mercredi 31 mars 2021

Liberté d'expression? Vraiment?

Vous avez sans doute entendu parler de la déportation de milliers d'Acadiens à partir de 1755... Pouvons-nous reconnaître que cette tentative de génocide constituait, entre autres, un geste haineux?

Et que la répression qui s'est poursuivie contre les Acadiens accrochés, coûte que coûte, à d'autres coins de leur patrie maritime, constituait un prolongement de cette haine des francophones?

En abolissant les écoles françaises (entre 1864 et 1873), le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince Édouard ne cherchaient-elles pas à compléter un génocide culturel amorcé au siècle précédent?

Alors quand un individu écrit sur le site Web de CBC, en ce début de 21e siècle, «Imaginez si tous les Acadiens avaient été déportés du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Imaginez comment les choses iraient mieux», émet-il des propos haineux?

Dans un registre bien plus terrible, sous Hitler, les Nazis ont développé une idéologie raciste qui a servi à tuer des millions de Juifs, de Slaves, de Gitans, d'handicapés et autres humains qu'ils jugeaient inférieurs aux peuples aryens.

L'horreur hitlérienne sera vue à jamais comme un monstre qu'il fallait à tout prix abattre.

Alors, quand un lecteur écrit dans le National Post que «Québec is run by a bunch of ethnic cleansing nazis that need to be eradicated from the landscape» (le Québec est dirigé par une bande de nazis qui font du nettoyage ethnique et qu'il faut éliminer du paysage), incite-t-il à la haine contre le gouvernement québécois?

Quand un second, dans la même édition du Post, évoque «le racisme inhérent des Québécois de langue française», ne fait-il pas de même?

Des commentaires semblables frôlent ou dépassent les limites juridiques de la liberté d'expression. S'ils étaient dirigés contre des Noirs, des Juifs, des Musulmans ou des membres d'une autre minorité visible (raciale, ethnique, religieuse), on invoquerait sur-le-champ le Code criminel du Canada qui, à l'article 319, stipule que:

«Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable:

a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans;

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par une procédure sommaire.»

Mais voilà. Ces déclarations haineuses sont dirigées contre les francophones du Québec, de l'Acadie et d'ailleurs au Canada. On se souvient de la tempête de venin qui s'est abattue sur le Franco-Ontarien Michel Thibodeau quand ce dernier a osé demander un 7up en français dans un avion d'Air Canada...

La langue française et ceux qui la parlent ont été si souvent injuriés depuis deux siècles que la frange la plus intolérante du Canada anglais se sent parfaitement autorisée à cracher sa haine à la moindre manifestation de résistance d'un individu ou d'un groupe francophone.

On a littéralement diabolisé les indépendantistes durant les années 60, au point où une majorité d'Anglo-Canadiens ont jugé parfaitement acceptable de mettre 500 Québécois innocents en prison pendant la crise d'octobre de 1970 pour de simples délits d'opinion.

Avec la Loi 101, les deux référendums, l'Accord de Meech, la crise d'Oka, le débat sur la laïcité de l'État et bien d'autres affirmations du Québec français, le ton a même monté et on peut voir dans les sites Web médiatiques des commentaires haineux comme ceux cités ci-haut sans que l'opinion publique anglo-canadienne ne sourcille...

Alors quand un professeur multi-diplômé d'une université reconnue (Amir Attaran, de l'Université d'Ottawa) affirme que le Québec est dirigé par des suprémacistes blancs et laisse entendre que les francophones sont racistes, faut-il se surprendre du silence du Canada anglais et de ses médias?

Souffler sur les braises d'un racisme anti-francophone profond serait donc permis par l'article 319 du Code criminel? Le seul enjeu ici serait celui de la liberté d'expression? Je serais curieux de voir ce qu'un tribunal en dirait...


dimanche 28 mars 2021

L'intérêt «national»... Mais lequel?

Si encore la Cour suprême s'en était tenue à l'enjeu de la taxe carbone (taxe sur la pollution des gaz à effet de serre)... mais non, il lui fallait élargir la portée de sa décision pour offrir au fédéral l'opportunité d'envahir tous les champs de compétences provinciaux dès qu'Ottawa juge que «l'intérêt national» est en cause...

Le plus haut tribunal du Canada vient cette fois d'atteindre son plus niveau d'irresponsabilité politique et linguistique. Ces juges, tous nommés par Ottawa (vive le conflit d'intérêt), viennent de modifier les principes mêmes du fédéralisme canadien en faveur du gouvernement central, en plus de rayer d'un trait la reconnaissance de la nation québécoise.

Ce qui rend un État «fédéral», c'est un équilibre entre deux ordres de gouvernements, chacun ayant des compétences sur lesquels il possède une autorité souveraine. Il n'y a pas de hiérarchie. Le gouvernement central n'a aucune autorité pour imposer sa volonté aux autres États membres de la fédération.

Au Canada, en vertu de ce principe, les 11 gouvernements (fédéral et provinciaux) sont égaux sur le plan juridique. Dans notre vieil échafaudage monarchiste, le lien entre Québec et la reine d'Angleterre est direct. Il ne passe pas par l'État fédéral. Ottawa n'a pas créé les provinces. En 1867, ce sont elles qui ont mis sur pied, par entente, un gouvernement central.

La Cour suprême vient d'asséner un coup de masse à cet échafaudage en accordant au gouvernement fédéral un statut supérieur sur le plan politique et juridique. Ottawa peut désormais, quand il estime que l'intérêt «national» est menacé par l'inaction d'une ou de plusieurs provinces, légiférer dans des compétences provinciales.

Et ce n'est pas là une mesure temporaire en attendant que le climat politique évolue. «L'effet de la reconnaissance d'une matière en vertu de la théorie de l'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) en cette matière», écrivent les juges majoritaires dans leur décision du 25 mars 2021 (voir bit.ly/3w5vd9e).

Et qui définit ce que constitue l'intérêt national? Le premier ministre du Canada, bien sûr, et c'est lui (ou elle un de ces jours...) qui nomme tous les juges de la Cour suprême, le tribunal qui est censé être un arbitre neutre quand il y a un conflit constitutionnel entre les États membres de la fédération canadienne...

Alors si un bon jour, les normes de soins en CHSLD sont jugées «d'intérêt national», ou encore la laïcité de l'État, ou même les droits linguistiques, Ottawa vient de recevoir de la Cour suprême la clef d'une nouvelle porte pour envahir des compétences qui, selon la Constitution, appartiennent aux provinces...

L'intérêt «national»

Si toutes les provinces sont en principe menacées par ce jugement charnière, la situation est bien pire pour le Québec. Comme d'habitude, la Cour suprême - qui fonctionne le plus souvent en anglais et fait traduire la plupart de ses jugements - utilise le mot «national» en français comme un calque de l'anglais.

