Il y a 50 ans, j'étais jeune. Journaliste, syndicaliste. Les cheveux longs, la barbe. Frais sorti d'années contestataires aux sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Solidaire des Afro-Américains, des Vietnamiens, des mouvements de libération en Amérique latine. Dynamisé par l'élection de Salvador Allende au Chili. Coude à coude avec les partisans de l'indépendance, de l'unilinguisme français et de la laïcité au Québec (même si j'étais alors franco-ontarien). Vivant d'espoir que le socialisme démocratique en viendrait à bout des dictatures et du capitalisme débridé autour du monde. En un mot, à gauche!
Je n'étais pas seul. Ma génération était en voie de devenir le fer de lance d'un vaste mouvement, issu de la Révolution tranquille, qui menaçait d'ébranler le socle de nos anciens asservissements, tant à Québec qu'à Ottawa. Les ténors d'un fédéralisme intransigeant à la Trudeau et les défenseurs du statu quo économique nous voyaient monter aux barricades avec anxiété. Ce n'est pas un hasard si plusieurs des nôtres ont été emprisonnés durant la crise d'octobre. Nos opinions étaient jugées séditieuses. La véritable démocratie a toujours été séditieuse. Ici, ailleurs, partout.
Nous croyions à nos chances de réussite. Nous semblions portés par un élan irrésistible. Avec l'élection du Parti québécois en 1976, la victoire pointait à l'horizon. On avait sous-estimé le pouvoir, la ténacité et la mauvaise foi de l'adversaire. La Loi 101 a été charcutée par les tribunaux fédéraux. Avec la nuit des longs couteaux de 1981, le reste du pays nous a imposé une camisole de force constitutionnelle. Même un faible compromis comme Meech a été saboté sans merci. Au référendum de 1995, les forces du Non (Ottawa en tête) n'ont pas hésité à violer toutes les règles du jeu pour nous arracher notre pays... Depuis 20 ans, l'usure a refroidi les braises des anciens combats. En cette fin de 2020, où va-t-on?
Autour de la planète, les victoires de la gauche ont été rares et peu contagieuses. Les Noirs luttent toujours pour l'égalité et la justice aux États-Unis. Les Vietnamiens ont repoussé les Américains mais attendent toujours la démocratie. Allende a été assassiné et les Latino-Américains, pour la plupart, n'ont pas échappé aux griffes de puissants capitaux étrangers. Le projet d'un Québec indépendant, français et laïc agonise. Les vieux intégrismes religieux (musulmans, juifs, chrétiens) empoisonnent de nouveau nos sociétés et nos lois. De nouvelles rectitudes politiques charrient de nouvelles censures, jusque dans les universités. Les technologies modernes nous asservissent plus qu'elles ne nous libèrent.
Dans une situation semblable, on devrait pouvoir s'attendre que les jeunes montent au front pour reprendre le flambeau porté par les générations précédentes. Pour mener à terme l'oeuvre inachevée, en marche depuis plus de 250 ans. Pour que les efforts consentis par des millions de Québécois et Canadiens français depuis la conquête de 1760 n'aient pas été en vain. Parce que le but est noble. La démocratie. La souveraineté. L'égalité. La laïcité de l'État. La justice. La paix. Pour permettre aussi à notre petit peuple de s'affirmer au sein du concert des nations, d'apporter notre modeste contribution à la diversité mondiale.
Malheureusement, rien ne semble indiquer que nos plus jeunes générations aient l'étoffe de combattants. Elles connaissent trop peu notre histoire. Ont trop peu de respect pour la langue et la culture françaises que les aïeux leur ont transmis au prix d'efforts parfois herculéens. Sont obnubilées par les rectitudes politiques de l'heure, par les motifs voilés d'un soi-disant multiculturalisme, par tous ces écrans qui les accaparent. N'ont aucune notion de ce qu'est véritablement la gauche et la démocratie. Une génération où les étincelles jaillissent encore, de temps à autre, pour s'étouffer dans une mer de lavettes...
Je ne cherche pas à défendre outre-mesure ma vieille génération. J'ai 74 ans. Quand je fais le bilan de notre présence sur cette terre nord-américaine, je suis obligé de conclure que nous avons échoué là où ça comptait le plus. Mais au moins, il me semble, nous avons essayé!
Aujourd'hui, cette génération des années 1960 et 1970 vieillit. Vieillit vite, même. Nous commencerons bientôt à croupir dans des résidences pour personnes âgées. Mais j'ai la conviction que les braises de notre combat historique demeurent plus chaudes chez nous qu'ailleurs, et que cet attroupement de boomers n'a peut-être pas dit son dernier mot. Une mission finale, avant la décrépitude. Monter une dernière fois au front pour assurer une relève qui franchira le Jourdain à notre place.
Nous avons des connaissances. Un vécu aussi. Des idéaux que nous avons portés quand la vie était devant nous, des idéaux qui méritent un engagement renouvelé. Nous sommes encore suffisamment nombreux pour peser dans les débats de l'heure. Je ne sais pas comment, individuellement et collectivement, les vieux pourraient faire basculer des enjeux aujourd'hui, mais cela vaut bien un débat, une réflexion, un dialogue. Je ne veux pas mourir en voyant mon peuple s'éteindre à petit feu. Mon coeur et mon cerveau ont toujours 20 ans... quand il le faut. Et j'ai la conviction de ne pas être seul.
Hé les vieux, un dernier sursaut? Un ultime assaut?
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Certains me trouveront injuste envers les plus jeunes dans mes critiques. Ils ont sans doute raison. Mais en cette fin de 2020, ce texte reflète bien mon état d'âme. Bonne année 2021 malgré tout, à toutes et tous!
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