confiance pour le choix des sujets, et on nous payait temps double et demi pour la durée de l'affectation, en plus des frais de déplacement et de logement!

Je n’ai pas de voiture, avais-je répondu à M. Verdon. On va t’en louer une, répond-il. Négligeant de l’informer que je ne savais pas conduire et que je n'avais pas de permis, j’ai accepté tout de même. C’était après tout une occasion unique. Autres temps, autres moeurs, en quelques jours, après deux cours avec instructeur, j’ai réussi à obtenir de l'Ontario (j'étais Ottavien) un permis de conduire et je suis parti, le 9 avril 1970, au volant d'une petite Chevrolet pour le boulevard Métropolitain et cette grande ville que j'avais visitée deux ou trois fois seulement dans ma vie (j'avais 23 ans).

Pour près de trois semaines, mon quartier-général serait un motel du boulevard Lajeunesse dans le nord de Montréal, et mon trajet le plus fréquent serait celui qui me ramenais en fin de nuit au terminus Voyageur sur Berri, pour y remettre les textes qui seraient transportés par autobus tôt le matin au Droit, à temps pour les deux éditions, celle de l'avant-midi et celle de l'après-midi. L'heure de tombée pour l'édition matinale était alors 9 heures. Le reste du temps, je sillonnerais la grande région métropolitaine et serais témoin de toute la ferveur de ce premier affrontement entre le Parti libéral du Québec et le Parti québécois.

J'ai visité au moins une quinzaine de circonscriptions et préparé des textes sur celles d'entre elles qui m'apparaissaient les plus intéressantes, y compris Mercier où Robert Bourassa était engagé dans une lutte qui aurait pu être serrée avec Pierre Bourgault, ancien chef du Rassemblement pour l'indépendance nationale devenu candidat du PQ. Entre les affiches, les sondages, les assemblées et les conférences de presse, sans oublier les interviews dans la rue, la fébrilité de Montréal laissait apparaître au grand jour la montée fulgurante du PQ et l'effondrement de l'Union nationale. N'eut été du coup de la Brinks, le PQ aurait pu élire une dizaine ou une douzaine de députés.

Dans un premier article bilan (publié à la une du Droit) que j'expédiais du motel du boulevard Lajeunesse, le 25 avril (la veille du coup de la Brinks), j'écrivais : «L'époque des "bleus" et des "rouges", c'est bien fini sur l'île de Montréal. Les francophones délaisseront, dans une proportion de 40%, les "vieux partis" pour se lancer dans l'aventure politique que leur offre le Parti québécois. Il est même plausible de parler de "vague péquiste" dans au moins une dizaine de comtés du centre-est montréalais. La métropole québécoise est en train de vivre une véritable révolution politique dont l'Union nationale sera probablement la principale victime.»

Quelques jours plus tard, je reviendrais à la couverture du Parlement fédéral, conscient de la valeur de l'expérience unique que je venais de vivre, et mieux outillé pour couvrir la crise majeure qui éclaterait en octobre 1970, dont l'élection du 29 avril avait été l'un des tremplins...




mercredi 29 avril 2020

Refuser de se faire piler dessus...

capture d'écran d'ONFR+


À l'extérieur du Québec, y compris au sein de l'administration fédérale soi-disant bilingue, le français institutionnel reste essentiellement une langue de traduction. C'est ainsi que les choses se passent depuis 1867, et sauf l'occasionnelle exception, c'est ainsi que les choses se passeront. En temps ordinaire, les retards de «versions françaises» sont monnaie courante. Il n'est donc pas difficile d'imaginer qu'en temps de crise, on puisse carrément se passer de la langue de Molière...

Les décisions de Santé Canada de permettre la vente de produits désinfectants et nettoyants avec des étiquetages unilingues anglais ont le mérite d'étaler au grand jour les illusions que nos gouvernants colportent au sujet du bilinguisme officiel. Derrière le vernis - de plus en plus terni - de l'égalité des deux «langues officielles» se profile la langue dominante, l'anglais, à laquelle on greffe à reculons le fruit des longues heures de travail de traducteurs et traductrices.

Pour bien saisir la portée du mythe de la dualité linguistique, il faut absolument lire les rapports annuels du Commissaire fédéral aux langues officielles. On y parle du français et de l'anglais comme si leur évolution était parallèle, et des minorités franco-canadiennes et anglo-québécoise comme s'il y avait là quelque symétrie. En matière de plaintes, on les compte par catégories (service au public, langue de travail, promotion de l'anglais ou du français) sans préciser que pour l'immense majorité d'entre elles (90% ou plus?) la langue française est la seule victime!