Les plus puissants juristes du pays ne peuvent d'aucune façon justifier leur ignorance de la différence entre l'emploi de «national» selon qu'on se trouve à Toronto, à Ottawa ou à Québec. Même le Parlement canadien a reconnu en 2006 que le Québec formait une «nation». La ville de Québec est une capitale nationale. La nation québécoise a sa propre Assemblée nationale. Ainsi, à cet égard, le Canada est un État multi-national.

La légitimité du droit à l'autodétermination de la nation québécoise a été reconnue même par les fédéralistes centralisateurs, y compris Jean Chrétien et Pierre Trudeau, quand ils ont participé officiellement aux deux référendums québécois du côté du «non». Participer, c'était reconnaître la possibilité d'une victoire du «oui» et ses conséquences.

Alors, contrairement aux autres provinces, le Québec possède son propre «intérêt national», indépendamment de l'intérêt national ou post-national des Anglo-Canadiens. Quand la Cour suprême évoque l'intérêt national comme s'il n'y en avait qu'un, celui d'Ottawa, elle commet au mieux un anglicisme. Au pire, le plus haut tribunal du pays vient d'affirmer que l'intérêt national anglo-canadien a priorité sur l'intérêt national québécois.

Le gouvernement Legault doit prendre acte de l'effet dévastateur de ce plus récent jugement de la Cour suprême, refuser de reconnaître ses conséquences pour le partage des pouvoirs constitutionnels, et faire savoir à Justin Trudeau que désormais, l'arbitrage judiciaire devra être assuré par un tribunal nommé conjointement par Ottawa et Québec. Avec le système actuel de nomination à la Cour suprême du Canada, le premier ministre fédéral a TOUS les atouts en main... Les dés sont pipés.


vendredi 26 mars 2021

Quand Marché Goodfood sermonne ses clients...



J'aime «Marché Goodfood» pour la qualité des produits qu'on nous livre et l'excellence de ses recettes. Je n'aime pas «Marché Goodfood» quand son PDG s'avise de sermonner ses clients en matière de racisme.

Nous avons reçu cette semaine un courriel signé par Jonathan Ferrari, PDG et co-fondateur de Goodfood (voir texte ci-bas). Après lecture, on a presque l'impression que la situation des personnes d'origine asiatique au Québec ressemble à celle qui a mené à la tuerie d'Atlanta, la semaine dernière.

S'adressant au client que je suis, il conclut: «Ensemble, freinons la haine. #StopAsianHate». M. Ferrari ajoute des liens qu'il qualifie de «ressources et moyens pour aider». Parmi ceux-ci on trouve le «Petit guide pour combattre le racisme au Québec»...

Il faut lire ça... «Le racisme, y écrit-on, est une idéologie qui prétend qu'il existerait plusieurs "races" humaines et que certaines seraient supérieures ou inférieures aux autres». Mais, ajoute le petit guide aussitôt, «les races, ça n'existe pas.»

«Une personne racisée, poursuit-on, c'est une personne qui subit le racisme (...) à cause de ses traits physiques, culturels, religieux, linguistiques ou géographiques. On attribue à une personne racisée une étiquette qui découle de l'idée fausse selon laquelle les races humaines existent.»

Si j'ai bien compris, il n'y a pas de races humaines mais il y a du racisme et des personnes racisées... Matière à réflexion...

Le reste du document s'acharne à démontrer l'existence du «racisme systémique» au Québec en fonction de la définition que les auteurs donnent au concept. Les victimes sont noires, asiatiques, autochtones. Rien sur la racisme dont sont victimes les Canadiens français depuis quelques siècles... On va même jusqu'à parler de violences contre des femmes voilées dans le cadre du débat sur la Loi 21...

Que le racisme existe et qu'il y ait urgence de le combattre va de soi. Mais les amalgames qui prolifèrent dans ce petit guide ne peuvent nous empêcher de conclure que la majorité blanche et francophone du Québec est collectivement raciste, alors qu'elle ne l'est pas... Amir Attaran serait heureux...

Je n'ai pas l'intention d'essayer ici de décortiquer les complexités du racisme au Québec, au Canada et ailleurs. Suffit de dire que je dénonce le racisme depuis plus de 50 ans, que je fais partie d'un peuple (la nation québécoise) qui a essuyé et continue d'essuyer les séquelles d'un racisme et d'un colonialisme bicentenaires, et que je n'apprécie pas ce sermon malavisé d'une entreprise dont je suis le client.

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Voici le courriel de Marché Goodfood. Il est suivi de ma réponse, également expédiée par courriel.

«Depuis le début de la pandémie, il y a une montée significative de la xénophobie, du racisme, de la misogynie et de la violence envers les membres des communautés asiatiques, notamment lors de la tragédie d’Atlanta la semaine dernière. Nous nous souvenons de Soon Chung Park, Suncha Kim, Yong Ae Yue, Hyun Jung Grant, Xiaojie Tan, Delaina Yaun, Daoyou Feng et Paul Andre Michels.

«Chez Marché Goodfood, nous dénonçons toute forme de racisme et de discrimination et sommes solidaires avec nos collègues, partenaires et membres de la communauté asiatique. 

«Les bons alliés de la cause s’éduquent, diffusent les voix marginalisées et soutiennent les communautés minoritaires, en soutenant notamment les petites entreprises appartenant à des Asiatiques. Nous continuerons d’apprendre, d’écouter et de nous opposer au racisme et à la discrimination sous toutes ses formes.

«Ensemble, freinons la haine. #StopAsianHate.

«Voici quelques ressources et moyens pour aider :
C'est signé par le PDG.
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Voici ma réponse à Marché Goodfood :

À qui de droit,

J’aime beaucoup les produits Goodfood. Nous en achetons à toutes les deux semaines, et avons découvert chez vous de merveilleuses combinaisons d’aliments.

Cependant, je n’apprécie pas du tout de recevoir des sermons politiques de votre PDG.

Je suis un antiraciste engagé depuis les années 1960. C’est un sujet complexe et les situations varient d’un pays à l’autre.

Votre message associe la situation du Québec à celle des États-Unis, et les liens que vous nous proposez renvoient à un discours politique qui est loin d’être partagé par tous les antiracistes.

Allez-vous bientôt nous informer d’une prise de position Goodfood contre la Loi 21 sur la laïcité de l’État, décriée comme raciste par bien des gens que vous nous demandez d’appuyer?

Ou la future réforme de la Loi 101, qui sera sûrement taxée de racisme par plusieurs mouvements soi-disant antiracistes?

Ce que je vous dis, c’est que j’aime vos produits, mais que je peux me passer de vos enseignements politiques.

Veuillez vous en tenir à ce pourquoi vous êtes renommés: vos recettes d’aliments et vos produits.

