Dans le sillage de la tentative d'insurrection fomentée par le président Donald Trump, la classe journalistique nord-américaine doit de toute urgence procéder à un sérieux examen de conscience. Trop de journalistes chevronnés semblent avoir été surpris par des événements qui s'annonçaient pourtant très clairement depuis l'élection présidentielle du 3 novembre, et même avant...
L'occupant de la Maison Blanche avait répété pendant des mois que le scrutin serait frauduleux (s'il perdait). Quand il est apparu que Biden serait le vainqueur, Trump a clamé sur toutes les tribunes que les démocrates avaient volé une élection qu'il avait gagnée. Il n'a donné aucune garantie d'une passation pacifique des pouvoirs à un successeur autre que lui-même. Ses avocats ont vainement tenté devant plusieurs tribunaux de faire annuler des résultats qui lui étaient défavorables. Puis, quand les grands électeurs ont confirmé les résultats du scrutin, il a appelé ses partisans - déjà chauffés à bloc - à se rendre à Washington le jour même de la certification par le Congrès des votes au collège électoral.
Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que ce président n'avait pas accepté le verdict populaire et qu'il était prêt à tout pour renverser un résultat qu'il dit (le croit-il?) frauduleux. Pour lui, la réalité ne compte plus. Il a récolté sept millions de votes de moins que Joe Biden mais répète à son public: ce sont de fausses nouvelles, croyez-moi, j'ai gagné par une grande marge. Quand ses multiples démarches juridiques se sont butées à des tribunaux intransigeants, il appelé à la mobilisation de ses troupes dans les rues de la capitale, le jour décisif. Et l'ensemble des salles de rédaction américaines n'avaient pas compris qu'il y aurait, de toute évidence, une émeute et une tentative de coup d'État le 6 janvier?
Ben voyons... Parfois je me demande s'il n'est pas temps de revenir à l'abc du journalisme, celui qu'on nous enseignait à l'époque où on publiait un nombre appréciable de journaux imprimés au Québec. Règle numéro un: le reporter fait la collecte des faits et les présente dans un texte aussi complet que possible. Règle numéro deux: relisez la règle numéro un... Le journaliste-reporter, faut-il le rappeler, cherche uniquement des faits... Il ne cherche pas la vérité. Quand le lecteur a en main tous les faits, il appartiendra à ce dernier de déterminer à quelle enseigne loge la vérité.
Combien de fois ai-je lu, ces derniers mois, des textes en provenance des États-Unis où les auteurs écrivaient, dès la première phrase, que le président Trump avait de nouveau menti en affirmant telle ou telle chose. C'est une faute élémentaire de journalisme. Le rédacteur doit s'en tenir aux faits. Il écrira que le président a réitéré qu'il avait gagné l'élection, sans apporter de preuves, et qu'après vérification, telle ou telle autorité responsable affirme que la déclaration de M. Trump est sans fondement. Il appartient ensuite à l'auditoire de décortiquer l'affaire et de décider si le président a menti, s'il a été mal informé, ou s'il croit réellement ce qu'il dit, ayant perdu tout contact avec la réalité...
Il me semble, et ce, depuis des années, que la ligne de démarcation s'est brouillée entre d'un côté les reporters et, de l'autre, les chroniqueurs et éditorialistes dont c'est la fonction d'analyser, commenter ou juger les faits amassés par les journalistes affectés à la couverture des nouvelles. Aux États-Unis, cela aura facilité la tâche à Donald Trump dans sa manie de répartir la presse entre camps alliés ou ennemis. Mais le pire, c'est que les médias se sont laissés prendre à ce jeu et qu'à la fin, les reportages étaient trop souvent devenus des réquisitoires contre Donald Trump... ou, dans la presse conservatrice, des accolades... On avait une fixation sur l'arbre Trump, au point de ne plus voir très bien la forêt.
Si, dans les salles de rédaction, la somme des reportages avait permis d'aligner sur une table tous les morceaux du casse-tête, la presse américaine aurait pu prendre un recul essentiel et analyser plus froidement le scénario qui se développait sous ses yeux depuis le 3 novembre. On aurait conclu sans hésitation qu'il y aurait le 6 janvier une tentative d'insurrection ou une émeute, et mobilisé les équipes de reportage en conséquence, au lieu d'être surpris à la toute dernière minute. Jusqu'au moment où la foule a enfoncé les portes du Capitole, on semblait traiter la manif comme un élément secondaire.
Le président Trump était sur le point de s'adresser à ses partisans et je n'avais aucune idée de l'ampleur de la foule qui s'assemblait depuis la veille à Washington. Quand finalement un chef d'antenne à CNN a demandé au reporter combien il pouvait y avoir de manifestants, ce dernier a indiqué, sans avancer de chiffre, qu'il ne voyait pas la fin de la foule, peu importe la direction dans laquelle il regardait. À ce jour, je ne sais toujours pas le nombre approximatif de participants à cette manifestation, et ce, dans une ville où pullulent les experts en décompte de rassemblements. Étaient-ils 2 000? 20 000? 100 000? Plus? La presse était trop occupée à s'indigner contre Trump pour prendre le temps de compter les participants à l'insurrection... Plus préoccupée par la vérité que par les faits...