Puis arrive une pandémie qui vire tout sens dessus dessous, et qui oblige tout le monde à parer au plus pressé. Là on découvre que les besoins des francophones ne font pas partie des urgences. La ministre fédérale de la Santé est unilingue anglaise. Le gouvernement ontarien fait des points de presse quotidiens en anglais seulement. Des porte-paroles ministériels du Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue, sont unilingues anglais. Interprétations simultanées et sous-titres en bas d'écran sont les miettes consenties aux parlant français...

Avec les autorisations de mettre sur les tablettes des produits désinfectants et des produits d'entretien avec des descriptifs en anglais seulement, on a sans doute monté d'un cran l'intensité de l'injure. Ces produits peuvent s'avérer dangereux pour l'utilisateur et ne doivent pas être consommés quoiqu'en dise le président américain Donald Trump. Il y a là une question essentielle de sécurité physique, et que plus de 7 millions de consommateurs au Canada soient de langue maternelle française (y compris environ 4 millions d'unilingues français au Québec) semble le dernier des soucis dans ce pays anglo-dominant.

Les protestations énergiques d'organisations de francophones hors-Québec, de quelques politologues, auxquelles s'ajoutent un grain de poivre inhabituel du Commissariat aux langues officielles et même un modeste acte de contrition du premier ministre Justin Trudeau, n'ont eu aucun effet. Si encore le gouvernement québécois était intervenu avec force, appuyé des partis d'opposition, des pages éditoriales et des milieux associatifs du Québec, peut-être aurait-on ressenti quelques remous. Mais non, ce sera business as usual... du moins en matière linguistique.

On peut, même au coeur du combat contre la pandémie de COVID-19, refuser de se faire piler dessus par une majorité anglo-canadienne qui en a, malheureusement, l'habitude...

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Textes parus sur cette question:

- Santé Canada supprime l'obligation de bilinguisme sur les produits nettoyants bit.ly/35htW1R
- Prise de position de la Fédération des communautés francophones et acadiennes bit.ly/3bN0Cmh
- Justin Trudeau justifie l'étiquetage en anglais... bit.ly/2VLVnxN
- COVID-19: la langue française, victime collatérale... bit.ly/2KNeDV2
- L'unilinguisme de Santé Canada est dénoncé bit.ly/35gA9uO




dimanche 26 avril 2020

Vers l'unilinguisme anglais à la GRC...

photo de Radio-Canada

Il y a quelques jours, un ami Facebook a retransmis le texte suivant (bit.ly/3bELSWu), émanant de Radio-Canada et commençant ainsi:

«Depuis le 1er avril, les cadets de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) n'ont plus la possibilité de recevoir leur formation policière en français. Cette formation, qui pouvait normalement être suivie dans l'une ou l'autre des deux langues officielles, est désormais offerte seulement en anglais ou dans un format bilingue.»

Sans me donner la peine de vérifier la date de parution du texte (j'aurais dû...), je l'ai «tweeté» (gazouillé???) hier, 25 avril, avec un commentaire personnel sur l'érosion graduelle du français dans les institutions fédérales... Quelques heures après, voulant me renseigner davantage, j'ai entrepris une recherche Web pour m'apercevoir que l'histoire remontait effectivement au 1er avril... mais en 2019! De vieilles nouvelles, quoi...

J'étais sur le point de supprimer mon gazouillis quand j'ai noté une accumulation inhabituelle de mentions «J'aime», de retweets et de commentaires de gens qui, comme moi, sur simple lecture du texte, semblaient croire qu'on parlait d'une situation survenant en avril 2020... Aujourd'hui, 26 avril, environ une centaine d'abonnés Twitter ont manifesté leur intérêt ou leur indignation pour le sort des cadets de la GRC qui voudraient recevoir une formation policière en français.

Et personne ne semble avoir remarqué que le texte a été publié l'an dernier...

Cela dit, la question reste d'actualité. Rien ne semble avoir changé depuis le printemps 2019. De toute évidence, la Gendarmerie royale du Canada se considère un organisme unilingue anglais... à la limite bilingue au Québec, et encore... Le journaliste Normand Lester rapportait en mars 2019 dans le Journal de Montréal (bit.ly/2TpKLjr) que même au Québec, la GRC «a plus de postes désignés "anglais essentiel" que de postes bilingues, aucun poste n'étant dans la catégorie "français essentiel"»...

Les textes les plus récents (de Radio-Canada et ONFR+) que j'ai pu recenser sur le Web remontent à la mi-mai 2019 (bit.ly/3eSenCe et bit.ly/2xbjNY3), et font état d'une motion unanime du Comité parlementaire fédéral sur les langues officielles, demandant à la gendarmerie royale «de faire marche arrière et de réinstaller la formation en français des cadets». La nouvelle de Radio-Canada note que le vote du comité des Communes était passé inaperçu, ayant «eu lieu dans les dernières minutes d'une réunion qui s'est en grande partie déroulée à huis clos».