Bien à vous, 

Pierre Allard

 


jeudi 25 mars 2021

Le 20 mars 2021. La journée de quoi?

page couverture du cahier spécial du Droit, 20 mars 2021

J'ai encore une fois l'impression de commencer un autre texte plate que peu de gens liront et qui sombrera dans l'oubli avant même que l'encre (virtuelle) n'ait eu le temps de sécher (virtuellement)...

Enfin, c'est pas parce que c'est plate que c'est pas important...

Alors allons-y!

Tous les ans, le 20 mars, c'est la Journée internationale de la Francophonie. Une journée qu'on souligne ça et là, qu'on ne célèbre à peu près pas, qui laisse la plupart des francophones indifférents...

À la Fête nationale, à la St-Jean, où la langue et la culture françaises sont au coeur des célébrations, on voit un peu partout des spectacles, des drapeaux, des rassemblements, des défilés...

Le 24 juin ne passe jamais inaperçu.

Mais le 20 mars? Bof! On sort des boules à mites l'Organisation internationale de la Francophonie, dont la secrétaire-générale émane d'un pays qui a récemment troqué le français pour l'anglais...

On évite surtout de parler de la France, qui vient d'introduire la langue anglaise sur ses cartes d'identité officielles, qui prépare les Olympiques de 2024 avec un slogan unilingue anglais...

Et pourtant, dans nos tripes, quelque part, on sait qu'en parlant français tous les jours, en lisant des livres, magazines et journaux de langue française, qu'en écoutant la télé et la radio en français, on participe à cette francophonie.

Et qu'en cette époque où l'hégémonie de l'anglais menace de son rouleau compresseur la diversité linguistique sur tous les continents, il y a une certaine urgence...

En tout cas, nos journaux, ou ce qui en reste, semblent s'en douter. Mon ancien quotidien, Le Droit, publiait ce samedi 20 mars 2021 un cahier papier de 28 pages tabloïd à l'occasion de la Journée internationale de la Francophonie!

Ce n'était pas un cahier de la salle de rédaction. Il s'agissait plutôt d'un cahier publicitaire (on dit maintenant cahier promotionnel...), où typiquement une pub sera le plus souvent accompagnée d'un texte portant sur les activités ou produits et services de l'annonceur.

Cela ne signifie pas que le cahier soit moins intéressant pour le lecteur. Mais cela nous dit que ce sont les acheteurs d'espace publicitaire qui ont déterminé le choix des sujets abordés. Et ça nous donne une indication de la stratégie de sollicitation de la pub par la direction du quotidien.

Ce qui m'a le plus frappé, c'est l'absence totale de publicités (et donc de textes) en provenance de la rive québécoise de l'Outaouais, où résident près de trois quarts des abonnés du Droit. Le contenu du cahier de 28 pages était donc presque exclusivement franco-ontarien.

Le Droit a-t-il uniquement sollicité les annonceurs en Ontario français? Si oui, pourquoi? Les représentants publicitaires du journal ont-ils essuyé des refus systématiques à Gatineau et ailleurs en Outaouais? Le gouvernement québécois, qui s'est payé une demi-page dans le cahier du Devoir sur la Journée mondiale de la Francophonie, aurait sûrement assuré sa présence dans les pages du quotidien de l'Outaouais...

L'Université d'Ottawa, l'Université St-Paul et le collège La Cité, d'Ottawa, ont acheté des espaces publicitaires. Faut-il croire que l'Université du Québec en Outaouais et le Cégep de l'Outaouais auraient refusé de souligner leur apport à la francophonie? 

Le gouvernement fédéral, dans sa pub, a inclus les photos de tous les députés de la grande région desservie par Le Droit, y compris les quatre députés libéraux de l'Outaouais québécois. Les députés libéraux provinciaux d'Ottawa et de l'Est ontarien occupent une demi-page. Mais où sont les députés de l'Outaouais à l'Assemblée nationale? Ont-ils même été sollicités?

La chaîne franco-ontarienne TFO publie une annonce pleine page. Télé-Québec n'en aurait pas fait autant? L'hôpital Montfort propose une pub mais les hôpitaux de Gatineau sont absents. Pourtant, l'université McGill vient d'y ouvrir une faculté satellite de médecine où la langue d'enseignement est le français...

On pourrait continuer ainsi longtemps... Clairement, les Franco-Ontariens, constamment en lutte depuis plus d'un siècle, sont plus sensibilisés aux initiatives médiatiques en faveur de la langue et de la culture françaises. Et tout aussi clairement, il semble y avoir perception que l'Outaouais ne s'y intéresse pas...

Il est vrai que sur la rive québécoise de l'Outaouais, peu de voix s'élèvent pour défendre la langue française contre les menaces qui pèsent lourdement sur elle, et qui grugent ses effectifs d'année en année. Seul le président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, est toujours prêt à monter au front. Sans lui, le silence serait assourdissant.

Pourtant, à plusieurs égards, la situation du français en Outaouais n'est pas sans rappeler celle des Franco-Ontariens... Dans la région du Pontiac, les francophones se font assimiler depuis plus d'un siècle et font toujours partie d'un diocèse catholique anglo-ontarien... À Gatineau, il a fallu se battre pour que les étudiants en médecine de McGill à Gatineau puissent suivre leurs cours en français... Le centre-ville de Gatineau s'anglicise à vue d'oeil et les violations flagrantes de la Loi 101 se multiplient... 

La morale de cette histoire? Il est difficile de comprendre pourquoi la Journée mondiale de la Francophonie semble un sujet d'intérêt exclusivement franco-ontarien pour le quotidien Le Droit. Et peu importe de quelle façon on retourne la question, les réponses sont inquiétantes...


mardi 23 mars 2021

Langues officielles: un comité formé majoritairement de députés du Québec

photo Radio-Canada

Au Parlement fédéral, le Comité permanent des langues officielles a commencé récemment à se pencher sur le déclin du français au Québec. Pour ce comité habitué depuis toujours à traiter des dossiers des «minorités de langue officielle» (les francophones hors Québec et à un moindre degré les Anglo-Québécois), c'est du neuf.

Pourquoi ce changement de cap? Parce qu'enfin, on s'apprête à reconnaître, dans la prochaine mouture de la Loi sur les langues officielles (on ne sait trop quand), que seule la langue française est en péril au Canada. Même au Québec...

Les 12 membres du comité se retrouvent donc au cours d'un débat qui risque de réorienter la façon dont le gouvernement fédéral aborde l'enjeu du bilinguisme et des langues officielles depuis un demi-siècle, depuis le premier mandat de Pierre Elliott Trudeau.

Le public aurait sans doute avantage à suivre les réunions prochaines du Comité permanent des langues officielles, où défileront témoins et mémoires de tous genres. Elles sont diffusées en direct sur Internet.

Voici quelques détails intéressants sur les douze députés qui forment ce comité permanent de la Chambre des Communes:

- Sur les 12 membres, sept représentent des circonscriptions québécoises, une sur-représentation majeure qui tend à confirmer qu'une seule langue officielle du Canada - le français - préoccupe le plus souvent les élus...