Dans une ère où l'information circule de plus en plus sur les multiples plates-formes de l'Internet, cette moralisation des médias devient aussi inquiétante que les dérapages de politiciens comme Donald Trump. On a vu, ces derniers jours, des organisations comme Twitter, Facebook, Instagram supprimer les comptes du président Trump, sous prétexte qu'ils avaient servi à fomenter la violence contre l'autorité légitime du pays. C'est un sinistre rappel de la puissance de ces plates-formes, qui pourraient, entre d'autres mains, servir tout autant à supprimer des voix démocratiques et tolérantes. J'ai entendu des journalistes et des commentateurs se réjouir de la censure de Trump par Twitter. Comment réagiront-ils si, un jour, ces plates-formes deviennent des alliés d'un nouveau Trump (vainqueur celui-là) et sévissent contre la presse?
J'ai été journaliste assez longtemps pour savoir que la liberté d'expression a ses limites. Des limites fixées largement par les lois du pays. L'incitation à la haine et à la violence n'est pas permise. Et la presse écrite, comme la télé, est habituée à juger à la pièce toute information devant être publiée pour s'assurer qu'elle n'entraîne pas des ennuis juridiques. Si Donald Trump tente d'utiliser les médias (quels qu'ils soient) pour violer une loi, on censurera ce geste ou cette déclaration jugée non conforme aux règles de droit ou d'éthique, mais on ne fermera pas les pages ou les ondes en tout temps à Donald Trump. Twitter et Facebook ont suffisamment d'avocats pour juger chaque gazouillis ou statut du président américain et agir en conséquence.
Sans aller aussi loin que Twitter, des grandes chaînes d'information et de nombreux journaux ont adopté dans leur couverture de Donald Trump une attitude qui déborde largement leur mission centrale de cueillir le plus d'information possible et d'acheminer les faits à leurs auditoires.
Il y a 50 ans, pendant la crise d'octobre, j'avais protesté contre une couverture que j'estimais biaisée des indépendantistes québécois par les médias d'allégeance fédéraliste. Un collègue de Radio-Canada à la Tribune de la presse parlementaire, à Ottawa, m'avait demandé si je me porterais à la défense des fédéralistes s'ils subissaient le même sort dans un Québec souverain. Si je ne réclamais pas une couverture honnête des indépendantistes maintenant, lui ai-je répondu, je me trouverais à renier le principe même que je serais obligé d'invoquer, dans ce futur Québec indépendant, pour défendre une couverture intègre des fédéralistes. Fin de la discussion.
Aujourd'hui comme en 1970, les médias doivent rester factuels en couvrant l'actualité. Les faits condamneront les Trump de ce monde bien plus que les textes d'opinion...
Merci M. Allard. Petite question, combien y avait-il d'électeurs officiellement éligibles à voter dans tout le pays et combien dans les états qui font contreverse (Pensylvanie, Georgie, Wisconsin, Michigan, Nevada, Arizona)? Dernière question combien de votes ont-il été enregistrés dans tout le pays ainsi que dans chaque "swing states"? Merci
RépondreEffacerBonjour M. Allard,
RépondreEffacerDois-je garder espoir d'une réponse de votre part?
Merci de bien vouloir me faire part de votre possible intérêt à répondre à ma question.
Bonne journée
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EffacerJe n'ai pas ces renseignements, et je ne vois pas très bien ce que ces chiffres ont à voir avec le sujet de mon texte de blogue. Je ne crois pas que vous demandez cette information à la bonne personne. Merci à vous d'avoir lu le texte. J'apprécie.
EffacerTout d’abord, je dois vous dire que je lis vos textes avec intérêt depuis quelques années. Merci pour le temps que vous y mettez. Ce qui m’interpelle dans celui-ci provient de ces deux passages :
Effacer« Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que ce président n’avait pas accepté le verdict populaire et qu’il était prêt à tout pour renverser un résultat qu’il dit (le croit-il ?) frauduleux. Pour lui, la réalité ne compte plus. Il a récolté sept millions de votes de moins que Joe Biden mais répète à son public : ce sont de fausses nouvelles, croyez-moi, j’ai gagné par une grande marge. »
Et
« Règle numéro un : le reporter fait la collecte des faits et les présente dans un texte aussi complet que possible. Règle numéro deux : relisez la règle numéro un... Le journaliste-reporter, faut-il le rappeler, cherche uniquement des faits... »
Il me semble qu’il y a contradiction puisque j’ai lu que dans certains États que j’ai mentionnés, il y a eu plus de votes que d’électeurs inscrits ce qui aurait pour effet de changer le résultat pour la peine puisque cela découlerait certainement d’une fraude avérée si c’était le cas.
Autrement, sur le fond, je partage entièrement votre analyse.
Bonne fin de soirée et merci de votre réponse