Depuis, on n'entend plus parler du dossier. Dans son plus récent rapport annuel de mai 2019, le Commissaire fédéral aux Langues officielles Raymond Théberge passait l'affaire sous silence. Peut-être l'abordera-t-il dans son rapport de 2020 qui doit être publié bientôt mais la prudence excessive de ce commissaire n'augure rien de bon. La décision constitue une violation tellement claire de l'esprit et de la lettre de la Loi sur les langues officielles que M. Théberge aurait au moins pu, pour la forme, se porter à la défense des cadets de langue française... Mais non...

Pire, le gouvernement de Justin Trudeau, ce fils du père de la Loi sur les langues officielles, a officiellement appuyé le rejet de la langue française par la Gendarmerie royale. Cet appui est venu du ministre Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique, député de la Saskatchewan et «tête carrée» qui a de la difficulté à improviser deux ou trois phrases en français après plus de 40 ans en politique fédérale au sein du Parti libéral.

Alors voilà... C'est une vieille nouvelle et avoir noté la date du texte de Radio-Canada, je n'aurais pas mis de gazouillis en ligne... Mais finalement ça me semble un mal pour un bien... Cet outrage à la langue française ne doit pas se perdre dans les labyrinthes de la federal bureaucracy. Malmener la langue et la culture françaises dans ce pays est une pandémie plus tenace que la COVID-19, et bien plus difficile à éradiquer...

On pourra sans doute ressortir ces textes de 2019 l'an prochain pour une nouvelle éclosion de jérémiades sans suite...







jeudi 23 avril 2020

Nos vieux... Ça va bien aller?

photo de MSN.COM

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les histoires d'horreur qui nous parviennent d'employés et de bénévoles dans plusieurs CHSLD (centres d'hébergement et de soins de longue durée) et résidences pour personnes âgées ont suscité la colère, l'indignation et la tristesse dans l'ensemble de la population.

Les superlatifs nous manquent pour donner une description juste de ce que certains ont qualifié de «génocide gériatrique»!

Devant l'ampleur de la catastrophe, l'importance du personnel et des aidants dans ces milieux essentiellement peuplés de vieux commence enfin à être reconnue à sa juste valeur. Ce sont en tout temps, et particulièrement ces jours-ci, de véritables combattants, d'authentiques héros, comme ceux et celles qui risquent leur santé pour leur porter secours depuis quelques semaines.

La priorité immédiate, bien sûr, demeure de sauver la vie et la dignité des résidents de ce que j'appelle depuis longtemps nos «usines de vieux», mais rien ne nous empêche de nous interroger sur les causes et les mesures à prendre pour éviter la répétition d'un tel scandale dans un proche ou lointain avenir.

Cette réflexion ne concerne pas seulement les décideurs et les personnes touchées directement par la situation dans les centres de soins et résidences de tous genres. Chaque citoyen, chaque citoyenne a ici sa part de responsabilité. Nous avons (ou avons eu) tous, toutes, des parents et grands-parents qui ont vieilli, avec tous ce que cela comporte d'enjeux. La plupart d'entre nous aurons la chance de vieillir et, peut-être, de «vivre» (???) dans des «usines de vieux».

Puis-je proposer quelques pistes de réflexion?

La société tout entière peut être tenue responsable du phénomène global de vieillissement, et de la concentration (notamment au Québec) des aînés dans les usines de vieux. Nous faisons trop peu d'enfants? Donc la population vieillit. Et moins de 10% de nos vieux vivent avec leur famille. C'est 80% sur d'autres continents... Des solutions de rechange?

Nos élus doivent être tenus responsables des faiblesses des lois, de la réglementation, de la surveillance et des lacunes d'information sur les usines de vieux. On découvrira peut-être que le pourrissement des conditions de vie dans plusieurs CHSLD s'est fait en toute légalité, et à notre insu. Le rôle premier d'un politicien est de défendre l'intérêt public. Sont-ils tous, toutes coupables?

Nos médias, qui ont relativement bien couvert l'incendie actuel, doivent être tenus responsables d'avoir dormi au gaz pendant des décennies pendant que les braises rougissaient. Un des grands défauts des médias est de privilégier l'événement spectaculaire. L'avion qui s'écrase fait la manchette, et on s'intéresse peu aux problèmes qui pourraient miner les autres... jusqu'à une nouvelle tragédie. Le problème, évidemment, c'est que l'existence de nos médias est menacée...

Les propriétaires, gestionnaires et bureaucrates (le ministère, les CISSS et CIUSSS, les proprios privés et les directions générales) de plusieurs usines de vieux doivent être tenus responsables d'avoir laissé les choses se détériorer, et d'avoir lamentablement failli à la tâche en situation de crise. Jamais l'épaisseur et l'inertie du mur bureaucratique n'ont été si apparentes. À quand un retour à une décentralisation, à la flexibilité d'une prise de décision locale?