- Parmi les cinq autres députés, deux représentent des coins de pays qui ont historiquement abrité des concentrations de francophones (nord-ouest du Nouveau-Brunswick, Est ontarien)

- Seulement trois membres du comité sont élus dans des circonscriptions où une présence francophone est négligeable (sud-ouest du Nouveau-Brunswick, Colombie-Britannique, Winnipeg)

- On demande à chaque membre d'indiquer sa langue «préférée». Voici les résultats...

Emmanuel Dubourg (Parti libéral), président du comité (circonscription montréalaise de Bourassa) - français

Steven Blaney (Conservateur), vice-président du comité (circonscription  de Bellechasse-Les Etchemins-Lévis) - français

Mario Beaulieu (Bloc québécois), vice-président du comité (circonscriptions montréalaise de La Pointe de l'Île) - français

René Arseneault (Parti libéral), (circonscription de Madawaska-Restigouche, M.-B.) - français/anglais

Alexandre Boulerice (NPD), (circonscription montréalaise de Rosemont-La Petite Patrie) - français

Marc Dalton (Conservateur), (circonscription de Pitt Meadows-Maple Ridge, C.-B.) - anglais

Terry Duguid (Parti libéral), (circonscription de Winnipeg-Sud, Manitoba) - anglais/français

Joël Godin (Conservateur), (circonscription de Portneuf-Jacques-Cartier) - français

Marie-France Lalonde (Parti libéral), (circonscription d'Orléans, Ontario) - français

Patricia Lattanza (Parti libéral), (circonscription montréalaise de St-Léonard- St-Michel) - anglais/français

Soraya Martinez Ferrada (Parti libéral), (circonscription montréalaise de Hochelaga) - français/anglais

John Williamson (Conservateur), (circonscription de Nouveau-Brunswick-Sud-Ouest) - anglais/français

- Notez que cinq des sept députés québécois représentent des circonscriptions de l'est de l'île de Montréal où les anglophones sont très minoritaires. Aucune présence anglo-québécoise...

- Six des 12 députés indiquent que le français est leur langue préférée: Emmanuel Dubourg, Steven Blaney, Mario Beaulieu, Alexandre Boulerice, Joël Godin et Marie-France Lalonde

- Un seul membre du comité nomme l'anglais comme langue préférée: le Britanno-Colombien Marc Dalton

- Deux disent préférer le français et l'anglais, dans cet ordre: René Arseneault et Soraya Martinez Ferrada

- Trois indiquent leur préférence pour l'anglais et le français, dans cet ordre: Terry Duguid, Patricia Lattanzio et John Williamson

- À noter: Mme Lattanzia (St-Michel-St-Léonard) donne sa première préférence à l'anglais dans une circonscription où les francophones sont trois fois plus nombreux que les anglophones, et Mme Lalonde (Orléans, Ontario) préfère le français dans une circonscription où les francophones ne forment que 25% de la population

- Mme Martinez Ferrada inclut l'anglais comme deuxième préférence dans une circonscription montréalaise où il n'y a que 6% d'anglophones...

- Cinq provinces et les trois territoires, et le métropole du pays (Toronto) sont absents du comité permanent des langues officielles

Voici le lien au Comité permanent des langues officielles. 

https://www.noscommunes.ca/Committees/fr/LANG



samedi 20 mars 2021

«Et les humains sont de ma race»...

photo du Journal de Québec

Je n'aime pas simplifier les choses complexes. Ça devient en quelque sorte une caricature. Il reste que parfois, dans une bonne caricature, on peut capter l'essentiel d'une personne, d'un événement, d'un argument... 

Alors je me risque...

Pour les multiculturalistes du Canada anglais, nous (les Québécois francophones) sommes collectivement coupables de racisme. Pendant ce temps, au Canada anglais, cette culpabilité collective semble inexistante, puisque c'est la faute au système. Le racisme y est «systémique»...

Avez-vous déjà eu cette impression? Moi je l'ai jusque dans les tripes...

Et cela dure, dans sa forme actuelle, depuis plus de 30 ans. Vous souvenez-vous (ceux qui le peuvent) de l'échec de l'Accord du lac Meech en juin 1990? Des centaines de milliers de personnes dans les rues de Montréal pour le défilé de la St-Jean? De cet essor qui semblait irrésistible de la cause indépendantiste, vue comme une libération?

Quelques semaines plus tard, nous étions plongés dans la crise d'Oka. Un moment charnière. Je me souviens d'un interview de CBC avec un Anglo-Québécois. Un interview biaisé, cherchant à présenter les Mohawks comme victimes d'un racisme à la sauce québécoise. La question de la journaliste n'était pas très subtile. S'ils traitent ainsi les Autochtones, demanda-t-elle à l'anglophone, que feront-ils de vous (les anglophones) après l'indépendance?

Les dés étaient jetés. Ce serait désormais la grille d'analyse privilégiée chez nos ennemis politiques, dans une certaine presse anglo-canadienne et, plus tard, dans les médias sociaux sur Internet.

La déclaration de Jacques Parizeau, le soir du référendum de 1995, sur l'argent et les votes ethniques n'a fait qu'ajouter à la véhémence des propos qu'on tenait déjà à notre endroit depuis des années.

La saison de chasse était ouverte, et on pouvait diffuser sur toutes les tribunes publiques des propos haineux, sans fondement,  à notre endroit. Des propos tellement violents parfois qu'ils constituaient clairement des violations du Code criminel.

À condition de les diriger contre une nation vue dans son ensemble comme un peu séparatiste, nationaliste, avec un filon de racisme et de xénophobie, en tout cas réfractaire à la langue et à la culture dominante des Canadians, on n'avait plus à mâcher ses mots...

Le Canada a toléré et tolère encore à notre endroit un langage ordurier qui, s'il était dirigé vers des Autochtones, vers des gens de race noire, vers des gens de confession musulmane ou juive, mènerait les auteurs droit devant les tribunaux ou en prison.

Récemment, avec les morts tragiques de Joyce Echaquan et Mireille Ndjomouo, auxquelles s'ajoute l'incident malheureux de Jocelyne Ottawa, l'insistance sur une culpabilité collective de la nation québécoise s'est intensifiée.

À force de voir ce clou martelé et enfoncé depuis des décennies, nous en sommes au point où un grand nombre de Québécois francophones commencent à se sentir collectivement responsables de ces malheurs, même quand ils sont foncièrement antiracistes et solidaires des victimes.

Les propos délirants et haineux du professeur Amir Attaran, de l'Université d'Ottawa, ne sont que la plus récente manifestation d'un comportement accepté au Canada anglais. Peut-être ne suscite-t-il pas beaucoup d'approbation, mais le silence général du reste du pays porte en lui un consentement qui n'est pas à son honneur...

