jeudi 10 décembre 2020

Le combat contre le racisme a besoin de guerriers, pas de mauviettes...

Image du Huffington Post Québec

La professeure Veruschka Lieutenant-Duval a fait couler beaucoup d'encre cet automne après avoir prononcé à des fins pédagogiques le mot «nigger» (oui, c'était bien en anglais!) devant une classe d'étudiants à l'Université d'Ottawa.

Il a suffi qu'un auditeur se sente déstabilisé pour que la professeure soit suspendue, qu'une pétition réclamant des sanctions contre Mme Lieutenant-Duval recueille plus de 10 000 signatures et que le recteur Jacques Frémont rappelle à l'ordre un groupe de 34 professeurs qui, au nom de la liberté académique, s'étaient portés à la défense de leur collègue.

Les étudiants offusqués ont vite réussi à transformer des propos pédagogiques en incident racial. Les interventions du recteur de l'Université d'Ottawa ont eu pour effet de renforcer les rages étudiantes et de répandre davantage la thèse voulant qu'il y ait eu là un incident raciste, même si Mme Lieutenant-Duval n'avait fait que son travail d'enseignante.

Et comme s'il n'était pas suffisant qu'on lance faussement des accusations de racisme, l'affaire a pris une sale tournure linguistique, les francophones défendant à peu près seuls la liberté universitaire. Le grand débat qui a suivi dans les médias de langue française n'a pas trouvé d'écho chez les Anglo-Canadiens, où l'on semble tenir pour acquis l'évidence d'une injure raciale.

Mais l'élément le plus frustrant de cette escalade automnale, c'est la piètre performance des médias. Si la couverture journalistique des derniers mois constitue un indicateur de la rigueur des journaux (du moins ce qui en reste) et des nouvelles télé, ça va mal. Très mal. Les salles de rédaction semblent être devenues ici des courroies de transmission trop souvent teintées de rectitude politique, au point où il est devenu impossible pour lecteurs et auditeurs de savoir vraiment ce qui s'est passé à l'Université d'Ottawa.

Le brouhaha est tel que le recteur, après avoir proféré des énormités, a jugé bon de jeter de l'huile sur le feu en créant un comité d'action contre le racisme. Rappelons-le: tout cela résulte de l'incident Lieutenant-Duval, qui n'avait rien de raciste. Pire, le geste du recteur Frémont a été considéré comme nettement insuffisant par les militants soi-disant anticracistes, et certains d'entre eux ont occupé pendant quelques jours le rez-de-chaussée du pavillon principal de l'Université, près du bureau du recteur.

Et que rapportent nos médias de langue française? Un texte de Radio-Canada rappelle que l'Université d'Ottawa a été secouée par «plusieurs événements à connotation raciale», le plus récent (le déclencheur) étant celui où «une professeure a prononcé le mot en N dans le cadre d'un de ses cours. Cet incident a plongé l'institution dans la tourmente et créé de profondes divisions sur le campus».

Ce paragraphe est une horreur journalistique dans la mesure où aucun sens critique ne se manifeste (peut-être l'auteur ou les chefs de pupitre n'avaient-il pas suivi le dossier). D'abord il n'explique pas que le «mot en N» n'est pas le mot «nègre» prononcé en français. Puis, au lieu de donner le crachoir aux militants, on aurait dû demander aux porte-parole en quoi le fait d'enseigner l'histoire d'une injure raciale constitue un geste raciste.

Et si, comme il l'écrit, les événements d'automne ont plongé le campus dans la tourmente et créé de «profondes» divisions, comment se fait-il que seule une vingtaine d'étudiants ont participé à l'occupation du pavillon administratif de l'Université? Le texte encore plus court du quotidien Le Droit, maintenant numérique, ne parle pour sa part que d'une dizaine d'étudiants...

L'article du Droit évoque aussi l'utilisation du «mot en N» sans spécifier qu'il s'agit du mot anglais. Pourtant le quotidien avait inclus cette précision dans un article antérieur beaucoup plus étoffé. Et le texte range l'affaire Lieutenant-Duval parmi les incidents à caractère racial, peut-être le plus important puisqu'il a «causé une onde de choc sur le campus et partout au pays». On ajoute que la prof a été suspendue et que le «mot en N» a été proscrit sur le campus...

Les journalistes semblent tenir pour acquis, dans leur couverture, que les étudiants noirs ont subi une agression raciale par le simple fait d'entendre une prof prononcer le mot «nigger» à des fins pures et simples d'enseignement. C'est cet incident somme toute banal qui est à l'origine des interventions du recteur Jacques Frémont, de la création d'un comité d'action contre le racisme à l'Université, de l'occupation d'un pavillon universitaire, de l'interdiction apparente du «mot en N», et de la nomination d'un conseiller spécial qui, dans ses premières interventions, semble beaucoup plus proche des censeurs de la liberté académique que des défenseurs de la professeure Lieutenant-Duval.

Dans une entrevue accordée à Radio-Canada, ce conseiller spécial, Boulou Ebanda de B'béri (lui aussi professeur à l'Université d'Ottawa), tient des propos qui ne sont guère rassurants pour les tenants de la liberté d'expression. Il propose d'éviter «le mot en N» (encore sans dire de quel mot il s'agit) et de protéger les étudiants qui vivent des microagressions au quotidien. Il ajoute: «Qu'on ne froisse pas nos étudiants, surtout des étudiants (qui ont des) sensibilités, ou bien des étudiants qui ont déjà la résistance à fleur de peau. Parce que ce sont des personnes qui vivent des microagressions tout le temps. Alors pour le besoin pédagogique et pour la liberté académique, je pense qu'il faut ménager ces étudiants-là».

On en est rendu là. Il faut protéger les étudiants sensibles des mots qui pourraient les blesser, de ces «microagressions», jugées trop fréquentes. Hé, réveillez-vous. L'université est un lieu de combat. Les idées s'affrontent, s'écorchent, jusqu'à ce que la lumière jaillisse. Sur le plan de la parole et de l'écrit, ce sont des agressions, pas des microagressions. Si on veut être protégé des mots qui peuvent blesser, même dans un contexte pédagogique, allez ailleurs qu'à l'université.

Le combat contre le racisme, le vrai, a besoin de guerriers de la parole,  prêts à rendre coup sur coup sans répit, jusqu'à la victoire, et non de timorés et de mauviettes qui se réfugient trop rapidement derrière le bouclier d'un soi-disant «racisme systémique». Quant aux médias, ils doivent sans délai trouver leurs colonnes vertébrales et reprendre leur rôle - que dis-je, leur devoir - de rapporter les faits et les contextes sans se plier à la censure et aux diktats des nouvelles rectitudes politiques.


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