Les syndicats des employés des usines de vieux doivent être tenus responsables de ne pas avoir monté suffisamment aux barricades, tant pour défendre les droits de leurs membres que pour affirmer le droit à la dignité des vieux. Où sont passés nos syndicats de jadis qui proposaient, en plus d'améliorer les conditions de travail, des projets de société en contrepoids aux abus d'un capitalisme débridé?

Enfin, tous et toutes, sauf exceptions louables, seront un jour tenus responsables de n'avoir rien fait de plus que s'indigner et pleurer devant le sort de nos vieux dans les CHSLD et résidences, sans contester les fondements mêmes du système monstrueux que nous avons érigés au fil des décennies... Le principal défaut de la majorité silencieuse, depuis toujours, c'est son silence...

Demain, «après» comme on dit, nos vieux seront toujours confinés dans des usines de vieux, la société continuera de vieillir, et il manquera encore (de plus en plus) de personnel. À long terme, rien de fondamental ne changera, et nos usines de vieux redeviendront des salles de buffet pour de nouveaux virus ou coronavirus à la prochaine pandémie... Et ce sera alors au tour des jeunes et adultes en santé d'aujourd'hui, devenus vieux, d'attendre un bain qui ne vient pas, de pleurer pour des soins qui tardent trop à venir, de dépérir faute d'alimentation convenable, de crever sans dignité dans des conditions inhumaines...

Alors...

Qui osera parler, entre autres :

- d'augmenter le taux de natalité?
- de garder les vieux à domicile, le plus souvent avec leurs familles?
- de donner aux vieux plus d'autorité sur le fonctionnement de leurs CHSLD et résidences?
- de criminaliser la négligence dans les usines de vieux?
- d'interdire les usines de vieux à but lucratif? De pouvoir emplir ses poches sur le dos des aînés?
- d'affirmer avec au moins autant de force le droit de vivre dans la dignité que le droit de mourir dans la dignité ou le droit à l'avortement?
- de reconnaître l'importance d'intégrer l'expérience, la sagesse, le savoir des plus vieux à nos projets de société?

Allô, y a quelqu'un???????
Ça va vraiment bien aller???????




vendredi 17 avril 2020

La bureaucratie... Le maillon faible?


Caricature de Yannick Lemay dans Le Soleil

J'avoue au départ ne pas connaître suffisamment les rouages du ministère québécois de la Santé pour porter un jugement informé sur l'efficacité de sa bureaucratie nationale, ou sur celle des centres régionaux intégrés (et parfois universitaires) de santé et de services sociaux (les CISSS et les CIUSSS). À moins de déambuler quotidiennement dans ses multiples labyrinthes, il faut s'en remettre à nos expériences personnelles et aux rapports médiatiques.

J'ai pesté, comme des milliers (des millions?) de Québécois, contre des retards excessifs pour un rendez-vous à l'hôpital, contre une attente qui semble interminable dans une salle d'urgence, contre la lenteur des résultats de tests qui nous apparaissent urgents... Mais n'allez surtout pas croire que je suis insatisfait des services obtenus. Au contraire, sans l'excellence des soins prodigués au cours des 20 dernières années, je ne serais pas ici en train de scribouiller à l'ordinateur... De mon point de vue, la qualité des soins n'est jamais (ou rarement) l'enjeu. Ce qui pose problème, c'est l'accès à ces soins.

J'ai repensé à tout cela en lisant les articles de journaux et en écoutant les reportages télévisés sur la crise causée par la pandémie de COVID-19 dans les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Ici encore, il s'agit d'un accès déficient aux soins, et non de la qualité des services dispensés. Une cruelle pénurie de personnel et d'équipements a provoqué des drames humains insupportables. Répondant à l'appel à l'aide du gouvernement, des dizaines de milliers de personnes se sont portées volontaires pour un dépannage d'urgence. Or plusieurs, fort qualifiés, se sont butés aux portes verrouillées de nos appareils bureaucratiques.

Interrogée à ce sujet, la ministre de la santé, Danielle McCann répond en régurgitant l'information qu'elle obtient de son état-major qui, pour sa part, se renseigne sûrement auprès des CISSS et des CIUSSS. Vous savez, il faut regarder les CV, faire un tri, réaliser des entrevues, offrir des contrats, affecter le personnel, et ainsi de suite... Cela prend du temps, et la plupart des candidats sont éliminés. Vrai tout ça. Et pourtant, les témoignages quotidiens de bénévoles qualifiés qui «tombent entre les craques» se poursuivent, sans que l'on n'obtienne d'explication valable...