Bien sûr, on entend aussi, de temps à autre, parler d'incidents à caractère racial dans les provinces à majorité anglaise. Mais jamais cela n'entraîne-t-il une stigmatisation collective de la «post-nation» anglo-canadienne...

Les Anglo-Canadiens ont reconnu le «racisme systémique»... Ils sont donc innocents. S'ils commettent des actes racistes, ce n'est pas vraiment de leur faute. C'est le système, un complexe de lois et coutumes hérité de générations antérieures qui avaient en quelque sorte légalisé leurs crimes contre l'humanité. Et ces tares du passé restent imprégnées dans les gouvernements et institutions publiques d'aujourd'hui.

À condition de reconnaître l'existence de ce racisme systémique, on est presque blanchi de ses péchés. Le raciste devient quasiment la victime d'un système qui l'a corrompu. Il suffit alors d'un acte de contrition et d'une ferme résolution de ne plus recommencer pour être pardonné...

N'y a-t-il pas là un «deux poids, deux mesures» parfait en matière de racisme? La culpabilité individuelle et collective chez nous... La culpabilité du «système» chez eux... 


Quelle hypocrisie!

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«Et les humains sont de ma race.» Gilles Vigneault (Mon pays)

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mardi 16 mars 2021

Caroline au pays des merveilles...

Dans une lettre récente (9 mars 2021) au Journal de Montréal, la ministre ontarienne des Affaires francophones Caroline Mulroney affirme que «la francophonie ontarienne est plus forte que jamais» et que les déclarations voulant que le français régresse en Ontario «ne reflètent pas la réalité» (voir bit.ly/3eP7RhM).

Je vais lui accorder le bénéfice du doute. Peut-être est-elle vraiment convaincue de ce qu'elle avance... Alors de deux choses l'une: ou elle est fort, fort mal renseignée, ou elle vit, comme Alice, au pays des merveilles... J'aimerais mieux croire qu'elle ment, comme le font souvent nos politiciens, qu'elle endosse un pieux mensonge pour donner l'image d'un gouvernement plus sympathique aux Franco-Ontariens, ou encore qu'elle désinforme délibérément les Québécois, peu renseignés sur la situation en Ontario et donc susceptibles d'avaler ses couleuvres... 

S'il s'agit d'un mensonge, c'est le mensonge parfait. Qui, dans les hautes sphères publiques et associatives, oserait dénoncer cette fausseté au risque de passer pour pisse-vinaigre? Sûrement pas les grandes organisations franco-ontariennes, peu habituées aux marques de tendresse, surtout en provenance de la bande de Ford... Sûrement pas la ministre fédérale Mélanie Joly qui vient de pomper 63 millions $ dans le projet de campus universitaire de langue française à Toronto... Sûrement pas le gouvernement Legault, qui n'a aucun intérêt à rabattre publiquement des Franco-Ontariens déjà méfiants envers le Québec...

Et pourtant il est important de remettre les pendules à l'heure et de dire à Mme Mulroney qu'elle ne vit pas sur la même planète que nous. La situation du français en Ontario n'est pas loin d'être catastrophique dans plusieurs régions et même les bastions traditionnels - Ottawa, Sudbury, l'Est et le Nord-Est ontarien - s'anglicisent à vitesses variables. Et ce n'est pas en hissant le beau drapeau vert et blanc de la Franco-Ontarie devant l'Assemblée législative à Toronto qu'on y changera quelque chose...

Les collectivités francophones de l'Ontario étaient plus fortes il y a 50 ans, et encore davantage il y a 100 ans quand elles luttaient contre le Règlement 17 interdisant l'enseignement en français dans les écoles de la province. Les recensements fédéraux brossent un tableau implacable des ravages de l'assimilation au cours du dernier demi-siècle. Les données sur la langue d'usage (la langue parlée le plus souvent à la maison) ne laissent aucune place au doute. En 1971, sur une population de 7 700 000 habitants en Ontario, 352 000 déclaraient parler surtout français au foyer. En 2016, sur une population de près de 13 500 000 habitants, on dénombre à peine 310 000 personnes indiquant le français comme langue d'usage.

Au-delà des recensements, le portrait de la minorité franco-ontarienne publié en 2010 par les analystes de Statistique Canada identifie avec une précision chirurgicale les causes de ce déclin. On y découvre une population qui consomme en forte majorité des médias de langue anglaise (télé, radio, journaux, Internet, etc.); une population vieillissante où la majorité des jeunes vivront en couples exogames (avec un conjoint qui ne parle pas français) qui transmettront encore moins la langue française à la génération suivante; et un constat final: une population de langue maternelle française qui s'assimile plus rapidement à l'anglais que les allophones...

Le texte de Mme Mulroney dans le Journal de Montréal était suivi de commentaires dont celui de Gérald Dupuis, un ex-Franco-Ontarien vivant au Québec: «Je suis Franco-Ontarien de naissance et j'ai encore un frère et une multitude de neveux et nièces dans la région de Sudbury. Lorsque je vais en visite et que l'on a des réunions familiales, 75% de ceux-ci et pratiquement 100% de leurs enfants conversent en anglais entre eux. Alors Mme Mulroney, ne venez pas me faire croire que la francophonie se porte bien en Ontario».

À ceux et celles qui seraient tentés de croire qu'il s'agit d'un cas d'exception, j'estime que c'est plutôt la règle. Pas dans les pourcentages proposés dans le commentaire de M. Dupuis, mais de façon très perceptible, on voit un peu partout en Ontario - y compris à Ottawa où j'ai grandi - des familles où les grands-parents sont francophones, la génération suivante bilingue jusque sur le plan identitaire, et les petits-enfants à toutes fins utiles anglophones. Les pages Facebook en sont une illustration frappante. Des milliers d'Ontariens francophones communiquent entre eux en anglais.

De là à conclure que le français y est à l'agonie partout, il y a un trop grand pas à franchir. Le noyau dur de 300 et quelque mille véritables Franco-Ontariens compte toujours des concentrations viables dans certaines régions et le réseau institutionnel et associatif, sans être complet, demeure robuste et dynamique. Dans ces milieux, plus encore qu'ailleurs, on sait qu'il y a déclin et les manches sont retroussées en vue d'une résistance de tous les jours. On le voit notamment dans les médias sociaux, où les pages Facebook franco-ontariennes militantes regroupent des dizaines de milliers de membres.

Mais si les dirigeants franco-ontariens semblent entretenir de bonnes relations avec la ministre Mulroney, ils n'endosseront sûrement pas les coups d'encensoir qu'elle balance en direction du gouvernement Ford. La situation a empiré durant la pandémie. En raison de la COVID-19, «la vie en français est devenue pratiquement impossible en Ontario», a déclaré en décembre 2020 Carol Jolin, président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO). Près d'une quarantaine d'organismes franco-ontariens étaient alors menacés de fermeture. «Ça pave la voie vers l'assimilation», concluait M. Jolin.