Le cas troublant du CHSLD Herron vient ajouter au casse-tête. La ministre, citant le CIUSSS de l'Ouest-de-Île de Montréal, indique qu'on appris le décès de 31 résidents le 10 avril. Or, selon d'autres rapports, le CIUSSS avait mis la résidence en tutelle le 29 mars et tous les décès seraient survenus après que l'instance régionale ait assumé la charge de l'établissement. Des questions surgissent immédiatement sur l'efficacité de la communication entre les établissements, le CIUSSS et la direction du ministère de la Santé... Questions restées sans réponse...

Il y a 40 ou 45 ans, nous avions au Québec des CLSC locaux, des CHSLD locaux, des hôpitaux locaux (sans oublier des municipalités plus petites et plus conformes aux communautés qu'elles étaient appelées à desservir), qui fonctionnaient bien, très souvent sans déficits. Puis Québec a entamé les rondes de fusions, regroupant les établissements (et les villes et villages) sur le plan municipal d'abord, puis au niveau régional, et ce, jusqu'aux folies du Dr Barrette qui a tout centralisé à Québec à partir de 2015 et légué aux régions des superstructures monstrueuses (les CISSS) dont personne ne voulait vraiment...

Puis arrive en 2020 la COVID-19, qui cible - contre toute attente - les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) publics et privés, conventionnés et non conventionnés (allez comprendre les différences...). Qui décide quoi? Le virus se propage comme un feu de brousse, des résidents sont infectés, les employés sont malades ou craintifs, et plusieurs désertent... À qui fait appel la résidence? Pas directement à une banque de bénévoles disponibles, comme cela se serait fait il y a 40 ans... mais plutôt au département des ressources humaines du CISSS ou du CIUSSS qui peut se voir tout à coup débordé par des appels à l'aide venant de tous les coins de la région...

Au lieu d'avoir un petit service des ressources humaines qui répartit sans délai le personnel dans un établissement local selon ses besoins, nous nous retrouvons avec des méga-structures responsables de l'affectation du personnel dans des dizaines d'établissements sur des territoires immenses... Et après, face aux situations d'urgence créées par une pandémie, on se surprend de la lenteur des processus décisionnels? La paralysie est systémique. Elle découle de la nature même des superstructures que des gouvernements successifs ont créées, et que l'administration Couillard a complétées...

Les grosses villes fusionnées, comme les méga-structures régionales de santé et de services sociaux, sont des erreurs. La démocratie a souffert, l'efficacité a souffert. La crise actuelle le démontre. Le premier ministre et sa ministre de la Santé énoncent ce qu'ils croient être la véritable situation. Les médias rapportent un vécu discordant. Qu'y a-t-il entre les deux? L'information fournie par les méga-strustures régionales... Présentement, cela semble être le maillon faible...

À quand un retour à la flexibilité locale qui fut jadis l'une des plus grandes forces de nos réseaux de santé et de services sociaux?



mercredi 15 avril 2020

CHSLD Herron... Questions sans réponse...

Photo Le Devoir

À 73 ans, je suis à la retraite (et confiné...) mais je reste journaliste dans l'âme. On ne range pas en un clin d'oeil les réflexes acquis après 40 années d'expérience professionnelle, tant sur la ligne de front qu'à la direction d'une salle de rédaction. Voilà pourquoi ces jours-ci, la couverture médiatique des horreurs vécues au CHSLD Herron de Dorval me perturbe au plus haut point...

Avoir été chef des nouvelles d'un quotidien, d'une télé ou d'une radio dans la région montréalaise, j'aurais renvoyé certains scribes à leurs devoirs pour obtenir des réponses à certaines questions qui m'apparaissent essentielles pour la compréhension du public. D'excellents textes ont été publiés à partir d'interviews, de témoignages, de déclarations, de courriels, de documents judiciaires, mais je peux penser à au moins trois éléments fondamentaux de cette affaire qui n'ont pas été fouillés, en tout cas pas suffisamment:

1. On nous a dit que 31 personnes étaient mortes au CHSLD Herron depuis le 13 mars. Même le premier ministre Legault en a fait grand cas. Mais est-ce vraiment le cas? Qu'en sait-on?

Les propriétaires affirment qu'il n'y avait qu'un décès en date du 29 mars, lorsque le CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île a volé au secours des résidents en détresse. Or Radio-Canada affirmait avant-hier (13 avril) que 31 personnes y étaient décédées entre le 13 et le 29 mars selon les dossiers consultés par le CIUSSS. La contradiction est totale.

Et on ne sait rien de ces 31 individus. Apparemment au moins cinq d'entre eux seraient décédés d'une infection à la COVID-19 mais qu'en est-il des autres? Qui sont-ils? Aucun nom, aucun détail sur l'âge ou le sexe des patients n'ont été divulgués. Le chiffre 31 est brandi de tous bords tous côtés depuis la semaine dernière mais personne ne semble en avoir vérifié l'exactitude.

N'y a-t-il pas là une piste d'enquête immédiate?


2. La ministre de la Santé Danielle McCann a annoncé la mise en tutelle du CHSLD Herron le 10 avril. Selon les propriétaires de l'établissement, le CIUSSS avait pris la charge les opérations le 29 mars. Que s'est-il vraiment passé entre le 29 mars et le 10 avril?

Dans les textes du samedi 11 avril, la mise en tutelle semble fraîchement édictée, et reliée à un manque de collaboration systématique de la direction de la résidence Herron. Il appert, selon François Legault, que l'accès aux dossiers n'avait été obtenu par le CIUSSS que la veille. C'est à ce moment qu'on aurait appris les 31 décès...

La propriétaire Katherine Chowieri affirme pour sa part que le personnel du CIUSSS, intervenant à sa demande, avait dès son arrivée pris en main la direction des soins, reléguant les propriétaires et la direction aux bureaux administratifs. Cela ressemble à une tutelle. Le Journal de Montréal, dans un article du 14 avril, situe lui aussi la mise en tutelle au 29 mars.

Si le CIUSSS exerçait sa tutelle depuis le 29 mars* et qu'il n'y avait eu qu'un décès entre le 13 et le 29, comment se fait-il que le gouvernement ait appris l'existence de l'hécatombe le 10 avril? Entre le 29 mars et le 10 avril, qui dirigeait quoi? Qui savait quoi? Mystère et boule de gomme...


3. Le CHSLD Herron a été le plus médiatisé de tous les centres de soins de longue durée depuis le début de la pandémie de la COVID-19. Or, l'établissement ne fait même pas partie des 41 résidences jugées «critiques» ou «préoccupantes». Cela apparaît insensé. Et personne ne semble avoir interrogé le gouvernement là-dessus.

Il y a quelques jours, le premier ministre François Legault refusait d'identifier les CHSLD privés les plus en détresse avec la pandémie de COVID-19. Seuls cinq ou six se trouvaient dans une situation jugée critique. Après un calcul rapide de quiconque suivait les nouvelles, les cinq ou six auraient été rapidement identifiés: Herron, Sainte-Dorothée, Laflèche, Yvon-Brunet, La Salle, l'Institut de gériatrie, peut-être quelques autres...

Puis, surprise, le gouvernement publie le 14 avril une liste complète des résidences et CHSLD qui enregistrent au moins un cas d'infection à la COVID-19, avec des codes couleur: rouge pour «critique», orange pour «préoccupant», et jaune pour «à surveiller»... Et où se trouve le CHSLD Herron? Pas dans les rouges, ni même dans les oranges... Il est classé près de la queue, dans les jaunes pâles, avec à peine huit cas d'infection à la COVID-19...**

Personne ne semble l'avoir noté dans les textes médiatiques et aucune question n'a été posée à ce sujet au premier ministre ou à la ministre de la Santé, qui évoquaient pourtant la situation à Herron depuis trois ou quatre jours... Comme journaliste, c'est la toute première question que j'aurais posée au premier ministre!


Peut-être ai-je insuffisamment fouillé les textes médiatiques sur cette affaire, mais j'ai la conviction que ces trois éléments font partie des enjeux incontournables que les journalistes auraient dû scruter à la loupe pour bien renseigner le public. À 73 ans je suis confiné. Mais certains jours, j'aimerais reprendre ma carte de presse et monter au front, pour défendre le droit du public à une information complète.

«Ô rage! Ô désespoir! Ô vieillesse ennemie!» (Pierre Corneille)


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* Mise à jour du 16 avril... Dans le texte du Devoir de ce matin, une des personnes interviewées par le quotidien déclare elle aussi que tous les décès sont survenus à partir du 29 mars, alors que le CIUSSS était maître des lieux... Voir bit.ly/3a7vbl6

** Mise à jour du 16 avril... Dans un nouveau classement publié aujourd'hui, le CHSLD Herron est passé du code jaune au code rouge, désormais en tête du palmarès des établissements les plus critiques. Ce changement a été fait sans explication...

lundi 13 avril 2020

Des aînés au front? Pourquoi pas?

Caricature de Côté dans Le Soleil


On récolte ce que l'on sème... Un truisme s'il en fut, mais qui mérite qu'on s'en souvienne au moment où nos vies individuelles et collectives basculent sous les assauts d'un minuscule virus...

N'allez pas croire que je suis de ceux qui voient dans cette pandémie un châtiment divin pour les péchés de l'humanité (quoique nous le mériterions) ou même une vengeance de la planète contre les excès de la race humaine (quoiqu'elle serait justifiée de mordre les mains qui la ravagent...).