L'année précédente, en octobre 2019, l'AFO avait rendu public un livre blanc démontrant que la proportion d'aînés, 65 ans et plus, était plus élevée chez les francophones que dans le reste de la population de l'Ontario. M. Jolin y voyait des «données alarmantes» pour la collectivité franco-ontarienne.

Sur le plan scolaire, les Franco-Ontariens ont mangé une claque avec la création d'un petit campus universitaire à Toronto (qui n'a pas encore ouvert ses portes) alors que plusieurs auraient souhaité une institution provinciale «par et pour» les francophones regroupant tous les programmes universitaires de langue française, y compris ceux de l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, deux établissements à forte majorité anglaise où sont regroupés l'immense majorité des étudiants francophones à l'universitaire.

Enfin, j'aimerais bien savoir si les véritables porte-parole de la Franco-Ontarie apprécient que Mme Mulroney s'érige auprès des Québécois en représentante officielle de la collectivité francophone de l'Ontario. Après avoir déclaré que «la communauté francophone n'a reculé devant rien», elle poursuit en écrivant: «Malgré les défis, nous avançons, optimistes face à l'avenir, convaincus que le français continuera à s'épanouir sur notre terre ontarienne. Nous sommes et nous serons toujours de fiers Franco-Ontariens.» On dirait tout à coup qu'elle est devenue présidente de l'AFO... Pas sûr que M. Jolin en soit très heureux. Il ne dira probablement rien, mais...


En passant, Mme Mulroney, ça va plutôt mal au Québec aussi...


samedi 13 mars 2021

Un moment historique. Où étaient nos médias?


Plein de journalistes auraient dû suivre à la loupe la réunion du mardi 9 mars 2021 du Comité permanent des langues officielles à Ottawa. Pour la première fois depuis l'adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969 sous Pierre Elliott Trudeau, les députés fédéraux se penchaient sur le déclin du français... au Québec! Jusque là, ils ne s'étaient intéressés qu'au sort des «minorités» de langue officielle... c'est-à-dire les francophones hors Québec et les Anglo-Québécois...

Mais cette soi-disant symétrie entre anglophones minoritaires au Québec et francophones minoritaires ailleurs au Canada se disloque depuis quelques années. En novembre 2019, la ministre québécoise Sonia Lebel demandait que la Loi sur les langues officielles, en attente d'une réforme majeure, reconnaisse le français comme «seule» langue minoritaire au Canada. «Le Québec a une réalité différente avec sa minorité qui n'en est pas une au Canada», avait-elle déclaré en entrevue avec le quotidien Le Droit.

Le 23 novembre 2020, le discours du Trône du gouvernement Trudeau ouvrait la porte à chambarder l'une des prémisses du bilinguisme fédéral, inchangée depuis plus de 50 ans. «Le gouvernement du Canada doit aussi reconnaître que la situation du français est particulière. (...) Le gouvernement a la responsabilité de protéger et promouvoir le français non seulement à l'extérieur du Québec, mais également au Québec.» Et Ottawa s'engageait à tenir compte de cette «réalité particulière du français» dans une nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles.

Deux jours plus tard, le député du Bloc québécois Mario Beaulieu réussissait à faire adopter par le Comité permanent des langues officielles une motion comprenant, entre autres, une modification majeure du mandat traditionnel des députés siégeant à ce comité. Désormais, ils examineraient aussi la détérioration du français au Québec, ainsi que l'effet de la politique linguistique fédérale sur la Loi 101. Ce changement de cap n'a pas fait la une des journaux et des bulletins de nouvelles, mais les médias en ont parlé.

La disparition de l'immense majorité des journaux imprimés, combinée au rétrécissement  général des salles de rédaction, a eu un effet désastreux sur la quantité et la qualité de l'information au Québec. Faute d'effectifs, faute de vision, des moments historiques passent sous le radar des directions de l'information. Ainsi en est-il de cette réorientation des fondements du «bilinguisme» fédéral, conséquence d'une prise de conscience générale du péril que court le français dans la métropole québécoise. À force de fixer les arbres, nos médias ont perdu de vue la forêt.

Nous voilà donc au soir du 9 mars 2021. Trois témoins importants comparaissent devant le Comité fédéral des langues officielles: Jean-Pierre Corbeil, spécialiste des données linguistiques à Statistique Canada; Charles Castonguay, professeur de mathématique à la retraite de l'Université d'Ottawa, auteur du livre Le français en chute libre (2020); et le démographe québécois Patrick Sabourin. La table était mise pour une toute première discussion, en présence d'experts, de la problématique du français au Québec. Les délibérations du comité sont diffusées sur Internet et accessibles à tous, toutes.

Cette réunion, je l'ai visionnée en direct, de 18 h 30 à 20 h 30.

Ces deux heures d'échanges ont rempli toutes les attentes. Les députés libéraux, conservateurs, bloquistes et néo-démocrates plongeaient dans un univers qui leur avait été auparavant interdit. On y parlait de la Loi 101, de l'effet de l'immigration sur la dynamique linguistique au Québec (et ailleurs au Canada), du bilinguisme et de l'anglicisation croissants des francophones du Québec, du déclin démographique des Québécois de langue française, de la stabilité ou de la croissance de l'anglais (au Québec), de l'effet des politiques fédérales sur la situation du français au Québec, et bien plus.

Le député conservateur Stephen Blaney a qualifié les interventions de MM. Castonguay et Sabourin de «témoignages-choc» et vu dans la réunion du 9 mars une «sortie de placard» pour le comité fédéral des langues officielles, qui examinait pour la première fois «la situation du français au Canada, mais aussi au Québec». Les membres du comité étaient clairement en eaux troubles. Plus habitués aux interventions des minorités acadiennes et canadiennes-françaises, qui alternent entre les S.O.S. et un optimisme rassurant, ils semblaient un peu déstabilisés, voire pris de court, par les analyses inquiétantes d'experts qui fondent leurs conclusions sur les données très officielles des recensements de Statistique Canada.

Quoiqu'il en soit, l'événement méritait d'être consigné aux premières pages des journaux et aux bulletins nationaux à la télé. Mais il n'y avait personne... C'est à se demander si quelqu'un, quelque part dans nos médias, suit de près ce dossier pourtant si important pour l'avenir du Canada et du Québec. On aurait pu tout au moins écrire que sans la présence du Bloc québécois, rien de cela n'aurait eu lieu...

Awignahan !


dimanche 7 mars 2021

Le 27 août 1969... avant les grandes surfaces...

Sur la rue Notre-Dame, Vieux Gatineau, mars 2021

J'ai bien rigolé en lisant, dans l'édition du samedi 6 mars du quotidien Le Droit, que la viabilité des magasins grandes surfaces à ciel ouvert était remise en question. Je n'avais jamais compris pourquoi on avait misé sur une formule de méga centres commerciaux en plein air qui obligeaient les clients à prendre leur voiture (même d'un commerce à l'autre) et à passer, après chaque magasinage, d'un intérieur chauffé ou climatisé à un moins 20 glacial sous la neige ou à l'humidité étouffante d'un + 32 en été...