Non, ce que nous récoltons tient beaucoup à un changement de civilisation, particulièrement en Occident, qui transforme nos modes de vie depuis plus d'un siècle... du moins ici au Québec. Nous faisons moins d'enfants, beaucoup moins d'enfants, trop peu même, avec l'inévitable conséquence que la société vieillit. Elle vieillit vite. Et ce trop-plein de «vieux», qui habitaient jadis avec leurs enfants et petits-enfants, a graduellement été ostracisé - on dirait aujourd'hui confiné - à des «résidences» de tous genres, que j'appelle depuis longtemps des «usines de vieux»...

N'allez pas croire que je mésestime la valeur d'offrir à nos aînés des milieux où ils peuvent socialiser et obtenir les services et soins adaptés à leur situation. Il en faut. L'existence de telles ressources aurait répondu à des besoins réels même à l'époque de nos grands-parents et arrière-grands-parents... Le problème c'est que de nos jours, après l'éclatement de la famille traditionnelle et avec l'arrivée de la grosse génération des baby boomers dans la soixante-dizaine, l'avalanche du vieillissement frappe de plein fouet.

La perte d'autonomie que charrie cette immense vague humaine surtaxe les réseaux de santé et de services sociaux, les hôpitaux, les CLSC, les CHSLD sans oublier les milliers de foyers pour aînés... Les services que requièrent ces millions de vieux (dont je suis) rendent nécessaire la présence d'une main-d'oeuvre de plus en plus abondante, et ce, au moment où les ressources des générations montantes commencent à se faire rares - et deviennent de plus en plus exigeantes - sur les marchés de l'emploi. Un nombre croissant de travailleurs et travailleuses atteignent l'âge de la retraite, et nous avons laissé derrière une relève insuffisante... même avec l'immigration.

Cette problématique d'une société vieillissante, où un nombre réduit de jeunes est appelé à prendre en charge de plus en plus de tâches, est connue depuis des dizaines d'années, mais faute d'une crise majeure, les fissures étaient plus ou moins colmatées en redéployant les ressources. Or personne ne s'est attaqué de front à ce tsunami prévisible, un peu comme les sociétés ont fait pendant trop longtemps la sourde oreille aux avertissements de pandémie que lançaient des scientifiques autour du monde.

Et voilà que nous tombe dessus un petit coronavirus, baptisé COVID-19, pas trop dangereux pour les plus jeunes mais potentiellement mortel pour les plus de 65 ans, et tout déraille. Le plan de bataille est dressé pour un combat frontal dans les hôpitaux mais on a oublié le plus important. Depuis des décennies, nous parquons nos vieux dans des centres de soins et des résidences qui deviennent ainsi des salles de banquet pour coronavirus affamés. Et comme on manque de relève dans les générations plus jeunes pour renforcer les barricades et soigner les personnes infectées, le risque de contagion se multiplie, tant pour résidents et patients que pour le personnel.

Des situations dramatiques, vécues dans les établissements publics, deviennent insoutenables dans des centres privés de soins de longue durée à but lucratif qui paient leurs employés autour du salaire minimum... La COVID-19 peut s'y répandre comme une traînée de poudre, infectant le personnel autant que les résidents/patients... Pourquoi risquer sa santé, voire sa vie, pour un salaire de crève-faim pendant que les propriétaires, bien en sécurité, engrangent les profits? Les scènes d'horreurs décrites ces jours derniers à Montréal, et ailleurs, ne sont que la pointe d'un iceberg qui menace notre société entière...

Les vieux sont les principales victimes de cette pandémie, du moins ici. Ceux qui sont entassés dans des CHLSD et des résidences constituent une cible de choix pour cette nouvelle menace virale. Quant aux autres, du moins ceux et celles de 70 ans et plus qui ont leur propre logement, on les confine à domicile pour on ne sait trop combien de temps, qu'ils soient ou non en bonne santé. On isole ainsi ceux et celles des plus vieux qui ne l'étaient pas jusque là. On les exclut à peu près complètement de la société active, conséquence logique d'une tendance qui s'affirme depuis un siècle. Ainsi, pour l'avenir prévisible, les jeunes et les adultes pourront évoluer sans être encombrés par des cheveux blancs...

Si le gouvernement Legault est sérieux dans son objectif de mieux traiter les personnes plus âgées, il doit immédiatement regarder plus loin que les négligences de tel ou tel propriétaire de CHSLD, ou d'un redéploiement de ressources... Il est temps de penser à la place que les plus âgés doivent occuper comme membres actifs de la société, avec leur expérience, leur compétence, leur mémoire, leur sagesse, et non comme des troupeaux qu'on isole dans des usines de vieux... Cela peut vouloir dire qu'on mette aussi des aînés - du moins ceux et celles qui sont en bonne santé - sur les lignes de front, avec les risques que cela comporte...

Le contact inter-générationnel dans la lutte contre la pandémie ne peut qu'être bénéfique pour les générations plus jeunes qui n'ont pas côtoyé ces vieux et qu'on a coupées de la mémoire collective de la nation... Si on me donnait le choix, j'aimerais mieux contracter ce coronavirus en le combattant avec mes enfants et petits-enfants que cloué dans un foyer pour personnes âgées ou confiné à domicile en attendant de voir si je serai infecté ou épargné...

Voilà. C'est ce que je pense. Aujourd'hui, du moins...


vendredi 10 avril 2020

Un moment charnière dans l'histoire de l'humanité?


Place Saint-Pierre, Vatican, Pâques 2012

Il y a huit ans, le 8 avril 2012, je mettais pour la première fois de ma vie les pieds à Rome, en Italie. C'était le matin de Pâques, et rien ne m'aurait empêché d'atteindre la Place Saint-Pierre pour assister à la bénédiction pascale du pape Benoît XVI (ce devait être sa dernière). En partie pour l'indulgence plénière qui en résulte (on s'inquiète toujours un peu d'avoir un laissez-passer pour l'au-delà...) mais surtout pour me retrouver avec des centaines de milliers de personnes, dans un lieu à la fois historique et mythique, à l'apogée du calendrier chrétien.

L'humain a toujours été un animal social. J'ai beau estimer les vertus d'une solitude occasionnelle, les moments les plus précieux de la vie - joies, peines, aventures, combats - sont presque toujours partagés avec d'autres. Les rassemblements à Noël, à Pâques, à l'occasion d'anniversaires, de mariages, de funérailles. La synergie d'une foule survoltée à un spectacle. Le coude à coude d'une manifestation pour une bonne cause. La magie de côtoyer des milliers de parfaits inconnus des cultures les plus diverses dans un pays que l'on découvre pour la première fois.

Du noyau familial à la nation tout entière, nous gravitons depuis la naissance autour de collectifs de proches, d'amis ou de connaissances. À la maison, à l'école, au travail, partout. Notre savoir, nos valeurs, notre identité, nos appartenances sont tous issus de rapports avec d'autres humains. Le confinement va contre nature. En prison, l'isolement compte parmi les châtiments les plus éprouvants. C'était toujours un traitement d'exception, réservé le plus souvent à de vils individus ou aux malades très contagieux. Or, voilà que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, plus de la moitié de la planète vit sous des régimes variables de confinement à domicile...

Au-delà de la souffrance et de la mort des personnes infectées par la COVID-19 autour du monde, ce quasi emprisonnement à domicile, doublé d'une «distanciation sociale» de deux mètres pendant les rares sorties des moins de 70 ans, laissera sans doute les cicatrices les plus profondes après la fin de la pandémie actuelle. Récemment, je suis allé à une messe de funérailles où tous se donnaient la main, s'échangeaient des câlins, se faisaient la bise et s'entassaient comme des sardines dans une église de campagne. Si un tel comportement me semblait déjà risqué au début de mars, il apparaît tout à fait impensable un mois plus tard...

L'autre soir, nous étions trois couples de voisins à jaser dans la rue. Un grand, grand carré où chacun, chacune respectait son «deux mètres» de distanciation... Depuis que je demeure dans cette maison que nous avons fait construire en 1988, c'est, je crois, la première fois que cela se produit... Quoiqu'il en soit, alors que nous mijotions les effets de la pandémie, l'un d'eux a annoncé qu'«après», il organiserait sur son gazon un grand barbecue de hamburgers et hot dogs pour les résidents de notre rue de Gatineau. Une autre première en perspective, sans toutefois savoir quand les mesures de confinement seront suffisamment relâchées...

Ce qui me chicotait le plus, cependant, c'était peut-être l'appréhension que l'«après» ne serait plus vraiment jamais comme l'«avant»... Reviendra-t-on un jour à l'entassement de centaines de milliers de fidèles et touristes sur la Place Saint-Pierre le matin de Pâques? Cette année, il n'y aura personne. Quelle mine pascale affichera-t-elle l'an prochain? Serons-nous, un jour, de nouveau confortables à distribuer des câlins aux amis et proches? À se serrer les coudes aux spectacles de la St-Jean? À ressentir le souffle des voisins dans la noirceur d'une salle de cinéma? À tripoter mains nues les mille et un produits qui remplissent nos paniers d'épicerie? À prendre un autobus bondé aux heures de pointe?

Le simple fait de ne plus en avoir la certitude constitue-t-il un moment charnière dans l'histoire de l'humanité? La question est posée...