Enfin, sans doute cette mode s'inscrivait-elle dans la tendance plus que cinquantenaire de tout grossir. Depuis le milieu du 20e siècle, les centres commerciaux puis les mails intérieurs avaient sonné le glas des rues commerciales des centres-villes, et avec l'Internet, les Amazon et semblables - grands comme la planète tout entière - semblent menacer ce qui reste du commerce de proximité. On magasine de plus en plus devant un écran, sans se déplacer, sans toucher au produit, sans parler ou côtoyer d'autres humains, pour ensuite attendre que l'achat soit livré à notre porte.

Dans un monde où l'on j'a jamais tant parlé de «communauté» dans les médias, dans les publicités, tout ce qui favorise l'appartenance communautaire s'effrite à vue d'oeil. Les commerces locaux (à l'exception des dépanneurs) ont disparu, les caisses pop de quartier ont été fermées, les églises paroissiales sont vendues, les petites villes ont été fusionnées puis refusionnées, les services et soins de santé ont été méga centralisés, etc. Tout grossit, tout s'éloigne des «communautés». Pire, on voudrait nous faire croire qu'il s'agit là de tendances logiques, irrépressibles alors qu'elles vont carrément contre nature.

Je suis tombé avant-hier, par hasard, dans mes recherches Internet, sur l'édition du 27 août 1969 de l'ancien hebdo La Revue de Gatineau, disponible sur le site Web de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Évidemment, le Gatineau dont il est question ici n'est pas celui du monstre géographique de 2021, formé en 2002 après le plus récent regroupement. Ni même celui d'avant, lui-même issu d'une première fusion à l'est de la rivière Gatineau en 1975. La ville de Gatineau de 1969 s'était formée autour de l'usine de pâtes et papier de la CIP (prononcer Ci-aille-pi)) et atteignait à la fin des années 1960 une population d'environ 20 000 habitants.

C'est là que je demeure aujourd'hui.

Revenons à la Revue de Gatineau. Il n'y avait pas beaucoup de nouvelles au sens propre. Le contenu privilégiait les activités communautaires et la Revue était devenue, depuis une dizaine d'années, un véhicule privilégié pour les commerces qui ne voyaient pas grand intérêt à s'annoncer dans un quotidien qui touchait l'ensemble de l'Outaouais urbain, la ville d'Ottawa et l'Est ontarien. Et c'est essentiellement en glanant ces publicités que cette édition du 27 août 1969 devient un important témoin de l'histoire locale.

Le passé de ce qu'on appelait alors Gatineau (ou Gatineau Mills pour les plus vieux) ressemble sans doute à celui d'innombrables localités du Québec et d'ailleurs, bâties le long d'un cours d'eau et traversées par des rues principales qui suivaient le parcours des routes traditionnelles vers Montréal. Dans le Vieux Gatineau ces rues s'appellent Notre-Dame et St-André. L'ancienne route 8. C'était avant les boulevards de contournement, avant l'autoroute 50. Le coeur de la ville battait aux abords de l'église-cathédrale St-Jean-Marie-Vianney et la Caisse populaire de Gatineau, toutes deux sur la rue Notre-Dame.

En 1969, l'effet de la construction, dans les années 1950, d'un grand boulevard à quatre voies (le boul. Maloney) reliant Gatineau à Pointe-Gatineau, Hull et Ottawa commençait à se faire sentir, notamment avec l'ouverture d'un petit centre commercial, la Plaza Gatineau, et d'un supermarché, mais les vieilles rues avaient conservé jusque là leur cachet.

Elle abritaient des magasins familiaux pour la plupart. Pas de grandes chaînes. Commerçants et clients se connaissaient, de génération en génération. L'un des derniers à quitter, Willie Assad (de la mercerie qui portait son nom au 400 Notre-Dame), m'avait confié en 2009 qu'il continuait à déverrouiller ses portes une heure avant l'ouverture pour accueillir des amis qui venaient prendre un café avec lui, et qu'il avait conservé son «Rolodex» pour les clients qui lui demandaient encore «de mettre ça sur leur compte»...

Aujourd'hui, à part la librairie Fréchette qui commence à prendre de l'âge, il ne reste à peu près rien de ce quartier qui, s'il avait été mieux protégé, aurait certainement acquis un caractère patrimonial et même, touristique. À la place on trouve loin du Vieux Gatineau des Wal-Mart, un Costco, de grandes bannières nationales et mondiales où personne ne vous connaît, toutes situées à l'extérieur du centre-ville de ce qui fut jadis Gatineau.

La rue St-André, angle Notre-Dame, Vieux Gatineau, mars 2021

Quand je consulte les 28 pages tabloïd de la Revue de Gatineau d'août 1969, je trouve une douzaine de publicités de commerces situés sur les rues Notre-Dame et St-André. Cinq magasins de vêtements pour jeunes et adultes, hommes et femmes, un magasins de chaussures, une pharmacie, une bijouterie, une épicerie (qui livre jusque dans les municipalités voisines), un centre de l'électronique et un resto. En 2021, la rue Notre-Dame a triste mine, et le plus gros commerce semble être une centre de liquidation...

Les plus vieux se souviendront peut-être d'Adam et Ève (vêtements pour enfants et ados), du Paradis des jeunes (vêtements) qui acceptait la carte Chargex (ancêtre de Visa), de la mercerie Greg Landry (qui a déménagé sur le boulevard St-René et qui fermait ses portes l'an dernier), du magasin de chaussures J. Desaulniers, de la Bijouterie Bériault, de la «Groceteria» Généreux (qui proposait ses oeufs à 1$ pour trois douzaines, ou 10 livres d'ailes de dinde pour 2,95$)...

À distance de marche, sur les rues Main (aussi appelée Principale en 1969) et le boul. Maloney, les commerces qui prospéraient à l'époque ont aussi disparu. Le supermarché A.L. Raymond, le magasin à rayons R. Farmer (avec son petit resto comme les Woolworth et Zeller's), Ameublement Yves-Rollin (mobilier de cuisine à 90$ avec 1000 timbres Gold Bond), Bourbonnais Motor Sports (Ski-Doo à partir de 695$), la pharmacie Lanthier devenue Familiprix. J'ai bien connu M. Lanthier, un Franco-Ontarien originaire de la région de Sturgeon Falls.

La rue Poplar, Vieux Gatineau, près de Notre-Dame, mai 2015

Je persiste à croire que le coin Notre-Dame/St-André du Vieux Gatineau pourrait devenir un pôle commercial attrayant en privilégiait des commerces de proximité qui pourraient aussi intéresser les circuits touristiques. La plus belle rue du grand Gatineau de 2021 se situe dans le quartier (la rue Poplar), avec ses coquettes maisons construites il y a un siècle pour les anciens contremaîtres américains de la CIP. Si le seul effet était de retirer quelques clients à Amazon et aux grandes surfaces impersonnelles, tout en favorisant une renaissance communautaire, cela vaudrait l'effort.

Bof... De toute façon, dans quelques années, nous serons tous morts et personne ne s'en souviendra...


mardi 2 mars 2021

Éclosion à Gatineau... Le droit de savoir...


Le nombre de cas de COVID en Outaouais avait baissé au point de faire basculer la région en zone orange le 22 février... Jusque là, certains jours, on y enregistrait moins d'une dizaine de nouvelles infections. Or, depuis une semaine, on assiste à une remontée spectaculaire du virus. Pas moins de 36 nouveaux cas ce 1er mars 2021. De quoi nous faire «rebasculer» au rouge... 

Le CISSS de l'Outaouais a annoncé, le jour du passage à l'orange, une éclosion majeure au CHSLD Lionel-Émond, dans le secteur Hull de Gatineau. Vingt-trois résidents et cinq employés avaient reçu un test positif. Comment était-ce possible, dans un établissement où 96% des résidents avaient été vaccinés en décembre? Rassurez-vous, nous ont dit les autorités. La plupart des malades n'ont pas de symptômes et personne n'est en danger... L'impression donnée, c'était de ne pas s'inquiéter, que tout était bien contrôlé...

Nous voici une semaine plus tard, et le bilan s'est alourdi, avec 40 infections et un décès chez les résidents du CHSLD.  Pourquoi? Sais pas. Peut-être le virus a-t-il été propagé par des employés (60% ne sont pas vaccinés, par choix...). Sais pas. De plus, les bilans quotidiens pour l'ensemble de l'Outaouais poursuivent leur remontée en dents de scie. Pourquoi? Sais pas... Tout ce qu'on sait, c'est que ça va de plus en plus mal dans une région qui avait été moins touchée par la pandémie et que pour le moment, un centre de soins de longue durée de Gatineau est devenu le point chaud du Québec tout entier.

Croyant avoir été négligent dans mes lectures médiatiques, j'ai fait une recherche Internet pour retrouver tous les articles disponibles sur la COVID en Outaouais depuis le passage à la zone orange. J'y trouverais sûrement les réponses que je cherchais, quitte à compléter avec le contenu du site COVID du Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (CISSSO)... Quelle ne fut pas ma déception de n'obtenir aucune des réponses que je souhaitais obtenir...

J'ai tenté de reconstituer la chaîne des événements:

lundi 22 février

- Point de presse du CISSSO, annonçant qu'une éclosion au CHSLD Lionel-Émond a été découverte «par hasard» (???) en fin de semaine, et qu'elle touche 23 résidents et «moins de cinq» (ça veut dire quoi?) employés.

- Radio-Canada rapporte que «tous» les résidents infectés avaient peu ou pas de symptômes. Par contre, le communiqué officiel du CISSSO affirme que la «majorité» des résidents se portent bien... Il y en aurait donc qui vont mal? On ne le dit pas...

- Un «dépistage élargi des employés et résidents» est annoncé. Je n'ai trouvé aucune information sur le résultat de ce dépistage.

- Le texte de Radio-Canada pose la question évidente: comment le virus a-t-il pu entrer dans un CHSLD où 96% des résidents sont vaccinés depuis longtemps? Le CISSSO répond que la première dose du vaccin reçu n'est efficace qu'à 80%... Plutôt imprécis comme réponse...

- On mentionne aussi que seulement 40% des employés «ont accepté» d'être vaccinés, sans plus. C'est une info importante qui n'a pas été approfondie...

- Le Droit mentionne que 41% de tous les cas actifs dans les CHSLD du Québec sont au CHSLD Lionel-Émond... 

mardi 23 février

- Le Journal de Montréal a fait un suivi sur le fait que 60% des employés du CHSLD Lionel-Émond ne soient pas vaccinés. Voici une citation attribuée à Josée McMillan, présidente du Syndicat des employés: «Il y a des employés qui ne font pas confiance au vaccin et qui n'iront jamais le chercher. On a beau leur recommander, on ne peut les obliger à se faire vacciner»...

- Cette déclaration n'a pas été rapportée dans les médias locaux (du moins je n'ai rien vu) et personne n'a tenté de suivi auprès de la direction du CISSSO ou, plus directement, avec des employés...

jeudi 25 février

- Le Droit annonce qu'en Outaouais, quatre patients COVID ont des complications, mais qu'aucun n'est aux soins intensifs...

- La PDG du CISSSO réitère qu'au CHSLD Lionel-Émond «tous les résidents infectés se portent bien»...

samedi 27 février

- Radio-Canada annonce un décès dû à la COVID au CHSLD Lionel-Émond. Est-ce lié à la présente éclosion? Quelles sont les circonstances? Silence médiatique...

- Un autre site Web annonce qu'il y a maintenant 37 cas de COVID chez les résidents du CHSLD Lionel-Émond

lundi 1er mars

- Avec cette dernière éclosion, 40 résidents du CHSLD Lionel-Émond ont contracté le virus de la COVID... 

- selon l04,7 Outaouais, le CHSLD Lionel-Émond est le seul établissement du genre au Québec à se trouver sous le code «haute surveillance»...

Et voilà!

Après une semaine complète depuis l'annonce d'une éclosion majeure chez des vaccinés, toutes les questions que j'estimais évidentes restent sans réponse.

1. Comment et par qui les résidents ont-ils été infectés? Par un employé? Un proche aidant? Un visiteur? Un résident? A-t-on tenté de reconstituer le cheminement de l'infection?

2. Pourquoi 60% des employés ont-ils refusé de se faire vacciner? A-t-on fait enquête? A-t-on exercé des pressions pour qu'ils acceptent un vaccin?

3. La personne décédée faisait-elle partie de la présente éclosion? On nous avait dit que tout le monde allait bien...

4. L'efficacité du vaccin est-elle remise en question? Va-t-on accélérer la 2e dose? Avec 40 infections (en date du 1er mars), on est à plus de 15% des résidents du CHSLD...

5. Quel est le résultat du dépistage élargi annoncé la semaine dernière?

6. Peut-on expliquer l'augmentation appréciable des cas de COVID en Outaouais depuis le 20 ou le 21 février?

7. Ces questions ont-elles été posées par les médias régionaux et nationaux? Pourquoi au moins certaines de ces réponses ne se trouvent-elles pas automatiquement sur le site Web du CISSO, qui demeure plutôt avare de renseignements...

Si quelqu'un a en main la solution à une ou plusieurs de ces énigmes, je vous prie de partager...

Il me semble que cela relève du droit le plus élémentaire de savoir.